LA COMPAGNIE, le livre de ROBERT LITTEL

*Avec un sourire amer, le sorcier releva
le chien et colla l’extrémité du canon
sur le ventre du russe. «On dirait que
les dindes qui vous protègent se sont
endormies.» Puis il tira.*
(Extrait : LA COMPAGNIE, Robert Littell,
Peter Mayer 2002, t.f. : Buchet/Chastel
2003, édition numérique, 1075 pages)

En 1950 à Berlin, Harvey Torriti, dit «le sorcier», et sa nouvelle recrue, Jack McAuliffe, préparent le départ du transfuge russe Vichnievski Pour les États-Unis. Mais à la *Compagnie*, -mieux connue sous le nom de CIA-, ses supérieurs semblent mettre en doute les capacités de leur agent, plus porté sur le whisky que sur l’étude des relations géopolitiques…

Entre agents doubles et traîtres déclarés, personnages de fiction et personnages réels (Kennedy, Castro, Eltsine, mais aussi Ben Laden), Robert Littel dévoile, à travers ce thriller politique un demi-siècle de notre histoire.

Il nous entraîne sur les traces de ses héros, en plein cœur de la guerre froide, des chars soviétiques de Budapest à la Baie des Cochons, de l’assassinat supposé du pape Jean-Paul premier au complot contre Gorbatchev. Une grande saga.

Après l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941, le président américain Harry Truman constatant avec regret que les services secrets ont été incapables de prévoir l’offensive Japonaise, décide que Dorénavant, le FBI et J. Edgar Hoover opéreront seulement sur le territoire américain et l’espionnage à l’étranger sera confié à une nouvelle agence qui sera placée directement sous l’autorité du président des États-Unis. C’est la naissance de la CIA, principal élément de la politique de l’endiguement du communisme.

Les coulisses historiques
De la CIA

*Gorbatchev secouait la tête d’un côté, puis
de l’autre en signe de dégoût. «Croyez-vous
vraiment que les gens soient tellement las
qu’ils seraient prêts à suivre n’importe
quel dictateur? »
(Extrait : LA COMPAGNIE)

 Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’actualité mondiale, Nikita khrouchtchev était premier secrétaire de l’Union Soviétique et Dwight Eisenhower était président des États-Unis et il s’apprêtait à laisser sa place à John F Kennedy. Comme les deux plus grandes puissances du monde se détestaient singulièrement, il y avait dans l’air un relent de catastrophe, de fin du monde.

C’est à peu près à cette époque qu’Eisenhower a créé la Compagnie, qui deviendra la CIA. Alors que cette agence de renseignements et d’espionnage en était à son recrutement de *James Bond* et à ses premiers balbutiements, elle s’entourait déjà d’une aura pompeuse : *En entrant dans cette pièce, vous êtes entrés dans ce que les sociologues appellent une culture fermée* (Extrait)

On libérait aussi de tous doutes les nouvelles recrues avec des formules plutôt directes et pas très recherchées… *La seule règle, c’est qu’il n’y a pas de règles* (Extrait)

LE ROMAN DE LA COMPAGNIE commence là et cette histoire s’étend sur quarante ans et sur plus de onze cents pages. Les principaux thèmes de ces quarante ans sont développés avec un remarquable respect de la dimension historique des évènements.

Le récit commence par une imposante opération d’exfiltration qui s’est soldée par un échec, puis le complot contre Castro, l’affaire des missiles, la Baie des Cochons, La CIA aurait souhaité que les États-Unis combattent le communisme en territoire cubain, mais l’administration Kennedy, plutôt timorée a préféré se rabattre sur le Vietnam, puis l’Afghanistan : échec sur échec.

Puis est arrivé Mikhaïl Gorbatchev qui menaçait dangereusement la ligue du vieux poêle soviétique avec sa perestroïka. La CIA a quand même contribué à dénoncer et combattre le complot contre Gorbatchev en faisant pression sur Boris Eltsine qui présidera finalement au démantèlement de l’Union Soviétique et à la mise au rancart du KGB.

L’auteur explique aussi plus brièvement l’arrivée de personnages qui s’inscriront dans l’histoire comme Ben Laden, Sadam Hussein et bien sûr Vladimir Poutine. Avec la fin de la guerre froide, la CIA n’allait pas chômer pour autant avec la montée de l’extrémisme islamiste.

C’est un roman fascinant qui m’a entraîné dans le temps et dans l’histoire jusqu’au début de la guerre froide alors que la Russie se remettait à peine des horreurs de Staline, cet esprit tordu. Ça n’allait pas s’arrêter là : le communisme allait faire l’objet d’une chasse aux sorcières avec, au cœur de la tourmente les services de renseignements : le KGB contre la CIA.

L’auteur de la COMPAGNIE tend à démontrer si on lit un peu entre les lignes que le communisme était une idée intéressante, déformée à la base par des chefs erratiques, incohérents et violents…Lénine, Staline et autres génies du genre :

*L’URSS n’était pas un pays dit Jack. C’était la métaphore d’une idée qui pouvait paraître bonne sur le papier, mais qui, dans la pratique, s’est révélée terriblement défectueuse. Et les métaphores défectueuses sont plus difficiles à abattre que les pays défectueux*. (Extrait)

The Company a été adapté à la télévision par Mikael Salomon en 2007. Donc c’est une série américaine en trois épisodes avec Chris O’Donnel, Alfred Molina et Michael Keaton, entre autres.

Parce qu’on ne m’a pas démontré le contraire, j’ai toujours été d’avis que la CIA a accumulé les fiascos. L’auteur n’a pu éviter cet aspect de la CIA mais sur les côtés sombres de l’agence, Littel est plutôt timide. C’est une faiblesse que j’attribue à ce roman.

Il faut aussi faire attention car ce récit met en perspective les dualités du monde de l’espionnage : infiltration / exfiltration, espionnage / contre-espionnage, agent / agent double / agent triple / taupe, conflit / détente. C’est plus ou moins bien expliqué. Il s’agit d’être attentif.

Pour moi, LA COMPAGNIE est un excellent roman historique et même quelque uns de ses personnages sont particulièrement attachants. Je pense en particulier au seul espion qui apparait tout au long du récit : Harvey Torriti, dit le sorcier, un gros bonhomme obèse, balourd, traînard et alcoolique mais doté d’une intuition extraordinaire et qui imprègne toute l’histoire.

C’est un livre évidemment très long et pourtant, je n’ai pas trouvé le temps long. Il se lit très bien. Je pense que l’auteur, Robert Littel, a couvert 40 ans d’histoire avec brio. J’ai apprécié aussi la présence d’une taupe tout au long du récit et qui n’a été identifiée qu’à la fin…ça donne une touche de mystification et ça renforce l’intrigue.

Bref c’est un roman tranchant, un peu acide par moment. La plume est quand même fluide et nous fait oublier un peu la piètre ventilation du roman. Ce thriller politique aussi appelé avec raison roman d’espionnage est une réussite. Je le recommande.

