Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire

Commentaire sur le livre de
JONAS JONASSON

*Ceux qui ne savent raconter la vérité,
ne méritent pas qu’on les écoute,
répondait notre grand-père. *
(Extrait : LE VIEUX QUI NE VOULAIT PAS FÊTER SON ANNIVERSAIRE,
Jonas Jonasson, édition originale papier : Presses de la Cité, 2011, 468p.
Édition audio : Audiolib éditeur, 2013, narrateur : Philippe Résimont, durée
d’écoute : 12 heures 49 minutes.)

Alors que tous dans la maison de retraite s’apprêtent à célébrer dignement son centième anniversaire, Allan Karlsson décide de fuguer. Chaussé de ses plus belles charentaises, il saute par la fenêtre de sa chambre et prend ses jambes à son cou. Débutent alors une improbable cavale à travers la Suède et un voyage décoiffant au cœur de l’histoire du XXe siècle. * Quand la vie joue les prolongations, il faut bien s’autoriser quelques caprices. * 

Histoire du monde revisitée
*La mauvaise nouvelle, dit Julius en baissant un
peu la voix, c’est qu’avec tout ça on a oublié
d’éteindre la chambre froide avant d’aller se coucher
 hier soir.  <Et alors> s’enquit Allan.  <Et alors le gars
à l’intérieur est un ptit peu mort à l’heure qu’il est>.
(Extrait)

Voici l’incroyable histoire d’Allan Karlsson, vénérable maître artificier, spécialiste de la dynamite. Le jour de son centième anniversaire, notre héros décide de déserter la maison de retraite alors que tous s’apprêtaient à le fêter. Mais Allan s’en moquait. À partir du moment où il a sauté par la fenêtre, c’est un retour en arrière que l’auteur nous propose…

l’histoire d’une vie aventureuse, rocambolesque qui va propulser Allan partout dans le monde pour y faire les plus inimaginables rencontres : Une petite réunion  avec Harry Truman, une rencontre diplomatique avec le général de Gaule, un dîner avec Staline, qui sera traité plus tard de cinglé…dîner qui sera interrompu abruptement par une question déplacée d’Allan :

*Tu ne trouves pas que tu devrais raser cette moustache ? La soirée se termina sur cette question. L’interprète avait perdu connaissance. * (Extrait)

Ajoutons à cela des conversations édifiantes avec le général Franco, une dégustation de nouilles avec Mao Tse Tong qui sera qualifié de gros lard sans oublier quelques flirts à la cour de Suède. La liste n’est pas exhaustive.

Le récit je le rappelle est rocambolesque. Il y a des longueurs, du papotage, un peu d’errance. L’ensemble est improbable et caricatural. Mais c’est drôle. Personnellement j’ai beaucoup apprécié Allan, dynamiteur, destructeur de pont, buveur invétéré, espion et diplomate souvent en carence de diplomatie.

J’ai aimé son *je m’en foutisme*, son sens de la répartie et sa philosophie à deux dollars : *<La vengeance ne sert à rien.> le sermonna Allan. Il en est de la vengeance comme de la politique. L’une mène à l’autre et le mauvais conduit au pire qui aboutit en fin de compte à l’intolérable. *

L’auteur est habile car avec le parcours de la vie d’Allan, il survole les grands moments de l’histoire. L’intervention d’Allan dans l’histoire est tordue, l’auteur ayant imaginé entre autres que son héros ait été responsable en partie de l’effondrement de l’Union Soviétique.

Ce parcours n’est pas sans me rappeler un film extraordinaire : FOREST GUMP qu’on qualifiait de simple d’esprit et qui est devenu malgré lui un acteur et même l’instigateur des grands évènements qui ont marqué les États-Unis entre les années 1950 et 1980.

J’ai trouvé le récit satirique, ce qui n’est pas pour me déplaire. Je rejoins l’auteur entre autres pour sa description des personnages politiques qui ont marqué l’histoire, descriptions loin d’être flatteuses et qui sont même parfois virulentes, par exemple, le fait que le numéro un soviétique Leonid Brejnev puait et pas à peu près.

