SAUVAGE, le livre de Jamey Bradbury

*…c’était la chose la plus jolie que j’ai jamais vue et je
brûlais d’envie de le fourrer dans ma poche, mais
j’avais peur de le prendre, peur de passer la porte
avec le sac et le couteau…peur de ne pas pouvoir
revenir si je le faisais. *
(Extrait : SAUVAGE de Jamey Bradbury, à l’origine,
Galmeister éditeur, 2019, 313 pages. Version audio :
Lizzie éditeur, 2019, durée d’écoute : 11 heures 17
minutes. Narratrice : Karl-Line Heller)

À dix-sept ans, Tracy Petrikoff possède un don inné pour la chasse et les pièges. Elle vit à l’écart du reste du monde et sillonne avec ses chiens de traîneau les immensités sauvages de l’Alaska. Elle respecte les trois règles que sa mère lui a dictées : «ne jamais perdre la maison de vue », «ne jamais rentrer avec les mains sales » et surtout «ne jamais faire saigner un humain ». Jusqu’au jour où, attaquée en pleine forêt, Tracy reprend connaissance, couverte de sang, persuadée d’avoir tué son agresseur. Ce lourd secret la hante jour et nuit. Une ambiance de doute et d’angoisse s’installe dans la famille, tandis que Tracy prend peu à peu conscience de ses propres facultés hors du commun.

Du rouge et du blanc
* On ne peut pas fuir la sauvagerie qu’on a en soi. *
(Extrait)

C’est un roman étrange mais très fort, développé dans un cadre glacial et pourtant, l’histoire est chaude et imprégnante. Le personnage principal me rappelle Turtle Alveston, l’héroïne de MY ABSOLUTE DARLING. Ceux et celles qui ont pu lire ce chef d’oeuvre de Gabriel Tallent se rappelleront cette jeune fille que son père abuseur appelait Croquette. Une jeune caractérielle de 14 ans, attachante, une battante.

Dans SAUVAGE, nous entrons dans l’intimité d’une jeune fille de 17 ans, Tracy, rebelle, agressive, volontaire et c’est aussi une battante. Les ressemblances s’arrêtent là mais le lien demeure enveloppant et intéressant. Dans SAUVAGE, après avoir été attaquée dans une intense forêt de l’Alaska, Tracy se réveille couverte de sang, certaine d’avoir tué son agresseur. Elle décide de garder le secret, mais il pèsera lourd.

Alors qu’entreront dans sa vie des personnages mystérieux et inquiétants : Tom, agresseur en liberté, Jesse, arrivé de nulle part pour s’installer dans la famille Perikov, le tout assorti d’une passion pour les chiens et les courses, Tracy prend graduellement conscience d’une faculté exceptionnelle qu’elle développe tout au long du récit. Vous dire de quoi il s’agit équivaudrait à tout révéler mais ce don vient donner au récit un caractère fantastique qui cadre bien avec les forêts de l’Alaska, enveloppées de neige et de mystère.

J’ai été captif de cette histoire qui n’est pas sans rappeler certains romans de Stephen King qui prête à des jeunes personnages des pouvoirs surnaturels, CARRIE ou LES ENFANTS DU MAÏS par exemple. SAUVAGE est un thriller psychologique à tension élevé qui regroupe plusieurs éléments du conte initiatique. La pièce maîtresse de l’oeuvre est encore l’imagination de l’auditeur et de l’auditrice, l’auteure y a vu, à cause du non-dit, de l’atmosphère, d’une espèce de vide autour de Tracy qu’il appartient à l’auditeur de combler.

J’ai trouvé le suspense totalement immersif. Le dernier quart du récit m’a particulièrement impressionné jusqu’à une finale que je n’aurais jamais pu prévoir, dure, déroutante mais parfaitement cohérente. Autre élément important, la nature alaskaine tient une place importante et ajoute au caractère attractif de l’histoire et puis, il y a les chiens, l’affection de Tracy pour cet animal qui tient une place si importante dans la vie de l’Alaska à cause des courses mais aussi à cause du fait que dans cette histoire, les chiens symbolisent une irrésistible recherche de liberté et de compréhension dans tout ce qui dépasse Tracy.