Suggestion de lecture : LE LIVRE NOIR DE LA CIA, de Yvonnick Denoël

Robert Littell est un auteur et journaliste américain né en 1935 à New York. Il a commencé dans le journalisme au Newsweek en 1964 et s’est spécialisé dans les questions sur le Moyen et le Proche Orient. Son expérience de reporter lui a donné le goût du voyage et plusieurs lieux qu’il visite serviront de cadre à quelques-uns de ses grands romans. Son premier roman, Robert Littell l’a écrit en 1973 sous forme de feuilleton.

Les grands romans d’espionnage vont suivre dont LA COMPAGNIE en 2003, LÉGENDES en 2005, LE FIL ROUGE en 2007 et L’HIRONDELLE AVANT L’ORAGE en 2009 pour ne nommer que ceux-là… En tout douze romans.  Observateur minutieux de l’univers géopolitique, Robert Littel partage aujourd’hui son temps entre la France, Le Maroc, l’Espagne, l’Italie et dans une moindre mesure, les États-Unis. (Source : overblog.com )

 BONNE LECTURE

JAILU/Claude Lambert

Le dimanche 8 octobre 2017

 

LA SÉRIE NOIRE DE GALLIMARD, héritage du gothique

LA LITTÉRATURE NOIRE SANS FRONTIÈRE

Ce que l’on appelle LE ROMAN NOIR est en fait l’héritage, voire la continuité d’un genre littéraire qui était très prisé au XVIII siècle : le roman gothique. LE ROMAN NOIR décrit le côté sombre de nos réalités sociales : Mafia, crime organisé, meurtres en série, corruption, violence, haine, légendes urbaines etc.

Voyons ce que le dictionnaire mondial des littératures de Larousse dit des romans noirs : *Le genre se spécialise dans la peinture de l’excès et de l’horreur, et produit un récit à grands effets qui dit la force et la cruauté du mal, ainsi que la misère (mais aussi la victoire) de l’innocence.*

En 1945, sous l’impulsion de l’éditeur Claude Gallimard, Marcel Duhamel éditeur, traducteur, scénariste et acteur (1900-1977) crée une collection qui mettrait en perspective toutes les angoisses de la société. Le poète et scénariste français Jacques Prévert (1900-1977) arrêtera définitivement le nom de cette collection : SÉRIE NOIRE.

Les débuts sont modestes…quelques parutions ici et là. Mais puisque l’intérêt se manifeste et que la demande prend de l’ampleur, Gallimard s’organise et la SÉRIE NOIRE prend définitivement son envol en 1948, publiant jusqu’à nos jours des milliers de titres. Gallimard a même publié un livre qui raconte l’histoire de la série.

Édition publiée sous la direction d’Alban Cerisier et Frank Lhomeau. Avant-propos d’Antoine Gallimard. Bon marché et largement diffusée, la Série Noire a été accueillie à bras ouverts par les lecteurs français de l’après-guerre fascinés par l’Amérique, scène mythique de ces romans noirs rugueux et haletants puissamment relayés par le cinéma. Marcel Duhamel s’est entièrement voué à cette passionnante entreprise éditoriale, commencée modestement avant de devenir l’une des collections phares des ÉDITIONS GALLIMARD).

PRÈS DE 3000 LIVRES
*…la série noire change en profondeur les codes de la
littérature traditionnelle. Le style moins ampoulé,
plus bref et incisif, mélange l’action à la psychologie…
La Série Noire dépoussière également le roman en
lui greffant le langage parlé de la rue.
(Thomas Morales, journaliste et écrivain, causeur.fr)

Au moment d’écrire ces lignes, la SÉRIE NOIRE en est à sa 76e année de production et elle a toujours de l’avenir. Bien sûr, je n’allais pas me lancer dans la lecture de plus de 2,900 bouquins mais pour bien saisir et approfondir l’influence de la SÉRIE NOIRE sur les plans culturels et littéraires, il fallait que j’aille voir.

Aussi, j’ai sélectionné tout à fait au hasard quatre livres que j’ai lus au complet. Je vous ai déjà parlé du premier, LE TUEUR DU DIMANCHE de José Giovanni, ouvrage dont l’argot irrésistible teinté de spontanéité et de crudité m’avait séduit. Je vous propose maintenant une brève description ainsi qu’un bref commentaire sur les trois autres livres de la SÉRIE NOIRE que j’ai lus.

 LES ANGES NOIRS, Aevar Örn Josepsson : une informaticienne, divorcée, mère de 2 enfants disparaît sans laisser de traces. Tout le monde la cherche, sa famille, ses amis, les policiers et même un faux policier. Ça devient plus complexe qu’une simple disparition. Il m’a fallu beaucoup de temps avant de m’accrocher à l’histoire. Fil conducteur instable. Le récit est fortement teinté de misogynie et de machisme. Toutefois, malgré la complexité de l’enquête, l’intrigue est soutenue. Reste à se débrouiller avec la toponymie Islandaise.

Le destin de trois personnes se trouve lié de façon inattendue et impitoyable. Ce qui va arriver à Céline, Léopold et Josselin pourrait nous arriver. Violence, cruauté, trahison, rien ne leur sera épargné.

Récit très noir, atmosphère glauque, violent, le sujet est original. La narration est à trois voix en alternance, chaque personnage communiquant au lecteur ses émotions et sentiments. La finale est étrange donnant l’impression d’un roman inachevé. Toutefois, le suspense est évolutif et habile.

Figures de proue de la Série Noire et du polar français, graphomanes talentueux, Jean-Bernard Pouy et Marc Villard ont entamé en 2005 un dialogue littéraire qui a donné naissance à plusieurs textes à quatre mains. Avec La mère noire, ils reforment leur duo pour la Série Noire et signent un roman riche des échanges et jeux de langage qui les caractérisent.

À PROPOS DE L’ARGOT DES POLARS DE LA SÉRIE NOIRE

 Je me suis déjà exprimé sur le caractère très spécial du langage des polars de LA SÉRIE NOIRE. Pour ceux et celles qui veulent explorer davantage cet aspect de la collection, je vous invite à parcourir L’ARGOT DU POLAR, 38 nuances de la Série Noire de Lionel Besnier. Publié par Gallimard à l’occasion du 70e anniversaire de la Série Noire, ce livre réunit les perles des auteurs de polars avec des termes argotiques parfois tout à fait savoureux, des tournures de phrases originales…le tout teinté de tout ce que peut offrir la littérature noire : un soupçon de machisme, des éclats de violence gratuite, de la haine et des criminels en perdition. 

Pour parcourir la liste des titres de la collection, cliquez ici.

