RENCONTRE DU TROISIÈME TYPE, Steven Spielberg

*Ce qu’ils virent les laissa muets, assommés de stupeur.
Cela les dépassait, bouleversait toutes les idées qu’ils
avaient pu se faire. C’était trop. Trop pour des mots.
-Seigneur! Parvint enfin à murmurer Roy, la gorge serrée.
-Mon Dieu!  Oh mon Dieu! Dit Jillian. Incapables d’en
dire plus, ils s’abimèrent dans leur contemplation…*
(Extrait de RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE, Steven Spielberg,
t.f. Ed. P. Belfond. 1978, 205 pages. Or.  Columbia pictures)

RENCONTRE DU TROISIÈME TYPE. PHOTO DU LIVRE ET AFFICHE DU FILM

du grand Spielberg

Une équipe de savants venus du monde entier et dirigée par un français, le professeur Claude Lacombe établissent un lien formel entre des évènements pour le moins troublants qui viennent perturber le quotidien de la planète : des passages d’ovnis signalés par des Tours de contrôle par exemple, ou la découverte d’un navire échoué sur un plateau désertique tibétain.

Parallèlement à ces évènements, un jeune garçon est enlevé par une force mystérieuse et aux quatre coins du monde, des femmes et des hommes tombent sous l’emprise d’une mélodie et tous sont obsédés par une mystérieuse montagne. Parmi eux, Roy Neary qui connaîtra le fin mot de l’histoire, car, le professeur Lacombe est catégorique là-dessus, une rencontre du troisième type se prépare…

Une histoire qui ne vieillit pas

*Cinquante points lumineux jaillirent du nuage
et se rapprochèrent à une vitesse fulgurante*
(extrait RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE)

Je dirai d’entrée de jeu que le livre, c’est le film. On ne peut pas parler de l’un sans parler de l’autre. Les deux sont intimement liés. Une fois scénarisé, le livre écrit par Steven Spielberg est devenu le film réalisé par Steven Spielberg qui lui est devenu une des plus grandes réussites de l’industrie cinématographique américaine…un film culte.

Si vous avez vu le film, le livre pourrait vous sembler monotone et ennuyeux. Vous aurez l’impression de lire un script. Si vous lisez le livre sans avoir vu le film, vous douterez peut-être du talent de Spielberg comme écrivain car bien que le lecteur puisse se sentir aspiré par un crescendo de crainte et d’émerveillement en alternance, l’écriture est d’une naïveté parfois désarmante. Morale de l’histoire…voyez le film.

Cela dit l’histoire a quelque chose de mélodieusement onirique. Spielberg arrive à nous faire espérer que si on avait à être visité par des extra-terrestres ça serait comme dans le scénario de RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE…la longue préparation à une rencontre avec de sympathiques créatures frêles au sourire réservé et attachant venus nous saluer comme de bons voisins à bord d’un magnifique vaisseau à côté duquel notre technologie semble à l’âge de pierre.

Dans les faits, je considère que Spielberg a eu le génie de créer, pour son histoire, des extra-terrestres amicaux, sympathiques, attachants et sans malice tout en les entourant d’une aura nébuleuse et mystérieuse (et même qu’il récidivera en 1982 avec E.T. l’Extra-terrestre. Il y aura aussi quelques essais un tantinet timides comme Abyss ou encore Cocoon du réalisateur Ron Howard)

Ainsi, Spielberg allait à contre-courant de ce que nous ont pratiquement toujours offert le cinéma et la télévision : de vilains extra-terrestres hideux, méchants, destructeurs et tueurs et les exemples ne manquent pas : Alien, Independance day, la guerre des mondes, Mars attaque, *V*, les envahisseurs, Predator, La Chose et j’en passe.

Donc l’idée de Spielberg était d’exploiter l’émerveillement plutôt que la terreur, ce qui a donné une petite merveille qui a révolutionné la science-fiction autant en littérature qu’au cinéma.

Bien sûr, comme des millions de personnes, j’ai vu le film et comme des millions de personnes, j’ai été enchanté. J’ai voulu lire le livre surtout pour voir s’il ne m’apporterait pas quelque chose de plus.

Tel ne fût pas le cas, quoique j’aie quand même pu laisser mon imagination vagabonder agréablement en pensant aux différentes séquences de la finale. Je pense par exemple à cette scène où on voit tous ces gens réunis dans la montagne (…la fameuse montagne qui faisait l’obsession de Roy Neary et de tant d’autres), tous ces savants béats devant le vaisseau colossal qui se tenait devant eux sans toucher le sol…

…ou encore cette scène pendant laquelle Neary est entraîné dans le vaisseau par les petites créatures ou encore cette scène superbe ou le prof Lacombe montre à un extra-terrestre un signe d’amitié en guise d’adieu.

Juste pour la finale et le plaisir d’imaginer, je pourrais vous recommander le livre, mais il y a mieux…voyez le film…ça vaut le coup.

Suggestion de lecture : LA 5e VAGUE, de Rick Yancey

Steven Spielberg est un réalisateur et producteur américain né à Cincinnati en 1946. C’est un des scénaristes et metteurs en scène les plus prolifique de toute l’histoire de l’industrie cinématographique. En parler ici serait beaucoup trop long même pour un simple résumé car sa carrière couvre près d’une trentaine de succès historiques à partir de DUEL, le déclencheur de sa carrière sorti en 1971 jusqu’à LINCOLN sorti en 2012 en passant par LES DENTS DE LA MER, LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE, E.T. L’EXTRA TERRESTRE, JURASSIC PARK, IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN et j’en passe.

Ça continue évidemment. Plusieurs livres et essais ont été publiés sur l’homme et sa carrière. Ici, je vous recommande STEVEN SPIELBERG, UNE RÉTROSPECTIVE de Richard Shickel publié aux Éditions de La Martinière. Véritable coup de coeur, ce livre, rempli d’illustrations, passe en revue les exploits légendaires de Spielberg. C’est un livre-rétrospective qui rend hommage à 40 années d’excellence dans l’univers du septième art. En ce qui concerne l’aspect biographique, je vous invite à visiter le site internet http://www.drjones.fr/biographie.php

BONNE LECTURE
JAILU
SEPTEMBRE 2015

 

L’ANGE, le livre de MICHEL RIETSCH

*Les quelques dents qui pendaient encore aux
gencives furent éjectées par un ultime hoquet
de douleur…il était mort en catastrophe, trop
vite en tout cas pour que ses terreurs puissent
être convenablement créditées.*
(Extrait : L’ANGE, Michel Riestsch, Éditions Black-ebook,
octobre 2013, version num. 220 pages)

Dans les Vosges (France région Lorraine) un dangereux psychopathe, tueur en série, monstre sans pitié s’évade d’un hôpital où il était suivi par le docteur Sonnenfeld, un psychiatre au professionnalisme douteux. En liberté, Wilfried devient comme un fauve et s’adonne avec délectation à son activité préférée : tuer, massacrer. Parallèlement aux forces policières, Sonnenfeld décide de traquer sans relâche le tueur. Cette quête amènera le psychiatre aux sommets de l’horreur, aux limites de l’imaginable. C’est une traque contre la montre et le temps fait défaut.