Ce roman, si je vais au-delà de son petit caractère burlesque, a été pour moi une grande évasion car non seulement l’histoire est originale et bourrée de trouvailles mais le récit a toutes les qualités littéraires que je recherche. L’histoire est extravagante mais la plume soutient une logique qui tient lieu de fil conducteur.

Je vous invite donc à faire la connaissance d’un grand petit monsieur : Allan Karlsson, un personnage zen, spontané, résolument jovial, ne connaissant pas la colère. Je crois que l’auteur s’est arrangé pour que j’aie envie de connaître Allan.

Pour terminer mon commentaire, j’extrais du roman une petite phrase qui résume à merveille la motivation de l’auteur dans le montage de son histoire et qui fait qu’on peut comprendre son cachet mondain, déjanté et un peu excessif : *Sa vie avait été passionnante.  Mais rien ne dure éternellement.  À part peut-être la bêtise humaine. *

Suggestion de lecture : HISTOIRE D’UNE MOUETTE ET DU CHAT QUI LUI APPRIT À VOLER de Luis Sepulveda

Né en Suède en 1961, Jonas Jonasson, ancien journaliste et consultant pour les médias, est l’auteur du Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, son premier roman, qui a connu un immense succès dans la trentaine de pays où il a été publié et qui a été adapté au cinéma (voir ci-bas) L’Analphabète qui savait compter est son deuxième livre.

AU CINÉMA



Photo de Robert Gustafsson extraite du film éponyme, réalisé par Féix Herngren
et sorti en mai 2014



Philippe Résimont brûle les planches depuis plus de 20 ans dans des registres très différents (Cyrano de Bergerac, Ladies night) Il participe aussi à quelques aventures cinématographiques comme LES CONVOYEURS ATTENDENT et MATERNELLE. Enfin il performe magnifiquement dans l’univers du livre audio avec, entre autres DANS L’OMBRE et PASSAGE DES OMBRES d’Arnaldur Indridason, 

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 18 décembre 2021

UN VISAGE DANS LA FOULE, STEPHEN KING/STEWART O’NAN

*Soudain, ils entendirent les adultes s’agiter
au bord de l’étang Marsden du côté du
barrage. Ils foncèrent les rejoindre. Plus tard,
en découvrant le cadavre énucléé qui émerge
tout dégoûtant du déversoir, ils eurent
l’occasion de le regretter.*
(Extrait du livre audio contenant la nouvelle
de Stephen King et Stewart O’Nan : UN VISAGE
DANS LA FOULE. Hardigan éditeur, 2015,
narration : Arnauld Le Ridant, durée d’écoute :
75 minutes, Captation : Audible)

Depuis la mort de sa femme, Dean Evers trompe l’ennui devant les matchs de baseball à la télé. Quand soudain, dans les gradins, il découvre un visage surgi du passé. Quelqu’un qui ne devrait pas être là, au stade… ni même parmi les vivants. Le lendemain, un autre homme apparait…un homme dont Dean a assisté aux funérailles…Soir après soir, Dean se laisse hypnotiser par les visages de ceux qu’ils n’espéraient ou ne voulait plus voir. Mais le pire est à venir…

DES FANTÔMES AU MATCH
*Evers gisait pâle et immobile,
les yeux mi-clos, les lèvres
purpurines, la bouche déformée
par un rictus. La bave en
séchant sur son menton, y
avait dessiné une toile d’araignée. *

(Extrait)

D’entrée de jeu, je dois vous dire que je n’aime pas le baseball encore moins l’équipe de Tampa bay qui semble encensée dans la nouvelle de King et O’nan. Pour moi, ce sport, qui ne tient pas compte du chronomètre, est répétitif et ennuyant.

Donc, le baseball est omniprésent dans le récit. Je me suis fait violence en complétant ma lecture, restant positif, et curieux de savoir ce qu’allait donner une association de deux excellents écrivains.

Notre personnage principal est Dean Evers, un vieil homme, veuf, usé par la vie, en perdition qui s’apprête sans le savoir à entrer dans une autre dimension. Un soir, pendant un match retransmis à la télé, au troisième rang du stade, il aperçoit un visage connu. Son dentiste. Mais il est mort son dentiste, depuis longtemps. Le lendemain, il voit un homme dont il a assisté aux funérailles et puis d’autres apparitions.

