CRIMES À LA LIBRAIRIE, collectif de nouvelles

*L’heure est venue. Discrètement, il prend un verre de vin rouge et y laisse tomber
quelques gouttes de funeste poison. Un convive le regarde d’un air réprobateur
mais poli. -C’est pour ma pression artérielle…
(Extrait : UN CADAVRE AU CRÉPUSCULE de Robert Soulières, du recueil CRIMES À LA LIBRAIRIE, Éditions Druide, 2014, 734 pages)

CRIMES À LA LIBRAIRIE est un recueil de seize nouvelles écrites par des auteurs québécois sous un thème unique. La meilleure façon de décrire cet ouvrage est encore de citer le réalisateur du projet Richard Migneault: *Je vous invite donc…à rencontrer ces seize écrivains de chez nous pour nous amener ailleurs au cœur même de leur imaginaire. Pour stimuler leur créativité et votre curiosité, je leur ai donné un devoir pas très facile à réaliser…faire de la librairie une véritable scène de crime, transformant du coup chaque livre qui s’y trouve en témoin de l’énigme, du suspense, de l’insoutenable* 

Cette anthologie regroupe autant d’auteurs de renoms que ceux les plus prometteurs de la relève. La crème de la littérature québécoise y est. Polars, récits noirs et frissons au programme.

LES NOUVELLES :
-PUBLIC CIBLE de Patrick Sénécal
-LE LIBRAIRE ET L’ENFANT de Martine Latulippe
-UNE LONGUE VIE TRANQUILLE de Martin Michaud
-LE PSAUME DU PSOQUE de Benoît Bouthillette
-DES HEURES À LA LIBRAIRIE de Chrystine Brouillet
-UN CADAVRE AU CRÉPUSCULE de Robert Soulières
-L’HOMME QUI DÉTESTAIT LES LIVRES de Sylvain Meunier
-PERINDE AC CADAVER d’André Jacques
-JUNGLE JUNGLE de Jacques Coté
-DERNIER CHAPITRE AU BOOKPALACE de Florence Menay
-MON COMBAT de Mario Bolduc
-233°C de Johanne Seymour
-ROUGE TRANCHANT de Camille Bouchard
-LE PALMARÈS de Richard Ste-Marie
-DEMI-DEUIL d’Arianne Gélinas
-RARES SONT LES HOMMES de Geneviève Lefebvre

La mort entre les livres
*-Oui je vais signer.
-Bon là tu parles. Good man!
Robinson griffonna deux mots
«fuck off»

et remit la feuille à Bennet. En
voyant l’affront de ce jeune
insolent, il devint rouge de colère.
(Extrait de JUNGLE JUNGLE de Jacques
Côté, du recueil CRIMES À LA LIBRAIRIE)

CRIMES À LA LIBRAIRIE est le fruit d’une très intéressante expérience dirigée par Richard Migneault qui a réuni 16 auteurs québécois autour d’un thème bien précis : un crime dans une librairie, sujet original s’il en est car avec son atmosphère tamisée, son calme bucolique et l’attraction qu’elle exerce sur les esprits en quête de mots et d’histoires, la librairie est un endroit qui ne se prête pas beaucoup au meurtre.

Ce thème est une trouvaille qui a mis en lumière tout le talent des auteurs sélectionnés et bien sûr la puissance de leur plume. L’objectif de l’expérience est simple : faire connaître l’univers du polar québécois et le résultat a donné une remarquable anthologie qui m’a accroché car elle m’a permis de faire des découvertes très intéressantes.

Bien sûr j’y ai retrouvé des auteurs avec lesquels j’étais déjà familier comme Patrick Sénécal, Robert Soulières, Christine Brouillet et Martin Michaud, mais j’ai aussi découvert des auteurs qui m’ont surpris et mon donné le goût d’explorer davantage leur œuvre et leur style comme par exemple Geneviève Lefèbvre dont la nouvelle RARES SONT LES HOMMES est particulièrement oppressante.

En ce qui me concerne, la qualité des textes va de très bonne à excellente. Les textes varient beaucoup en intensité, en recherche et en originalité. Comme dans tous les recueils, il y a des bonnes nouvelles, il y en a de moins bonnes. Je ne prétends pas vous dire quelles sont les meilleures mais j’ai particulièrement accroché sur la nouvelle de Martine Latulippe LE LIBRAIRE ET L’ENFANT.

Développer une histoire de meurtre dans une librairie demandant déjà beaucoup d’imagination, y impliquer un enfant rend encore plus complexe le défi littéraire sur le plan contextuel…un défi bien relevé par L’auteure qui se spécialise dans la littérature pour enfants. C’est ce qu’on pourrait appeler une double-vie littéraire.

J’ai aussi beaucoup apprécié la nouvelle d’Ariane Gélinas DEMI-DEUIL, un récit basé sur le parfum de la libraire, qui exhale jusqu’à rendre fou. Cette nouvelle n’est pas sans me rappeler l’œuvre célèbre de l’écrivain allemand Patrick Süskind LE PARFUM dont j’ai déjà parlé sur ce site. Comme je l’ai déjà précisé, décrire une odeur avec justesse et émotion est déjà un énorme défi.

