LA GUERRE DES MONDES, le livre de H.G. Wells

*Cette nuit-là, sous les étoiles, près de quarante personnes gisaient autour du trou, carbonisées, défigurées, méconnaissables, et jusqu’au matin, la lande, de Horsell à Maybury, resta déserte et en feu.* (Extrait : LA GUERRE DES MONDES, H.G. Wells, publié en 1898, réédité par ebooksLib.com en novembre 2011 en version numérique. 410 pages)

Un soir de juin 1900, un météore s’abat près de Londres, bientôt suivi de nombreux autres. Le phénomène devient mondial. Des cratères calcinés qu’ils ont creusés dans le sol émergent alors d’énormes tripodes, terrifiants engins de guerre venus de Mars pour envahir la Terre et dont la puissance n’a d’égale que la cruauté! les armes terrestres s’avèrent inefficaces et l’annihilation de l’espèce humaine qui semble inéluctable.  Partout sur la terre c’est la panique et la désorganisation totale. Tous les efforts des armées et des scientifiques pour contrer l’envahisseur sont vains jusqu’à ce qu’un allié imprévu donne un vibrant espoir à l’humanité.

UN GRAND CLASSIQUE DE LA SF

*La façon dont les Marsiens (1) peuvent si
rapidement et silencieusement donner
la mort est encore un sujet
d’étonnement.
(1) écrit comme tel dans le texte
(extrait : LA GUERRE DES MONDES)

LA GUERRE DES MONDES est sûrement l’histoire qui m’a le plus fasciné pendant mon adolescence. Je parle ici de l’adaptation cinématographique produite en 1955. Un *remake* et 45 ans plus tard, Je me suis décidé à lire le livre, toujours aussi passionné et intrigué par le sujet. Disons que j’en ai apprécié la lecture sans en être trop emballé. En fait, le récit est en équilibre entre une force importante et une faiblesse majeure.

Commençons par la force. Wells a été le premier à raisonner sur l’existence possible des extra-terrestres en leur donnant une identité, un objectif, des forces et des faiblesses. Même si on sait aujourd’hui qu’il ne se passe rien sur la planète Mars, les aspects scientifiques dont le récit est imprégné sont plausibles.

Les extra-terrestres auraient pu venir de n’importe où comme l’a exprimé Rolland Emmerich dans INDEPENDANCE DAY.

Ensuite j’ai eu l’impression que Wells laissait un message à l’humanité qui se croit le nombril de l’univers, laissant à penser que nous ne sommes que les locataires de ce monde comme l’a si bien exprimé Peter Hyams dans le message final du film *2010*, la suite du célèbre 2001, L’ODYSSÉE DE L’ESPACE.

L’humanité n’est pas à l’abri. Donc le récit est issu d’un schéma de pensée fort bien organisé, sérieux et quelque peu visionnaire, et qui accuse un caractère politique et scientifique extrêmement intéressant et crédible. Je passerai enfin rapidement sur la finale en disant qu’elle est géniale et là encore tout à fait plausible, les plus petits organismes de la terre ayant leur mot à dire dans l’équilibre de la nature.

Quant aux faiblesses, je dirai que le récit comporte des irritants, le principal étant l’absence d’émotions. L’histoire est racontée par un témoin des évènements avec une froide précision de journaliste. Le récit accuse des longueurs, de la lourdeur. Il y a très peu de dialogues. J’avais l’impression, par moment, de lire un documentaire.

Le livre a aussi un côté très *vieille plume* typique du XIXe siècle, héritage d’un temps révolu qui fait de LA GUERRE DES MONDES une histoire qui a mal vieilli.

Dans l’histoire, il y a beaucoup de destruction, mais pas vraiment de confrontations spectaculaires. Ce n’est pas autant une guerre qu’un carnage et puis le récit se limite à l’Angleterre. Ça peut paraître curieux mais c’est le cinéma qui a réactualisé ce livre qui continue d’être lu et réédité.

Pour les forces que contient ce livre, et si j’y ajoute un petit côté spéculatif intéressant, j’en recommande la lecture.

Suggestion de lecture : ARMADA, d’Ernest Cline

À droite, image d’un tripode extraite d’une ancienne édition de la GUERRE DES MONDES.

En bas, version moderne du tripode, vue dans l’adaptation cinématographique de la guerre des Mondes réalisée en 2005 par Steven Spielberg, avec Tom Cruise.

Herbert George Wells (1866-1946) est un écrivain britannique, considéré comme le père de la Science-Fiction. Plusieurs  de ses romans ont marqué la littérature à partir de son tout premier publié en 1895 : LA MACHINE À REMONTER LE TEMPS.  journaliste, professeur et libre-penseur, Wells a été le premier auteur a donné un caractère éthique à la littérature de science-fiction en dénonçant les abus d’une technologie omniprésente et d’une course effrénée vers le progrès. Il aura été une inspiration pour plusieurs auteurs de renom qui ont suivi dont Isaac Asimov, Orson Welles, René Barjavel et plusieurs autres. Il a écrit plus de 80 romans.

LA GUERRE DES MONDES AU CINÉMA
Le classique de HG Wells a été adapté au cinéma deux fois, en 1953 et 2005 et il a bien sûr inspiré de nombreuses autres productions comme INDEPENDANCE DAY pour ne nommer que celle-là. Quant à savoir quel film se rapproche le plus de la réalité du livre, j’opte sans hésitation pour le remake de 2005, LA GUERRE DES MONDES réalisé en 2005 par Steven Spielberg avec Tom Cruise.

Je dois dire toutefois que j’ai trouvé la version originale de 1953 LA GUERRE DES MONDES réalisée par Byron Haskin avec Gene Barry tout à fait fascinante. Les deux versions sont très différentes, chaque réalisateur développant des aspects du livre ignorés par l’autre.

Les martiens et leurs engins versions 1953 et version 2005

Anecdote:
En 1938, Orson Welles présentait son adaptation radiophonique de LA GUERRE DES MONDES sur CBS. Le réalisme de l’adaptation était tel que plusieurs crurent à une véritable invasion martienne. Il y a eu dit-on plusieurs scènes de panique. À ce sujet, je vous suggère la lecture d’un dossier très intéressant publié par  www.cafardcosmique.com

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
AVRIL 2016

LA FIN DU MONDE, de CAMILLE FLAMMARION

*Presque aussitôt tous les cadavres seraient
carbonisés, incinérés et, dans l’immense
incendie céleste, seul l’ange incombustible
de l’apocalypse pourrait faire entendre, dans
le son déchirant de la trompette l’antique
chant mortuaire tombant lentement du ciel
comme un glas funèbre…*
(extrait : LA FIN DU MONDE, Camille Flammarion,
édition originale : 1894 chez Flammarion, réédité
numériquement en 2011 chez FVE. 458 pages.)