Suggestion de lecture :  LES CONTES INTERDITS, coup d’oeil sur la série

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
Le dimanche 28 mai 2017

L’ARRACHEUSE DE TEMPS, de FRED PELLERIN

 

*…Toussaint fût réveillé subitement. Était-ce le
chant du coq d’Ovide Samson? Non. Le coq
avait succombé d’un coup de poêlonne de
fonte dans l’omelette ce matin-là. Le chant
du toc, ce fut une explosion. Bang! Chez les
Gélinas.*
(Extrait : L’ARRACHEUSE DE TEMPS, contes de
village, Fred Pellerin, Sarrazine Éditions, 2009,
num. 135 pages)

Encore une fois, Le célèbre conteur Fred Pellerin plonge dans l’inépuisable mémoire de
Saint-Élie-De-Caxton pour nous livrer un conte touchant et vibrant sur le thème de la mort. Il y est question de cette étrangère venue s’établir au Lac-Aux-Sangsues…une femme discrète qu’on a élevée rapidement au rang de sorcière parce qu’elle lisait l’avenir. Une arracheuse de temps comme on dit…partie comme elle est arrivée emportant une grande quantité de mystères et de secrets enfouis dans la mémoire de Saint-Élie…

SAINT-ÉLIE PURE LAINE
*La dépouille faisait fureur. Tout le monde
s’était agglutiné autour de la table où
s’étendait la translivide. On observait cette
anonyme sans vie. À intervalles, chacun
jetait un œil à son voisin pour décoder une
réaction. À s’interroger sur la façon de
s’endeuiller devant l’inconnue.*
(Extrait : L’ARRACHEUSE DE TEMPS)

L’histoire tourne autour de LA STROOP, un des personnages de légende de Fred Pellerin. LA STROOP est une étrangère riche, étrange, mystérieuse et indépendante qui s’est installée un peu en retrait du village, ce qui entretien davantage le mystère qui l’entoure avec le résultat que le village n’a pas tardé à *sorciériser* la femme, encouragé par le curé neuf qui est par nature assez orthodoxe.

Ce que tout le village ne sait pas, c’est qu’il côtoie la mort, personnifiée dans le conte par celle qu’on appelle LA TRANSLIVIDE. Mais ce qu’on ne sait pas ne fait pas mal n’est-ce pas?

Toujours est-il qu’on fait connaissance avec des personnages sympathiques bien ancrés dans leur mentalité de village : Méo le coiffeur du village, Toussaint Brodeur, la belle Lurette, le curé *Neuf*…tous ont des raisons de consulter la STROOP qui aurait le pouvoir de faire reculer la mort…de lui *arracher du temps*.

Telle est la trame de ce conte rempli de fantaisies, de sympathiques expressions tordues, de tendresse, et porteur d’une belle réflexion sur la mort…pas le genre à faire peur mais plutôt à y réfléchir simplement. Fred Pellerin demeure résolument positif…même que personne ne meure pendant le passage de la STROOP chez les *Caxtoniens* sauf si on doit considérer la mort de la mort elle-même.

Le spectacle m’a ému, le livre m’a enveloppé. Dans le spectacle, Fred Pellerin a ce don magnifique de mettre en perspective le non-dit par son expression et son langage dans lequel le français *passe par des tours de passe-passe* tout à fait délicieux. Il rit de la mort sans jamais nous laisser indifférent à la Faucheuse. Avec une remarquable énergie, de l’humour et beaucoup de douceur, il laisse en nous la couvaison d’une réflexion qui viendra bien en son temps.

Si le spectacle mérite d’être vu, le livre vaut vraiment la peine d’être lu. Je sais que pour Fred Pellerin, le récit oral passe bien avant l’écrit. Mais ce livre est beaucoup plus que la transcription du conte dans le genre *mot à mot*, j’ai pu en mesurer toute l’intensité et les expressions tout à fait savoureuses et de superbes tournures de phrase :

*Et toutes ces choses faisaient d’elle une prémonitieuse sans fil. En interurbain constant avec le passé. L’avenir aussi. L’indicatif passé proche, et le futur compliqué…il suffisait de la consulter quelques minutes dans une volonté de vous refaire le futur que déjà vous n’aviez plus aucune idée de ce que vous avez fait la veille. À subjoncter au possible…*(Extrait)

Si vous êtes tanathophobe, ou si vous avez ne serait-ce que peur d’avoir peur, pensez à la légende Caxtonienne et à son fier porte-parole Fred Pellerin avec L’ARRACHEUSE DE TEMPS. C’est une formidable thérapie. Je vous dirai ici que le meilleur des mondes consiste à voir le spectacle et à lire le livre, peu importe dans quel ordre. De toute façon, les deux versions sont vendues ensemble.

Vous aimerez je crois…vous aimerez beaucoup.

Suggestion de lecture : LES CONTES DES 1001 NUITS

Fred Pellerin est un conteur, écrivain, scénariste et chanteur né en 1976 à Saint-Élie-De-Caxton en Mauricie au Québec. Diplômé en littérature de l’Université du Québec à Trois-Rivières, il s’est fait connaître rapidement par ses contes issus de son village natal, Saint-Élie-De-Caxton, et mettant en scène des personnages du village, comme Toussaint Brodeur, La Stroop et Méo le coiffeur, entre autres. Il est devenu, tôt dans les années 2000, un des meilleurs conteurs du Québec.

En 2007, il produit avec son frère Nicolas, un album de musique folklorique. L’année suivante, un de ses contes est adapté à l’écran par le réalisateur Luc Picard. Il a produit plusieurs spectacles, livres, disques et DVD. L’ARRACHEUSE DE TEMPS est son 4e spectacle produit en 2008, publié par la suite chez Sarrazine en 2009. Il a été reçu Chevalier de l’Ordre National du Québec en décembre 2012.

BONNE LECTURE
JAILU/CLAUDE LAMBERT

le 18 décembre 2016

L’INDIEN MALCOMMODE, livre de THOMAS KING

*Enseignez aux Indiens à pêcher, mais enseignez-leur surtout à devenir des pêcheurs chrétiens. Après, vous pourrez leur vendre des cannes à pêche… Notre plus grave erreur est d’aller porter notre civilisation aux Indiens au lieu de conduire les Indiens à la civilisation.* (Extrait : L’INDIEN MALCOMMODE, Thomas King, t.f. Éditions du Boréal, 2014, num. 725 pages)

L’INDIEN MALCOMMODE est un essai sur l’histoire, le résultat d’une longue réflexion personnelle que Thomas King a menée presque toute sa vie sur ce que ça représente d’être un indien en Amérique du Nord. Avec le franc parler typique d’un indien, King donne un petit caractère subversif à son livre en démolissant avec beaucoup d’esprit et d’humour toutes les idées reçues et préconçues sur les peuples autochtones qu’on appelle Les Premières Nations. Il ne s’agit pas d’une condamnation des attitudes ou des comportements. Il s’agit plutôt de l’histoire revisitée et replacée dans son contexte. 