Suggestion de lecture : 17 NOUVELLES ENQUÊTES DE SHERLOCK HOLMES, recueil d’Arthur Conan Doyle


Martine Latulippe à gauche et Ariane Gélinas

Je crois que grâce à l’initiative de Richard Migneault, la littérature québécoise s’est enrichie d’un fleuron qui place le polar québécois au rang de littérature de haut niveau. Il serait intéressant de répéter l’expérience avec des auteurs québécois en émergence. Les résultats pourraient être fort intéressants.

Directeur d’école à la retraite, Richard Migneault est un défenseur de la littérature québécoise. Animateur du blogue POLAR, NOIR ET BLANC et coordonnateur des Prix TENEBRIS des PRINTEMPS MEURTRIERS DE KNOWLTON, il s’est donné pour mission de faire connaître les auteurs québécois de polar en Amérique et en Europe. Il intensifie sa mission en réunissant 16 écrivains québécois autour d’un même thème, ce qui nous a donné l’excellent recueil CRIMES À LA LIBRAIRIE.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
JANVIER 2016

LA CHANCE DU DIABLE, livre d’IAN KERSHAW

Le récit de l’opération Walkyrie

*…je m’adresse aujourd’hui à vous pour deux
raisons : 1. Que vous puissiez entendre ma
voix et sachiez que je ne suis pas blessé et
que je vais bien; 2. Mais aussi que vous soyez
au courant des détails d’un crime qui est sans
équivalent dans l’histoire de l’Allemagne.*
(extrait du discours de Hitler dans la nuit du 21
juillet 1944 dans LA CHANCE DU DIABLE de Ian
Kershaw, Flammarion 2009, num. 150 pages.)

LA CHANCE DU DIABLE raconte, au fil des heures, le déroulement de la célèbre OPÉRATION WALKYRIE lancée le 20 juillet 1944, alors qu’une bombe éclatait dans la tanière du Loup, le quartier général d’Hitler, sur place avec ses principaux généraux. On sait qu’à ce moment, Hitler était le seul obstacle qui empêchait de mettre fin à une guerre définitivement perdue pour l’Allemagne. Kershaw raconte comment cette opération, qui a eu un effet d’ouragan sur le Parti Nazi et l’Allemagne, a lamentablement échoué, s’étant enlisée dans un amalgame de malchance et de confusion. Mais si les conjurés ont été malchanceux, c’est que quelqu’un quelque part a été chanceux…

Veine ou déveine?
*Entrer dans la conjuration contre Hitler, ou même
flirter avec elle, c’était mesurer, au fond de soi,
la distance qui vous séparait de vos amis, de vos
collègues, de vos camarades, entrer dans un
monde crépusculaire où les dangers étaient
immenses et s’isoler socialement, idéologiquement
et même moralement.*
(Extrait : LA CHANCE DU DIABLE le récit de l’opération
Walkyrie)

Ce livre raconte, presqu’en temps réel, les origines, l’organisation et le déroulement de la célèbre opération Walkyrie qui visait à assassiner Adolph Hitler le 20 juillet 1944 dans sa *tanière du loup*, c’est-à-dire son quartier général et par la suite réaliser un COUP D’ÉTAT qui devait en principe, permettre de négocier une capitulation honorable (car la guerre semblait irrémédiablement perdue pour l’Allemagne) et permettre une reconstruction de l’Allemagne.

C’est un livre crédible. Il évoque principalement l’incroyable chance d’Hitler d’avoir échappé à autant de tentatives d’assassinat, dont celle de l’opération Walkyrie, (qu’Hitler s’en soit sorti alors qu’il était à peine à quelques mètres de la bombe tient pratiquement du miracle).

le livre met aussi en perspective la malchance évidente des cerveaux de l’opération dont Von Stauffemberg et évoque aussi des faiblesses qui ne sont pas étrangères à l’échec de l’opération : de la confusion, de l’indécision de plusieurs membres de l’organisation (peut-être exacerbée par la crainte d’Hitler et des SS) et d’évidents problèmes de communication.

C’est un récit au rythme très élevé qui couvre tous les aspects de l’opération depuis les origines jusqu’à l’exécution des conjurés et qui m’a éclairé de façon satisfaisante relativement aux effets de Walkyrie sur l’évolution du nazisme et sur l’incroyable paranoïa qui caractérisait Hitler vers la fin de son règne. J’ajoute à cela plusieurs passages éclairants sur le contexte politique, humain et spirituel entourant Walkyrie.

La faiblesse évidente du livre réside dans une certaine étroitesse des mises en contexte et l’absence de référence : pas de prologue (il aurait été intéressant de voir par exemple quelles leçons les Allemands ont retenues de la première grande guerre, si leçons il y a), pas de bibliographie et pas d’organigramme, ni politique ni militaire.

