Le pape et Hitler 1

L’histoire secrète de PIE XII

De John Cornwell
commentaire partie 1

 *Eugenio Pacelli n’avait rien d’un monstre. Son cas est autrement plus complexe et tragique. Tout l’intérêt de son itinéraire réside dans le mélange contradictoire et fatal de hautes aspirations spirituelles et d’un appétit effréné de pouvoir.

Il s’en dégage le portrait non pas du mal, mais d’une fatidique dislocation morale : celle du divorce de l’autorité et de l’amour chrétien. La collusion avec la tyrannie et, en définitive, la violence, furent le fruit de cette rupture. *

(Extrait de la préface, LE PAPE ET HITLER de John Cornwell, Albin Michel éditeur, 1999, édition de papier, 493 pages.)

Pie XII (1876-1958) fut-il Saint homme ou un nouveau Machiavel qui pactisa avec le diable nazi ? L’éminent dignitaire du Vatican, qui s’attacha à renforcer le pouvoir pontifical, joua-t-il, dans le même temps, le rôle de  » Pape de Hitler »?

C’est à ces interrogations que répond John Cornwell en s’appuyant sur des documents inédits et jusqu’alors inaccessibles au grand public – les dépositions sous serment de soixante-huit témoins entendus pour le procès de béatification et les archives des services de la Secrétairerie d’État du Vatican – ainsi que sur les nombreux travaux consacrés aux activités de Pie XII en Allemagne dans les années 1920-1930.

Autant de sources qui révèlent la vraie personnalité d’un homme tiraillé entre les plus hautes aspirations spirituelles et un appétit effréné de pouvoir.
C’est un livre-document dont le retentissement international ébranle la doctrine de l’infaillibilité pontificale elle-même, renouvelle, par les éléments qu’il dévoile, le débat sur la culpabilité de l’Église catholique durant la Deuxième Guerre mondiale.

 Le silence de PIE XII
toujours débattu

Avec ma passion de l’histoire de la papauté et du Vatican, le pontife sur lequel j’ai investi le plus de temps fut sans aucun doute PIE XII que j’appelle le pape du silence. J’essaie toujours de comprendre la nonchalance et la pusillanimité d’Eugenio Pacelli, PIE XII alors que les nazis exécutaient la solution finale d’Hitler, c’est-à-dire l’extermination des juifs par millions.

Pie XII refusait obstinément d’user de sa forte autorité morale pour dénoncer aux yeux du monde les horreurs de cette guerre, la cruauté des SS et de Hitler et sa clique. Tous les gouvernements le suppliaient d’intervenir. Rien à faire.

Il n’avait rien à dire sinon des déclarations floues, ambiguës, nébuleuses qui prêtaient à toutes sortes d’interprétations.

Encore un livre sur Pie XII allez vous me dire ? C’est vrai mais dans ce livre de Cornwell, j’ai apprécié l’argumentaire qui repose en bonne partie sur les témoignages du procès en béatification de Pie XII. Il en ressort malheureusement que les spécialistes et historiens sont toujours divisés sur l’immobilisme du pape pendant la deuxième guerre mondiale.

Le livre de John Cornwell est en trois parties. La première détaille les magouilles de PIE XII, appelées pompeusement des actions diplomatiques. Pie XII était le nonce du pape et sa démarche avait plusieurs objectifs, entre autres, protéger les catholiques allemands de la montée du nazisme, peu sympathique à la religion.

Ensuite, au-delà de tout, Pacelli voulait préserver et renforcer le centralisme et le pouvoir d’une église monolithique et autocratique visant le pape comme la seule, unique et infaillible autorité suprême. Pacelli considérait comme prioritaire la protection du Vatican et de ses institutions et voulait que Hitler les considère comme intouchables. Protéger ou sauver des vies humaines semblait secondaire.

Ces écrits m’ont conforté dans mon impression que plus Pacelli se rapprochait d’un concordat avec Hitler, plus ce dernier s’en éloignait et manipulait à sa guise.

La deuxième partie du livre est consacrée au pontificat de Pie XII. Il nous en apprend beaucoup sur l’homme : exigeant pour lui et les autres, autoritaire, autocratique, ascétique et très versé dans la spiritualité au point d’aspirer à la sainteté. Toutefois, la plupart des témoignages confèrent à Pie XII une bonne nature, il était bienveillant et très humain.