Terrifiant. Rien de moins
*…la barre effectua un arc de cercle de golfeur
et arriva à toute vitesse en plein sur la
bouche qui éclata en une gerbe de sang.
Sous le choc, la tête heurta violemment le
mur arrière et l’homme perdit
connaissance.
Déjà dans les pommes? Petite nature va!
(Extrait : L’ANGE)

C’est un livre étrange, un récit noir, glauque, développé dans une écriture typique de Rietsch qui agrippe le lecteur sans lui laisser de répit ou très peu. Il est très difficile de résumer un tel livre, car dévoiler ne serait-ce qu’une bribe amènerait rapidement le lecteur à la conclusion.

Il faut le lire et se laisser aller dans ce récit aux développements imprévisibles, récit qui est aussi un voyage dans les méandres visqueux d’un esprit torturé qui ne tire jouissance que dans le meurtre et la torture autant physique que psychologique. Bref, l’esprit d’un monstre.

On ne peut pas vraiment résumer une telle descente dans l’horreur mais je peux mettre le lecteur sur le sentier en dévoilant, très partiellement, comment l’auteur dévoile la nature de Wilfried : *…car ses méfaits étaient soutenus et organisés par une intelligence structurée su service d’une perversité démoniaque.*

Ou plus habile encore : *Mais avant d’avoir été véritablement en contact avec la vie, … la beauté de la mort l’habitait déjà. Qu’y pouvait-il? C’est une des raisons qui l’avait décidé à opter pour une distraction un peu différente de l’idée qu’on s’en faisait habituellement : tuer. Un loisir qui en vaut un autre.* (Extraits)

Je pourrais aussi mettre le lecteur sur le sentier d’une compréhension partielle en disant que le titre du livre est justifié : *Les anges n’ont pas de sexe mais ils ont de l’imagination.* (Extrait) …il y a là une petite saveur de surnaturel, de fantastique et aussi de recherche sur le plan psychologique.

C’est un thriller efficace, une course contre la montre qui entraîne malgré lui le lecteur qui ne peut absolument pas imaginer la suite des évènements. L’intensité de l’écriture et le rythme parfois effréné bousculent le lecteur mais le *laisse difficilement s’échapper*.

Quant aux versions du livre : censurée et non censurée, préférant ne pas trop penser qu’on puisse me prendre pour une poire, je vous dirai que ça ne change pas grand-chose, car si vous avez l’âme sensible, je vous déconseille tout simplement la lecture de ce livre que ce soit en version censurée ou pas. Vous éviterez ainsi de tomber dans le petit piège d’une banale opération de marketing.

En conclusion, je suis bien conscient que je n’ai pas dévoilé grand-chose de l’intrigue, mais si vous êtes d’attaque et pas trop sensible, je vous recommande la lecture de ce livre qui n’est pas très long. Laissez-vous simplement guider par l’auteur dans une atmosphère opaque, bizarre, teintée d’un humour pour lequel je serais tenté d’utiliser les mêmes qualificatifs.

…un livre fort avec, au programme humour noir et mort blanche…

Suggestion de lecture : L’HEURE DE L’ANGE, d’Anne Rice

Michel Rietsch est un auteur français né à Strasbourg en Alsace (est de la France) en 1956. Dès son adolescence, il s’intéresse aux livres et aux auteurs susceptibles d’exacerber ses rêves de voyage et de liberté. C’est pendant cette période qu’il apprendra son métier de cuisinier. Par la suite il réalisera ses rêves de voyage qui l’amèneront d’aventure en aventure avant qu’il se réinstalle en Alsace, 17 ans plus tard, pour y exercer son métier de cuisinier et…pour écrire… dans différentes maisons d’édition.

Il a publié entre autres LA NOTATION, bien sûr L’ANGE en deux versions, censurée et non-censurée, parues chez Black-Ebook en 2013, je cite aussi DU SEL ET DES HOMMES qui relate la grande aventure qui a marqué l’histoire et l’économie de l’Alsace. Rietsch réside dans les Vosges en Lorraine.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
AOÛT 2015

LE VIDE, tomes 1 et 2, livre de PATRICK SÉNÉCAL

1-VIVRE AU MAX
2-FLAMBEAUX

*Les assassins tiraient sur Nadeau et les policiers,
mais Rivard ne mourait pas sur le coup : son
ventre explosait, son visage se faisait déchiqueter
par les balles, il continuait pourtant de hurler à
l’aide…*
(extrait de LE VIDE tome 1, VIVRE AU MAX, de Patrick
Sénécal,  éditions Alire, num. 2008, 313 pages.)

LE VIDE est le récit de l’entrecroisement du destin de trois personnages : Pierre Sauvé, veuf, la quarantaine, policier qui enquête sur un quadruple meurtre. Frédéric Ferland, divorcé, psychologue à Saint-Bruno. Maxime Lavoie, célibataire, très riche, animateur de la série de téléréalité très controversée VIVRE AU MAX.

Ces trois personnages ont un point en commun : ils cherchent un sens à leur vie, une excitation qui la rendrait digne qu’on se batte pour elle… ces trois personnages convergent vers un destin commun à l’issue dramatique. Le but, combler ce qui manque cruellement à leur existence : un vide…peu importe ce qu’il en coûtera…

Du Sénécal pure laine
*Les réunions sont organisées par un certain Charles
qui incite les gens présents à se suicider. Il dit que
plus rien ne vaut la peine, que tout est vain et
que le mieux est de mourir.*
(Extrait de LE VIDE, tome 2, Patrick Sénécal, éditions
ALIRE, 2008, éd. Num.)

Pour utiliser d’entrée de jeu un cliché, Sénécal reste Sénécal. Il a le don de garder ses lecteurs et lectrices en captivité. Un peu comme King, il entretient la curiosité, un irrésistible besoin de continuer à lire pour satisfaire une curiosité qu’il a lui-même suscitée.

Dans LE VIDE, on assiste à l’installation et l’évolution graduelle de la démence dans l’esprit torturé de Maxime Lavoie, pdg milliardaire. Au départ, l’esprit de Lavoie est noble, empathique, ses buts sont de nature philanthrope, mais suite à une cruelle désillusion, son esprit se corrompt, s’avilit. Le bel altruisme du début fait place à la haine, la cruauté, la misanthropie.