C’est un roman fort, troublant et profond qui ne vous laissera pas indifférent. Je le recommande sans hésiter.

Jamey Bradbury est née en 1979 dans le Midwest. Après avoir obtenu une maîtrise en beaux-arts de l’Université de Caroline du Nord, elle est tombée amoureuse de l’Alaska et s’y est installée. Elle partage son temps entre l’écriture et l’engagement auprès des services sociaux qui soutiennent les peuples natifs de l’Alaska. Chaque année, elle fait partie de l’équipe des bénévoles encadrant l’Iditarod, la célèbre course de chiens de traîneau dont elle s’est inspirée pour écrire son œuvre. Sauvage est son premier roman et a reçu le Prix Littérature Monde Étonnants Voyageurs de Télérama.

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert

UN MANIAQUE AU CHALET, Julie Royer

*Tout y est. Avant de prendre le chemin de la campagne,
il a cambriolé un petit commerce, prenant des caméras,
des projecteurs et tout le matériel dont il aura besoin
pour tourner son interprétation d’UN MANIAQUE AU
CHALET. Il sait d’ailleurs où il créera son œuvre. Qui en
seront les vedettes. ET IL SE SENT INSPIRÉ. *
(Extrait : UN MANIAQUE AU CHALET, Julie Royer, SLALOM
2018, Boomerang éditeur jeunesse, papier, 290 pages)


Une fin de semaine de rêve s’annonce pour Charlie et ses amis Louis et Maggie, grands amateurs de films d’horreur. Ils comptent tourner une reprise d’Un maniaque au chalet, la nouvelle œuvre de leur cinéaste favori, Hemon Globill.
Alors qu’ils se préparent au tournage, au chalet des arrière-grands-parents de Charlie, au fin fond de la forêt, un criminel surnommé le Cinéaste s’évade de prison. Il veut lui aussi reprendre le dernier film de Globill, mais à sa façon, pour vrai. Le vieux chalet sera son décor, et Charlie et ses amis, ses « comédiens ».

SCÈNES ET MISES EN SCÈNE
*Louis écoute Stéphanie en avalant
difficilement sa salive. Pour lui,
perdre la vie dans des eaux sombres
et glacées, c’est la fin la plus
ABOMINABLE QUI SOIT*
(Extrait)

C’est un petit livre intéressant pour les jeunes lecteurs de neuf ans et plus amateurs de sensations fortes. Le terme *émotions extrêmes* apparaissant sur le quatrième de couverture est peut-être un peu fort mais les jeunes y trouveront tout de même une bonne dose de frisson et auront un intéressant défi à relever : séparer la fiction de la réalité ce qui demande de la concentration.

L’histoire suit les péripéties de Charlie et ses amis, trois préados grands amateurs de films d’horreur et leurs parents, tous deux cinéastes professionnels. Le cinéaste préféré de Charlie, Louis et Maggie s’appelle Hemon Globill, réalisateurs de films d’horreur comme LA MAISON AUX POUPÉES TUEUSES ou L’OGRE DU CPE. Mais leur film préféré est  UN MANIAQUE AU CHALET qui raconte l’histoire de trois jeunes venus passer une fin de semaine au chalet, dans un endroit isolé, avec leurs parents cinéastes.

Leurs vacances tournent au cauchemar quand un vrai maniaque entre en scène avec sa caméra. Vous voyez où je veux en venir, un maniaque appelé LE CINÉASTE, échappé d’un hôpital psychiatrique veut tourner *à sa façon* une réplique du film de Globill et ses victimes potentielles, Charlie, Louis et Maggie et les parents de Charlie se préparaient à tourner le même film.