Je comprends, de l’œuvre de Cornwell, que Pie XII avait une empathie plutôt sélective et qu’il était antisémite. Rien de ce que j’ai lu sur Pie XII ne vient prouver le contraire.

La troisième partie du livre concerne l’héritage de Pie XII. Jean XXIII allait hériter d’une église en totale rupture avec la modernité, ce qui l’a poussé à convoquer le concile Vatican 2. Beaucoup de chicanes en perspective entre les réformistes et les orthodoxes.

Quant à cette aura qui entoure le pape, elle couvera quelque peu sous Paul VI et sera par la suite fortement réactualisée sous Jean-Paul II.

C’est un livre abondamment documenté. Il jongle avec le pour et le contre, tentant d’être objectif. Je peux admettre certains éléments en faveur de Pie XII comme par exemple, le fait qu’en s’abstenant d’intervenir, le pape évitait ainsi des représailles qui auraient pu coûter beaucoup de vies. Je peux admettre aussi qu’en n’intervenant pas, Pie XII se plaçait en meilleure position pour être le médiateur idéal dans un processus de paix.

Dans ce livre, je n’ai malheureusement rien trouvé qui justifie l’inaction et le silence de Pie XII…silence que beaucoup considèrent comme coupable et sympathique aux nazis. Ça me désole, mais je n’ai trouvé aucune excuse à Pie XII dans ce livre comme dans les autres.

Cornwell cite un article de Gunther Lewy, publié dans *Commentary* : *Finalement, on est enclin à conclure que le pape et ses conseillers-influencés par la longue tradition d’antisémitisme modéré si largement accepté dans les cercles du Vatican-ne considèrent pas le calvaire des juifs avec un réel sens d’urgence et d’indignation morale…

…Il n’est pas possible de trouver la documentation nécessaire pour justifier cette affirmation, mais c’est une conclusion qu’il est difficile d’éviter. *

Cet extrait est lourd de signification et tout comme le livre de Cornwell, il laisse planer le doute et met en perspective le profond désaccord qui perdure entre ceux qui appuient Pie XII et ceux qui considèrent que le silence du pape fut coupable.

Suggestion de lecture : HISTOIRE DE LA PAPAUTÉ, collectif

Dans la prochaine publication sur biblioclo.com, je complèterai mon commentaire sur LE PAPE ET HITLER de John Cornwell et proposerai quelques suggestions pour ceux et celles qui veulent aller plus loin dans l’exploration du sujet.

 

BONNE LECTURE

Claude Lambert

le samedi 27 septembre 2025

Le pape et Hitler 2

De John Cornwell
Commentaire partie 2


Si vous voulez faire un retour sur la partie 1 de mon commentaire sur le livre de John Cornwell, cliquez ici.

Dans la première partie de mon commentaire, j’ai présenté les différentes parties du livre et, après analyse, j’ai tiré mes conclusions qui sont, je tiens à le rappeler, très personnelles. Car la corde est très sensible. Le sujet donne matière è beaucoup de désaccord, de discorde.

Quoiqu’il en soit, j’ai trouvé ce livre très intéressant, surtout développé sous l’angle des témoignages au procès de béatification. Il est possible que beaucoup de lecteurs et lectrices trouvent ce livre indigeste car il entre profondément dans les détails. Cela donne la chance de se faire une idée plus précise sur un dossier tellement complexe. Il faut être persévérant.

Même si le livre de John Cornwell apporte des lumières intéressantes, Pie XII demeure un pape énigmatique et je crois qu’i n’y aura jamais d’unanimité sur les résultats réels de sa fonction pontificale au regard de l’histoire.

Pour terminer ce dossier, je vous propose quelques citations signifiantes du livre de John Cornwell LE PAPE ET HITLER.