Très graduellement, Lavoie met au point un plan très complexe et totalement démoniaque et pour ce faire, il utilisera des outils dont il dispose abondamment : de l’argent, une émission de téléréalité d’une brûlante insipidité qu’il produit et réalise lui-même, ce qui lui permet de rejoindre des milliers d’esprits faibles et dépressifs. Le mélange est explosif et aboutira sur un inimaginable drame humain.

Première chose à souligner (comme l’ont fait tous les critiques), les chapitres du livre sont publiés dans le désordre…33, 5, 34, 35, 18, 7, etc. Bien que n’empêchant pas la compréhension du récit, cette fantaisie impose au lecteur des sauts temporels qui peuvent être irritants. Personnellement, j’ai lu les chapitres dans le désordre, n’ayant aucune envie de passer mon temps à feuilleter.

Le fil conducteur du récit est solide et comporte trois éléments qui m’ont littéralement forcé à garder le livre ouvert : 1) la mystérieuse et dramatique aventure de Lavoie en Gaspésie, mentionnée un peu partout dans le récit et dévoilée vers la fin. C’est là semble-t-il où tout a basculé pour Lavoie.

2) Gabriel : rescapé du drame gaspésien, énigmatique adolescent d’une douzaine d’années, mentalement perturbé, muet, apathique, omniprésent dans le récit, personnage-clé.

3) Et bien sûr, le vide…le vide existentiel, c’est-à-dire l’expression d’une existence sans réalité, sans valeur. (Larousse) Si le vide est un thème plutôt abstrait au départ, l’auteur dévoile à la petite cuillère toute son horrible réalité.

C’est un roman tordu mais bien ficelé au point d’agripper le lecteur. Les personnages sont froids, aucun attachement possible. L’écriture est descriptive, le langage cru et direct autant pour les scènes sanglantes que les scènes de sexe. D’ailleurs dès le début, l’auteur fait la description fort détaillée d’une orgie assez torride merci. Ce n’est pas une diversion. D’ailleurs, il n’y a aucune diversion dans ce roman.

On aime ou on aime pas. Moi j’ai aimé.  Pas de demi-mesure avec Sénécal. Le lecteur est forcément appelé à se demander ce qui se passe dans l’esprit de l’auteur et comment les choses peuvent dégénérer à ce point. C’est dur et intense…au risque de me répéter…du Sénécal pure laine.

Suggestion de lecture : du même auteur, FAIMS

Patrick Sénécal né en 1967, est un écrivain québécois spécialisé dans le roman *noir*. Il est aussi scénariste et réalisateur. Il publie son premier roman en 1994 : 5150 rue des Ormes, adapté au cinéma en 2009. Il est détenteur de plusieurs prix littéraires importants dont le prix Boréal du meilleur roman en 2001 (Aliss) et le prix Masterton en 2006 (Sur le seuil) en plus des distinctions dans les salons du livre. Il a aussi publié deux romans pour la jeunesse. LE VIDE, est son 7e roman, le plus médiatisé de son œuvre. Consultez l’article consacré à son livre CONTRE DIEU

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
JUIN 2015

LE DERNIER RESTAURANT AVANT LA FIN DU MONDE

H2G2, II

Commentaire sur le livre de
Douglas Adams

*Mesdames et messieurs…l’Univers tel que nous le
connaissons existe maintenant depuis cent soixante-
dix millions de milliards d’années et s’achèvera dans
un peu plus d’une demi-heure. Aussi, sans plus tarder,
bienvenue à tous et à chacun à Milliways, le dernier
restaurant avant la fin du monde!*
(extrait de LE DERNIER RESTAURANT AVANT LA FIN DU MONDE
H2G2, II, Douglas Adams, Folio sf,  t.f. : éditions denoël 1982
211 pages, éd. Num.)

Nous sommes dans un futur indéterminé.  La terre a été détruite pour permettre la construction d’une voie rapide intergalactique. Un petit groupe, (un astrostoppeur, un androïde instable, un président de galaxie et deux terriens rescapés de la destruction) vadrouille de galaxie en galaxie équipé d’un guide galactique en faisant des sauts temporels, ce qui les rapproche dangereusement de la fin de l’univers : le big crunch. C’est ainsi que notre équipe, le temps d’une dernière bouffe, aboutit chez Milliways, le dernier restaurant avant la fin du monde. Il s’agit du deuxième tome de la pentalogie H2G2. 

Adams ou le futur halluciné
*Dans la crypte, les vingt-quatre joggers se
dirigèrent vers vingt-quatre sarcophages
vides alignés contre le mur, les ouvrirent,
y pénétrèrent et tombèrent dans
vingt-quatre sommeils sans rêve…*

LE DERNIER RESTAURANT AVANT LA FIN DU MONDE est un récit extrêmement original qui comporte de multiples facettes : on y trouve un peu de psychologie, de la philosophie…l’écriture rappelle parfois l’essai, l’étude de mœurs…on trouve évidemment de la science-fiction et de l’humour…beaucoup d’humour lié à la spontanéité des dialogues…

*Les Jatravartidiens de Viltevolde VI croient pour leur part que tout l’univers fut en réalité violemment éternué de la narine d’un être qu’ils nomment le Grand Archtoumtec vert…*

*…un guide touristique…mieux vendu que la théorie du trou noir, un itinéraire personnel par Teraroplopla Eccentrica (la fameuse prostituée à trois seins d’Eroticon Six) et même plus controversé que le dernier titre à scandale du philosophe Ooland Colluphid : Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur le sexe tout en étant obligé de le trouver…*

*L’immeuble ne va pas tarder à atterrir. Pour sortir, ne prenez pas la porte…Sortez par la fenêtre…*

*Trin Tragula était un rêveur, un penseur, un spéculateur, un philosophe ou-comme se plaisait à le répéter son épouse-un idiot.* (extraits de LE DERNIER RESTAURANT AVANT LA FIN DU MONDE de Douglas Adams).

Voilà pour l’humour…je ne me suis pas ennuyé à la lecture de ce livre. Pour l’aspect science-fiction, il y a plein de trouvailles que je vous laisserai découvrir. Je dirai toutefois que la question n’est pas de savoir où se situe le dernier restaurant avant la fin du monde mais plutôt  QUAND il se situe. L’auteur développe la théorie selon laquelle si l’univers a un commencement : LE BIG BANG, il aura aussi une fin : LE BIG CRUSH.

Or une bulle temporelle permet à des privilégiés d’assister à la fin de l’Univers en mangeant tranquillement…puis de revenir en arrière par saut temporel pour s’éloigner de la fin et permettre à la vie de continuer tout aussi tranquillement. L’auteur s’amuse ici à amplifier l’absurdité et le comique loufoque des clichés liés aux voyages dans le temps. Ça donne des passages très drôles et parfois même tordus et des trouvailles pour le moins farfelues.