Au XXVe siècle, l’humanité est confrontée au pire danger de son histoire. Les savants ont annoncé qu’une comète neuf fois plus grande que la terre doit entrer en collision avec celle-ci. La fin de l’humanité semble inévitable. Cette nouvelle dramatique entraîne un long débat sur une des craintes fondamentales de l’être humain à l’origine de tant de prophéties et prédictions : LA FIN DU MONDE. Panique et maladies nerveuses sont au nombre des réactions humaines jusqu’au choc final où l’humanité sera tourmentée par la chaleur incendiaire, et l’empoisonnement de l’atmosphère. L’humanité survivra-t-elle. 

UNE IDÉE DE LA FIN
*Quel supplice attendait les hommes?…
La peur qui fige le sang dans les artères
et qui anéantit les âmes, la peur, spectre
invisible, hantait toutes les pensées,
frissonnante et chancelante…*
(Extrait : LA FIN DU MONDE de
Camille Flammarion.)

L’édition originale de LA FIN DU MONDE remonte à 1894 et a été rééditée plusieurs fois par la suite. L’ouvrage fait partie d’une collection de livres réimprimés à la demande par l’éditeur Hachette. La dernière édition, toute récente est de 2012. Je signale aussi que l’éditeur FVE a publié une version numérisée en 2011. Ce livre, considéré comme un classique est donc toujours accessible.

LA FIN DU MONDE est issu d’une littérature d’un autre âge. Avec un recul de 120 ans, Flammarion expose sa vision du futur. On aurait pu croire au départ qu’il exposait son œuvre à la désuétude au fil des ans, mais je dirais que, même en 2016, ce livre contient quantité d’éléments extrêmement actuels.

C’est un livre en deux parties : dans la première moitié, l’auteur donne la parole à toutes sortes de spécialistes qui viennent exposer leurs visions de la fin du monde. Cette partie est hautement scientifique, bourrée de calculs complexes.

C’est long, c’est compliqué, mais les scénarios exposés sont scientifiquement plausibles et restent même de nos jours sujets à débat. Ça demande une attention soutenue mais j’ai trouvé ça très intéressant.

La deuxième partie est beaucoup plus passionnante car elle développe ce qui attend la planète après le choc cométaire. Cette partie verse donc dans la philosophie, la psychologie, les prédictions déductives et dresse un portrait plutôt idéaliste de l’avenir de l’humanité.

L’ouvrage ne peut être totalement actuel car l’auteur n’a pas tenu compte de deux éléments importants qui caractérisent l’homme d’aujourd’hui : son caractère autodestructeur et la pollution. Ici, je peux comprendre Flammarion.

Le livre a été écrit à une époque où la destruction de masse était peu envisageable, l’arme nucléaire n’étant inventé que beaucoup plus tard. Quant à la pollution, aucune société n’avait vraiment développé de conscience environnementale au 19e siècle..

Tous les autres éléments du volume demeurent actuels. Je suis demeuré sceptique quant au portrait du futur que propose l’auteur…trop beau pour être vrai allant même jusqu’à prédire le désarmement total, une parfaite égalité entre l’homme et la femme et l’atteinte d’une inimaginable sagesse pour l’humanité.

En fin de compte, c’est un livre intéressant mais atypique…peu romancé, pas beaucoup de dialogues, pas de héros, beaucoup de théories scientifiques plausibles mais complexes, quelques-unes sont devenues caduques avec le temps, mais l’ensemble est bien documenté et dépeint surtout avec une remarquable précision la nature humaine.

C’est ce qui rend ce classique passionnant à lire encore de nos jours car il propose une  sérieuse réflexion sur la vie qui est un éternel recommencement. Surprenant, visionnaire, intéressant…

Suggestion de lecture : LES COUREURS DE LA FIN DU MONDE, d’Adrien J. Walker

Camille Flammarion (1842-1925) était un écrivain et scientifique français, passionné d’astronomie. Il a beaucoup contribué à vulgariser cette science en fondant la Société Astronomique de France et en écrivant de nombreux ouvrages. Il a publié plus d’une cinquantaine de livres dont ASTRONOMIE POPULAIRE qui l’a rendu célèbre (1880) et LA PLURALITÉ DES MONDES HABITÉS (1862).

Flammarion est particulièrement passionné par la planète Mars qu’il observe avec obstination. Il est aussi versé dans le spiritisme qu’il considère comme une science. Il a même rédigé des ouvrages sur la communication avec les morts et sur les maisons hantées. ASTRONOMIE POPULAIRE reste son œuvre majeure.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
AVRIL 2016

LA CAGOULE, livre de François Gravel

*Les gardiens ont sans doute l’air de bandits, mais les psys ont vraiment l’air de psys. Sont-ils dangereux eux aussi? À qui puis-je me fier?* (Extrait : LA CAGOULE, François Gravel, Québec Amérique jeunesse, 2009, papier, 240 pages)

Maxime, un adolescent de 16 ans vient de terminer un séjour en centre d’accueil après avoir été reconnu coupable de trafic de drogue. Juste avant sa libération, la juge offre à Maxime  de participer à un programme expérimental de réhabilitation. Ce qui l’amène dans un centre mystérieux, perdu en forêt. Il s’apercevra bien vite que ce centre use de méthodes étranges et peu rassurantes. Caché sous une cagoule, et perturbé par le message de sa psy qui lui recommande d’aller  au bout de sa violence, Maxime sera confronté à un nouveau choix : s’extirper de la délinquance ou y plonger encore davantage. Qu’est-ce qui se cache dans ce camp?

LE CERCLE VICIEUX DE LA DÉLINQUANCE
*Dix mille questions se bousculent dans ma
tête, mais il y en a une qui revient sans
cesse et qui finit par éclipser toutes les
autres : Qu’est-ce que je fais ici? J’ai
l’impression d’être manipulé depuis le
début, mais je ne sais pas par qui, ni
pourquoi.*
(Extrait : LA CAGOULE)

C’est un livre intéressant qui donne la parole à Maxime, un adolescent de 16 ans qui raconte un épisode plutôt éprouvant de sa vie dans un mystérieux centre de réadaptation perdu dans les bois à quelques minutes de la frontière américaine. Tout y est étrange.