*Mais quel aurait été le risque réel de représailles de la part des SS si le pape avait protesté de façon <significative> aux déportations du 16 octobre ? Dans quelle mesure les SS auraient-ils pu entrer au Vatican et arrêter le pape ? *

*Quiconque se lance dans une étude sur Pie XII dit marcher sur les brisées de ceux qui ont tâché d’élucider le problème de son silence pendant la guerre. La controverse sur l’attitude d’Eugenio Pacelli à l’égard de la solution finale n’a pas cessé depuis trente-cinq ans et a vu se multiplier les recherches savantes…chaque essai pour rendre un verdict définitif sur l’information et la conduite du pape, provoquant une réaction du camp adverse. *

*Les théologiens catholiques débattent depuis longtemps de ce qui sépare la prudence chrétienne de la lâcheté. La ligne de partage est souvent difficile à tracer et toute la casuistique du monde sur le silence admissible face au crime afin d’empêcher le pire ne rendra pas la tâche moins ardue, Il existe des situations où l’on pêche moralement par omission. Le silence a ses limites. *

*Ce silence autour de la solution finale apporta au monde la preuve que le vicaire du Christ n’était homme ni de pitié ni de colère. De ce point de vue, il était le pape pour les desseins indicibles de Hitler. *

*Au plus profond de la guerre, le programme de Pacelli – ses aspirations à la sainteté et sa position sur les relations entre la papauté et l’Église – semblait bien loin de tout sentiment de responsabilité entre les juifs d’Europe et d’identité commune avec eux… *

*Pacelli savait fort bien que l’auditoire reconnaîtrait ces ennemis de Jésus qui lui avaient crié <crucifiez-le> < Pacelli, écrit Herczl, savait que son auditoire le comprendrait parfaitement.> Le représentant du pape à un congrès eucharistique marquait clairement que l’<amour universel> qu’il prêchait devant cette assemblée n’incluait pas les juifs. *


L’auteur John Cornwell

 

Suggestions

Pie XII a fait l’objet d’une quantité considérable de livres, documents, essais et dossiers de presse. Voici trois suggestions de livres. Je vous invite aussi à consulter le dossier publié par Wikipédia en cliquant ici.

SUGGESTION DE FILM

Amen est un film franco-germano-roumain réalisé par Costa-Gavras, sorti en 2002. Il s’agit d’une adaptation cinématographique de la pièce de théâtre Le Vicaire (Der Stellvertreter) de Rolf Hochhuth, critiquant l’inaction du pape Pie XII durant la Seconde Guerre mondiale, en particulier à l’égard des Juifs.

Il faut noter toutefois que la pièce LE VICAIRE est controversée. D’après le Vatican, la pièce aurait été fortement influencée par les communistes et les ennemis de l’Église. Plusieurs critiques croient que la pièce contiendrait plusieurs erreurs. Là encore, il y a deux camps.

Quoiqu’il en soit, le film de Costa Gavras rend très bien le contexte historique

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 27 septembre 2025

L’ANGE DE MUNICH

Commentaire sur le livre de
FABIO MASSIMI

*Elle meurt.

Dans la pièce fermée, la jeune fille gît à terre. Les yeux écarquillés, la bouche entrouverte, la peau froide, de plus en plus froide. Une tache de sang s’élargit doucement sur sa robe.

À quelques centimètres d’elle, le pistolet repose sur le tapis bleu, orienté vers la fenêtre. Il y a quelques minutes encore, ce n’était qu’un objet sans importance pour la jeune fille. À présent, c’est l’élément le plus important de sa vie, le terme vers lequel elle se dirigeait depuis le début sans le savoir. *

(Extrait : L’ANGE DE MUNICH, de Fabiano Massimi, Albin Michel éditeur pour la version française, 2021, format numérique, équivalence : 1009 pages. Version audio : Audiolib éditeur, 2021, durée d’écoute :14 heures 4 minutes, narrateur : Nicolas Matthys)

Munich, 1931. Angela Raubal, 23 ans, est retrouvée morte dans la chambre d’un appartement de Prinzregentenplatz. À côté de son corps inerte, un pistolet Walther. Tout indique un suicide et pousse à classer l’affaire. Sauf qu’Angela n’est pas n’importe qui. Son oncle et tuteur légal, avec lequel elle vivait, est le leader du Parti national-socialiste des travailleurs, Adolf Hitler. Les liens troubles entre lui et sa nièce font d’ailleurs l’objet de rumeurs dans les rangs des opposants comme des partisans de cet homme politique en pleine ascension.