J’ai maintes fois remarqué, dans mes lectures, que la philosophie d’apparence bon marché ou teintée d’humour cache souvent des pensées profondes et même de grandes vérités. À travers l’humour qui confine parfois à la loufoquerie, le récit d’Adams porte en lui une réflexion sur l’humanité, ses mythes religieux, ses cultures et comme il est question de fin du monde, l’histoire met en perspective des questionnements sur le sens de la vie et les buts de l’existence.

C’est un livre intéressant, bien écrit et qui va droit au but, avec un regard objectif sur notre ouverture d’esprit quant au rôle que nous jouons dans cette vie. Une lecture divertissante, agréable et même enrichissante…

Suggestion de lecture : HISTOIRES À LIRE AVANT LA FIN DU MONDE, collectif, recueil de nouvelles.

Douglas Adams (1952-2001) était un écrivain natif du Royaume-Uni. Il s’est fait connaître au départ par sa collaboration avec les Monthy Python. Mais son heure de gloire arrive avec la diffusion de la célèbre série radio H2G2 sur BBC. Quatre ans plus tard en 1979, Adams publie le premier tome du cycle H2G2 le guide du voyageur galactique. Le cycle sera complété en 1992 et comprendra cinq volumes. H2G2 sera par la suite adapté au théâtre, en série télévisée, au cinéma et même en jeu vidéo. LE DERNIER RESTAURANT AVANT LA FIN DU MONDE est le deuxième tome de la série.

BONNE LECTURE
JAILU
MAI 2015

LE PETIT PSYCHOLOGUE ILLUSTRÉ, S. Rusinek

Les psychologues font en sorte que l’étude du comportement soit scientifique. Ils tentent d’établir des lois pour expliquer le fonctionnement psychique humain en s’intéressant à de nombreux domaines comme la mémoire, la perception, l’apprentissage, la lecture, l’intelligence, le développement, la communication, etc…

Je vous parle aujourd’hui du livre de Stéphane Rusinek LE PETIT PSYCHOLOGUE ILLUSTRÉ : un ouvrage de vulgarisation proposant plus d’une cinquantaine de petites expériences scientifiques à réaliser chez soi pour mieux comprendre la psychologie. Ces expériences sont présentées avec pédagogie et illustrées.  (LE PETIT PSYCHOLOGUE ILLUSTRÉ, Stéphane Rusinek, Éditions Dunod, hors-collection, 2009, 184 pages)

Je crois que ce petit extrait-préambule suffira à confirmer si ce genre d’ouvrage vous intéresse ou non. Car il ne s’agit que de cela : une suite d’expériences permettant d’observer les divers mécanismes de l’esprit humain.

Ces expériences, aussi simples qu’enrichissantes, définissent de véritables phénomènes largement admis en psychologie, tels que le priming, les chunks de Miller, l’effet Von Restorff, l’effet Treisman, etc etc etc… (Il y en a presqu’une soixantaine!).

Trois façons de lire ce livre :

1- Une simple lecture, sans note ni mise en pratique, permet au moins une meilleure compréhension du travail des psychologues, de leur utilité et de leurs objectifs.

2- Une lecture plus réfléchie, avec notes et quelques expériences, rendra le lecteur plus attentif, plus observateur devant le comportement des gens autour (et du sien également).

3- Le futur psychologue, qui voue une véritable passion au domaine, sans en être tout-à-fait initié, gagnera à prendre le temps d’effectuer chacune des expériences avec la collaboration de son entourage, tout en notant et en comparant les résultats.

Ces trois approches sont parfaitement valables. Le petit psychologue illustré est un petit ouvrage de psychologie élémentaire accessible, facile à lire, et grand public. Les livres de psycho sont malheureusement de qualité très inégale, dû à leur aspect commercial et bon marché.

Ici l’auteur manifeste une réelle volonté de « faire découvrir », sans embrouiller le lecteur en poussant les explications à l’extrême, et sans l’ennuyer avec des théories personnelles. Ce n’est peut-être pas particulièrement original ou innovateur, mais c’est certainement du bonbon pour les curieux.

Suggestion de lecture : 150 PETITES EXPÉRIENCES DE PSYCHOLOGIE DES MÉDIAS

Quelques extraits de mes notes de lecture personnelles

p. 13 Les chunks de Miller : Regroupement d’informations en mémoire à court terme afin d’y stocker plus d’éléments (ex : se souvenir de 42 50 87 24 12 66 au lieu de 4 2 5 0 8 7 2 4 1 2 6 6)

p. 24 Effet Von Restorff : Lorsqu’une info n’est pas congruente avec les autres, elle prend une place particulière en mémoire, elle s’y inscrit plus profondément.

Section illusion d’optique : Nous sommes abusés par nos interprétations car il est plus efficace d’avoir une vision rapide de la réalité,  même tronquée, plutôt qu’une vision exacte après une longue analyse des subtilités physiques.

p.100 : En lecture, le sens lexical prévaut sur le sens grammatical.

p.130 : Décrit la tendance que nous avons de nous imposer des contraintes dans la résolution de problèmes. Le fait même de proposer un problème amène à croire que c’est compliqué. C’est l’anticipation de la difficulté qui crée la difficulté.

——–

Bref LE PETIT PSYCHOLOGUE ILLUSTRÉ est un ouvrage accessible, distrayant et instructif, *à mettre entre toutes les mains*…

PHÉNIXGOGLU
(collaboration spéciale : jailu)
MARS 2015

ALLONS Z’ENFANTS, le livre d’YVES GIBEAU

*Mais Simon ne revint pas s’assoir à la table.
Réfugié dans sa chambre, et déshabillé,
couché maintenant, il méditait sa rancœur,
accumulait les projets de fuite, de suicide
même, soudain prêt à toutes les tentatives.*
(extrait de ALLONS Z’ENFANTS de Yves Gibeau,
Calman-Lévy, 1952, 357 pages, éd. Num.)

ALLON Z’ENFANTS est l’histoire de Simon Chalumot, 12 ans, que son père, un vétéran de la première guerre mondiale  à l’esprit peu ouvert envoie dans une école militaire pour devenir soldat au service de la patrie. Simon découvrira très vite la discipline brutale des sergents de l’école et la rigidité militaire qui sont  incompatibles avec sa nature. Il deviendra vite rebelle et insoumis et connaîtra les tentatives d’évasion et même de suicide. Cette vie insoutenable durera 10 années pendant lesquelles la bêtise et l’étroitesse  tenteront de *casser* le caractère de l’enfant dont le seul rêve en est un d’espoir et de liberté.