Les jeunes ont tous reçu une consigne stricte de silence et se voient imposer des activités qui ne riment à rien comme par exemple, transporter des sacs à dos fermés hermétiquement sur de longs parcours… très bizarre. Pire, on leur offre quotidiennement de la marijuana à fumer tranquillement autour du feu de camp.

Maxime, qui ne consomme pas malgré le fait qu’il avait été condamné pour trafic de drogue est poussé par un mystérieux personnage appelé le Mohawk à faire comme les autres et de laisser aller les choses. Alors, portant sa cagoule qui n’est rien d’autre qu’un manteau surmonté d’un capuchon, il observe, de plus en plus intrigué et irrité par une impression très forte d’être manipulé.

C’est une histoire touchante mettant en scène des personnages attachants. Elle a comme thème la délinquance juvénile et la drogue mais elle explore aussi des thèmes plus profonds comme l’estime de soi, la volonté et la fragilité de l’adolescence face à une société manipulatrice.

On trouve tout ce que les jeunes apprécient dans un livre : du suspense, de l’intrigue, du mystère, de l’imagination, une finale spectaculaire et j’ajoute que l’auteur a développé son histoire de façon à ce qu’elle ne soit pas moralisatrice même s’il est difficile d’éviter les allusions sur les grands dangers de déviation que présente le monde de la drogue. Mais l’histoire est davantage un message d’espoir qu’un jugement sur la jeunesse.

L’écriture est soignée, sensible et équilibrée. L’histoire est développée avec intelligence et amène le jeune lecteur tout doucement à une réflexion sur sa qualité de vie actuelle et future. C’est un beau défi que François Gravel a relevé je crois.

Les épisodes d’introspection de Maxime constituent selon moi les plus beaux passages de l’histoire et donnent à l’ensemble une évidente touche de réalisme. En effet Maxime sera confronté à un choix qui décidera finalement de sa vie future et le récit met en perspective cette capacité qu’ont les jeunes, règle générale, à raisonner, analyser, distinguer le bien du mal et les choix auxquels ils sont souvent confrontés : écouter le cœur ou la raison…

Un récit bien construit aux rebondissements surprenants…parfait pour les 12 ans et plus.

Suggestion de lecture : L’OEIL DE CAINE, de Patrick Bauwen

François Gravel est un écrivain québécois né en 1951. Il écrit pour les petits et les grands. Son œuvre littéraire est gratifiée par de nombreuses récompenses dont le prix TD de littérature canadienne pour l’enfance et la jeunesse en 2006. Ses romans décrivent avec justesse la réalité sociale de la jeunesse en particulier avec bien sûr une touche de fiction, de rêve et d’humour. Il a créé entre autres pour les jeunes la série KLONK et la série DAVID, toutes deux rehaussées des magnifiques illustrations de Pierre Pratt

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
MARS 2016

I V, un livre intrigant de RAPHËL GRANGIER

*Eh bien voilà, l’objet utilisé pour réaliser les inscriptions dans le corps de votre victime, était bien un harpon, inspecteur…* (Extrait : I V, Raphaël Grangier, Paul & Mike Éditions, 2014, numérique 510 pages)

L’histoire a pour cadre le Connemara, une très belle région située dans l’ouest de l’Irlande. Un jour, en plein cœur du Connemara, un chalutier emprisonne dans ses filets un corps humain meurtri et sans visage. Deux lettres gravées dans la chair du cadavre : I V laissent supposer un meurtre. Quelques jours après cette pêche cauchemardesque, une jambe et deux doigts humains son repêchés. On y trouve les mêmes lettres gravées dans la chair. Deux policiers aux méthodes complètement différentes vont devoir s’unir pour résoudre ce mystère…une enquête qui risque de mettre à nu quelques secrets parmi les plus inavouables d’Irlande. 

HISTOIRE VENGÉE
*Vous avez tué des innocents, gratuitement,
reprend Andrew d’une voix sourde. Leur
seul tort était d’être anglais. Vous vous
êtes servi de l’histoire entre nos deux pays
pour assouvir votre besoin de vengeance.*
(Extrait : I.V.)

J’ai beaucoup aimé la lecture de ce livre pour plusieurs raisons. D’abord l’originalité du sujet. Je reviendrai là-dessus un peu plus loin. Ce qui m’a d’abord sauté aux yeux, c’est que tout le livre est imprégné de l’Irlande : un magnifique pays d’Europe de l’ouest, au passé tourmenté et qui revendique toujours son identité celtique. I.V., c’est l’Irlande dans sa mentalité, sa culture, son caractère et surtout son histoire.

I.V. : deux lettres gravées dans la chair d’un cadavre imposeront la tenue d’une enquête complexe mais palpitante qui s’imprègnera graduellement de la tragique histoire de l’Irlande. Deux enquêteurs disparates : Andrew Richards, dépêché par la criminelle de Londres et Nuala McFeen de la police de Dublin seront contraints de collaborer dans cette difficile enquête qui mettra à nus des secrets très dérangeants et dont l’Irlande ne doit pas être fière.

Ce que j’ai le plus apprécié dans ce livre est qu’il repose sur l’histoire trouble de l’Irlande. Pour avancer dans l’enquête, les policiers ont dû s’attabler pour étudier et surtout comprendre l’histoire de l’Irlande et elle n’est pas simple.

Voilà la grande originalité du récit : on ne peut résoudre l’affaire qu’en passant par l’histoire. Pour mieux apprécier l’objectif de l’auteur, j’ai fait une recherche parallèle sur l’épisode spécifique de l’histoire de l’Irlande qui se rattache au récit de Grangier.

I.V. fait donc référence à la guerre d’indépendance irlandaise, appelée aussi Tan War, c’est-à-dire la campagne de guérilla qu’a mené l’IRA, l’Armée Républicaine Irlandaise contre la police royale irlandaise, l’armée britannique et les Black and Tans en Irlande et qui fit rage de 1919 à 1921, préludant à la naissance de l’Irlande du Nord..

Je ne rentrerai pas dans les détails, ce serait trop long ici. Je me contenterai de dire que cette guerre a donné lieu à des horreurs innommables et ça transpire dans le livre de Grangier.

Ma petite recherche m’a permis de constater que les éléments historiques ont été intelligemment imbriqués dans le récit de Grangier. I.V. est en fait une histoire de vengeance historique. Une bonne partie de la résolution du mystère se trouve dans le titre du livre, mais je ne gâcherai certainement pas le plaisir du lecteur en continuant sur cette voie.