Détail troublant : l’arme qui a tué Angela appartient à Hitler. Entre pressions politiques, peur du scandale et secrets sulfureux, cet événement, s’il éclatait au grand jour, pourrait mettre un terme à la carrière d’Hitler. Dans une république de Weimar moribonde, secouée par les présages de la tragédie nazie, Fabiano Massimi déploie un roman, fondé sur une histoire vraie et méconnue, mêlant documents d’archives et fiction.

 De la crasse dans les coulisses allemandes

C’est un livre très singulier…peut-être un des plus denses et énigmatiques que j’ai lus. L’histoire développée dans le livre est vraie. L’auteur en a fait un roman et y a ajouté un peu de fiction. Nous sommes au début des années 1930 à Munich. Le récit commence avec la mort d’Angela Raubal, 23 ans dans l’appartement d’Hitler, et à côté de son corps, un pistolet Walter, appartenant à son oncle…Adolph Hitler. Ce drame coïncide avec une montée en flèche du nazisme et de l’antisémitisme en Allemagne.

Le commissaire Sauer et son adjoint Forster <ils ont vraiment existé. Seuls les prénoms ont été inventés> enquêtent sur ce qui, au départ a l’apparence d’un suicide mais quelque chose cloche. Les autorités s’aperçoivent de l’embarras des policiers et s’emballent. Mauvaise publicité pour Hitler ? Sûrement. Les grands pontes de la justice arrêtent l’enquête, puis la reprennent et l’arrête à nouveau, puis elle passe d’enquête officielle à officieuse et c’est là que les ténors du nazisme entrent en jeu : Himmler, Goering, Goebbels, Heydrich, Hess et j’en passe.

Peut-être trop proches de la vérité, les officiers de police sont en danger. L’enquête, complexe, tentaculaire, bourrée de revirements et de surprenantes révélations connaîtra sa conclusion dans une finale étonnante et totalement inattendue. Il faut se rappeler que l’affaire Geli Raubal est une réalité historique sur laquelle on n’a jamais vraiment fait la lumière. Le roman de Massimi est conforme à l’histoire et en évoque tous les mystères et sur ce plan, j’ai été servi.

Mise à part l’enquête extrêmement délicate des commissaires, le roman se centre aussi sur la personnalité d’Hitler, à quelques mois de son arrivée au pouvoir comme chancelier et évoque déjà un esprit tordu et des obsessions de pouvoir totalitaire. Il était dominateur et possessif et l’idée de conflits circulait déjà sept ans avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale.

Le roman livre aussi certains détails, historiquement avérés sur le comportement sexuel déviant et dépravé d’Hitler qui allait même jusqu’à la pratique de l’ondinisme. Mais, comme l’histoire l’a démontré, Hitler avait tout pour lui, en particulier son incroyable magnétisme, sans oublier un cheptel de moutons prêts à tout pour le défendre.

Angela Raubal <1908-1931> sa mort n’a jamais été      clairement expliquée.

Bien que cette histoire soit monstrueuse, le livre de Fabiano Massimi est pour moi un <cinq étoiles>. Bien écrit, historiquement crédible particulièrement sur le plan politique, modérément rythmé, malgré la complexité de l’enquête, il est fluide, facile à lire. Il n’est pas spécialement spectaculaire mais il fait froid dans le dos et sa finale n’est rien de moins qu’extraordinaire quoiqu’un peu brève. L’ouvrage est très bien documenté. Enfin, la présentation éditoriale est impeccable.

Petit bémol. Je déplore la faiblesse descriptive sur le plan contextuel. J’aurais apprécié en effet connaître les sentiments de l’allemand moyen sur cette affaire et sur la destinée de l’Allemagne au moment où le nazisme enfle à vue d’œil. L’ambiance est quelque peu déficiente.

Bref, un roman addictif…j’ai adoré.

