*Il faut vivre avec cette certitude que nous
vieillirons et que ce ne sera pas beau, pas
bon, pas gai. Et se dire que c’est maintenant
ce qui importe: construire, maintenant,
quelque chose, à tout prix, de toutes ses
forces.*
(Extrait: L’ÉLÉGANCE DU HÉRISSON, Muriel
Barbery, Gallimard, 2006, édition de papier,
410 pages)
Renée, une femme intelligente, douée est timorée au point de vivre dans sa peau de concierge insignifiante et ignorante. Tous ceux qui l’entourent rue de Grenelle la connaissent sous cet angle. Il y a aussi une jeune fille brillante de 12 ans appelée Paloma. Elle rejette le monde des adultes qu’elle considère comme hypocrites et ineptes et décide qu’elle se suicidera le jour de ses 13 ans, après avoir mis le feu à l’appartement familial. Toutefois, Kakuro Ozu, cultivé et raffiné va changer la donne. Il comprend que Renée se donne des airs de ce qu’elle n’est pas. On la compare à un hérisson. Et Ozu semble lui en attribuer l’élégance.
LA SEMPITERNELLE DUALITÉ
*Je me souviens de toute cette pluie…
Le bruit de l’eau martelant le toit, les
chemins ruisselants, la mer de boue
aux portes de notre ferme, le ciel noir,
le vent, le sentiment atroce d’une
humidité sans fin, qui nous pesait
autant que nous pesait notre vie…*
(Extrait : L’ÉLÉGANCE DU HÉRISSON)
C’est le tapage médiatique mielleux voire dithyrambique qui m’a poussé à lire ce livre. C’est un récit étrange que celui de Renée Michel, une concierge du 7 rue de Grenelle : 54 ans, petite, laide, moins qu’ordinaire et inintéressante. C’est le personnage principal. S’ajoute une jeune ado : Paloma, 12 ans, exceptionnellement brillante et qui, catastrophée par l’insignifiance du monde adulte et la complexité de la vie, planifie son suicide.
Plus loin dans le récit, un mystérieux personnage entre en conjonction dans la vie de Renée et Paloma : Kakuro Ozu, un japonais aisé qui va changer la vie de la jeune et de la vieille fille, ressortir et dynamiser leur personnalité. L’histoire de ces trois personnages converge jusqu’à une issue à la fois dramatique et heureuse.
Je ne peux en dire plus sinon préciser que madame Michel est extrêmement cultivée, lettrée, intelligente, lectrice avide. Elle est tout ça et plus encore mais…en cachette. Elle ne veut absolument pas étaler sa culture au contraire.
Elle la cache farouchement préférant donner l’image que se fait habituellement la bonne société d’une simple concierge, ce dont s’aperçoit rapidement monsieur Ozu : *J’ai endossé mon habit de concierge semi-débile. Il s’agit là d’un nouveau résident que la force de l’habitude ne contraint pas encore à la certitude de mon ineptie et avec lequel je dois faire des efforts pédagogiques spéciaux… * (Extrait)
J’ai aimé ce livre, mais avec un enthousiasme modéré. Je ne comprends pas l’engouement exagérément poussé pour cet ouvrage. Je l’ai trouvé plutôt prétentieux, ampoulé. L’auteure y expose une philosophie poussée à outrance sur l’estime de soi, la vie, les apparences. C’est un roman philosophique dans lequel il n’y a rien de simple.
Même l’humour qui est largement présent dans le récit est parfois d’une lourdeur démesurée : *Ce que le papier de toilette fait au postérieur des gens creuse bien plus largement l’abîme des rangs que maints signes extérieurs. Le papier de chez monsieur Ozu…doux et délicieusement parfumé est voué à combler d’égards cette partie de notre corps qui… en est particulièrement friande. * (Extrait)
Il y a je l’admets, certains passages plus légers, celui par exemple qui décrit la professeure de français de Paloma comme affichant un évident surplus de poids, au point d’être affublée de nombreux bourrelets. Cette femme s’appelle madame maigre. L’auteure ne manque pas d’humour, c’est évident.
La véritable force du roman est dans la profondeur des personnages, malmenés par la vie et qui sont appelés à s’aider mutuellement par l’entremise d’un sage. Les émotions qu’ils partagent sont fortes par moment même si les situations ne sont pas toujours crédibles comme Paloma par exemple qui planifie son suicide comme si c’était une liste d’épicerie.
Quant à Renée, elle m’a impressionné même si je n’ai pas vraiment compris ses motivations quant au regrettable camouflage de sa culture…j’ai toutefois bien saisi le rapprochement avec le hérisson. Il pourrait être je crois discutable.
Voilà…le fameux roman porté aux nues à une vitesse vertigineuse en 2006 est un bon roman mais ça s’arrête là. J’admets que la concierge ultra-cultivée et passionnée d’Anna Karénine et qui cache farouchement sa culture est une trouvaille originale, qu’il y a dans le livre beaucoup de matière à réflexion.
Malheureusement, le récit est étouffé par la philosophie qu’il colporte, élitiste et beaucoup trop tartinée : *Mais si, dans notre univers, il existe la possibilité d’être ce qu’on n’est pas encore…est-ce que je saurai la saisir et faire de ma vie un autre jardin que celui de mes pères*? (Extrait) intéressant, bien écrit mais lourd.
Je vais jusqu’à vous le recommander, quoique je ne vous souhaite pas de *tomber* sur l’édition que j’ai lue : un spectaculaire gâchis de fautes d’orthographe et de frappes.
Suggestion de lecture : LA FIN DU MONDE A DU RETARD, de J.M. Erre
Muriel Barbery est une romancière française née le 28 mai 1969 à Casablanca. Souhaitant rester dans l’ombre médiatique, Muriel Barbery demeure discrète. Son grand succès tient beaucoup plus du bouche à oreilles et de l’engouement pour ses livres. Ses deux livres ont été récompensés par de nombreux prix, en particulier L’ÉLÉGANCE DU HÉRISSON, adapté à l’écran. Voir ci-bas.
Au cinéma, L’ÉLÉGANCE DU HÉRISSON devient LE HÉRISSON…
À gauche, l’affiche du film LE HÉRISSON, de la réalisatrice Mona Achache, adaptation libre de l’œuvre de Muriel Barbery, sorti en juillet 2009. Ci-haut, l’affiche du film. On retrouve aussi dans la distribution Garance le Guillermic (La jeune fille à la caméra sur l’affiche) et Anne Brochet.
BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 26 avril 2020