Enfin, j’ai été surpris par la finale de l’histoire. En effet, alors que je croyais l’enquête terminée et l’affaire classée, voilà qu’un détail troublant vient tout faire basculer et relance l’investigation. Pour moi, le dénouement du récit était totalement inattendu.

En conclusion, I.V. est un excellent polar qui m’a plongé dans une forme inespérée de fascination. C’est un récit fluide et rythmé qui nous tient en haleine du début à la fin.

Suggestion de lecture : AMERICAN GODS, de Neil Gaiman

Je n’ai pas trouvé beaucoup de détails sur le parcours de Raphaël Grangier. C’est sans doute normal car au moment d’écrire ces lignes, Grangier est un auteur émergent qui écrit depuis deux ans seulement et I.V. est son premier roman, paru en 2014. Je crois que c’est prometteur.

Quant à ce que je sais de son parcours, disons que Raphaël Grangier est un technicien supérieur en mécanique. Il a travaillé plusieurs années en sous-traitance avionique avant de devenir professeur certifié en sciences et technologies. I.V. est son premier ouvrage à compte d’éditeur. Souhaitons qu’il y en ait d’autres

Comme je le disais,  concernant Raphaël Grangier, au moment de publier cet article, il y a peu de détails disponibles sur internet. Même sa page Facebook est maigre, mais elle s’enrichira sans doute avec le temps. Voici l’adresse pour les intéressés :

https://fr-ca.facebook.com/AngeR2009

BONNE LECTURE
MARS 2016/Claude Lambert
JAILU

GEORGES BRASSENS, par René Fallet

*J’ai passé, près ou loin de lui, quinze années d’amitié, d’une amitié pour laquelle je ne trouve qu’un mot d’une banalité accablante : merveilleuse.* (Extrait de : GEORGES BRASSENS par René Fallet dans son*introduction pour mieux saisir les intentions d’un auteur qui n’en avait aucune* , Éditions Denoël, 1967, 115 pages.)

Dans son récit-hommage, René Fallet témoigne de son amitié avec Georges Brassens, un monument de la chanson française. Tout a commencé en 1953 alors que Fallet publiait un article sur Brassens. Ce dernier, séduit, offre son amitié au journaliste. Depuis, la relation s’est enrichie jusqu’à la mort du poète. Ce livre est plus un hommage qu’une biographie. On y retrouve des textes, des témoignages, des anecdotes, des photographies. Fallet a choisi de mettre le mythe de côté et de se concentrer sur l’homme mettant en perspective, de façon parfois émouvante le caractère affectueux de Brassens, son petit côté drôle et libertaire.

LE POLISSON DE LA CHANSON

*J’aime mieux m’en tenir à ma premièr’ façon
et me gratter le ventre en chantant des chansons.
Si le public en veut, je les sors dare-dare,
s’il n’en veut pas je les remets dans ma guitare.
Refusant d’acquitter la rançon de la gloire,
sur mon brin de laurier je m’endors comme un loir.
Trompettes
de la renommée,
vous êtes
bien mal embouchées!
(Extrait de la chanson LES TROMPETTES DE LA RENOMMÉE
sortie en 1962. Paroles et musique : Georges Brassens, du
9e album de Brassens)

J’avais hâte de vous parler de mon auteur-compositeur préféré : Georges Brassens. Mon engouement pour ce poète, ce *polisson de la chanson* a commencé très tôt : 1964, j’étais en 3e année à l’école primaire Saint-Maurice de Shawinigan. Le conjoint de mon enseignante, Yvon, me donnait, une fois par semaine, des petits boulots à faire à son club de céramique à l’aréna de Shawinigan.

Un samedi matin, en longeant le long couloir menant au club, j’entends une chanson. Le tourne-disque d’Yvon était aussi précieux que ses céramiques et il ne se gênait pas pour l’utiliser à volume élevé quand il était seul au club à préparer ses cours.

À l’approche de l’atelier, j’ai accroché non sur la voix du chansonnier mais sur les paroles de sa chanson : *Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées! Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente avec le Pèr’ Duval, la calotte chantante, lui, le catéchumène, et moi, l’énergumèn’, il me laisse dire merd’, je lui laiss’ dire amen…* (extrait : LES TROMPETTES DE LA RENOMMÉE).

En entrant dans le local, on se salue et je lui demande qu’est-ce que c’est que cette chanson? C’est là qu’il a commencé à me parler de Georges Brassens, un nom qui ne disait rien aux jeunes de mon âge et pourtant, je commençais à beaucoup m’y intéresser. Depuis, la force d’attraction de Brassens n’a cessé de croître sur moi.

Pour moi, comme pour la plupart de ses fans d’ailleurs et même pour ses amis, Brassens était un personnage singulier, énigmatique, secret. Même dans le monde du spectacle, Charles Aznavour disait de Brassens qu’il était à part. À Bobino, dont il avait fait pratiquement son quartier général, Georges Brassens se présentait sur une scène dépouillée, avec un seul accompagnateur : un contrebassiste.

Comme équipement : sa guitare bien sûr, une chaise pour y poser le pied. Attendant, déjà en sueur dans son veston un peu froissé et sa cravate ample…lorsque le rideau se levait, il était parti pour la gloire de divertir un public déjà conquis, venu applaudir le polisson de la chanson.

*Ses contemporains respirent en lui comme un parfum d’autrefois, un revenez-y de douceurs disparues…Georges Brassens est un homme de qualité. Cette qualité est son plus beau costume de scène. Cette qualité du texte de la pensée est la plus fière marque de respect que l’on puisse  donner à un public. Les marques extérieures n’existent pas auprès de celle-là…*

Brassens était un poète complet comme il ne s’en fait pas beaucoup. Chacune de ses chansons est un univers à explorer et à décortiquer. C’est précisément ce qu’a fait René Fallet dans son petit volume : un commentaire pour chaque chanson à la façon bien particulière de Fallet…colorée, originale, enveloppée de poésie vivante, celle si chère à Brassens. Et plus encore, Fallet enrichit son texte d’une chaleur enveloppante et d’une extraordinaire sincérité.

J’aurais aimé être l’ami de Brassens…tout le monde aurait aimé être l’ami de Brassens…mais voilà, c’était pas donné à tout le monde. Je vous invite donc à connaître Georges Brassens ou à renouer avec celui qui nous a laissé un héritage poétique et culturel d’une exceptionnelle profondeur et d’une magnifique beauté à travers l’amitié que lui vouait René Fallet.

