LE VENGEUR, livre de Frederick Forsythe

*La septième fois où ils l’avaient plongé dans les
immondices liquides de la fosse à purin, le jeune
américain n’avait plus été capable de résister. Il
était mort là-dessous, bouche, oreilles, nez, yeux
envahis par l’innommable boue. *
(Extrait : LE VENGEUR, Frederick Forsythem, Albin
Michel éditeur, 2004, édition de papier, 375 pages.)


De l’enfer du Viêt-Nam aux charniers de Bosnie et aux jungles de l’Amérique centrale, ce récit infernal d’une double traque nous entraîne dans les arcanes de la diplomatie. Un cauchemar d’une totale actualité où l’angoisse se mêle au meilleur suspense politique. Le grand retour de Frederick Forsyth.

 


D’un enfer à l’autre
*Pendant ce temps, caché dans une cuvette
broussailleuse sur le flanc de la montagne,
le chasseur observe, prend des notes, observe
encore et attend l’heure qui n’a pas encore
sonné. *
(Extrait)

Le VENGEUR est un roman fort bien ajusté à l’actualité d’une époque pendant laquelle c’est toute la planète qui essaie de vivre avec les séquelles de la Guerre Froide. Le récit est fort bien documenté, tellement qu’il parait plus grand que nature et les lecteurs-lectrices devront prêter bien attention, d’abord pour séparer la fiction de la réalité. Ensuite, l’histoire est un peu complexe car elle décrit le parcours d’une double traque à travers des pays politiquement instables en passant par le milieu très tentaculaire de la diplomatie.

Voyons un peu le contenu. L’histoire commence sur fonds de purification ethnique alors que des criminels assassinent sauvagement un jeune américain. Je vous fais grâce de la cruauté du geste mais elle est malheureusement ajustée à la triste réalité. Le grand-père du jeune sacrifié cherche un homme pour venger son petit fils en ramenant le chef de bande aux États-Unis pour y être jugé. Cet homme, il va le trouver et il se trouve que lui-même cherche à exercer une vengeance. C’est ainsi qu’une traque impitoyable commence et entraînera les lecteurs-lectrices dans les pires poudrières du monde.

Vous pourrez suivre alors l’extraordinaire évolution du personnage principal : Calvin Dexter qui sera propulsé dans un inimaginable enchaînement de violence. Je me suis senti entraîné au cœur de l’actualité alors que tous les évènements de ce récit ont comme toile de fond le fanatisme, l’intolérance, le radicalisme et le terrorisme. Vous avez compris que le Vengeur se frottera à des organisations peu recommandables avec, en tête de liste AL QUAÏDA.

J’ai aussi saisi l’effroyable porté de l’influence d’un des pires terroristes de l’histoire Oussama Ben Laden. Ce qui m’a amené d’ailleurs à une finale très amère mais fort bien pensée. Forsyth nous entraîne aussi dans les pires bourbiers géopolitiques de l’histoire à l’exception peut-être, d’Israël : Le Vietnam, la Bosnie, L’Afghanistan, la Yougoslavie. Ça prend un auteur chevronné comme Forsyth pour démêler ses sacs de nœuds et y faire évoluer ce personnage opiniâtre et courageux qu’on appelle LE VENGEUR.

Le style rappelle un peu Tom Clancy mais la trame est plus complexe et l’histoire plus rattachée à la réalité géopolitique. Beaucoup de rebondissements, de l’action, du suspense. Aussi, beaucoup de violence. Il faut toutefois faire attention car il n’est pas simple de démêler la fiction des faits avérés.

Dans le premier quart du livre, on se demande un peu où veut en venir l’auteur mais il faut voir après comment il s’y prend pour préciser l’intrigue. Je place LE VENGEUR dans la catégorie des grands romans qui n’est pas sans nous faire réfléchir sur le rôle d’unités obscures mais bien réelles qui ont joué un rôle crucial dans les grands conflits.

Peut-être pensez-vous à la Résistance pendant la Deuxième Guerre en France. Vous avez raison mais il y en a beaucoup d’autres qui ont évolué dans l’anonymat aussi complet qu’héroïque comme les *rats* du Vietnam dont on raconte la terrible histoire dans LE VENGEUR. Excellent thriller haletant et intense. Je le recommande. Vous ne serez pas déçu.

