LETTRES DE MON MOULIN d’ALPHONSE DAUDET, recueil

C’est la troisième messe qui commence. Il n’y a plus que quelques pas à faire pour arriver à la salle à manger ; mais, hélas ! À mesure que le réveillon approche, l’infortuné Balaguère se sent pris d’une folie d’impatience et de gourmandise. Sa vision s’accentue, les carpes dorées, les dindes rôties sont là, là… Il les touche… il les… Oh ! Dieu !… Les plats fument, les vins embaument… (Extrait : LES TROIS MESSES BASSES, publié d’abord dans LES CONTES DU LUNDI en 1875, puis inclus dans LES LETTRES DE MON MOULIN en 1878, conte de Noël sous le thème de la gourmandise, réédition, 1986, Hachette)

LES LETTRES DE MON MOULIN s’ouvrent sur les images d’une province française pittoresque au charme légendaire. Sans égard à la chronologie ou à quel qu’ordre que ce soit, Alphonse Daudet développe dans ses lettres des thèmes sans âge, mais chers à sa Provence : la valeur de la liberté, les joies et les peines de l’amour, la dignité, la paix, la famille…

Quant aux formes littéraires qu’on retrouve dans les lettres, je dirais qu’elles sont disparates : lettres, récits, légendes,  nouvelles et bien sûr le conte. Les lettres de Daudet sont un mélange de réalisme et d’imagination.

Bien sûr, comme bien des *boomers*, j’ai fait connaissance avec LES LETTRES DE MON MOULIN à l’école. LA CHÈVRE DE MONSIEUR SÉGIN était une des lettres de prédilection ainsi que LA MULE DU PAPE et quelques autres. Comme les autres lettres m’intriguaient, j’ai lu l’ensemble de l’œuvre.

D’abord, je précise que ces lettres n’ont pas de liens entre elles et avant d’être rassemblées dans un recueil, elles avaient déjà été publiées dans des journaux de l’époque. Sans le considérer comme un chef d’œuvre, je dirais que c’est un bon recueil, rafraîchissant et qui se lit bien. Si vous en entreprenez la lecture, vous dégagerez sûrement des textes qui vous plaisent beaucoup, d’autres moins, certains pas du tout. Ce qui a été mon cas.

J’ai définitivement un faible pour LA CHÈVRE DE MONSIEUR SÉGUIN (qui me rappelle tellement de beaux souvenirs), LA MULE DU PAPE et LE SECRET DE MAÎTRE CORNILLE qui m’avait beaucoup ému.

LES LETTRES DE MON MOULIN demeure un très beau classique de la littérature française…un véhicule de sagesse et d’émerveillement avec, toujours comme toile de fond, les paysages bucoliques de la Provence. Pour prendre un exemple précis, j’ai choisi de vous parler de LA MULE DU PAPE.

Le jeune Tistet Védène, fils du sculpteur d’or, entre dans la maîtrise du pape. Il est chargé de s’occuper de la mule de ce dernier mais il la maltraite. L’animal lui en veut et rumine sa vengeance. Tistet est ensuite envoyé auprès de la reine Jeanne à Naples en tant que diplomate. La mule doit donc remettre à plus tard son châtiment. Après sept ans, Tistet revient pour être moutardier du pape. Lors de la cérémonie, la mule trouve enfin le moment pour exercer sa vengeance en décochant à son ancien bourreau un coup de sabot mortel. Le récit est illustré avec les tableaux de Vittore Carpaccio.

Peintre italien né à Venise autour de 1460 et mort approximativement vers 1525. Si l’on admet l’hypothèse de T. Pignatti (1958) concernant sa naissance, Vittore, fils de Piero Scarpazza, marchand de peaux, préféra changer son nom en celui de Carpaccio. Carpaccio détient une place éminente et originale dans l’histoire de la peinture vénitienne du XVe siècle. 