Suggestion de lecture : GEORGES LUCAS UNE VIE, de Brian Jay Jones

René Fallet (1927-1983) était un écrivain et scénariste français. Après sa démobilisation en 1945, il publie son premier recueil de poèmes. Les années qui suivent seront consacrées à l’écriture, à la critique et aux voyages. En 1952, il entre au CANARD ENCHAÎNÉ, célèbre hebdomadaire satirique français. En 1953, il rencontre Georges Brassens.

Ce sera le début d’une belle et longue amitié. Il se marie et entre temps reçoit le prix du roman populiste pour ses trois premiers romans BANLIEUE SUD-EST,  LA FLEUR ET LA SOURIS et PIGALLE. En 1964, son fameux roman PARIS AU MOIS D’AOUT, qui lui rapporte le PRIX INTERALLIÉ lui assure prestige et notoriété.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
FÉVRIER 2016

Douze contes vagabonds, Gabriel Garcia Marquez

*Elle n’éprouva aucun malaise, et à mesure qu’augmentait la chaleur et que par les fenêtres ouvertes entrait le bruit torrentiel de la vie, le courage lui revenait de survivre aux énigmes de ses rêves.

Le comte de Cardona, qui passait à la montagne les mois de grande chaleur, la trouva à son retour plus séduisante encore qu’au temps de ses cinquante printemps surprenants de jeunesse.*
(Extrait: Douze contes vagabonds, de Gabriel Garcia Marquez)

Douze contes vagabonds est un recueil d’histoires imaginées par Gabriel Garcia Marquez et publié en 1992. Le prologue indique qu’il s’agit en fait d’une sorte de patchwork de travaux éparpillés durant les 18 années précédentes, et destinés à différents supports (télévision, cinéma, roman…). Ces travaux, rapporte l’auteur, étaient de ce fait plutôt différents, mais suffisamment proches dans les thématiques pour pouvoir être rassemblés en recueil. C’est en 1974, au Mexique, qu’il m’est apparu que ce livre, au contraire de ce que j’avais d’abord envisagé, ne devait pas devenir un roman mais un recueil de contes brefs s’appuyant sur le genre journalistique et libérés de leur enveloppe mortelle grâce aux astuces de la poésie. (Extrait de la préface)

Ces thèmes que sont les voyages, l’exotisme, la mort et le catholicisme cher aux Latino-Américains sont en effet déployés dans un style frôlant constamment la prose. C’est d’ailleurs ce qui m’a totalement conquis dans l’écriture de Gabriel Garcia.

Il manie d’une main de maître les figures de style imagées telles que la métaphore, l’allégorie, la comparaison, la personnification, etc. Ainsi, par ces tournures de phrases nombreuses, bien réparties et surtout naturelles et bien pensées, l’auteur a su rendre douze contes relativement différents, parfaitement harmonieux.

Et que dire de ces récits! L’auteur utilise dans chacun de ceux-ci un curieux alliage de chronique et de nouvelle. Oh ce n’est certainement pas les pâles intrigues et les chutes peu spectaculaires qui gardent l’attention du lecteur.

En réalité, ce qui tient le lecteur captif, c’est cet effet étrange engendré par des récits d’une profonde originalité animés par des personnages dépeints comme ordinaires, mais suscitant beaucoup de curiosité. Au milieu de chaque histoire je me posais la question:

Où veut-il nous amener avec toutes ces histoires de vieilles attendant la mort, de présidents déchus cherchant le repos de l’âme, de ces gens souhaitant une audience du pape? … Et à force de lecture, le questionnement revient d’un conte à l’autre, mais le doute disparaît totalement, car on comprend que l’auteur finira toujours sur une note douce mais surprenante qui fera soupirer ou frissonner de satisfaction.

L’écriture de Gabriel Garcia Marquez se compare au café de son pays d’origine: elle est veloutée. Et de même que chaque gorgée d’un fin café colombien, chaque paragraphe des récits du livre Douze contes vagabonds est une expérience sensorielle et une friandise pour l’esprit.

Sans tomber dans des formulations complexes et interminables, Gabriel Garcia fait constamment appel aux sens du lecteur. Il dénote constamment par-ci par-là des sons, des odeurs, des saveurs, des textures, mais de façon tellement élégante et naturelle que le lecteur est immergé sans aucun effort.

*Ses visites étaient devenues un rite. Le comte arrivait, ponctuel, entre sept et neuf heures, avec une bouteille de champagne espagnol enveloppée dans le journal du soir pour qu’on le remarque moins, et une boîte de truffes au chocolat.

María dos Prazeres lui préparait un gratin de cannellonis et un poulet rôti et tendre, les mets préférés des Catalans de haut lignage de jadis, et une coupe de fruits de saison.

Pendant qu’elle faisait la cuisine, le comte écoutait sur le phonographe des enregistrements historiques de morceaux d’opéras italiens, en buvant à petites gorgées un verre de porto qu’il faisait durer jusqu’à ce que les disques fussent passés.*
(Extrait – Douze contes vagabonds)

C’était mon premier livre de Gabriel Garcia Marquez, mais il me tarde d’en expérimenter un autre. Je sens que Gabo, ainsi qu’on le surnomme en Amérique du Sud, pourrait devenir l’un de mes écrivains préférés!

Suggestion de lecture : LES CONTES DU WHISKY, de Jean Ray

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DES SOURIS ET DES HOMMES, de JOHN STEINBECK

*En tout cas, il ferait bien de faire attention
à Lennie. Lennie est pas un boxeur, mais
Lennie est fort et rapide et Lennie ne connait
pas les règles.*
(Extrait : DES SOURIS ET DES HOMMES, John Steinbeck,
t.f. Éditions Gallimard, 1955, édition de papier,
180 pages)

DES SOURIS ET DES HOMMES est l’histoire de deux hommes liés par une amitié pure et intense : Lennie Small, un costaud à la force incontrôlable, cœur d’or mais simple d’esprit et maladroit et George Milton. Lucide, droit et vif d’esprit,  un petit chef qui vient canaliser les énergies instables de Lennie. Les deux amis errent sur les routes de Californie et travaillent de ranch en ranch comme journaliers, mus par le rêve de posséder un jour leur propre exploitation. Ils n’ont rien de commun et pourtant le lien qui les unit est d’une incroyable force. Sachant que c’est la maladresse de Lennie qui force les deux hommes à changer sans cesse de travail, comment peut-on imaginer leur destin. Doit-on s’attendre à une finalité dramatique. John Steinbeck nous réserve une finale qui force le lecteur à aller au bout de ses émotions. Un ouvrage qui dépeint durement la condition humaine.