Un portrait inattendu des Autochtones
d’Amérique du Nord
*Sur le plan des attitudes, en terme de dépossession
et d’intolérance, pas grand-chose n’a changé…
Vous voyez le problème que j’ai? L’histoire que
j’essaie d’oublier, ce passé que je propose de
convertir en autodafé, c’est notre présent. Ce
pourrait être aussi notre avenir.
(Extrait : L’INDIEN MALCOMMODE)

Quand j’ai lu le résumé de ce livre, je me suis replongé, l’espace d’un instant, dans les petites leçons d’histoire que je recevais à l’école primaire. La plupart du temps, ces leçons se résumaient à un constat plutôt navrant : les Blancs étaient les bons et les Indiens étaient les méchants.

Bien que je ne fusse pas plus précoce qu’un autre à l’époque, je trouvais ça trop beau pour être vrai. J’étais sceptique. Si le livre de Thomas King avait été publié à l’époque, il aurait été mis à l’index ou peut-être refilé aux universités.

En effet, dans un ouvrage sensiblement subversif, King fait une relecture de l’histoire du Canada et des États-Unis en identifiant les mythes et en replaçant les évènements dans leur contexte.

Dans un langage simple et avec des raisonnements faciles à suivre, King met dans l’ombre les récits trop beaux pour être vrais généralement très bien encadrés par la littérature en général et les manuels scolaires en particulier, et bien sûr la télévision et le cinéma.

L’auteur rappelle que la réalité est beaucoup plus complexe et avertit d’entrée de jeu le lecteur, la lectrice : Nous sommes nombreux à penser que l’histoire, c’est le passé. Faux. L’histoire, ce sont les histoires que nous nous racontons sur le passé*

Il semble que le temps, et quantités d’expédients politiques, économiques, sociaux et culturels aient dénaturé l’idée qu’on se fait des indiens. Vous comprendrez vite, comme moi que Thomas King n’a pas réécrit le passé. Il livre simplement et parfois avec humour, le fruit d’une longue réflexion personnelle et analytique qui tend à répondre à une question complexe : qu’est-ce que ça signifie d’être un indien aujourd’hui en Amérique du nord?

Pour répondre à cette question, King identifie trois classes historiques d’indiens : L’indien légal, l’indien mort et l’indien idéal. Il développe surtout en long et en large ce qui a constitué de tout temps le cauchemar des indiens : LA POSSESSION DES TERRITOIRES en expliquant les lois, traités, ententes, règlements et jugements dont les effets et les conséquences allaient plutôt à sens unique.

À l’entrée du National Cowboy Hall of Fame d’Oklahoma City se trouve la sculpture de James Earl Fraser (1876-1953). L’œuvre représente la légendaire FIN DE LA PISTE DES LARMES (The end of the trail) évoquée et développée par Thomas King dans L’INDIEN MALCOMMODE. Elle représente un guerrier à bout de force, qui s’effondre sur son cheval. Plutôt très compatible avec l’histoire. Par ailleurs, on a donné le nom de PISTE DES LARMES à l’exode Cherokee qui eut lieu pendant l’hiver 1838-1839 du Mississipi vers l’Oklahoma.

J’ai adoré ce livre…il m’a passionné pour plusieurs raisons. D’abord à cause de la beauté du texte magnifiquement traduit par Daniel Poliquin qui a su aller au-delà des mots en livrant le ressenti de l’auteur. Ensuite, j’ai ressenti toute une gamme d’émotions : la colère, la déception, la tristesse mais aussi le rire, la sympathie, l’étonnement.

C’est un livre fascinant, très bien documenté et dans lequel s’étend un raisonnement crédible facile à suivre et qui tend à expliquer de façon parfois mordante, parfois drôles où nous en sommes aujourd’hui dans nos relations avec les indiens et où est-ce que ça va nous mener.

Un plaisir à lire.

Suggestion de lecture : TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, de Voltaire

Thomas King est un auteur, journaliste, animateur et conférencier né à Sacramento en Californie et installé au Canada depuis 1980, plus précisément à Guelph en Ontario où il enseigne l’anglais à l’Université. King est de descendance Cherokee et fût le tout premier conférencier autochtone canadien.

Ardent défenseur des premières nations, King s’est exprimé dans ses écrits sur l’expérience autochtones dans la littérature, les traditions orales, l’histoire, la politique, la religion et la culture avec, comme principal objectif de donner un sens aux relations complexes qu’entretiennent la société nord-américaine et les peuples autochtones.

King est aussi le créateur d’une série radiophonique intitulée THE DEAD DOG CAFE COMEDY HOUR pour CBC Radio one. Thomas King est membre de l’Ordre du Canada depuis 2004.

BONNE LECTURE

JAILU/CLAUDE LAMBERT
11 décembre 2016

LE DOSSIER 113, le livre d’Émile Gaboriau

*Prosper avait d’abord essayé de faire causer son étrange compagnon, mais comme il ne répondait que par mono- syllabes, il mit son amour propre à se taire. Il était irrité de l’emprise de plus en plus absolu que cet homme exerçait sur lui.* (Extrait : LE DOSSIER 113 de Émile Gaboriau. Publication d’origine : Dentu 1867, réed. Num. bibebook, lire de droit. 840 pages)

Un vol important est commis à la banque Fauvel de Paris. Deux personnes seulement connaissaient la combinaison du coffre. Le caissier Prosper Bertomy est arrêté. Les circonstances forcent la tenue d’une seconde enquête menée cette fois par l’inspecteur Fanferlot qui découvre l’existence d’une mystérieuse jeune femme entretenue par le caissier. Fanferlot fait alors appel au redoutable policier Lecoq avec qui il remonte la piste d’une affaire beaucoup plus complexe. L’auteur nous transporte des années en arrière, sous la restauration, nous dévoilant une mystification d’envergure…un dossier criminel historique.

LE SOUCI DU DÉTAIL
*Mille probabilités plus terrifiantes les unes
que les autres se présentaient en même
temps à sa pensée…l’affreuse étrangeté
de sa situation, l’imminence même du
péril donnaient à son esprit une lucidité
supérieure*
(Extrait : LE DOSSIER 113)

 C’est un livre fort mais un peu particulier en ce sens qu’il est issu d’une littérature d’un autre âge avec un français *haut-perché*, de longues mises en contextes et une intense exploitation de l’anticipation et de la psychologie policière.

À ce titre, l’auteur, qui a publié ce livre en 1867 a été peut-on dire, précurseur du roman policier plus contemporain, ayant donné son style en héritage à des écrivains célèbres comme Sir Arthur Conan Doyle et son fameux Sherlock Holmes et Agatha Christie avec Hercule Poirot…des policiers qui sont au demeurant plus psychologues que policiers.

D’Émile Gaboriau, j’avais déjà lu MONSIEUR LECOQ dans lequel il introduit l’inspecteur Lecoq, qui deviendra récurent dans son œuvre: un personnage brillant, aux méthodes particulières, doté d’une profonde compréhension de la nature humaine et rompu dans l’art du maquillage et du déguisement. Dans le DOSSIER 113, monsieur Lecoq s’attaque à une affaire en apparence insoluble.