Suggestion de lecture: APOCALYPSE SUR COMMANDE, de Ken Follet

Frederick Forsyth est né en 1938 à Ashford. Après avoir servi en tant que pilote dans la RAF, il devient journaliste à la BBC et pour l’agence Reuters. Il couvrira les conflits du XXe siècle. Son premier roman, Chacal, paraît en 1971 ; c’est un succès. Frederick Forsyth a par la suite publié plus d’ une dizaine d’autres thrillers, traduits en plus de trente langues. (Le livre de poche)

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 7 avril 2024

 

TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, le classique de VOLTAIRE

*Le mensonge en a trop longtemps imposé aux
hommes. Il est temps qu’on connaisse le peu
de vérités qu’on peut démêler à travers ces
nuages de fables qui couvrent l’histoire romaine,
depuis Tacite et Suétone et qui ont presque
toujours enveloppé les Annales des autres nations
anciennes.*

(Extrait : TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, Voltaire. Publication
originale : 1763. Pour la présente édition : Les Éditions du 38,
réédition en mode numérique, 2015)

LE TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE est une œuvre publiée en 1763, qui vise la réhabilitation de Jean Callas, protestant faussement accusé et exécuté pour avoir assassiné son frère afin d’éviter que ce dernier ne se convertisse au catholicisme. Dans ce texte, Voltaire invite à la tolérance entre les religions et prend pour cible le fanatisme religieux et présente un réquisitoire contre les superstitions véhiculées par les religions.

À la suite de l’exécution de Jean Calas, qui plaide son innocence jusqu’à sa mort, le procès est rejugé à Paris et, le 9 mars 1765, la famille Calas est réhabilitée. Il faut dire que la famille protestante avait été mise aux fers et le père avait été condamné à mort malgré l’absence de preuves. Le contexte historique est encore une fois fortement marqué par les guerres de religions des siècles précédents.

BRÛLANT D’ACTUALITÉ
MÊME APRÈS 250 ANS
*La querelle s’échauffa ; le jacobin et le jésuite se prirent aux
cheveux. Le mandarin, informé du scandale, les envoya tous
deux en prison. Un sous-mandarin dit au juge : «Combien de
temps Votre Excellence veut-elle qu’ils soient aux arrêts?»
«Jusqu’à ce qu’ils soient d’accord.» «Ah!…ils seront donc en
prison toute leur vie.» «Hé bien! Dit le juge, jusqu’à ce qu’ils
se pardonnent.» «Ils ne se pardonneront jamais…je les connais.»
«Hé bien donc! Dit le mandarin, jusqu’à ce qu’ils fassent
semblant de se pardonner.»
(extrait)

Vous savez que je n’échappe pas à un appétit occasionnel pour les classiques. Cette fois, j’avais envie de plonger dans un livre du grand Voltaire. En consultant son extraordinaire bibliographie, j’ai été tenté d’abord par CANDIDE, sa meilleure œuvre romanesque, publiée en 1759 mais finalement j’ai opté pour TRAITÉ SUR L’INTOLÉRANCE parce que le livre développe un thème qui m’est cher même si son appel du cœur condamnant l’intolérance se fait sentir dans l’ensemble de son œuvre.

Première observation, Voltaire a toujours été un infatigable défenseur de la tolérance et de la liberté individuelle. Deux vertus pas très compatibles avec son époque. Il écrivait fort…il parlait fort…peut-être trop au goût de ses contemporains.

Frappé par la censure, Voltaire continuait son combat mais ses écrits devinrent clandestins. Il n’est donc pas étonnant que j’aie senti une certaine retenue dans son TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE. J’ai trouvé ça un peu désolant eu égard à sa rectitude d’esprit et à son insatiable soif d’équité, de justice, de raison et de liberté. Toutefois, je peux comprendre cette retenue. Voyons le contexte.

Le fils de Jean Callas est retrouvé mort, supposément par suicide. Le peuple ne voit pas cette mort du même œil. Il se trouve que le fils Callas s’était converti au catholicisme. Son père étant Huguenot, donc protestant.