Les caresses d’un colosse
*Ce livre est bref mais son pouvoir est long.*
(Introduction de la préface du livre
DES SOURIS ET DES HOMMES par
Joseph Kessel)

C’est un livre en effet très bref, mais j’ai chuté dans sa profondeur. Il m’a agrippé surtout par l’intensité de la réflexion qu’il impose. C’est un livre noir, mais puissant. L’histoire est celle de deux hommes que tout sépare et qui sont pourtant liés par une indéfectible amitié. Il y a Georges d’abord,  lucide et vif d’esprit…un bon gaillard avec une tête sur les épaules.

Et puis, il y a Lennie, simple d’esprit, mêlé, une âme d’enfant instable et désorganisée dans un corps de colosse et qui aime caresser les petits animaux, ce qui ne lui réussit guère car il ne connaît pas sa force. Sa condition fait qu’il n’accumule que des gaffes…car il ira jusqu’à caresser les cheveux d’une femme.

Les deux hommes vont de ranchs en ranchs pour réunir la somme nécessaire à la réalisation de leur rêve : posséder un petit coin de terre, une petite ferme pour y élever des animaux, cultiver un petit jardin, y vivre simplement et en paix. Mais voilà, ce rêve, aussi motivant pouvait-il être n’était pas compatible avec le caractère incontrôlable de Lennie.

L’auteur nous met en présence de deux êtres tout à fait dissemblables qui errent sur le chemin d’une vie relationnelle complexe à une époque où règnent l’incompréhension et l’intolérance.

Dans une écriture simple, mais avec des mots dramatiquement justes, Steinbeck nous entraîne dans un voyage au cœur de l’âme humaine. Dans DES SOURIS ET DES HOMMES, il n’y a pas de longueurs, pas de mots inutiles et pas de compromis. Avec une incroyable justesse, l’auteur nous entraîne dans une profonde réflexion à plusieurs égards.

Je cite les conditions de vie dans la première moitié du 20e siècle, les préjugés raciaux et l’intolérance, les troubles de la santé mentale qui constituaient à l’époque une situation abstraite (l’est-elle moins aujourd’hui à part peut-être le fait que les maladies mentales sont identifiées, étiquetées?), il y a aussi les handicaps physiques et les petites guerres de pouvoir (symbolisées ici par un personnage méprisable : Curley, le fils du patron)

Dans son livre, Steinbeck dépeint une condition humaine dure et laissant peu de place aux compromis. J’ai ressenti, à la lecture de ce livre, une forte émotion m’amenant à l’introspection. C’est un roman noir mais qui nous pousse vers la lumière.

Habituellement, il en faut  beaucoup pour m’émouvoir mais ici, DES SOURIS ET DES HOMMES m’a frappé de plein fouet.

Ce livre est un chef d’œuvre…le genre de livre qu’on ne referme jamais tout à fait…

Suggestion de lecture : L’OEUVRE DE DIEU, LA PART DU DIABLE de John Irving

À L’ÉCRAN
Deux adaptations magnifiques du best-seller de Steinbeck.

John Malkovitch et Gary Sinize dans l’adaptation réalisée par Gary Sinize et sortie en 1992.
Et bien sûr, l’adaptation télé proposée par Radio-Canada en 1971.

John Steinbeck (1902-1968) est un écrivain américain. Son premier prix littéraire lui est attribué en 1935 avec TORTILLA FLAT mais il s’est surtout rendu célèbre par deux romans en particulier : DES SOURIS ET DES HOMMES et celui qu’il considère comme son meilleur : LES RAISINS DE LA COLÈRE, adapté au cinéma en 1940 et qui lui vaut le prix PULITZER. Il laisse aussi en héritage un autre grand roman : À L’EST D’EDEN, publié en 1952.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
FÉVRIER 2016

LA BIBLE DU HIBOU, livre d’HENRI GOUGAUD

*Il vint à pas de loup surprendre les amants,
se tint un long moment courbé comme un
voleur contre la porte  close, pleura quand
Blanche soupira, puis il entra avec ses gardes,
il fit empoigner Nicolas et dans la tour ferrée
ordonna qu’on l’enferme.*
(Extrait : LE PRISONNIER DE LA TOUR du recueil
LA BIBLE DU HIBOU d’Henri Gougaud, Éditions du
Seuil, 1993, édition de papier,  340 pages)

LA BIBLE DU HIBOU est un recueil de fables, légendes et récits très courts qui ont été recueillis par Gougaud dans tous les coins de la France. Ces histoires ont traversé les siècles jusqu’à nous et demeurent pourtant sans âge, sans doute à cause de leur capacité à nous propulser aux limites de l’inconnu et de la connaissance, nous faisant explorer nos peurs ataviques : fantômes, êtres de légende, le diable. Ce livre rappelle la tradition orale aujourd’hui gâchée par la télévision et Internet. Écrit dans un style qui confine parfois à la poésie, Henri Gougaud, ce célèbre conteur s’est laissé aller à sa passion…

Légendes, peurs bleues, fables…
*Un bateau barbaresque aux voiles rouges
apparut dans la crique. Pierre voulut rejoindre
la rive. Il n’en eut pas le temps. Dix hommes
dans une chaloupe vinrent sur lui par le devant,
l’empoignèrent,  bâillonnèrent sa bouche,
ligotèrent ses pieds et le jetèrent enfin sur
leur vaisseau pirate qui aussitôt apparailla.*
(Extrait : MAGUELONNE, du recueil LA BIBLE DU HIBOU)

Dans l’univers du conte, il n’y a pas vraiment de juste milieu. Ou c’est vivant ou c’est mort. On aime ou on aime pas. Moi j’ai bien aimé la  bible du hibou parce que l’adaptation des contes se rapproche beaucoup de la tradition orale d’où ils sont issus. En effet, ces histoires venant des quatre coins du monde ont été racontées avant d’être écrites.

Pour saisir leurs auditeurs et les garder captifs, les conteurs devaient imprégner leurs histoires d’émotions, d’exaltation, de conviction. Ils s’exclamaient, déclamaient et maintenaient constamment leur signature vocale dans un registre élevé d’intonation, d’expression et d’émotion.

Vous vous imaginez alors le défi que ça représente de traduire toutes ces vertus en écriture. Ce n’est pas simple. Dans la préface du livre, Joseph Kessel exprime fort bien la nature de ce défi : *…mais de l’oral à l’écrit, si l’on gagne en pureté, en rigueur, en précision, on perd beaucoup me semble-t-il en liberté, en jubilation…*

L’écrivain est prisonnier des lois et des règles de la langue dans laquelle il écrit. Plusieurs subissent les contraintes d’un éditeur ou des correcteurs. *Le conteur, lui, est sans cesse entraîné par le désir de ses auditeurs. Il va aussi loin que l’on veut. Il abreuve, il nourrit, stimulé par la soif et la faim de ceux qui l’écoutent…*

Voilà ce que sont dans les faits les racines de la littérature : *…un terreau de paroles cultivé des millénaires durant…* Cette volonté de rendre les textes vivants fait toute la beauté de LA BIBLE DU HIBOU.