Dans LE DOSSIER 113, Gaboriau est fidèle à son style : c’est le crime dès le départ. L’enquête sur le crime amène la découverte d’une affaire encore plus complexe qui y est intimement liée. Ainsi, Gaboriau ouvre une parenthèse, très vaste, et qui devient comme un deuxième roman qui nous apporte graduellement l’éclairage nécessaire à notre compréhension du mystère et à sa résolution.

J’ai dévoré ce livre. Bien sûr dans le premier quart, je trouvais qu’il y avait des longueurs, mais je me suis vite rendu compte qu’elles étaient nécessaires à la compréhension de l’histoire car dans LE DOSSIER 113, comme dans l’ensemble de l’œuvre de Gaboriau, chaque détail compte.

Aucun fait ou élément rapporté n’est insignifiant et à la fin, la boucle est bouclée de façon tout simplement géniale. Tout ce qui a pu échapper à la vigilance du lecteur refait surface et trouve son explication. C’est un livre assez volumineux (près de 850 pages) et pourtant, il se lit vite et bien.

Je terminerai en mentionnant que l’ouvrage d’Émile Gaboriau foisonne de clins d’œil et de réflexions sur la bourgeoisie européenne, parisienne en particulier et sur la morale sociale du 19e siècle, en particulier celle de la noblesse.

Ces détails, très intéressants et même pertinents sont partout dans le livre de sorte qu’à la fin, j’ai été instruit d’un portrait global crédible de la Société française de l’époque, avec, évidemment, une idée assez précise du fonctionnement de la justice.

Je recommande donc avec empressement LE DOSSIER 113 d’Émile Gaboriau.

Suggestion de lecture : L’ANTRE DE LA HAMMER, de Marcus Hearn

Émile Gaboriau (1832-1873) était un écrivain français. C’est après son passage dans l’armée qu’il a commencé à écrire des chroniques pour gagner sa vie. Il découvrit le journalisme aux cotés de Paul Féval. Son succès fût fulgurant. Son premier roman, L’AFFAIRE LEROUGE publié en 1866 connait un succès immédiat avec la création d’un personnage qui deviendra célèbre : le commissaire Lecoq, roman adapté au cinéma. Plusieurs romans suivront. Il inspirera plusieurs auteurs à succès dont Conan Doyle avec Sherlock Holmes et Maurice Leblanc, créateur du célèbre gentleman cambrioleur Arsène Lupin.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
MAI 2016

I V, un livre intrigant de RAPHËL GRANGIER

*Eh bien voilà, l’objet utilisé pour réaliser les inscriptions dans le corps de votre victime, était bien un harpon, inspecteur…* (Extrait : I V, Raphaël Grangier, Paul & Mike Éditions, 2014, numérique 510 pages)

L’histoire a pour cadre le Connemara, une très belle région située dans l’ouest de l’Irlande. Un jour, en plein cœur du Connemara, un chalutier emprisonne dans ses filets un corps humain meurtri et sans visage. Deux lettres gravées dans la chair du cadavre : I V laissent supposer un meurtre. Quelques jours après cette pêche cauchemardesque, une jambe et deux doigts humains son repêchés. On y trouve les mêmes lettres gravées dans la chair. Deux policiers aux méthodes complètement différentes vont devoir s’unir pour résoudre ce mystère…une enquête qui risque de mettre à nu quelques secrets parmi les plus inavouables d’Irlande. 

HISTOIRE VENGÉE
*Vous avez tué des innocents, gratuitement,
reprend Andrew d’une voix sourde. Leur
seul tort était d’être anglais. Vous vous
êtes servi de l’histoire entre nos deux pays
pour assouvir votre besoin de vengeance.*
(Extrait : I.V.)

J’ai beaucoup aimé la lecture de ce livre pour plusieurs raisons. D’abord l’originalité du sujet. Je reviendrai là-dessus un peu plus loin. Ce qui m’a d’abord sauté aux yeux, c’est que tout le livre est imprégné de l’Irlande : un magnifique pays d’Europe de l’ouest, au passé tourmenté et qui revendique toujours son identité celtique. I.V., c’est l’Irlande dans sa mentalité, sa culture, son caractère et surtout son histoire.

I.V. : deux lettres gravées dans la chair d’un cadavre imposeront la tenue d’une enquête complexe mais palpitante qui s’imprègnera graduellement de la tragique histoire de l’Irlande. Deux enquêteurs disparates : Andrew Richards, dépêché par la criminelle de Londres et Nuala McFeen de la police de Dublin seront contraints de collaborer dans cette difficile enquête qui mettra à nus des secrets très dérangeants et dont l’Irlande ne doit pas être fière.

Ce que j’ai le plus apprécié dans ce livre est qu’il repose sur l’histoire trouble de l’Irlande. Pour avancer dans l’enquête, les policiers ont dû s’attabler pour étudier et surtout comprendre l’histoire de l’Irlande et elle n’est pas simple.

Voilà la grande originalité du récit : on ne peut résoudre l’affaire qu’en passant par l’histoire. Pour mieux apprécier l’objectif de l’auteur, j’ai fait une recherche parallèle sur l’épisode spécifique de l’histoire de l’Irlande qui se rattache au récit de Grangier.

I.V. fait donc référence à la guerre d’indépendance irlandaise, appelée aussi Tan War, c’est-à-dire la campagne de guérilla qu’a mené l’IRA, l’Armée Républicaine Irlandaise contre la police royale irlandaise, l’armée britannique et les Black and Tans en Irlande et qui fit rage de 1919 à 1921, préludant à la naissance de l’Irlande du Nord..

Je ne rentrerai pas dans les détails, ce serait trop long ici. Je me contenterai de dire que cette guerre a donné lieu à des horreurs innommables et ça transpire dans le livre de Grangier.

Ma petite recherche m’a permis de constater que les éléments historiques ont été intelligemment imbriqués dans le récit de Grangier. I.V. est en fait une histoire de vengeance historique. Une bonne partie de la résolution du mystère se trouve dans le titre du livre, mais je ne gâcherai certainement pas le plaisir du lecteur en continuant sur cette voie.

Enfin, j’ai été surpris par la finale de l’histoire. En effet, alors que je croyais l’enquête terminée et l’affaire classée, voilà qu’un détail troublant vient tout faire basculer et relance l’investigation. Pour moi, le dénouement du récit était totalement inattendu.

En conclusion, I.V. est un excellent polar qui m’a plongé dans une forme inespérée de fascination. C’est un récit fluide et rythmé qui nous tient en haleine du début à la fin.

Suggestion de lecture : AMERICAN GODS, de Neil Gaiman

Je n’ai pas trouvé beaucoup de détails sur le parcours de Raphaël Grangier. C’est sans doute normal car au moment d’écrire ces lignes, Grangier est un auteur émergent qui écrit depuis deux ans seulement et I.V. est son premier roman, paru en 2014. Je crois que c’est prometteur.