Le jeune lecteur ne doit pas perdre le fil de l’histoire car tout au long du récit, il aura à comprendre dans quel film il se trouve exactement : *Couvert de boue, un spectre ligoté rampe sur le sol, près de la rivière à côté de la chaloupe, en déployant de grands efforts pour se relever. -C’est…c’est…c’est…le…le…fan…LE FANTÔME DE LOUIS, bégaie Marie qui tremble de tous ses membres. * (Extrait)

Dans les moments les plus dramatiques, les jeunes lecteurs devront s’assurer de bien cerner le texte pour séparer la fiction de la réalité du texte. Il faut prendre cette nécessité de concentration comme un intéressant défi de compréhension de texte…un défi tout à fait à la portée des jeunes.

Je ne peux pas dire que ce récit tranche par son originalité. Mais il m’a paru évident que la principale force du livre réside dans sa présentation : une écriture fluide, des chapitres courts et ventilés, des grosses lettres, une utilisation ciblée et efficace des caractères gras, un développement modérément rapide, une intrigue soutenue, un texte bien encadré par les magnifiques illustrations de Sabrina Gendron.

La seule faiblesse que j’ai trouvée au récit est un certain manque d’émotions par endroit. Il m’a semblé que les enfants traduisaient mal la peur qu’ils ressentaient pour certains passages du récit. À ce niveau, le texte manque de constance. Mais j’admets volontiers que la perception des jeunes peut-être très différente de celle des adultes.

Les jeunes ont toujours été attirés par la littérature et le cinéma d’horreur. Je n’ai pas fait vraiment de recherches sur le sujet mais c’est un fait avéré. Les jeunes aiment avoir peur et les adultes ne donnent pas leur place dans la recherche de frissons. Moi-même, je suis un amateur inconditionnel. Cette littérature est en développement au Québec actuellement et le live de Julie Royer y ajoute un élément plus qu’intéressant.

Suggestion de lecture : LA VIE QUAND-MÊME UN PEU COMPLIQUÉE D’ALEX GRAVEL-CÔTÉ, de Catherine Girard-Audet

Julie Royer est titulaire d’un certificat en arts plastiques, d’un baccalauréat et d’une maîtrise en études littéraires. Depuis vingt-quatre ans, elle va où on l’invite, avec ses chansons, ses livres et sa guitare, afin d’éveiller les enfants à la lecture. Elle écrit des livres pour les petits et les grands. Elle écrit et coanime Gribouille Bouille, diffusée sur COGECOTV . En 2015 et en 2016, son émission reçoit le trophée COGECOTV pour la meilleure série télévisuelle destinée à la jeunesse. 

Bonne lecture
Claude Lambert

Le dimanche premier novembre 2020

LE RITUEL, le livre de ADAM NEVILL

*…dans ce spectacle rouge et jaune d’une brutalité inattendue, tous distinguèrent le sourire osseux d’un maxillaire. Juste au-dessus de l’os se trouvait un œil, aussi gros qu’une boule de billard, vitreux et terne. (Extrait : LE RITUEL, Adam Nevill, édition originale : 2011, Éditions Bragelonne 2013 pour la présente traduction, numérique, 400 p.)

Quatre copains décident de s’aventurer dans la nature sauvage scandinave simplement pour marcher, camper quelques jours et pour le plaisir de se retrouver ensemble tous les quatre. Toutefois, l’enthousiasme des amis est miné par la pluie incessante, l’inexpérience et le surplus de poids de Phil et Dom entre autres et en l’espace de quelques heures, leur randonnée tournera au cauchemar. Perdus et affamés dans des bois inexplorés, la situation leur échappe: mises en scène macabres et sacrifices païens en l’honneur d’une créature millénaire. Face à l’innommable, la folie guette ceux qui font désormais partie du RITUEL. 