La descente aux enfers de Simon Chalumot

*…et l’élève Chalumot ne mérite aucune clémence,
aucun passe-droit. C’est l’exemple même de la
désobéissance, de l’anarchie, de la rébellion. Je
regrette, cher monsieur, d’avoir à vous dire de
telles vérités…*
(extrait de ALLONS Z’ENFANTS)

ALLONS Z’ENFANTS est l’histoire d’un ado français : Simon Chalumot envoyé de force dans les écoles militaires par son père, ajutant à la retraite…un père raté, incapable, étroit d’esprit et qui ne jure que par la discipline militaire…l’histoire d’une bonne nature d’enfant bousculée, insultée, brutalisée, maladroitement manipulée et considérée valable pour les poubelles de l’armée.

Ce qui m’a le plus frappé dans ce livre, c’est son caractère antimilitariste. En effet, ce n’est pas un livre qui pousse le lecteur à faire copain-copain avec l’armée et les traditions militaires. Gibeau y dénonce la vanité, la domination, la recherche du pouvoir, l’abus de pouvoir et une mentalité complètement déconnectée de la psychologie humaine en général et de celle des enfants en particulier. Les exemples sont nombreux…j’en citerai deux :

*Les militaires de carrière, Chalumot, ce sont tous des feignants, des nuisibles. Tu te vantes de ta retraite, du pognon que t’encaisse  tous les trimestres. À qui il appartient ce pognon Chalumot?…je m’esquinte pour toi tous les jours…pour toi et tes semblables…et Dieu sait s’il y en a de ces propres à rien.

C’est moi encore qui entretiens ton fils, qui lui permets de faire le clown à l’école, avec des zigotos de ton espèce…ton fils, t’es en train de le tuer à petit feu…tu n’es pas son père Chalumot. Pour lui t’es un adjudant, rien qu’un adjudant…*

L’auteur n’est vraiment pas tendre pour les militaires comme le montre cet extrait d’un dialogue entre Simon et un ami de son parrain…

*…Beau métier d’feignant qu’on t’fait faire là. À quoi qu’vous êtes utiles vous autres? J’l’ai dit à ton sacré père, les militaires, c’est la dégoûtation de la France. T’entends?…*

C’est un livre dur, sans compromis…une charge extrêmement critique voire virulente contre l’hypocrisie militaire et la stupidité. Son écriture puissante et caractérielle a provoqué chez moi une forte émotion. Si Simon rencontre dans son histoire quelques rares personnes correctes auxquelles il peut s’identifier, je n’ai pas vraiment senti une recherche d’équilibre de la part de l’auteur.

C’est un jugement sans appel sur la mentalité d’une époque où les enfants et les ados étaient les derniers à être consultés sur leur avenir par leurs parents et plus particulièrement par nombre de pères bornés et bouchés dont l’unique désir reposait sur cette phrase impérative : *marche sur mes pas ou crève.

La finale du livre est particulièrement éprouvante et choquante. Comment ne pas aimer Simon et être troublé par sa souffrance qui résulte de la bêtise et de l’égocentrisme. C’est un bon livre qui garde captif mais il est dur et très direct. J’espère que les choses ont changé. Je sais que les enfants et les ados d’aujourd’hui sont plus entendus, mais sont-ils écoutés?

Suggestion de lecture : ADOPTE-MOI, de Sinead Moriarty

Yves Gibeau (1916-1994) est un écrivain français. Fils de militaire, Yves fût lui-même mobilisé en 1939, prisonnier de guerre en 1940, rapatrié d’Allemagne et démobilisé en 1941. Vivra par la suite de différents boulots : journaliste et même chansonnier. Ses écrits sont de nature hautement pacifiste et évoquent une haine irréversible du militarisme. ALLONS Z’ENFANTS est son livre le plus lu et sûrement le plus caustique sur les milieux militaires qu’il considère comme inutilement bêtes et brutaux.

En complément j’attire votre attention sur l’adaptation cinématographique de ALLONS Z’ENFANTS scénarisée par Yves Boisset et Jacques Kirsner et sorti en France en 1981. Yves Boisset en est le réalisateur.

Dans la distribution, on retrouve Lucas Belvaux dans le rôle de Simon Chalumot et Jean Carmet dans le rôle de l’adjudant Chalumot, le Père de Simon. Le film est surtout axé sur la carrière militaire obligatoire de Simon. Une fois démobilisé, il consacre sa vie à sa passion : la littérature et le cinéma mais il sera vite rattrapé par la deuxième guerre mondiale qui le retourne à l’armée sans qu’il ait le choix encore une fois.

BONNE LECTURE
JAILU
FÉVRIER 2015

LE PRISONNIER, livre de Thomas DISCH

*-Vous êtes prisonnier numéro 6, C’est aussi simple que cela. -Je doute que, même dans ce village, rien ne soit aussi simple que cela. Je ne suis pas numéro 6, je ne suis pas un prisonnier, je suis un homme libre. (extrait de LE PRISONNIER, Thomas Disch, 1969. Presses de la Renaissance 1979 pour la traduction française. Édition numérique, 295 pages.)

Après avoir démissionné avec fracas, un agent des services secrets britanniques est kidnappé et envoyé dans un joli petit hameau isolé et bien organisé qu’on appelle le Village. Les citoyens du Village ne sont identifiés que par un numéro. Le nouvel arrivant porte le numéro 6. Le village est dirigé par le numéro 2  Son objectif : arracher des renseignements au numéro 6 et comprendre pourquoi il a démissionné et quels sont les secrets d’état qu’il aurait pu vendre éventuellement à l’étranger. Tous les moyens sont bons : drogues, lavage de cerveau, contraintes psychologiques…bons moyens,  mais peu efficaces… son esprit semble impénétrable.

Bonjour chez vous…

*-Où suis-je?
-Au Village.
-Qu’est-ce que vous voulez?
-Des renseignements.

-Vous n’en aurez pas.
-De gré ou de force, vous parlerez.
-Qui êtes-vous?
-Je suis le nouveau numéro 2.
-Qui est le numéro 1?
-Vous êtes le numéro 6…*
-Je ne suis pas un numéro
Je suis un homme libre.
(extrait : Télésérie  LE PRISONNIER)

Le livre de Thomas Disch évoque une des séries les plus énigmatiques de l’histoire de la télévision : LE PRISONNIER, une série de 17 épisodes que j’ai vue et revue et qui m’en apprend encore. Je ne peux faire autrement que de lier les deux intimement aux fins de mon commentaire. Il y a tout de même des différences importantes.