Vous devinez sans doute que Jean Callas ferait une belle proie pour une justice douteuse et expédiée par 13 juges question de calmer un peu le peuple qui évoque, pour moi en tout cas, un cheptel de moutons. Effectivement, le 10 mars 1762, Jean Callas est arrêté et condamné à mort à l’issu d’un procès qui ne tenait compte finalement que de la direction du vent.

Et la demande populaire (le vent) n’étant pas favorable à la famille, celle-ci fut mise aux fers. Aucune preuve sérieuse n’est apportée. Encore une fois la justice a été ballotée par l’histoire qui est comme on le sait riche en guerres de religions

*Il est donc dans l’intérêt du genre humain d’examiner si la religion doit être charitable ou barbare* (Extrait) Il faudra attendre jusqu’en 1765 avant que l’appel soit accepté et que la famille soit réhabilitée…un peu tard. Et ça n’a pas ressuscité Jean.

Vous voyez où je veux en venir. Voltaire marchait sur des œufs. Son traité sur la tolérance visait avant tout le renversement du jugement et la réhabilitation de la famille Callas. Il devait éviter tout emportement et rester à l’intérieur des limites de la diplomatie face à la royauté et à l’Église Catholique. Il a dû souffrir le pauvre. Je ressens sa frustration à travers sa plume : *On dirait qu’on a fait vœu de haïr ses frères; car nous avons assez de religion pour haïr et persécuter, nous n’en avons pas assez pour aimer et secourir*. (Extrait)

Le TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE est un long appel de Voltaire à la raison. Son argumentaire est sérieux et très éclairant à mon avis. Peut-être cet appel a-t-il été entendu au fil des ans, mais aujourd’hui, 257 ans après la publication du TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, j’observe que les choses n’ont pas changé. Je pense aux dirigeants qui posent des actes qu’ils ne tolèrent pas eux-mêmes en vertu de la loi, sans parler de l’antisémitisme, du racisme, du Djihad, de l’inquisition et j’en passe.

Est-ce que l’intolérance serait atavique ? Génétique ? Jamais un livre n’aura gardé autant son actualité au fil des siècles. Il aurait pu être publié cette semaine, Voltaire n’aurait probablement pas changé un mot. Car il était et il est toujours impensable que les croyances excusent la folie, que la Foi justifie la violence, la haine et les guerres soi-disant saintes.

Beaucoup de chose m’ont plu dans le TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE. J’ai déjà parlé de l’argumentaire, j’ajouterai la force de sa conviction menant à une dénonciation de la bêtise humaine, corollaire de l’intolérance, son côté mordant et parfois cynique, Voltaire aime grafigner. Je suis aussi émerveillé par l’érudition de Voltaire et l’audace avec laquelle il brasse la Chrétienté et l’Église catholique entre autre, cette dernière parvenant difficilement à évoluer.

Malgré toute la philosophie et le*bon pain* qui se dégage de ce texte, j’observe que Voltaire est un combattant engagé. Il dénonce l’intolérance mais oublie souvent de prôner la tolérance. Il dénonce, mais sans guider son lectorat vers de meilleures dispositions. C’est la principale faiblesse de son traité, si je fais abstraction de ses phrases très longues et cassantes et d’une grammaire compliquée.

Une chose est sûre, l’intolérance mène à la tyrannie. Ce n’est pas un droit, c’est une plaie purulente qui entache l’histoire de l’humanité. Le point de vue de Voltaire mérite d’être exploré. LE TRAITÉ SUR L’INTOLÉRANCE est une belle œuvre. Tout le monde devrait lire ce livre au moins une fois.

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Suggestion de lecture : LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY, d’Oscar Wilde

François-Marie Arouet, dit Voltaire, né le 21 novembre 1694 à Paris est un écrivain et philosophe français qui a marqué le XVIIIe siècle et qui occupe une place particulière dans la mémoire collective française et internationale. Figure emblématique de la philosophie des lumières, son nom reste attaché à un combat farouche contre le fanatisme religieux et pour la tolérance et la liberté de pensée. Intellectuel engagé au service de la vérité et de la justice, il prend, seul et en se servant de son immense notoriété, la défense des victimes de l’intolérance religieuse et de l’arbitraire dans des affaires qui l’ont rendu célèbre comme l’affaire Jean Callas.

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Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 26 mai 2019