AURORA, Kim Stanley Robinson

J’ai l’impression que le paradoxe de Fermi a trouvé sa réponse : quand la vie devient assez intelligente pour quitter sa planète, elle est aussi devenue trop intelligente pour s’en aller. Parce qu’elle sait que cela ne marchera pas. Donc, elle reste chez elle. Elle profite de son monde. <Extrait : AURORA de Kim Stanley Robinson, à l’origine, publié chez Orbit éditeur en 2015. Papier, 480 pages. Version numérique, Bragelone édditeur, 2019>

Un vaisseau générationnel emmène 2 000 passagers, à une vitesse de 30 000 km/s, vers Tau Ceti, une étoile située à 11,9 années-lumière de la Terre. Le voyage prend presque deux cents ans au cours desquels six générations de passagers se succèdent à bord.

Les passagers originaires de différents pays de la Terre s’installent dans les écosystèmes correspondants, mais peuvent voyager d’un biome à l’autre ; la plupart d’entre eux mènent des activités techniques ou agricoles visant à assurer les besoins alimentaires et en oxygène des passagers. L’équilibre biologique est fragile et nécessite un suivi permanent.

Un vieux rêve

AURORA est une variation d’un thème largement répandu en littérature : la recherche d’une exoplanète viable sur laquelle des humains, fuyant une terre souffrante veulent repartir à zéro. Notez qu’AURORA est le nom de la planète visée. Le vaisseau comme tel n’a pas de nom. On l’appelle vaisseau tout simplement, personnifié par une intelligence artificielle de très haut niveau.

L’histoire commence 160 années après le départ de l’énorme vaisseau : *-Une centaine de kilomètres carrés…C’est une île de bonne taille. Avec vingt-quatre biomes semi-autonomes. Une arche, un véritable vaisseau-monde* (Extrait) Au cœur du récit se trouvent toutes les problématiques qui n’on pas été envisagées par les concepteurs du vaisseau, mettant tout le monde en péril.

Ces problématiques étaient nombreuses et complexes : accumulation d’éléments indésirables, déficit alimentaire, déséquilibre biologique, défaillances mécaniques, vieillissement des matériaux, prolifération de micro-organismes, et j’en passe. Tous ces problèmes entraînent des décisions menant à l’agitation sociale. *Le nombre de ces gens qui protestaient augmenta tant que les groupes rebelles ou retournés à l’état sauvage devinrent un phénomène fréquent. * (Extrait)

*Au début de l’an 68, les troubles se convertirent en ce qui ressemblait beaucoup à une guerre civile qui atteignit un point culminant durant une semaine, pendant laquelle cent cinquante personnes trouvèrent la mort. * (Extrait) Je vous laisse découvrir ce qui attend les voyageurs sur Aurora. Sachez toutefois qu’il n’y aura rien de simple.


Dessin du vaisseau Aurora tel qu’imaginé par Kim Stanley Robinson

C’est une grande saga qui n’est pas sans rappeler LE PAPILLON DES ÉTOILES de Bernard Werber. Je la trouve toutefois supérieure car elle est loin de se limiter à la sauvagerie humaine et sur la question de savoir si les hommes peuvent être autre chose que des hommes.

C’est un roman très indigeste sur le plan scientifique. Les explications sont longues, complexes et pas très vulgarisées. Je pense entre autres à ce jeu du chat et de la souris que le vaisseau entreprend entre les planètes de notre système solaire et le soleil afin d’opérer sur le vaisseau une décélération. Ce seul sujet occupe plus d’une centaine de pages dont je me questionne encore sur l’utilité.

En revanche, le récit est fort bien conçu sur les plans humain, social et philosophique. Entre autres, l’auteur émet un postulat selon lequel *La vie est une manifestation planétaire qui ne peut survivre que sur son monde d’origine. *   (Extrait) Intéressant…très intéressant même si ça remet en question le vieux rêve très humain de recommencer à zéro sur une exoplanète.

Il y a beaucoup de trouvailles et d’idées originales dans ce récit. Je pense entre autres à l’intelligence artificielle du vaisseau, appelée à protéger les voyageurs contre eux-mêmes. Ou encore à la sécession du vaisseau, plausible puisqu’il est modulaire. Brillant. L’aspect *suspense* est bien développé. L’histoire est empreinte de gigantisme et aussi de beauté qui porte à faire rêver. Le récit est aussi dynamique.

Il y a bien sûr des irritants. Les longueurs et la lourdeur dont j’ai parlé plus haut, une finale bizarre, un peu frustrante, les voyageurs qui ont préféré rester sur Aurora sont occultés, et les personnages qui sont superficiels…disons pas très bien travaillés. Je recommande ce livre pour son originalité, ses bonnes idées et la réflexion qu’il induit sur la nature humaine.