LES ODEURS DE LA PROVENCE
*Une fois au service du pape, le drôle continua
le jeu qui lui avait si bien réussi. Insolent avec
tout le monde, il n’avait d’attentions ni de
prévenances que pour la mule…*
(Extrait : LA MULE DU PAPE)

Il est difficile de déterminer la forme littéraire de LA MULE DU PAPE mais comme il s’agit d’un récit ayant une légère connotation fantastique tout en jetant un regard sur le réel, je dirai que c’est un conte. C’est un récit original avec un petit quelque chose de comique : un Pape témoignant une affection presque démesurée pour sa monture, une mule. Le récit vient nous rappeler qu’il n’y a pas que les éléphants qui ont de la mémoire.

Un petit conte drôle et sympathique, agrémenté pour cette édition de tableaux thématiques de l’artiste-peintre Vittore Carpaccio. L’histoire se situe au XIVe siècle, au temps où les papes habitaient en Avignon…*fifres et tambourins se postaient sur le pont d’Avignon, au vent frais du Rhône et jour et nuit l’on y dansait, l’on y dansait…* (Extrait : LA MULE DU PAPE)

Alphonse Daudet (1840-1897) est un écrivain et auteur dramatique français. Il est né à Nîmes et a passé toute son enfance en Provence avant de s’installer à Paris pour se lancer dans sa carrière littéraire. Sa Provence bien-aimée l’inspirera pour de nombreux récits sur la campagne provençale et ses légendes, ainsi que les personnages qui ont fait son histoire.

Ses premiers romans (LES AMOUREUSES 1859, LES LETTRES DE MON MOULIN 1865) ont connu un succès tel qu’il peut vivre de sa plume tout en travaillant pour des journaux. Daudet a bien publié des romans comme LE NABAB (1877), LES ROIS EN EXIL (1879) et L’IMMORTEL (1888)

Mais ce sont surtout ses nouvelles et ses contes qui l’ont rendu célèbre dans le monde entier, en particulier LES CONTES DU LUNDI et LES LETTRES DE MON MOULIN. Dans ce dernier recueil on trouve une des histoires les plus populaires de la littérature : LA CHÈVRE DE MONSIEUR SÉGUIN.

J’ai eu beaucoup de plaisir à renouer avec les LETTRES DE MON MOULIN. Je vous invite à les découvrir ou les redécouvrir. Pour parcourir les titres du recueil, cliquez ici.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
LE DIMANCHE 28 JANVIER 2018

CRIMES À LA LIBRAIRIE, collectif de nouvelles

*L’heure est venue. Discrètement, il prend un verre de vin rouge et y laisse tomber
quelques gouttes de funeste poison. Un convive le regarde d’un air réprobateur
mais poli. -C’est pour ma pression artérielle…
(Extrait : UN CADAVRE AU CRÉPUSCULE de Robert Soulières, du recueil CRIMES À LA LIBRAIRIE, Éditions Druide, 2014, 734 pages)

CRIMES À LA LIBRAIRIE est un recueil de seize nouvelles écrites par des auteurs québécois sous un thème unique. La meilleure façon de décrire cet ouvrage est encore de citer le réalisateur du projet Richard Migneault: *Je vous invite donc…à rencontrer ces seize écrivains de chez nous pour nous amener ailleurs au cœur même de leur imaginaire. Pour stimuler leur créativité et votre curiosité, je leur ai donné un devoir pas très facile à réaliser…faire de la librairie une véritable scène de crime, transformant du coup chaque livre qui s’y trouve en témoin de l’énigme, du suspense, de l’insoutenable* 

Cette anthologie regroupe autant d’auteurs de renoms que ceux les plus prometteurs de la relève. La crème de la littérature québécoise y est. Polars, récits noirs et frissons au programme.

LES NOUVELLES :
-PUBLIC CIBLE de Patrick Sénécal
-LE LIBRAIRE ET L’ENFANT de Martine Latulippe
-UNE LONGUE VIE TRANQUILLE de Martin Michaud
-LE PSAUME DU PSOQUE de Benoît Bouthillette
-DES HEURES À LA LIBRAIRIE de Chrystine Brouillet
-UN CADAVRE AU CRÉPUSCULE de Robert Soulières
-L’HOMME QUI DÉTESTAIT LES LIVRES de Sylvain Meunier
-PERINDE AC CADAVER d’André Jacques
-JUNGLE JUNGLE de Jacques Coté
-DERNIER CHAPITRE AU BOOKPALACE de Florence Menay
-MON COMBAT de Mario Bolduc
-233°C de Johanne Seymour
-ROUGE TRANCHANT de Camille Bouchard
-LE PALMARÈS de Richard Ste-Marie
-DEMI-DEUIL d’Arianne Gélinas
-RARES SONT LES HOMMES de Geneviève Lefebvre