Suggestion de lecture : IL N’EST SI LONGUE NUIT, de Béatrice Nicodème


L’auteur Fabiano Massimi

Pour en savoir plus sur Geii Raubal, cliquez ici
article de
presse suggéré

Bonne lecture,
Bonne écoute,
Claude Lambert
le vendredi 14 février 2025

LA PART DE L’AUTRE, Éric-Emmanuel Schmidt

*Personne n’avait remarqué l’énormité qu’on venait d’annoncer, la
 catastrophe qui venait de déchirer le hall de l’Académie des beaux-arts,
 la déflagration qui trouait l’univers : Adolf Hitler recalé. *
(Extrait : LA PART
DE L’AUTRE, Éric-Emmanuel Schmidt, Albin Michel éditeur 2014, 500 pages.
Version audio : Audio lib éditeur, 2019, durée d’écoute : 16 heures 22 minutes.
Narrateurs : Daniel Nicodème, Éric-Emmanuel Schmidt)

8 octobre 1908 :

« Adolf Hitler recalé ». Que ce serait-il passé si l’École des Beaux-Arts de Vienne en avait décidé autrement ? Que serait-il arrivé si, cette minute-là, le jury avait accepté et non refusé Adolf Hitler, avait flatté puis épanoui ses ambitions d’artiste ? Cette minute-là aurait changé le cours d’une vie, celle du jeune, timide et passionné Adolf Hitler, mais elle aurait aussi changé le cours du monde…

 

L’uchronie la plus célèbre du XXIe siècle
*Rideau de fer. Terminé. On ne passe plus.
Allez voir ailleurs. Dehors… Personne n’avait
remarqué l’énormité qu’on venait d’annoncer. *
(Extrait)

 

Original et captivant sont les deux premiers mots qui me viennent à l’esprit pour qualifier l’œuvre d’Éric-Emmanuel Schmidt qui développe dans LA PART DE L’AUTRE, deux facettes complètement opposées de la même personne : une qui est avérée, l’autre imaginaire. En fait, l’auteur développe parallèlement deux biographies romancées d’Adolf Hitler : d’abord, la vraie, puis la biographie uchronique.

Tout repose sur la seconde ultime où Hitler reçoit le résultat de son examen d’admission aux Beaux-arts. On sait que dans la réalité, Hitler a été recalé à cet examen et là, commence l’histoire d’un homme refoulé, égocentrique, aux tendances narcissiques qui changera à jamais la face du monde. C’est la biographie documentée et crédible d’un homme dont tout le monde avait peur. C’est un aspect de l’histoire que l’auteur m’a aidé à comprendre dans le développement de son récit et dans l’argumentaire qu’il propose et explique lui-même à la fin de l’ouvrage.

J’ai compris comment la première guerre a changé l’homme, comment son patriotisme est devenu obsessionnel et tordu, comment s’est développé son antisémitisme et comment est disparu chez cet être atypique toute trace d’empathie. Bref, avec des raffinements de précision, Schmidt nous présente d’une part le tristement célèbre Adolf Hitler : <artiste raté, ancien clochard, soldat incapable de prendre du galon, agitateur de brasserie, putschiste d’opérette> coincé sexuel et incapable de communiquer autre chose que de la haine.

Maintenant, supposons un instant qu’à ce fameux examen des Beaux-Arts, Adolf Hitler ait été accepté et devienne un peintre célèbre. Voici la partie uchronique du récit. Que ce serait-il passé si Hitler avait été reconnu par ses pairs aux Beaux-Arts. Je vous laisse le découvrir bien sûr…ma propre vie ne serait peut-être même pas ce qu’elle est… mais j’ai trouvé le développement passionnant…rien de moins.

Bien imaginé, bien écrit, avec des éléments recherchés qui sont de nature à créer ou préciser mes schémas de pensée sur, entre autres, le sens de la vie et le revers susceptibles de se cacher dans notre personnalité et qui sont aussi susceptibles de resurgir, ce que l’auteur appelle sans doute LA PART DE L’AUTRE. Dans la biographie réelle, l’homme s’appelle Hitler ou le Führer mais dans l’uchronie, j’ai été heureux de connaître celui qu’on appelle Adolf H. :  créatif, généreux, humain et sensible.