Quant à ce que je sais de son parcours, disons que Raphaël Grangier est un technicien supérieur en mécanique. Il a travaillé plusieurs années en sous-traitance avionique avant de devenir professeur certifié en sciences et technologies. I.V. est son premier ouvrage à compte d’éditeur. Souhaitons qu’il y en ait d’autres

Comme je le disais,  concernant Raphaël Grangier, au moment de publier cet article, il y a peu de détails disponibles sur internet. Même sa page Facebook est maigre, mais elle s’enrichira sans doute avec le temps. Voici l’adresse pour les intéressés :

https://fr-ca.facebook.com/AngeR2009

BONNE LECTURE
MARS 2016/Claude Lambert
JAILU

Le scandaleux Héliogabale d’EMMA LOCATELLI

Empereur, prêtre et pornocrate

*Un seul mot et tu peux faire tomber toutes ces têtes.
Tu es l’empereur.
Il se souvint alors de tous ceux qu’il avait raillés et
humiliés au cours de ses banquets, victimes tremblantes
et pathétiques de ses farces cruelles.*
(extrait LE SCANDALEUX HÉLIOGABALE, Emma Locatelli,
Nouveau Monde éditions, 2006, num. 510 pages)

Rome, en 217 de l’ère chrétienne. Varius devient empereur. Adorateur mystique d’une obscure divinité orientale appelée l’Elagabal solaire, il prendra le nome de HÉLIOGABALE. Ainsi commence le règne qui durera un peu moins de quatre ans d’un monstre homosexuel, travesti, débauché, excentrique et cruel, totalement dépourvu d’empathie et de toutes morales. Dans son livre, Locatelli décrit toute la démesure de ce jeune homme âgé de 14 ans au début de son règne…le règne décadent d’un couronné perturbé, capricieux, instable et immature, exécré par le Sénat et l’armée. L’empire romain n’aura jamais connu pire… 

Fou à attacher…
*Jamais je n’aurais pu me décider à écrire la vie
d’Héliogabale Antonin, qui fût aussi appelé Varius,
et à faire connaître au monde que les romains ont
eu pour prince un pareil monstre, si déjà avant lui
ce même empire avait eu les Caligula,  les Néron et
les Vitellius.
(Aelius Lampridius, historien, contemporain de Dioclétien et
Constantin le Grand. Bibliothèque latine, HISTOIRE AUGUSTE
tome 2, seconde série.  Remacle.org )

Héliogabale ou Élagabal est empereur romain de 218 à 222 sous le nom de Marcus Aurelius Antoninus (Héliogabale Antonin). Il nait, vers 203, à Émèse, en Syrie. C’est le fils de Julia Soemias et de Varius Marcellus

HELIOGABALE est un roman historique…une histoire tellement incroyable que j’ai dû consulter les différents textes, récits et analyses issus des bibliothèques latines et grecques sur la vie et le règne de Marcus Aurelius Antoninus dit Héliogabale afin de m’assurer de la crédibilité du roman d’Emma Locatelli.

Effectivement, le roman est crédible, je dirais même que Locatelli a fait preuve d’une certaine retenue, évitant un penchant disons trop croustillant et spectaculaire, misant davantage sur la cruauté et la violence psychologique exercée par le jeune Héliogabale et là encore, l’auteure n’a pu éviter des passages choquants allant jusqu’à soulever le cœur par moment.

Cela dit, Emma Locatelli nous raconte l’histoire d’un inimaginable monstre : Marcus Aurelius Antonius, devenu le 29e empereur de l’empire romain à l’âge de 15 ans, un garçon dégénéré, apathique, capricieux, cruel, mentalement instable et misanthrope endurci.

Non seulement il rejoint les tyrans qui ont ensanglanté l’histoire de l’empire, tels Néron, Caligula, Tibère et Dioclétien mais il les dépasse largement par le raffinement de sa cruauté et de son despotisme. Heliogabale n’avait de respect ni pour la vie, ni pour les lois, ni pour la tradition.

De plus, il était manipulable et à ce titre, les femmes de son entourage, sa mère, sa grand-mère et sa tante s’en sont servi pour leurs basses ambitions. Bien sûr, elles n’avaient pas prévu perdre le contrôle d’un être aussi fourbe et avide. L’atmosphère de la Cour était carrément pourrie et l’empire en souffrait.

C’est un bon livre qui lève le voile sur un sale moment de l’histoire…l’auteure décrit sans concession le règne d’un enfant-roi dominé par la débauche et la démesure. La plume est habile et pousse le lecteur à se demander jusqu’au ira l’empereur fou et décadent. Il est par conséquent difficile de fermer le livre sans l’avoir terminé. C’est un livre violent, une histoire que je ne conseille pas aux âmes sensibles d’autant qu’elle est historiquement vraie.

J’ai senti que l’auteure ne porte pas de jugement. Elle rapporte, tout simplement, durement, mais objectivement, allant même jusqu’à préciser dans son prologue que si des empereurs ont souillé le nom de Rome par leur cruauté et leur fourberie tels Héliogabale, Néron, Caligula et Commode, d’autres furent des législateurs et des administrateurs sages et avisés, tels César Auguste, Vespasien, Trajan, Marc-Aurèle pour ne nommer que ceux-là.

Bien que ce ne soit pas dramatique, ce qui manque le plus à cet ouvrage est un développement sur la mentalité de l’époque car je dois le confesser, j’ai beaucoup de difficulté à saisir la réalité culturelle de l’époque des empereurs romains.

Je me pose encore les mêmes questions : comment pouvait-on permettre à un enfant de régner sur un aussi vaste empire sans régence sérieuse et surtout, comment a-t-on fait pour tolérer pendant trois ans un être aussi brutal, cruel et incompétent?

Un livre dur, déroutant mais fascinant…

Suggestion de lecture : BORGIA, de Michel Zévaco

Emma Locatelli est française. Femme de lettre, romancière et enseignante, elle partage son temps entre l’écriture et son métier d’enseignante. Outre la biographie romancée d’Héliogabale, elle a aussi écrit un thriller historique : MALEFICUS qui évoque une affaire de sorcellerie au XVIIe siècle et son roman LES HAINES PURES (roman historique sur l’après-guerre et ses blessures) sorti en 2013 chez Albin Michel a reçu le prix des lecteurs du Festival du Livre de Mouans Sartoux ainsi que le prix Coup de Cœur de la 25e heure du Livre du Mans

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
NOVEMBRE 2015

LE 11 SEPTEMBRE…MINUTE PAR MINUTE

11 SEPTEMBRE
Jour du chaos
Commentaire sur le livre de
Nicole Bacharan et Dominique Simonnet

*…Qui pouvait imaginer que des êtres humains, décervelés par un endoctrinement  fanatique, puissent réaliser méthodiquement une entreprise aussi fondamentalement décivilisée?…* (extrait de 11 SEPTEMBRE LE JOUR DU CHAOS, Nicole Bacharan Dominique Simonnet, Perrin 2011)

Nicole Bacharan et Dominique Simonnet livrent le récit stupéfiant d’un des jours les plus noirs de l’Amérique avec la destruction du World Trade Center, l’attaque du Pentagone et des milliers de morts. Ils passent en revue minute par minute les évènements de cette journée de chaos, mettant en perspective l’héroïsme de milliers de personnes et surtout l’incroyable dysfonctionnement de l’administration Bush, en particulier de ses services de renseignements.