La mort entre les livres
*-Oui je vais signer.
-Bon là tu parles. Good man!
Robinson griffonna deux mots
«fuck off»

et remit la feuille à Bennet. En
voyant l’affront de ce jeune
insolent, il devint rouge de colère.
(Extrait de JUNGLE JUNGLE de Jacques
Côté, du recueil CRIMES À LA LIBRAIRIE)

CRIMES À LA LIBRAIRIE est le fruit d’une très intéressante expérience dirigée par Richard Migneault qui a réuni 16 auteurs québécois autour d’un thème bien précis : un crime dans une librairie, sujet original s’il en est car avec son atmosphère tamisée, son calme bucolique et l’attraction qu’elle exerce sur les esprits en quête de mots et d’histoires, la librairie est un endroit qui ne se prête pas beaucoup au meurtre.

Ce thème est une trouvaille qui a mis en lumière tout le talent des auteurs sélectionnés et bien sûr la puissance de leur plume. L’objectif de l’expérience est simple : faire connaître l’univers du polar québécois et le résultat a donné une remarquable anthologie qui m’a accroché car elle m’a permis de faire des découvertes très intéressantes.

Bien sûr j’y ai retrouvé des auteurs avec lesquels j’étais déjà familier comme Patrick Sénécal, Robert Soulières, Christine Brouillet et Martin Michaud, mais j’ai aussi découvert des auteurs qui m’ont surpris et mon donné le goût d’explorer davantage leur œuvre et leur style comme par exemple Geneviève Lefèbvre dont la nouvelle RARES SONT LES HOMMES est particulièrement oppressante.

En ce qui me concerne, la qualité des textes va de très bonne à excellente. Les textes varient beaucoup en intensité, en recherche et en originalité. Comme dans tous les recueils, il y a des bonnes nouvelles, il y en a de moins bonnes. Je ne prétends pas vous dire quelles sont les meilleures mais j’ai particulièrement accroché sur la nouvelle de Martine Latulippe LE LIBRAIRE ET L’ENFANT.

Développer une histoire de meurtre dans une librairie demandant déjà beaucoup d’imagination, y impliquer un enfant rend encore plus complexe le défi littéraire sur le plan contextuel…un défi bien relevé par L’auteure qui se spécialise dans la littérature pour enfants. C’est ce qu’on pourrait appeler une double-vie littéraire.

J’ai aussi beaucoup apprécié la nouvelle d’Ariane Gélinas DEMI-DEUIL, un récit basé sur le parfum de la libraire, qui exhale jusqu’à rendre fou. Cette nouvelle n’est pas sans me rappeler l’œuvre célèbre de l’écrivain allemand Patrick Süskind LE PARFUM dont j’ai déjà parlé sur ce site. Comme je l’ai déjà précisé, décrire une odeur avec justesse et émotion est déjà un énorme défi.

Suggestion de lecture : 17 NOUVELLES ENQUÊTES DE SHERLOCK HOLMES, recueil d’Arthur Conan Doyle


Martine Latulippe à gauche et Ariane Gélinas

Je crois que grâce à l’initiative de Richard Migneault, la littérature québécoise s’est enrichie d’un fleuron qui place le polar québécois au rang de littérature de haut niveau. Il serait intéressant de répéter l’expérience avec des auteurs québécois en émergence. Les résultats pourraient être fort intéressants.

Directeur d’école à la retraite, Richard Migneault est un défenseur de la littérature québécoise. Animateur du blogue POLAR, NOIR ET BLANC et coordonnateur des Prix TENEBRIS des PRINTEMPS MEURTRIERS DE KNOWLTON, il s’est donné pour mission de faire connaître les auteurs québécois de polar en Amérique et en Europe. Il intensifie sa mission en réunissant 16 écrivains québécois autour d’un même thème, ce qui nous a donné l’excellent recueil CRIMES À LA LIBRAIRIE.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
JANVIER 2016

LES CONTES DU WHISKY, recueil de JEAN RAY

*…deux mains énormes, froides, dures comme
l’acier. Dans un silence immense, sans cri, sans
haine, avec une méthode et une sûreté de
machine, elles serraient mon cou.*
(extrait de LES CONTES DU WHISKY, LA NUIT DE
CAMBERWELL, Jean Ray, Nouvelles Éditions Oswald,
1ère édition : 1925, 134 pages, éd. Num.)