IMMERSION  EN ÉPOUVANTE
*Ils méritaient de mourir. Il voulait qu’ils
meurent. Il voulait verser leur sang jeune
et toxique, effacer cette misérable partie
du monde de la surface de la terre. Oui, ils
avaient raison…*
(Extrait: LE RITUEL)

LE RITUEL, c’est 400 pages de cauchemar et d’horreur pour lecteurs avisés. Le sujet est pourtant courant, quatre copains : Hutch, Phil, Dom et Luke décident de partir à l’aventure dans la forêt scandinave. Dès qu’ils pénètrent dans la forêt, rien ne va plus, ils tournent en rond. La situation se complique du fait que Phil et Dom accusent une importante surcharge pondérale et finissent par se blesser, retardant dangereusement le groupe.

Puis, lors d’une tentative de sortir de cette inquiétante forêt, les copains découvrent un cadavre d’animal éviscéré suspendu à un arbre. La suite est une série d’épisodes cauchemardesques et de noirceur :

*Une terreur devant laquelle l’esprit ne peut qu’admettre sa défaite, se réfugiant dans des rêvasseries imbéciles. Puis, ils l’entendirent de nouveau, sur leur gauche. Tellement proche : le même mugissement…* (extrait) Angoisse et horreur sont omniprésentes avec une toile de fond à caractère surnaturelle.

Le scénario m’a rappelé à plusieurs égards le deuxième volet de la série  PROJET BLAIR : LE LIVRE DES OMBRES. Ceux et celles qui l’ont vu se rappelleront qu’il a été tourné sur les lieux même du tournage de Projet Blair. On sait que l’histoire repose sur l’hystérie collective inconsciente des jeunes qui ont été poussés à faire un carnage indescriptible.

Maintenant, rappelez-vous l’ambiance du film, l’atmosphère pesante, les lourds silences alternant avec des bruits mystérieux amplifiés en plus des bruits de la forêt que la noirceur rend inquiétants. Dans LE RITUEL, vous avez la même atmosphère. Dans l’ensemble, c’est quand même ce que j’appellerais du réchauffé.

Le succès de ce livre repose en grande partie sur le non-dit…la plume s’en remet à l’esprit du lecteur. Malheureusement mon enthousiasme s’arrête là. J’ai bien peur de vous décevoir car ce livre comporte une grande faiblesse.

Un irritant m’a fait tomber de haut. Au milieu du récit, il y a un changement brusque dans le rythme, le décor…un virage qui amène le lecteur dans la partie disons surnaturelle du récit. On passe de l’angoisse et la peur de la première partie à la folie pure dans le second volet.

Changement drastique dérangeant pour le lecteur d’autant que la crédibilité n’y est plus. C’est n’importe quoi. Le livre passe ainsi dans la série B. On dirait que cette partie a été écrite par un autre auteur plus versé dans les scénarios pour jeunes ados.

C’est dommage. J’ai été quand même ébranlé par la première moitié à cause de l’atmosphère qui s’en dégage, une espèce d’éther malsain, le tout rendu par une plume habile qui provoque l’addiction…j’ai malheureusement déchanté au beau milieu du récit. La magie s’est perdue et j’ai commencé à trouver le temps long à cause du caractère abusif des descriptions, des redondances et d’une finale décevante.

J’ai l’impression d’avoir lu deux livres. Un bon et un beaucoup moins bon. Pas de cohérence. Est-ce que j’irais jusqu’à vous recommander un livre à cause de sa première partie. Moi je trouve ça tentant. Vous pourriez peut-être trouver quelque chose qui m’échappe. Personnellement je ne déteste pas ce genre de challenge. Une chose est sûre, c’est glauque d’un bout à l’autre…

Suggestion de lecture : H+ 1, TRANSMUTATION, de Célia Ibanez

Adam Nevill est né en 1969 à Birmingham en Angleterre. Il s’est spécialisé dans la littérature d’horreur. Son livre APPARTEMENT 16 a connu un succès fulgurant dès sa publication en 2011. DERNIERS JOURS publié en 2014 a décroché le prix BRITHISH FANTASY du meilleur roman d’horreur en 2013 (Pour l’édition anglaise publiée en 2012). LE RITUEL a gagné le même prix en 2012. Pour en savoir plus, visitez www.adamlgnevill.com

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
Le samedi 6 juin 2020