J’ai suivi ce cauchemar le jour où il s’est produit et pendant les années qui ont suivi, à la radio, la télé, dans les journaux et sur Internet. La poussière n’est jamais retombée complètement. L’Amérique en a encore gros sur le cœur. À la recherche d’un livre crédible pour avoir une vue d’ensemble, j’ai choisi l’ouvrage de Dominique Bacharan et Dominique Simonnet. Je comprends mieux maintenant pourquoi l’Amérique n’oubliera jamais.

MINUTE PAR MINUTE

Ce  livre est un document rigoureux et détaillé qui passe en revue les enquêtes approfondies, analyses, documents et entrevues afin de reconstituer, dans une chronologie serrée, les évènements dramatiques qui ont marqué le 11 septembre 2001 et tendant à démontrer que la plus puissante nation du monde est plus fragile qu’il n’y paraît.

Le terme *minute par minute* n’est pas exagéré. En fait, c’est presque du temps réel et ça donne au livre une apparence de thriller, ce qui était inévitable à mon avis à cause de l’intensité parfois oppressante de la chaîne d’évènements.

Ce livre m’a ému par la description qu’il fait de la générosité et de l’héroïsme des policiers, pompiers, secouristes et même beaucoup de simples civils dont beaucoup y ont laissé leur vie pour tenter de sauver celle des autres.

Par ailleurs, ce livre met en lumière l’incompétence de l’administration Bush et de ses départements et agences de sécurité et de renseignements, tellement nombreuses qu’elles se pilent sur les pieds. La gestion de cette crise n’a été que cafouillage. Permettez-moi de citer un passage évocateur :

*Civils et militaire agissent donc séparément, sans se concerter directement. Toutes les informations doivent transiter par différents intermédiaires, une source de malentendus et de perte de temps.

Les militaires ne reçoivent pas les informations fraîches concernant les avions commerciaux en vol ni les alertes aux détournements; les civils, eux, ne sont pas au courant des activités militaires dans le ciel.  En un mot : c’est la pagaille.*

On dirait que la raison s’est égarée quelque part : le président Bush qui tourne en rond dans le ciel à bord d’Air force one et qui sous terre, passe d’un bunker à l’autre, des agences qui se boudent et qui ne communiquent pas, des ordres contradictoires.

L’administration emmurée dans les bunkers tombe dans le piège tentaculaire de la grande confusion des rumeurs, ce qu’on appelle le brouillard de guerre si justement évoqué par les auteurs.

Ce livre m’a été utile. Il m’a permis entre autres, de réaliser que l’Amérique avait en main des indices précieux qui laissaient à penser que les États-Unis se savaient menacer sérieusement.

J’aurais cru que sortir de la guerre froide côté jardin aurait laissé les gestionnaires et exécutants de la sécurité beaucoup plus aguerris. Mais voilà, tout le monde s’attendait à une menace de l’extérieur…aucun stratège n’a prévu que ça pouvait venir de l’intérieur.

J’ai apprécié ce livre. Il est *éclairant*, crédible et extrêmement bien documenté. Il est très détaillé mais sans être trop académique. Pourquoi le lire? Parce qu’après toutes  ces années, on peut en apprendre encore sur ce cauchemar historique dans lequel 2749 personnes ont trouvé la mort sans compter les milliers de blessés.

Ce livre vient aussi nous rappeler que le fanatisme accorde peu de valeur à la vie humaine. On peut être porté à l’oublier mais l’histoire nous rappellera toujours à l’ordre.

Suggestion de lecture : HAUTE TENSION, de Richard Castle

L’écrivain, journaliste et éditeur français Dominique Simonnet et Nicole Bacharan, historienne et politologue se sont associés en 1997 pour écrire une série de quatre romans destinés aux adolescents : la série Nemo.

Ils ont aussi publié en 2000 un petit livre d’initiation à l’amour et à la sexualité destiné aux enfants : L’AMOUR EXPLIQUÉ AUX ENFANTS. Ils se sont aussi démarqués avec GOOD MORNING AMERICA ceux qui ont inventé l’Amérique (Seuil, 2011) et maintenant 11 SEPTEMBRE JOUR DE CHAO …une belle complicité…

Pour en savoir plus sur la biographie et les œuvres de Nicole Bacharan et Dominique Simonnet, ou pour leur écrire, consultez le site internet qu’ils partagent :

www.droledeplanete.com

En complément, le film-documentaire le plus crédible sur le 11 septembre 2001 est à mon avis le film intitulé simplement 9/11 réalisé par Jules Naudet, Gédéon Naudet, James Hanlon et Rob Klug. Il a été produit par la Paramount pictures en 2002.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
SEPTEMBRE 2014

ON NE MEURT QU’UNE FOIS ET C’EST POUR SI LONGTEMPS

Commentaire sur le livre de
Patrick Pelloux

*Ce livre est un plaidoyer pour que la médecine
reste humble face à l’histoire. Combien de
médecins ont tué leurs malades au cours des
siècles?*
(extrait de ON NE MEURT QU’UNE FOIS ET C’EST
POUR SI LONGTEMPS, Patrick Pelloux, éditions
Robert Laffont, 2013)

Partant d’une recherche poussée sur les plans historique et médical, le docteur Patrick Pelloux, urgentiste, passe en revue l’agonie et les derniers moments de la vie de 30 personnalités historiques en commençant par Jésus, jusqu’à Winston Churchill en passant par Molière, Louis XIV, Beethoven, Balzac, Staline et même Laurel et Hardy. L’auteur s’est appuyé sur le contexte social, politique, culturel et médical des époques visées pour retracer avec un maximum de justesse la fin de vie de ces personnes dont le génie s’est gravé dans l’histoire.

Il faut bien mourir de quelque chose…

C’est un livre intéressant. Le sujet est original. Je craignais au départ que la lecture soit pénible à cause du sujet traité…agonie, mort, errance médicale… mais non,  le sujet est traité avec doigté, finesse, un petit soupçon d’ironie et une pointe d’humour qui vient donner à l’ensemble un bel équilibre.

Il ne faut pas oublier que Patrick Pelloux est médecin. Il ne faut donc pas se surprendre de trouver une grande quantité de détails sur l’état physiologique des illustres personnages réunis dans ce livre. Mais qu’à cela ne tienne, Patrick Pelloux est un excellent vulgarisateur et nous livre des pistes très intéressantes sur l’évolution médicale.