Dans le livre, les villageois ne se saluent pas par un joyeux  BONJOUR CHEZ VOUS.  Cette expression est une trouvaille de Jacques Thébo, la voix française du numéro 6. Autre différence : dans le livre, le numéro 2 ne change pas et on ne le voit pratiquement pas. Le livre est  beaucoup moins enlevé que la série, Disch concentrant davantage l’intrigue sur la pression psychologique exercée sur le numéro 6.

Pour le reste, tout y est : le rôdeur, la sphère gardienne du village, on ne sait pas qui est le numéro 1, le numéro 6 s’échappe une fois et se retrouve à Londres avant d’être repris et ne communiquera jamais les renseignements demandés, etc.

Les lecteurs et lectrices qui ont vu la télésérie feront obligatoirement des liens. Sinon ils découvriront simplement une dystopie un peu étouffante qui n’est pas sans faire réfléchir sur les fondements et les limites de la liberté. Et c’est ici que je veux m’attarder un peu sur le livre de Thomas Disch.

C’est un livre étrange à caractère fortement onirique. En fait, il m’a forcé à jongler avec le rêve et la réalité et dans cette histoire la frontière est fragile. Une phrase captée en cours de lecture illustre bien ma pensée : *Moi je n’ai jamais su avec certitude à quel moment on m’avait sorti de ce foutu aquarium. Les rêves étaient absolument aussi réels que vous l’aviez annoncé. Beaucoup plus réels que tout ça…-Qui peut dire que c’est réel? Cela ne porte aucune des écorniflures de la réalité. Je suis sûre que tant que vous demeurerez au village, vous serez dans le doute…*

Donc c’est parfois difficile de s’y retrouver. Si Disch force le lecteur à se concentrer, il force aussi son admiration car il l’installe dans un labyrinthe psychologique sans entrée ni sortie et dans lequel interviennent des personnages profonds et énigmatiques…gardiens ou geôliers, réels ou oniriques, sympathiques ou belliqueux? C’est un défi pour le lecteur qui pourrait lire le livre 10 fois et en tirer autant d’interprétations.

Ce livre est truffé de double-sens et d’énigmes et met continuellement à l’avant-plan le sens de la réalité du lecteur : *Allez donc donner un coup de pied dans un rocher pour permettre au rocher de prouver à votre pied qu’ils sont aussi réels l’un que l’autre.*

Comme la plupart des dystopies, la trame de cette histoire est complexe et étouffante et ce, même si la cage est dorée. Le numéro 6 est un sujet d’expérience et c’est au lecteur d’en tirer les conclusions car dans le livre, le jeu n’aboutit pas vraiment… une intéressante réflexion sur notre place dans la société et sur la définition de la liberté.

J’ai apprécié la lecture de ce livre mais je sais que je devrai y retourner tôt ou tard. Il est étrange, mais l’idée est originale. Quant à savoir s’il a exercé sur moi la même fascination que la télésérie…alors là, pas du tout mais je pressens toutefois qu’il ferait une excellente base pour le scénario d’un film…

Suggestion de lecture : AU-DELÀ DU RÉEL, livre sur la série culte de Didier Liardet

Thomas M. Disch (1940-2008) est un écrivain américain de science-fiction. Ses premières nouvelles sont publiées en 1960. Il atteint la notoriété avec deux romans à saveur politique : GÉNOCIDE en 1965 et CAMP DE CONCENTRATION EN 1970. En 1969, il publie LE PRISONNIER qui préfigure la série télévisée du même nom. En 1983, pour récompenser l’excellence en littérature de science-fiction, il crée le prix PHILIP K. DICK en hommage au célèbre auteur. Après la mort de son compagnon en 2005 et souffrant de dépression, Thomas Disch se suicide le 5 juillet 2008.

Patrick McGoohan (1928-2009) était un acteur américain. Il connaîtra la consécration de vedette internationale grâce à l’espion britannique JOHN DRAKE qu’il incarne dans la série DESTINATION DANGER au début des années 60. Puis, comme s’il s’agissait d’une suite logique, il conçoit, produit, scénarise et réalise la série LE PRISONNIER. Il a joué dans plus d’une vingtaine de films sans compter les épisodes de Colombo aux cotés de Peter Falk. Il a également prêté sa voix dans un épisode des SIMPSON où il incarnait son propre personnage de la série LE PRISONNIER.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
JANVIER 2015

BARTLEBY LE SCRIBE, livre de HERMAN MELVILLE

*Ce que j’avais vu ce matin-là me persuada que
le scribe était victime d’un désordre inné, incurable.
Je pouvais faire l’aumône à son corps, mais son
corps ne le faisait point souffrir; c’était son âme qui
souffrait, et son âme, je ne pouvais l’atteindre.*
(extrait de BARTLEBY LE SCRIBE de Herman Melville,
1853, rééd. Gallimard 1996, 90 pages, éd. Num.)

Ayant besoin d’une aide supplémentaire dans ses activités professionnelles, un homme de loi de Wall street New York publie une annonce et finit par engager un nommé Bartleby comme scribe, c’est-à-dire employé aux écritures. Bartleby, homme solitaire et introverti est, au départ, travailleur et volontaire, mais graduellement, il refuse de travailler et répond simplement à tous les ordres que lui donne son employeur *je préfèrerais pas*. Il devient de plus en plus apathique, passif, indolent Le notaire décide donc de renvoyer Bartleby mais a énormément de difficultés à s’en défaire. Il déploie de grands moyens pour ne plus le voir mais rien à faire, Bartleby semble indécollable.

Je préfèrerais pas…
(expression fétiche de Bartleby,
ex. Bartleby le scribe)

BARTLEBY LE SCRIBE est un opuscule étonnant, un petit livre très bref mais qui en dit tellement long. Melville nous plonge dès le départ dans l’atmosphère surannée d’une étude légale de New York où évoluent des personnages étranges : le notaire et ses trois employés appelés uniquement par leur surnom : Dindon, Lagrinche et Gingembre.

Puis arrive Bartleby, étrange personnage solitaire et introverti, engagé par le notaire pour l’assister dans les écritures.  Mais bientôt, le scribe refuse de travailler et répond invariablement aux ordres qu’on lui donne :  *je préfèrerais pas*, toujours au conditionnel, mais le résultat est le même, il ne fait rien et se replie davantage sur lui chaque jour.

Le notaire tente de s’en défaire mais sans beaucoup de conviction et c’est là que se manifeste toute la beauté du texte car le notaire est allé au bout de ses ressources pour comprendre et aider l’infortuné Bartleby qui s’est pratiquement limité à son expression fétiche dans le texte.

On n’apprend à peu près rien sur le scribe sauf ce qu’il est maintenant : âme abandonnée, esprit impénétrable, corps statique, sans vie active qui semble ne se nourrir que de biscuits au gingembre. Le scribe refuse de travailler. Chez Bartleby, tout n’est que refus…il refuse de s’ouvrir, de parler, de se détendre, de s’amuser et même de quitter le bureau…ça va jusqu’au refus de vivre…et pendant ce temps, le notaire fait preuve d’une patience quasi surnaturelle.