Tous les textes du recueil sont courts et respectent la même règle d’écriture vivante imposée par Henri Gougaud. Je me vois très bien en retenir plusieurs et en raconter à des amis autour d’un feu de camp. En me référant à l’esprit du texte et à sa qualité d’adaptation, la conviction et l’intonation feront le reste.

LA BIBLE DU HIBOU vient nous rappeler que le conte est une forme littéraire qui a toujours nourrit l’imaginaire. Dans quoi croyez-vous que la science-fiction et le cinéma fantastique ont puisé pour grandir?

LA BIBLE DU HIBOU est un ouvrage qui m’a permis d’apprécier toute la force d’attraction du conte avec des histoires de peur, de fantômes de docs et de ruelles obscures, de diables, d’ombres inquiétantes et j’en passe. Le recueil ne se limite pas à faire peur, il divertit et nourrit notre soif de savoir et de connaître. Un bon livre…plein de vie…

Suggestion de lecture : LA SÉRIE DE CONTES DE VALÉRIE BONENFANT

Henri Gougaud (1936- ) est un écrivain, poète et conteur français né à Carcassonne. Il a aussi été homme de radio et parolier pour des chansonniers comme Serge Reggiani, Juliette Greco et Jean Ferrat. Homme-orchestre, il réactualise un style littéraire en déclin : le conte. Il dirige d’ailleurs les Collections MÉMOIRES DES SOURCES ET CONTES DES SAGES aux Éditions du Seuil. Son œuvre comprend aussi de nombreux romans, récits et essais avec un goût prononcé pour l’humour noir.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
FÉVRIER 2016

CRIMES ET JEANS SLIM, livre de LUC BLANVILLAIN

*Adé avait aussi institué la dispute obligatoire.
C’était le vendredi soir, quand les tensions de
la semaine s’étaient accumulées. Ils se
donnaient une demi-heure pour se disputer à
mort.*
(Extrait : CRIMES ET JEANS SLIM, Luc Blanvillain,
librairie général française, 2013, 239 pages)

CRIMES ET JEANS SLIM raconte l’histoire d’Adée, une adolescente de 15 ans qui, pour ne pas se faire remarquer des filles de son âge au lycée, turbulentes et rebelles, décide de devenir la pire de toutes : elle devient fashion, méchante, moqueuse et adopte le style éclaté de ses camarades, évitant ainsi leurs moqueries et leurs brusqueries. Ça fonctionne jusqu’au jour où un tueur en série se pointe dans le décor cherchant justement à abattre les filles du genre *pétasse* et *pouffe*.  Avec ses amis, Adée décide de mener sa propre enquête. Devra-t-elle quitter les grands airs qu’elle a choisi de se donner?

LA TRIPLE VIE D’ADÉLAÏDE
sage à la maison, fashion à l’école et entre les deux :
DÉTECTIVE

*Adélaïde venait d’atteindre sa quinzième année.
Trois ans plus tôt, toutes ses copines étaient
devenues des monstres. C’était normal, vers 12
ans, les filles deviennent des monstres. Elles
rient avec des yeux terrifiants. Les garçons me
direz-vous, c’est un peu pareil. Oui, mais dans
cette histoire, ce sont des filles qui vont mourir.
Principalement.
(Extraite : CRIMES ET JEANS SLIM)

Voici un bon petit roman plein d’action et d’humour que les jeunes apprécieront je crois. Moi en tout cas, j’en ai apprécié la lecture même si j’ai été un peu refroidi par certaines faiblesses. J’aborderai d’abord les forces du récit car il m’a quand même gardé captif et intéressé.

D’abord l’écriture suit une dynamique constante. Le fil conducteur est clair et sans déviance. Avec des chapitres courts, ça rend le tout facile à lire. Les principaux personnages sont attachants.

Mon préféré est Rod, le petit frère d’Adélaïde, un jeune intello débordant d’imagination et obsédé par les éléphants parce que son père a été tué par un éléphant. Rod est probablement le plus caricatural des personnages de ce roman. Son évolution dans le récit est graduelle et constante jusqu’à ce que l’âme du héros éclate au grand jour.

En général, tous les personnages ont un ptit quelque chose qui plaît. Ça devrait plaire aux jeunes d’autant que dans ce récit, ce sont des ados qui mènent l’enquête en réalité, faisant passer les policiers pour un peu lourdauds. Le style d’écriture est agréable et enlevé. Plusieurs passages m’ont arraché des sourires…je ne me suis pas ennuyé.

La faiblesse du récit tient dans son aspect caricatural. Par exemple, je mentionne le fait que l’héroïne, Adé a 15 ans alors que le public visé est je crois plus jeune. Aussi, le portrait social des jeunes filles de 12-14 ans est peu flatteur et je ne suis pas sûr que les jeunes filles l’approuvent, le thème de la *pouffe* étant omniprésent dans ce roman.

Je peux aussi mentionner le fait que le récit a toutes les apparences d’une histoire de filles alors que c’est un garçon qui a le fin mot de l’histoire sans compter le fait que le tueur en série est d’une naïveté peu crédible. Enfin, la finale est simpliste et tirée par les cheveux même si elle est empreinte d’originalité. Quoiqu’il en soit, l’auteure fait patauger les adultes dans son histoire…ce n’est pas pour déplaire aux jeunes.

Je pense que le jeune public appréciera ce livre et les adultes aussi. Je note au passage que le récit est porteur d’une intéressante réflexion sur des thèmes qui concernent directement la jeunesse : l’estime de soi, le conformisme, le harcèlement, l’authenticité et surtout LA TOLÉRANCE. Ces thèmes relèvent du *non-dit* dans l’histoire mais ils m’ont semblé terriblement perceptibles.