LES CONTES DU WHISKY est le premier livre de Jean Ray paru en 1925 et rééditée plusieurs fois par la suite. C’est un recueil d’histoires noires,  diaboliques, contes d’horreur, de crimes crapuleux. Ces brèves nouvelles sont inspirées du quotidien inquiétant des coins obscurs de Londres : les ports, les docks brumeux, tavernes malfamées, ruelles sombres, le tout dans une atmosphère de malfaisance, de crimes et de déchéance sociale aux limites du surnaturel. Le narrateur est plus souvent qu’autrement ivre, le whisky étant omniprésent dans les récits. 

Vapeurs éthyliques et mort
*Non mon maître. Il était au milieu des siens,
quand il s’est levé subitement en criant :
C’EST L’HEURE! Puis il partit d’un grand
éclat de rire et il est tombé mort…il était
minuit 20.
(MINUIT 20, extrait de LES CONTES DU WHISKY)

Je dois dire que j’ai passé un bon moment avec ce livre qui est présenté en deux parties : LES CONTES DU WHISKY et QUELQUES HISTOIRES DANS LE BROUILLARD. Les nouvelles sont très courtes et se déroulent dans les coins les plus sombres et les plus mystérieux de Londres ou dans le légendaire brouillard ouaté qui recouvre si souvent cette ville.

Bien sûr, les récits sont empreints de mystère, de fantastique. Le tout semble vouloir atteindre presque le surnaturel un peu à la manière d’Edgar Allen Poe. Toutefois, ce qui m’a le plus fasciné dans ce recueil, c’est l’humour particulier qu’on y retrouve…un humour édulcoré, tamisé, un peu noir et sans aucun doute rehaussé par une impressionnante adulation du divin whisky… :

*Il y a des morts galants; souvent même leurs amours portent fruit…Ce sont des mort-nés, cela va sans dire. Jusqu’ici, on s’est fort peu occupé de leur éducation. (extrait LES CONTES DU WHISKY,  MON AMI LE MORT)…C’est bon…fameux…Parmi les choses que je regretterai, il y aura le whisky…je suis trempé…Quelle horreur…un peu de whisky pour me donner du cœur…(extrait LES CONTES DU WHISKY, LA DERNIÈRE GORGÉE)

Ce qui est très spécial aussi dans ces récits, c’est que pour plusieurs d’entre eux, le narrateur est ivre, solidement imbibé de whisky, ce qui favorise le vagabondage de l’esprit du lecteur. On peut de cette façon, relire autant de fois qu’on veut un récit et lui trouver autant d’interprétations.

LES CONTES DU WHISKY est le premier livre de Jean Ray. Sa façon directe et ironique de décrire un univers mystérieux et féroce, un peu onirique, voire surnaturel lui a valu un départ fulgurant dans sa carrière littéraire. Je recommande la lecture de ce livre. Les récits sont très brefs et décrivent un monde de déchéance avec un style particulier où l’horreur, le fantastique et un humour imagé se chevauchent. Je crois que vous passerez un bon moment.

…juste en parler m’a donné une de ces soifs…

Suggestion de lecture : DOUZE CONTES VAGABONDS, de Gabriel Garcia Marquez

Raymond Jean-Marie de Kremer (1887-1964) est un écrivain belge. Jean Ray est le pseudonyme qu’il s’est choisi pour écrire en français. LES CONTES DU WHISKY furent le point de départ d’une carrière fascinante : plus d’une centaine d’aventures d’ Harry Dickson, très populaire dans les années 30 et MALPERTUIS, son premier roman fantastique publié en 1943, œuvre majeure adaptée à l’écran par Ham Kümel. Je cite aussi LES CONTES NOIRS DU GOLF,  et LA GRANDE FROUSSE adapté à l’écran par Jean-Pierre Mocky. Ray a aussi écrit plusieurs livres en néerlandais sous le pseudonyme John Flanders.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
JUIN 2015