La faiblesse de l’ouvrage réside dans le développement du contexte historique dans la partie uchronique du récit. Difficile de voir où s’en va l’Allemagne sans le Führer. J’avais aussi l’impression que l’auteur adoptait parfois un ton éditorial comme s’il vidait un trop plein en fustigeant l’un pour magnifier l’autre. Prenez connaissance de l’exposé de l’auteur à la fin. Je crois avoir saisi le sens ou l’esprit de sa pensée mais j’ai trouvé que ça sentait la justification.

Il y a aussi beaucoup de longueurs ventilées toutefois par quelques passages savoureux par exemple, les séances thérapeutiques d’Adolf H. avec le célèbre psychanalyste Sigmund Freud…magnifique. L’oeuvre me laisse sur un questionnement hautement philosophique : Quelle part de moi pourrait changer le monde ? C’est une gamme d’émotions qui vous attend. Lancez-vous…je crois que vous ne serez pas déçu.

Suggestion de lecture : IL N’EST SI LONGUE NUIT, de Béatrice Nicodème

Ses livres, traduits en quarante-six langues, atteignent des tirages vertigineux et ses pièces sont jouées régulièrement dans plus de cinquante pays : Éric-Emmanuel Schmitt est l’un des auteurs francophones les plus lus et les plus représentés dans le monde. Né en 1960 à Lyon, cet agrégé de philosophie, docteur en philosophie, s’est d’abord fait connaître au théâtre en 1991 avec La Nuit de Valognes, son premier grand succès. Il n’arrêtera plus.

Non seulement les plus grands acteurs ont interprété ou interprètent ses pièces – Belmondo, Delon, Francis Huster, Jacques Weber, Charlotte Rampling et tant d’autres –, mais le Grand Prix de l’Académie française couronne l’ensemble de son œuvre théâtrale dès 2001.

Romancier lumineux, conteur hors pair, amoureux de musique, Éric-Emmanuel Schmitt fait passer une émotion teintée de douceur et de poésie dans tous les arts. Il est à la fois scénariste, réalisateur, signe la traduction française d’opéras, sourit à la BD et monte lui-même sur scène pour interpréter ses textes ou accompagner un pianiste ou une soprano. (livre de poche)

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le vendredi 12 janvier 2024

 

IL N’EST SI LONGUE NUIT, de Béatrice Nicodème

*Au fond, Sophie et Ingrid ne s’intéressent pas vraiment à ce qui se passe à l’étranger. Elles pensent juste qu’il est plus agréable d’être du côté des vainqueurs, que c’est une preuve indubitable de supériorité. <Le succès est le seul juge ici-bas de ce qui est bon et mauvais>, a écrit le Füreur dans MEIN KAMPF. * (Extrait : IL N’EST SI LONGUE NUIT, Béatrice Nicodème, éditeur à l’origine : Gulf Stream, 2018, 392 pages. Numérique et papier)

Sophie, Hugo, Magda, Jonas, Otto, Franz… Ils sont jeunes, ils aiment la vie, ils ont le cœur plein de rêves. Le rêve d’Adolf Hitler est de créer un empire qui dominera le monde pendant mille ans et dans lequel les hommes seront forts et inflexibles, les femmes soumises et fertiles. Un monde dans lequel il n’y aura ni Juifs, ni communistes, ni homosexuels, ni malades. Ceux qui n’ont pas leur place dans ce Reich millénaire seront éliminés un par un jusqu’au dernier. Dans le Berlin de 1940 ces jeunes doivent eux aussi choisir leur camp, hantés par ces questions que tous se posent :  » Ai-je raison d’agir ainsi ? « ,  » La lumière reviendra-t-elle un jour ? « 

UN OPPRESSANT CROISEMENT DE DESTIN
*Inutile de préciser que je me refuse à rencontrer ce
tordu. Rien que l’idée qu’il va harceler les juifs alors
qu’il y en a parmi ses ancêtres…-Ile le fera même s’il
n’entre pas dans la SS. -Peu importe. Son hypocrisie
me répugne. Je ne sais pas de quoi je serais capable
si je me trouvais en face de lui
(extrait)

IL N’EST SI LONGUE NUIT est une fiction mais on sait très bien qu’elle représente la sombre réalité d’une grande quantité de jeunes allemands qui furent témoins dans les années 30, de la montée d’Adolph Hitler, de sa prise du pouvoir et de la deuxième guerre mondiale avec son train d’horreurs comprenant le harcèlement, la torture et le génocide des juifs.