Ce texte d’une incroyable profondeur m’a touché jusqu’à l’âme. C’est un petit livre marqué par le pessimisme et la mélancolie mais qui, avec beaucoup de subtilité, amène le lecteur à réfléchir sur la condition humaine et la détresse de l’âme, détresse qui ne s’exprime pas et qu’on ne peut ressentir que par empathie.

Cet opuscule, qui ne manque pas de grandeur est aussi porteur de réflexion sur les affres de la solitude, l’espoir et aussi sur une vertu qui a toujours fait défaut à l’humanité : la tolérance.

C’est un texte imprégné de détresse mais inoubliable qui évoque une recherche sur le sens de la vie et sur l’absurdité qui souvent, ne manque pas de la caractériser.

À lire absolument…

On retrouve aussi BARTLEBY LE SCRIBE dans le recueil LES CONTES DE LA VÉRANDA réédité en 1995 chez Gallimard. Ces nouvelles ont été écrites alors que la carrière littéraire de l’auteur était très difficile. Melville ne sera vraiment reconnu qu’après sa mort.

Herman Melville (1819-1891) est un romancier et poète américain. Il est considéré comme l’une des figures marquantes de la littérature américaine avec des chefs d’œuvres devenus incontournables dont Moby dick, Pierre ou les ambiguïtés et les célèbres CONTES DE LA VÉRANDA dans lesquels on retrouve BARTLEBY LE SCRIBE.

Influencé par la plume de Fenimore Cooper et Byron entre autres, il commence à écrire en 1845. La véritable consécration est venue bien après sa mort avec entre autres un engouement qui ne s’est jamais démenti pour MOBY-DICK à partir des années 1950 et pour son œuvre en général.

Suggestion de lecture : du même auteur, MOBY DICK

BONNE LECTURE
JAILU
DÉCEMBRE 2014

AU SUD DE NULLE PART, recueil de CHARLES BUKOVSKY

*…-Joe, lâchez-moi! Vous allez trop vite,
Joe, lâchez-moi!
-Pourquoi es-tu venue ici, salope?*
(extrait de AU SUD DE NULLE PART,
Charles Bukowski, Éd. Grasset et Fasquelle,
1982, t.f. 206 pages, éd. Num.)

AU SUD DE NULLE PART est un recueil de 27 nouvelles généralement très courtes et fortement inspirées de la vie de l’auteur Charles Bukowski. À travers son personnage autobiographique Henri Chineski, l’auteur aborde ses sujets courants : les femmes, l’alcool, les courses de chevaux, une vie d’errance, sa rencontre avec des personnages excentriques, instables et misanthropes  et surtout, l’auteur évoque son désenchantement face au rêve américain.

AVANT-PROPOS :
Sacré Charles…

Le moment est venu pour moi de vous parler d’un autre de mes auteurs préférés. Il s’agit de Charles Bukowski. Il y a parfois des personnes auxquelles on s’attache sans qu’on comprenne exactement pourquoi. Bukowski m’a toujours fasciné, intrigué.

Charles Bukowski était un homme tourmenté, instable…c’était un marginal, misanthrope, bourru et indiscipliné qui a passé la majeure partie de sa vie imbibé d’alcool. Pourtant son esprit, sa pensée, sa vision de la vie étaient d’une exceptionnelle profondeur. Son errance constante l’a amené à juger sans prétention, autant que sans concession, la folie qu’il constate au quotidien.

J’ai choisi de vous parler de son livre AU SUD DE NULLE PART à connotation fortement autobiographique. Si vous décidez de lire ce livre, vous pourriez développer, comme moi, l’impression que Bukowski est un vieil ami qui reste pas loin, difficile d’approche, caustique et pourtant attachant et terriblement humain…

Les contes souterrains
*Ne hurle pas lui dit-il ou j’ te tue,
alors empêche-moi de te tuer.*
(ex. AU SUD DE NULLE PART, C. Bukowski)

AU SUD DE NULLE PART est un petit bouquet d’insolences littéraires que j’ai dévoré. Bien sûr il faut apprendre à connaître Bukowski car dans ce recueil de nouvelles, la misanthropie est poussée à ses extrémités. Et la manifestation la plus évidente de cette tendance est dans la nouvelle intitulée L’EXPÉDITIONNAIRE AU NEZ ROUGE. Voici quelques citations…

*Je n’aime tout bonnement pas les gens…*
*…je n’ai jamais rencontré un homme que j’ai aimé…*
*Randall était célèbre en tant qu’isolationniste, pochard, homme grossier et amer…*

Dans la même nouvelle…je cite : *Malgré tout, Randall avait de l’humour. Il savait rire de la souffrance et de lui-même. On ne pouvait s’empêcher de l’aimer.*

Voilà…c’est ça Bukowski. C’est sans concession. On l’aime ou on l’aime pas. AU SUD DE NULLE PART est un recueil de nouvelles fortement imprégnées de sexe et d’alcool et qui n’ont pas vraiment de conclusions. Il n’y a pas de rebondissements ou d’intrigues. C’est l’histoire de la dérive d’un être humain, une exploration des cotés obscurs de l’âme et l’évocation du rêve américain tourné en dérision.

L’écriture est simple mais très directe, parfois brutale. Les personnages sont sombres, misérables, désillusionnés, bourrés d’alcool et de douleurs décrits à la manière de Bukowski…crûs et amers.

Pourtant j’ai aimé ce livre car malgré le désespoir qui y est décrit ou qui le caractérise, il y a des moments drôles, attendrissants et la plume de Bukowski atteint souvent, spécialement dans les dernières nouvelles la profondeur d’une remarquable poésie qui entraîne malgré lui le lecteur, la lectrice.

Lire Bukowski c’est une expérience spéciale car s’il est acerbe, il a au moins la qualité d’être authentique et sincère.

Suggestion de lecture : LE CHEMIN PARCOURU, d’Ishmael Beah

Henry Charles Bukowski est romancier et poète américain, d’origine allemande né à Andernach et mort en Californie en 1994 à l’âge de 73 ans. Il n’a que deux ans quand ses parents décident d’aller vivre à Los Angeles, mais ils connaîtront la misère à cause de la crise économique.