LE COQ DE BRUYÈRE, livre de MICHEL TOURNIER

*Car il est vrai qu’un ineffable secret l’unissait à vendredi, et ce secret, c’était une certaine petite tache verte qu’il avait fait ajouter dès son retour par un cartographe du port sur le bleu océan des Caraïbes…* (extrait de LE COQ DE BRUYÈRES, LA FIN DE
ROBINSON CRUSOÉ,  Michel Tournier, Éditions Gallimard, 1978, num. 214 pages)

LE COQ DE BRUYÈRE est un recueil de contes et nouvelles comprenant 14 récits aux formes variées. L’œuvre passe en revue quelques grands mythes (le Père Noël par exemple) en provoquant chez le lecteur différentes émotions contradictoires telles le bonheur et la tristesse, le rire et les larmes, la certitude et le scepticisme…Dans tous les récits, spécialement les plus tragiques, l’auteur fait intervenir l’humour…c’est ainsi qu’on découvre une nouvelle vertu étrange au citron, que l’ogre du Petit Poucet serait un hippie et même que le Père Noël aurait donné le sein à l’Enfant Jésus. Le titre d’un de ces récits est devenu celui du recueil : LE COQ DE BRUYÈRE.

Iconoclaste et séduisant…
*En tout cas, c’est défendu de manger
pendant la classe. Tu me copieras
cinquante fois ‘je mange des citrons
en classe’*
(extrait LA JEUNE FILLE ET LA MORT,
LE COQ DE BRUYÈRE)

LE COQ DE BRUYÈRE est un intéressant recueil de contes et de nouvelles, chaleureux et attendrissant qui attire le lecteur dans ses pages en faisant appel à un mélange d’émotions mises en valeur par un humour léger. Les récits sont quelque peu disparates.

Quelques-uns m’ont déçu, plusieurs m’ont accroché, spécialement ceux qui semblent allier les merveilles des contes classiques aux récits plus récents, de même tendance, mais qui se sont adaptés à la modernité comme LA FUGUE DU PETIT POUCET par exemple où l’auteur concède à l’ogre une nature de hippie qui évoque la recherche constante et inconditionnelle de la liberté.

LA FUGUE DU PETIT POUCET est un exemple de récit iconoclaste comme LA FIN DE ROBINSON CRUSOÉ ou LA MÈRE NOËL. Michel Tournier est un peu vandale dans son genre. À la lecture de ses récits, j’ai développé l’impression d’une tentative de sa part de redéfinir les mythes, de tirer un trait sur l’histoire et de se tourner vers l’avenir.

J’ai senti une dualité entre le concepteur et le philosophe et une merveilleuse capacité de balloter le lecteur de la tristesse à la joie, de la fragilité de l’esprit au courage et à l’abnégation.

Dans le COQ DE BRUYÈRE il y a des rebondissements, de l’inattendu, de l’originalité, de la recherche. J’ai été particulièrement surpris par LES SUAIRES DE VÉRONIQUE. Dans ce récit, Véronique est photographe et chaque photo qu’elle prend enlève une parcelle de vie à son modèle :

*…vous m’avez aussi beaucoup pris. Vingt-deux mille deux cents trente-neuf fois quelque chose de moi m’a été arraché pour entrer dans le piège à images, votre –petite boîte de nuit-…

Vous m’avez plumé comme une poule, épilé comme un lapin angora. J’ai maigri, durci, séché non sous l’effet d’un quelconque régime alimentaire,  mais sous celui de ces prélèvements effectués chaque jour sur ma substance…*(extrait LES SUAIRES DE VÉRONIQUES, LE COQ DE BRUYÈRE).

Bref, Véronique tue avec son appareil photo…un simple appareil photo qui a la particularité de *siphonner* la force vitale.

La plupart des récits sont venus me chercher mais LES SUAIRES DE VÉRONIQUE est sans doute celui qui m’a le plus surpris.

Avec la séduction de l’humour tendre, les récits sont porteurs de sagesse et d’une intéressante réflexion sur le sens de la vie et de la mort, le refus de grandir (thème développé avec brio dans le récit TUPIK où un jeune garçon projette de couper son pénis pour éviter de devenir un homme) et ça va plus loin avec des observations parfois saisissantes sur la nature humaine.