Il faut ici faire la différence entre manque de connaissance et errance médicale. J’étais heureux que Pelloux pointe du doigt l’incompétence crasse des médecins de la Cour de France par exemple.

Pour ces charlatans, les lavements et la saignée étaient la panacée, le remède passe –partout. Je ne suis pas expert en médecine, mais est-ce que faire des saignées généreuses et à répétition ne rend pas exsangue un malade déjà très faible.

Est-ce que même un médecin du 17e ou 18e siècle ne pouvait pas comprendre ça au moins d’instinct? J’ai l’impression qu’à cette époque, pour achever un malade, l’idéal était de trouver un médecin. Je comprends mieux l’état d’esprit de Molière quand il a écrit LE MALADE IMAGINAIRE.

Autre fait intéressant : la description de l’agonie de tous ces personnages illustres en dit très long sur leur époque. Bien que ce ne soit pas son objectif premier, le livre est porteur d’histoire avec des faits précis quoique parfois grinçants sur la mentalité de ces époques. J’ai particulièrement apprécié les chapitres sur Marie Curie et le duo le plus célèbre de l’histoire du cinéma, Laurel et Hardy.

Je pense que vous apprécierez ce livre, dont le titre a été emprunté au grand Molière d’ailleurs…il est si doux de vivre. On ne meurt qu’une fois et c’est pour si longtemps…(LE DÉPIT AMOUREUX, MOLIÈRE 1622-1672).

Je crois qu’on peut être sérieux sans se prendre au sérieux, comme Molière et comme Patrick Pelloux qui a mis à contribution non seulement ses compétences de médecin, mais aussi sa passion de l’histoire et son engouement pour la recherche afin de nous offrir un livre qui nous amène d’un personnage et d’une époque à l’autre en nous arrachant au passage des sourires amusés.

Je vous souhaite d’avoir autant de plaisir que j’en ai eu à lire ce livre.

Suggestion de lecture : LA MORT HEUREUSE de Hans Küng

Patrick Pelloux est médecin urgentiste très populaire en France pour son implication active dans les débats sur la santé et l’évolution sociale. Il publie régulièrement des chroniques dans lesquelles il prend la défense de l’hôpital public et pour lesquelles il a obtenu le prix CINO DEL DUCA de l’institut de France.

Il a écrit entre autres HISTOIRE D’URGENCES tome 1 et 2. Pelloux est devenu célèbre en 2003 quand il a donné l’alerte aux médias de la France sur les conséquences de la canicule dans les services hospitaliers.

BONNE LECTURE
JAILU
JUILLET 2014

L’ANCIEN TESTAMENT POUR LES NULS, Éric Denimal

*…Il est grand temps de démythifier
la bible, de dépoussiérer l’Ancien
Testament et cela pour le rendre plus
mystérieux, de ces mystères qui
donnent ressort à la vie et sens aux
absences de réponse…*
(Extrait de L’ANCIEN TESTAMENT POUR
LES NULS d’Éric Denimal, First Editions,
2011)

Dans L’ANCIEN TESTAMENT POUR LES NULS, le théologien Éric Denimal aborde de façon systématique et chronologique la première partie de la bible Chrétienne, soit l’Ancien Testament avec ses 39 livres canoniques. Il explique comment a débuté le récit biblique et comment il a été élaboré au cours des siècles. Ce livre tente de répondre de façon simplifiée aux  questions que pourraient se poser les non-initiés sur Dieu lui-même et sur les principaux personnages dont l’Esprit imprègne non seulement l’Histoire d’un peuple mais aussi l’œuvre littéraire la plus considérable et la plus importante de l’histoire de l’humanité.

LES PREMIERS ÉCRITS POUR NON-INITIÉS

Donner vie aux Textes anciens, les décrypter et les expliquer de façon simple et intelligible est certes un énorme défi. Je le sais car je m’intéresse à la question depuis de nombreuses années. Or, il se trouve que la plus grande fresque littéraire de l’histoire de l’humanité est aussi la plus complexe et la plus rigoureuse. Je parle de la bible dans sa première partie, c’est-à-dire l’Ancien Testament, composé dans la version chrétienne de 39 livres écrits par des auteurs disparates et couvrant plusieurs siècles de l’Histoire d’un Peuple choisi par Dieu.

Ce n’est pas simple, car l’œuvre dans son ensemble est chargée de symbolique, d’énigmes à résoudre, de paraboles, de secrets à décrypter. Les plans de Dieu sont loin d’y être saisissables et, pour moi en tout cas, ses voies demeurent désespérément impénétrables. L’œuvre dans l’ensemble repose donc sur la Foi et ramène aux Messages des Prophètes : Croyez et agissez.

Pour comprendre l’Ancien Testament, qui est une collection de livres, pour ne pas dire une bibliothèque, il faut donc le regarder d’un œil neuf, avec l’esprit ouvert de l’enquêteur, du journaliste, du chercheur à l’insatiable curiosité. C’est ce qu’a fait Éric Denimal avec beaucoup d’intelligence, un souci constant de clarté et de concision et même une pointe d’humour.

La première évidence qui ressort du livre d’Éric Denimal est que la Bible demeure *d’une brûlante actualité*. Il le précise d’ailleurs plusieurs fois et les liens de l’œuvre avec la *modernité* rend la lecture extrêmement intéressante. Donc aucun doute, même en ce 21e siècle, la bible demeure pertinente.

Autre fait intéressant : l’auteur a su mettre en perspective la beauté des textes en dévoilant les aspects littéraires de l’œuvre. En effet, dans l’Ancien Testament on trouve une grande quantité de genres : complaintes, débats, poésie, proverbes, prédications, pensées philosophiques… et une approche pédagogique à saveur scientifique, mais sans aucune lourdeur : histoire, géographie, archéologie, théologie, médecine, astronomie, culture, sciences naturelles, etc.

Dans L’ANCIEN TESTAMENT POUR LES NULS, Éric Denimal ne verse pas dans l’exégèse. Il nous invite à réapprendre à lire la bible avec un œil neuf en utilisant son don exceptionnel de vulgarisateur et une saine liberté d’expression. Une lecture divertissante et captivante qui ne devrait pas vous laisser indifférent.

Suggestion de lecture : L’OEUVRE DE DIEU, LA PART DU DIABLE, de John Irving

Écrivain et théologien, Éric Denimal est  né en France en 1953. Il a été aussi chroniqueur, conférencier, journaliste et éditeur. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrage dont le plus célèbre est sans doute LA BIBLE POUR LES NULS, livre publié chez First. L’ensemble de son œuvre fait de lui un spécialiste de la vulgarisation biblique. Il pourrait aussi faire époque avec LA BIBLE POUR LES NULS JUNIORS publiée récemment ainsi qu’avec une biographie du réformateur Jean Calvin. Il vit toujours dans le Drôme, marié, père de trois enfants.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
JUIN 2014

VOIR LE COMPLÉMENT SUR LA COLLECTION