Question : Dean devient-il sénile. Les conversations téléphoniques avec les morts du genre* tu me vois là…deuxième rangée…je te fais des signes…* ça ne suffit pas. Il veut en avoir le cœur net et décide de se rendre au stade pour la prochaine partie…une démarche qui pourrait sceller son avenir.

Ce n’est pas une nouvelle particulièrement originale. Je m’attendais à plus. Un vivant en sursis sensiblement impliqué dans la mort d’autres personnes qui entrent en contact avec lui…c’est du déjà-vu. Edgar Allan Poe m’a habitué à ce genre littéraire quand il a établi à sa façon, les frontières du fantastique. Il y a du O’nan là-dedans.  Que Dean se rende au stade annonce une introspection, une exploration de la conscience.

J’ai mieux compris la démarche des auteurs à la fin, heureux de lire une finale intéressante. Je n’ai pas trouvé la psychologie des personnages très poussée ni le suspense. Ça ne ressemble pas à King. O’nan est un écrivain plutôt intimiste et qui est souvent percutant. Les personnages ont peu de profondeur. Au moins, les auteurs laissent des ouvertures qui amènent le lecteur à en savoir plus sur les petites incartades d’Evers.

J’étais curieux de savoir quel auteur pouvait prendre le pas sur l’autre. La plume modérée et retenue ainsi que l’aspect fantastique de l’histoire qui m’apparaît comme inachevée me laissent supposer que Stewart O’Nan se serait placé légèrement en avant.

Bien sûr, UN VISAGE DANS LA FOULE est une nouvelle. Il est difficile de dire qu’une nouvelle est sous-développée. Mais en faisant un peu d’extrapolation, je serais porté à penser que King et O’Nan se sont freinés l’un l’autre.

Si chaque auteur avait développé le sujet chacun de son côté, on aurait eu droit à quelque chose de supérieur…un personnage principal moins mollasson entre autres, des personnages secondaires plus caractériels, plus de suspense, plus de revirements, un récit dans l’ensemble moins prévisible. Bien sûr j’aurais encore été pris pour lire des descriptifs de baseball, mais partons du principe qu’on ne peut pas tout avoir…

Je pense que l’amalgame des deux styles d’auteurs a donné un récit un peu timoré. Bien sûr c’est très personnel comme observation. Beaucoup de lecteurs et de lectrices pourraient voir les choses autrement, surtout s’ils sont amateurs de baseball…

En terminant, un mot sur la narration d’Arnauld Le Ridant…un peu ennuyeuse malheureusement, monocorde, pas toujours ajusté avec l’esprit du texte. Maquille assez bien sa voix dans les dialogues mais devient parfois assommant. Heureusement, Le Ridant a une signature vocale agréable. Ça sauve un peu les meubles.

Bref, UN VISAGE DANS LA FOULE est un récit moyen. Suspense moyen qui ne réinvente pas le genre…

Suggestion de lecture : LA THÉORIE DE GAÏA, de Maxime Chattam

Pour faire très court sur Stephen King (à droite), je dirai que c’est un écrivain américain né le 21 septembre 1947 à Portland, dans l’État du Maine. Depuis CARRIE, King a écrit une cinquantaine de romans, sans compter nouvelles et scénarios, vendus au total à plus de cent millions d’exemplaires. Consacré «roi de l’horreur» de la littérature moderne, il s’illustre dans d’autres genres comme le fantasy, la science-fiction ou le roman policier.

Stewart O’Nan est un écrivain, romancier et nouvelliste né en 1961 à Pittsburg. Titulaire d’un B.S. d’ingénierie spatiale de l’Université de Boston en 1983, Il est embauché comme ingénieur chez Grumman Aerospace à Bethpage, New York, en 1984. Il pratique cette activité professionnelle jusqu’en 1988 et, prenant goût à l’écriture, écrit parallèlement à ses activités professionnelles. 

En 1993, paraît son premier recueil de nouvelles, «In the Walled City», puis son premier roman, «Des Anges dans la Neige» (Snow Angels, 1994), adapté au cinéma en 2007.»Speed Queen» (1997), qui est son troisième roman, est dédié à Stephen King. O’Nan a d’ailleurs envisagé un temps de l’intituler «Dear Stephen King». 

Bonne Lecture
Claude Lambert
Le samedi 24 août 2019