C’est tout Tournier…divertir et faire réfléchir. Ça m’a plu.

Suggestion de lecture : NOUVELLES NOIRES, de Renaud Benoit

Michel Tournier (1924-  ) est un écrivain français né à Paris. Dès 1941, il développe un intérêt pour la philosophie. Malgré un échec au concours de l’agrégation, il gagne sa vie comme traducteur et rédacteur publicitaire, animateur et concepteur à la radio avant de joindre l’équipe du fameux éditeur PLON en 1959.

Il publie son premier roman en 1967 VENDREDI OU LES LIMBES DU PACIFIQUE, grand prix de l’Académie française. Avec ce chef d’œuvre et LE ROI DES AULNES, prix Goncourt en 1970, Tournier s’est par la suite entièrement voué à une brillante carrière littéraire tout en siégeant à l’Académie Goncourt.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
MAI 2015

L’ARBRE DES POSSIBLES, BERNARD WERBER

ET AUTRES HISTOIRES

Oui, vous allez rencontrer des gens du passé.
Ne leur apprenez pas de techniques modernes.
Ne les informez pas sur l’avenir. N’oubliez jamais
Que vous êtes un touriste temporel. En cas de
Problème, rentrez immédiatement…
(extrait de L’ARBRE DES POSSIBLES ET AUTRES
HISTOIRES de
Bernard Werber, Albin Michel, 2002) 

L’ARBRE DES POSSIBLES ET AUTRES HISTOIRES est un recueil de nouvelles de Bernard Werber qui propose des futurs possibles de l’humanité en passant par différentes émotions : des futurs joyeux ou sombres, optimistes ou pessimistes, abondance ou pénurie, vide ou plénitude.

L’arbre des possibles est aussi un projet initié par Werber qui invite les internautes à imaginer des Futurs possible par le biais de son site Internet interactif. (voir lien à la fin de l’article.)

L’auteur nous livre donc une vingtaine de récits dans lesquels il livre, sous forme  d’histoires fantastiques, contes et légendes, sa vision des futurs possibles de l’humanité, imaginables ou inimaginables.

Avec L’ARBRE DES POSSIBLES, Werber m’a tout simplement subjugué. J’ai été Captif de ce livre que j’ai lu au complet pratiquement sans interruption. Vous l’avez compris, l’auteur explore des futurs possibles de l’humanité. Certains sont plausibles, plusieurs sont issus d’une imagination *chauffée au rouge*.

Ce qui m’a ravi en particulier, c’est que l’auteur est parti de situations ou d’idées très simples pour les pousser jusqu’à l’absurde et c’est là que le lecteur est entraîné non seulement dans une profonde réflexion mais dans un goût irrésistible d’imaginer lui-même ses propres *futurs possibles*.

Par exemple, Werber parle dans un de ses récits, d’une cuisine moderne, fonctionnelle et bien équipée. Imaginez maintenant un *futur possible* où votre cuisine sera entièrement informatisée, mécanisée et robotisée…allant jusqu’à vous permettre de dialoguer avec votre grille-pain ou jaser avec un couteau et une fourchette…autre exemple…un inspecteur de police qui fait témoigner un arbre qui aurait été témoin d’un meurtre.

…original, divertissant, imaginatif, et même, porteur d’avenir…à lire absolument. Les nouvelles sont brèves, le livre se lit vite…pas de longueurs ni de profondeur inutile.

En terminant, l’image ci-haut est une capture d’écran du site interactif L’ARBRE DES POSSIBLES avec une carte interactive des futurs, projet initié par Bernard Werber et par lequel vous pouvez enrichir une magnifique collection de scénarios proposés par des internautes du monde sur les futurs possibles. C’est un site génial magnifiquement conçu. Voici le lien :

http://www.arbredespossibles.com/

Suggestion de lecture : L’HISTOIRE DU QUÉBEC EN 30 SECONDES, de Sabrina Moisan et Jean-Pierre Charland.

Bonne lecture et Bonne recherche

JAILU/Claude Lambert
NOVEMBRE 2013