Dès l’âge de 16 ans, le corps de Charles se couvre de pustules. Son mal prend des proportions telles qu’il se verra comme un monstre. Charles, enfant battu par son père jusqu’à l’âge de 17 ans quitte le foyer familial, vit d’un logement miteux à l’autre et sombre graduellement dans l’alcool, mais il écrit. Il va d’un petit boulot à l’autre pour vivre mais il est systématiquement renvoyé…

…mais entretemps il écrit…toujours au son de la musique classique diffusée à la radio et avec de l’alcool en abondance. En 1960, à 40 ans, Bukowski publie son premier livre : FLEUR, POING ET GÉMISSEMENT BESTIAL, un recueil de poèmes. Entre autres épisodes d’indiscipline, Bukowski s’enivre sur le plateau d’APOSTROPHE, l’émission littéraire de Bernard Pivot et doit être évacué du plateau.

Bukowski devient de plus en plus angoissé et alcoolique, mais il continue à écrire et plusieurs de ses livres connaîtront un succès tel que Bukowski atteindra la notoriété et ce, malgré le dédain qu’il éprouve pour le monde littéraire qu’il trouve terne et snob.

Parmi les titres consacrés on retrouve entre autres LES CONTES DE LA FOLIE ORDINAIRE (adapté au cinéma), JOURNAL D’UN VIEUX DÉGUEULASSE, AU SUD DE NULLE PART et LE POSTIER (Bukowski a été postier pendant une dizaine d’années)

À lire
Je vous suggère également un article signé Robert Lévesque et publié en 2008 par le site les libraires.ca. L’article ne s’est jamais démodé même s’il est disons…plutôt acide ou certains diront noir…

BONNE LECTURE
Claude Lambert
OCTOBRE 2014

Adopte-moi, le livre de SINÉAD MORIARTY

*…-James, tu ne vas pas le croire…cette adoption
va nous coûter 20 000 dollars.
-Ben je vais peut-être changer d’avis. Bordel, cette
histoire d’adoption, c’est une putain de course
d’obstacles…*
(extrait de ADOPTE-MOI de Sinéad Moriarty,
Pocket, 2009, 265 pages)

Après deux ans *d’essais intensifs* pour avoir un bébé, Emma et James décident de s’investir dans l’adoption d’un enfant sans trop savoir dans quel marathon ils allaient se lancer. Leur choix se porte sur un petit bébé russe. Aux petits problèmes quotidiens, la passion de James pour le sport, la famille un peu tordue d’Emma et les amis qui viennent parfois compliquer la vie, s’ajoute une incroyable course à obstacles obligeant le couple à affronter une tonne de paperasses administratives, l’apprentissage de la langue et de la culture russe et pire encore : convaincre une assistance sociale qui n’entend pas trop à rire. 

Un bébé à tout prix…

*…Où est passée ma petite optimiste?
-Elle s’est fait tabasser à mort par les
esprits diabolique du service des
adoptions…*
(dialogue entre Emma et James,
extrait de ADOPTE-MOI, Sinéad Moriarty)

C’est un  bon petit roman amusant et instructif. Le sujet est original. Il est en effet assez rare qu’un sujet aussi complexe que l’adoption internationale soit développé sous forme de roman.

ADOPTE-MOI est le récit de Emma Hamilton qui dresse un portrait attendrissant et humoristique des multiples courbettes, galipettes et pirouettes qu’elle doit faire, avec son mari James, instructeur d’une équipe de rugby, pour séduire les assistantes sociales de l’adoption internationale, en particulier Dervla, le dragon de service affecté à l’enquête sur la famille Hamilton, une pincée pas commode et dont le sens de l’humour est à revoir.

Dans ce livre, les assistantes sociales ne bénéficient pas d’une grande popularité. Le couple Hamilton réserve à Dervla quelques pensées et blagues plutôt caustiques…*ainsi, la vieille vache était capable de sourire pensai-je amèrement* (pensée d’Emma lors d’un souper réunissant des candidats adoptants)…

*Quelle est la différence entre une assistante sociale et un pitbull? Au moins avec le pitbull, tu as une chance de récupérer un morceau de ton bébé. –Quand vous serez prêt… j’aimerais commencer cet entretien, à moins que vous ne souhaitiez vous débarrasser de quelques autres plaisanteries d’abord…* (dialogue plutôt tendu entre Dervla et Donal, un garant des Hamilton).

Si le roman raconte de façon réaliste les démarches compliquées et parfois démoralisantes de James et Emma Hamilton il raconte aussi le quotidien du couple et à ce niveau non plus, il n’y a pas de longueur et mon intérêt pour l’histoire n’a jamais failli.

L’auteure a placé au cœur de son histoire des personnages qui viennent ajouter du piment et de la vie. Par exemple, Barbara, appelée Babs, la sœur d’Emma, une jeune adulte pourrie, extravagante et allumeuse, Thomas, un enfant mal élevé et détestable, ou Annie, une ado persuadée que son tuteur légal est sa propriété.

La faiblesse de l’ouvrage réside dans ce qui semble une vision presqu’entièrement féminine de l’adoption. On y trouve des sentiments masculins mais ils donnent l’impression d’être remisés. Bref sur le plan littéraire, c’est ce que j’appellerais un *livre de filles*.

Ça vient un peu assombrir la crédibilité de l’ensemble. Mais on trouve dans l’histoire beaucoup de rebondissements, de situations cocasses, de l’humour, de l’énergie. L’écriture est fluide, touchante et sympathique. Un bon moment de lecture.

Suggestion de lecture : 99 FRANCS de Frederic Beigbeder

Sinéad Moriarty est une écrivaine de nationalité Irlandaise. Elle a travaillé à Londres comme journaliste commerciale et comme chargée des communications au projet des Jeux Olympiques de Londres.  Au moment d’écrire ces lignes, elle exerce le métier de *maman* à Londres.

À ce titre, son expérience de maman l’a motivé à écrire *FAIS MOI UN BÉBÉ* en 2004, traduit en une vingtaine de langues,  livre publié chez Plon. Quelques année plus tard, elle récidive avec *ADOPTE-MOI*. Elle travaille à un troisième volume, D’ICI À LA MATERNITÉ qui viendra compléter la trilogie.

EN COMPLÉMENT :
À PROPOS DE L’ADOPTION INTERNATIONALE…

Je vous invite à prendre connaissance d’un reportage du journaliste Baptiste Ricard-Châtelain publié dans LAPRESSE.CA  le 7 janvier 2012. Le journaliste dresse le portrait le plus récent de l’adoption internationale qu’il qualifie de *chemin de croix*. Plusieurs liens sont proposés.

Allez à http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/societe/201201/06/01-4483655-adoption-internationale-lillusion-du-bebe-parfait.php Pour ce qui est de l’adoption internationale au Québec, l’idéal pour en savoir plus est encore de visiter le site du secrétariat à l’adoption internationale qui propose aussi plusieurs liens pour une recherche complète. Allez à http://adoption.gouv.qc.ca/accueil.phtml

BONNE LECTURE
Claude Lambert
OCTOBRE 2014