L’auteur Kim Stanley Robinson

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 29 juin 2025

HIVER ROUGE, par l’auteur du VILLAGE : DAN SMITH

*Serrant les dents, je baissai la tête. J’avais besoin de ma famille. Elle seule pourrait dissiper les ténèbres qui, chaque jour un peu plus, engloutissaient mon âme. Elle était forcément là, quelque part. Il fallait que je la trouve.* (Extrait : HIVER ROUGE, Dan Smith, t.f. : Éditions du Cherche-Midi,  collection thrillers, 2015, édition numérique et de papier, 470 pages)

1920, Russie centrale. La terreur s’est abattue sur le pays. À la mort de son frère, Nikolaï Levitski a déserté l’Armée rouge pour aller l’enterrer dans son village. Mais lorsqu’il arrive dans la petite communauté, perdue en pleine nature, c’est la stupéfaction. Les rues sont vides et silencieuses. Les hommes ont été massacrés dans la forêt alentour, les femmes et les enfants ont disparu. Nikolaï se met alors sur la piste des siens. C’est le début d’une quête aussi désespérée que périlleuse dans une nature hostile, au cœur d’un pays ravagé par la guerre civile.

 

La sombre réalité du totalitarisme
*on les tuera tous. Je nous imaginai, nous barricadant
dans cette isba minuscule au toit crevé pour attendre
Larrivée de Kroukov et de son unité de soldats bien
entraînés, mais ce scénario ne pouvait sachever que dans
Un bain de sang. Le nôtre.*
(Extrait : HIVER ROUGE)


Nikolaï Levitsky, soldat déserteur, ancien membre de la Tcheka s’est réveillé à peu près à temps pour se rendre compte que la Tcheka n’était qu’un vaste crime contre l’humanité allant au-delà de toutes les horreurs imaginables. La Tchéka n’est qu’une des idées tordues et idiotes de Lenine pour mettre le peuple russe au pas en utilisant la terreur et la violence.

Donc nous sommes en 1920, à la mort de son frère Alek, Nilolaï déserte l’armée pour regagner son village afin d’enterrer son frère. À son retour au village, stupéfaction et consternation.

Nikolaï constate avec horreur que tout le monde a été massacré ou enlevé. La vision d’horreur qui s’offrait à lui prouvait la visite des exécuteurs les plus cruels de la doctrine bolchévique : les tchékistes. Alors, le déserteur entreprend une quête qui sera très dure : retrouver sa famille disparue, sa femme Marianna et ses fils Pavel et Micha. 

Tout en avançant et en se faisant quelques rares alliés, Nikolaï développe la certitude que le redoutable Kochtchei, personnage horrible et cruel des contes russes se serait incarné pour faire souffrir davantage le peuple russe.

Cette histoire, très bien ficelée développe donc une quête très rude au cœur de l’immensité glaciale de la Russie et qui met en perspective les abus du totalitarisme qui n’a jamais eu de respect pour la vie humaine :

*Rien de ce que j’avais pu voir au cours de la guerre n’était plus perturbant que le tableau macabre qui s’offrait à mon regard. Après toutes ces années, je ne savais que trop bien de quelles horreurs les hommes étaient capables les uns envers les autres, mais je n’avais jamais vu une telle variété d’atrocités… * (Extrait) 

La plume est très directe, très dure. Je n’ai pas eu l’impression de *poudre aux yeux*. Une petite recherche rapide confirme les bassesses sans noms imposées par des dégénérés comme Lenine au nom de la révolution.

L’ouvrage est donc crédible et son caractère réaliste est de nature à secouer le lecteur : *Et merci à vous. –Pourquoi ? –Pour ne pas m’avoir tué. » Et ces mots confirmèrent pour moi quel terrible pays notre patrie était devenue, pour qu’un homme arrive à en remercier un autre de l’avoir laissé vivre. * (Extrait) 

Le livre aurait pu s’intituler HIVER ROUGE dans un enfer blanc, tellement l’auteur met en évidence la rudesse du climat de l’hiver russe : froid mordant, neige, glace, vents, bourrasques. Survivre dans ces conditions est un pari.

La justesse du ton et la sensibilité de la plume m’ont atteint. On y trouve des éléments de réflexion sur la valeur de la vie et les difficultés pour des sociétés de s’organiser dans le respect des droits et libertés face à la soif de pouvoir et d’ambition de bouchers despotes comme Lénine et Hitler qui ont répandu leur crasse sur l’histoire. 

Je n’ai pas réussi à m’attacher totalement au personnage principal entre autre à cause de son stoïcisme et parce qu’il avait beaucoup de choses à cacher jusqu’à la fin. Mais son enquête est très intrigante. Et cette intrigue, elle est bien bâtie. Elle mystifie le lecteur autant que le caractère enveloppant de la forêt russe.

C’est un roman de tension et de violence qui donne une place, petite mais douce, à l’amour et à l’amitié. C’est une lecture qui secoue et qui ne laisse pas indifférent…un coup de cœur.

Suggestion de lecture : GRAVÉ SUR CHROME, de William Gibson

Dan Smith a grandi en suivant ses parents de par le monde. Il a vécu en de nombreux endroits, notamment en Sierra Leone, à Sumatra, dans le nord et le centre du Brésil, en Espagne et en Union Soviétique.

Son premier roman, DRY SEASON, a fait partie des œuvres sélectionnées pour le BEST FIRST NOVEL AWARD de l’Authors’club et a été nominé pour le prix littéraire international IMPAC d Dublin. Juste avant la publication de HIVER ROUGE, son livre LE VILLAGE a connu un grand succès.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le vendredi 18 juin 2021