Béatrice Nicodène fait témoigner six jeunes allemands et débute leur histoire en 1940 : Magda, Jonas, Sophie, Hugo, Franz et Otto. Certains résisteront à la folie d’Hitler comme Jonas et Hugo, Otto lui affiche une totale loyauté. Prise au piège par la Gestapo, Magda commettra l’irréparable. Et Franz lui, a les idées ailleurs, emporté par sa passion pour la musique et son piano.

Donc chaque adolescent doit se positionner face à la situation explosive qui secoue l’Allemagne et finira par faire trembler le monde et chaque option est exprimée en alternance et en crescendo dans des chapitres très courts. C’est ce qu’on appelle un roman-chorale. Les effets diviseurs et dévastateurs du régime Nazi sur la jeunesse allemande ont été peu développés en littérature.

Ainsi le réalisme et la crédibilité consacrent l’originalité de l’œuvre. J’ai compris que l’influence nazie sur la jeunesse allemande fut un véritable gâchis surtout à cause de l’effet diviseur du régime. Comment exiger des jeunes un tel positionnement alors que la vie ne fait que commencer pour eux ?

J’ai été très touché par ce livre. L’ensemble des personnages, attachants et profondément humains fait toute la richesse de la jeunesse et je ne parle même pas de frontières. Bien sûr, certains ont fait le mauvais choix, l’influence sur eux étant peut-être trop forte. Il y en a même un qui ne fera pas de choix du tout. Mais au-delà des motivations, tous ces personnages sont attachants, humains autant que victimes et pantins involontaires.

Cela fait toute la richesse du livre. Mon personnage préféré a été Franz. D’une nature sensible et généreuse, le musicien a pris position pour la musique mais son idée sur Hitler était bien arrêtée : *Pour lui, Hitler n’est qu’un pantin qui vocifère en faisant des gestes d’épileptique. La Hitlerjugen* et la BDM* l’horripilent. Comment peut-on être jeune et marcher au pas en uniforme. Le salut nazi le révulse. En 1936, à l’inauguration des jeux olympiques, il a probablement été le seul de la foule à ne pas lever le bras en hurlant* (Extrait. HITLERJUGEN : les jeunes hitlériennes, BDM : ligue pour les jeunes filles allemandes.)

Tout dans ce livre a capté mon attention, outre la qualité et la psychologie des personnages et poussé en avant par la fluidité et la clarté de la plume, j’ai été happé par les interactions entre les témoins et c’est là que réside le crescendo dont je parlais plus haut, le suspense, l’atmosphère sociale de Berlin en effervescence et tout ce qui peut se dégager du texte et du non-dit. Béatrice Nicodème s’est véritablement appuyée sur le vécu de jeunes. 

Ça donne à l’œuvre un réalisme bouleversant qui illustre toute la tragédie du nazisme. Ce livre m’a ébranlé et m’a fait comprendre les motivations profondes d’une jeunesse déchirée.

J’ai passé par toute une gamme d’émotions. J’ai éprouvé de la peur, de la colère, de l’empathie, de la compassion. Ce livre a conservé son actualité car même en dehors des cadres de la guerre, il est une parfaite illustration des motivations profondes de la jeunesse. C’est une performance d’écriture que je ne suis pas près d’oublier.

Suggestion de lecture : LA CHANCE DU DIABLE, d’Ian Kershaw


Béatrice NICODÈME a décidé il y a vingt ans de consacrer tout son temps à l’écriture. Elle a une prédilection pour les intrigues sombres, pleines de secrets à découvrir. Passionnée par la psychologie, elle tente de saisir la diversité et la complexité de l’être humain à travers ses personnages.

Ses romans laissent aussi une grande place à l’Histoire avec un grand H. Chez Gulf stream éditeur elle a publié la série Futékati, L’Anneau de Claddagh et plusieurs titres de la collection  » Courants noirs « . Elle tourne aujourd’hui son regard vers l’Allemagne, au cœur de la longue nuit nazie.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 17 décembre 2022