…une agréable lecture…divertissante et drôle…

Suggestion de lecture : CRIMES À LA LIBRAIRIE, Collectif, recueil  de nouvelles

Luc Blanvillain est un écrivain français né à Poitiers en 1967. Il donne libre cours à sa passio de l’écriture et de la créativité en montant avec ses lycéens des ateliers d’écriture, de nouvelles alternatives et du théâtre. Il écrit d’abord pour les adultes mais se tourne rapidement vers la littérature jeunesse. Encouragé par le succès de CRIMES ET JEANS SLIM en 2010, il récidivera avec plusieurs autres titres dont UNE HISTOIRE DE FOUS en 2011, CUPIDON POWER en 2013 et WI-FI GÉNIE, publié en 2014.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
JANVIER 2016

CRIMES À LA LIBRAIRIE, collectif de nouvelles

*L’heure est venue. Discrètement, il prend un verre de vin rouge et y laisse tomber
quelques gouttes de funeste poison. Un convive le regarde d’un air réprobateur
mais poli. -C’est pour ma pression artérielle…
(Extrait : UN CADAVRE AU CRÉPUSCULE de Robert Soulières, du recueil CRIMES À LA LIBRAIRIE, Éditions Druide, 2014, 734 pages)

CRIMES À LA LIBRAIRIE est un recueil de seize nouvelles écrites par des auteurs québécois sous un thème unique. La meilleure façon de décrire cet ouvrage est encore de citer le réalisateur du projet Richard Migneault: *Je vous invite donc…à rencontrer ces seize écrivains de chez nous pour nous amener ailleurs au cœur même de leur imaginaire. Pour stimuler leur créativité et votre curiosité, je leur ai donné un devoir pas très facile à réaliser…faire de la librairie une véritable scène de crime, transformant du coup chaque livre qui s’y trouve en témoin de l’énigme, du suspense, de l’insoutenable* 

Cette anthologie regroupe autant d’auteurs de renoms que ceux les plus prometteurs de la relève. La crème de la littérature québécoise y est. Polars, récits noirs et frissons au programme.

LES NOUVELLES :
-PUBLIC CIBLE de Patrick Sénécal
-LE LIBRAIRE ET L’ENFANT de Martine Latulippe
-UNE LONGUE VIE TRANQUILLE de Martin Michaud
-LE PSAUME DU PSOQUE de Benoît Bouthillette
-DES HEURES À LA LIBRAIRIE de Chrystine Brouillet
-UN CADAVRE AU CRÉPUSCULE de Robert Soulières
-L’HOMME QUI DÉTESTAIT LES LIVRES de Sylvain Meunier
-PERINDE AC CADAVER d’André Jacques
-JUNGLE JUNGLE de Jacques Coté
-DERNIER CHAPITRE AU BOOKPALACE de Florence Menay
-MON COMBAT de Mario Bolduc
-233°C de Johanne Seymour
-ROUGE TRANCHANT de Camille Bouchard
-LE PALMARÈS de Richard Ste-Marie
-DEMI-DEUIL d’Arianne Gélinas
-RARES SONT LES HOMMES de Geneviève Lefebvre

La mort entre les livres
*-Oui je vais signer.
-Bon là tu parles. Good man!
Robinson griffonna deux mots
«fuck off»

et remit la feuille à Bennet. En
voyant l’affront de ce jeune
insolent, il devint rouge de colère.
(Extrait de JUNGLE JUNGLE de Jacques
Côté, du recueil CRIMES À LA LIBRAIRIE)

CRIMES À LA LIBRAIRIE est le fruit d’une très intéressante expérience dirigée par Richard Migneault qui a réuni 16 auteurs québécois autour d’un thème bien précis : un crime dans une librairie, sujet original s’il en est car avec son atmosphère tamisée, son calme bucolique et l’attraction qu’elle exerce sur les esprits en quête de mots et d’histoires, la librairie est un endroit qui ne se prête pas beaucoup au meurtre.

Ce thème est une trouvaille qui a mis en lumière tout le talent des auteurs sélectionnés et bien sûr la puissance de leur plume. L’objectif de l’expérience est simple : faire connaître l’univers du polar québécois et le résultat a donné une remarquable anthologie qui m’a accroché car elle m’a permis de faire des découvertes très intéressantes.

Bien sûr j’y ai retrouvé des auteurs avec lesquels j’étais déjà familier comme Patrick Sénécal, Robert Soulières, Christine Brouillet et Martin Michaud, mais j’ai aussi découvert des auteurs qui m’ont surpris et mon donné le goût d’explorer davantage leur œuvre et leur style comme par exemple Geneviève Lefèbvre dont la nouvelle RARES SONT LES HOMMES est particulièrement oppressante.

En ce qui me concerne, la qualité des textes va de très bonne à excellente. Les textes varient beaucoup en intensité, en recherche et en originalité. Comme dans tous les recueils, il y a des bonnes nouvelles, il y en a de moins bonnes. Je ne prétends pas vous dire quelles sont les meilleures mais j’ai particulièrement accroché sur la nouvelle de Martine Latulippe LE LIBRAIRE ET L’ENFANT.

Développer une histoire de meurtre dans une librairie demandant déjà beaucoup d’imagination, y impliquer un enfant rend encore plus complexe le défi littéraire sur le plan contextuel…un défi bien relevé par L’auteure qui se spécialise dans la littérature pour enfants. C’est ce qu’on pourrait appeler une double-vie littéraire.

J’ai aussi beaucoup apprécié la nouvelle d’Ariane Gélinas DEMI-DEUIL, un récit basé sur le parfum de la libraire, qui exhale jusqu’à rendre fou. Cette nouvelle n’est pas sans me rappeler l’œuvre célèbre de l’écrivain allemand Patrick Süskind LE PARFUM dont j’ai déjà parlé sur ce site. Comme je l’ai déjà précisé, décrire une odeur avec justesse et émotion est déjà un énorme défi.

Suggestion de lecture : 17 NOUVELLES ENQUÊTES DE SHERLOCK HOLMES, recueil d’Arthur Conan Doyle


Martine Latulippe à gauche et Ariane Gélinas

Je crois que grâce à l’initiative de Richard Migneault, la littérature québécoise s’est enrichie d’un fleuron qui place le polar québécois au rang de littérature de haut niveau. Il serait intéressant de répéter l’expérience avec des auteurs québécois en émergence. Les résultats pourraient être fort intéressants.

Directeur d’école à la retraite, Richard Migneault est un défenseur de la littérature québécoise. Animateur du blogue POLAR, NOIR ET BLANC et coordonnateur des Prix TENEBRIS des PRINTEMPS MEURTRIERS DE KNOWLTON, il s’est donné pour mission de faire connaître les auteurs québécois de polar en Amérique et en Europe. Il intensifie sa mission en réunissant 16 écrivains québécois autour d’un même thème, ce qui nous a donné l’excellent recueil CRIMES À LA LIBRAIRIE.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
JANVIER 2016