Je vous avoue que je me suis pas mal perdu dans l’extraordinaire complexité de l’organisation militaire allemande qui déborde d’innombrables généraux, de chefs d’état-major, de colonels et colonels généraux, de lieutenants aux multiples affectations et j’en passe…

Je vous recommande donc ce livre mais je vous avertis qu’il nécessite une certaine concentration. L’auteur étant un grand spécialiste accuse je crois un petit manque d’empathie envers le lecteur.

Enfin, il serait intéressant qu’un auteur éclairé bâtisse une uchronie à partir de Walkyrie. En effet, imaginez un instant que l’opération ait réussi…

Suggestion cde lecture : LE MYSTÈRE MENGELE, de Jorge Camasara

Ian Kershaw est un historien, spécialiste de la seconde guerre mondiale et du nazisme, né le 29 avril 1943 à Oldha (Grand Manchester) en Angleterre. Il a écrit entre autres une biographie d’Hitler en deux tomes, considérée encore aujourd’hui comme une référence majeure sur le plan historique. Le principal argument de Kershaw sur l’installation de la dictature nazie repose sur le racisme confinant à la xénophobie, des dirigeants dénués de jugement, sur Adolph Hitler lui-même, en particulier sur son extraordinaire pouvoir charismatique… 

Adaptation au cinéma :
WALKYRIE

L’opération Walkyrie est brillamment reconstituée dans le film de Bryan Singer : WALKYRIE, sortie en 2009 avec Tom Cruise (qui incarne le colonel Von Stauffemberg)  à la tête d’une solide distribution dont Bill Nighy dans le rôle de Friedrich Oldbricht et Tom Wilkinson dans le rôle du général Fromm. L’adaptation est d’une précision historique et contextuelle fort intéressante. Je recommande de le regarder avant la lecture du livre, si celle-ci figure dans vos projets.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
JANVIER 2016

VENT D’AVENTURES, de VÉRONIQUE D. BELLEGO

*Je frémissais d’excitation, de joie, d’impatience
et de peur. Elle se tenait debout à l’avant, droite,
et regardait dans notre direction. La Reine des
Océans…*
(Extrait : Le club des Inséparables, VENT D’AVENTURES,
Véronique Delamarre-Bellego, éditions Oskarson,
Oskar jeunesse, 2010, num. 130 pages)

Comme chaque été, Rosalie et Alexandre passent leurs vacances avec leurs grands-parents à Cap Coz en Bretagne. Cette fois, ils sont accompagnés par leurs cousins Clara et Antoine. Un jour, une lettre qui ne leur est pas destinée vient chambouler leurs vacances. Qui est ce mystérieux destinataire : Erwan de Kermadec? Qui a écrit la lettre? Et puis qui sont ces marins qui font soudainement apparition dans leur petit coin tranquille. Il semble que mystère et aventures pourraient bien s’ajouter au menu de leurs vacances. Les inséparables décident d’enquêter. 

Une lettre arrive et tout bascule
Ils nous fascinaient et nous effrayaient
tout à la fois. Si nous les avions croisés
au détour d’un chemin, nous aurions
pris nos jambes à nos cous.
(Extrait : Vent d’aventures)

C’est un bon petit roman pour les enfants à l’esprit aventurier et qui est magnifiquement illustré par Pierre Beaucousin qui en est à sa quatrième collaboration avec l’auteure Véronique Delamarre-Bellégo chez Oskar éditions.

Ce qui m’a plu dans ce livre est qu’il y en a pour tous les goûts que les lecteurs soient garçons ou filles qui aiment en général laisser aller leur imagination dans une histoire pas compliquée sur fond de vacances, de liberté, de courage, d’abnégation, de générosité, de chevalerie…

C’est un roman d’aventure évidemment mais c’est aussi une belle histoire d’amour et de loyauté. L’intrigue est facile à suivre et pousse les jeunes lecteurs à résoudre les énigmes et imaginer la suite.

La véritable force du roman est dans l’altruisme qui s’en dégage. Le livre est en effet porteur de messages très positifs pour la jeunesse. En effet, dans ce récit, Târa et Erwan appartiennent au SHANGRI-LA, un magnifique vaisseau dominant la mer et qui n’a qu’une seule et unique vocation : parcourir les mers, atteindre les continents démunis, aider et soigner les plus pauvres, venir en aide en particulier aux femmes et aux enfants qui ne possèdent presque rien, assister et soutenir les populations victimes des forces de la nature tels séismes, ouragans, épidémies…

Cette caractéristique donne au récit un petit côté autobiographique car l’auteure a elle-même beaucoup voyagé, côtoyé la misère et rencontrer beaucoup de gens qui consacrent leur vie au service des plus démunis. Depuis, elle essaie elle-même d’aider ces personnes généreuses par le biais d’une association de parrainage d’enfants d’Asie : ENFANTS DU MÉKONG. (  www.enfantsdumekong.com  )

Le thème des jeunes inséparables n’est pas nouveau en soi. Il a été abondamment développé en littérature, au cinéma et à la télé, je pense par exemple au club des 5. Mais ce thème a toujours été apprécié par les jeunes pour qui l’amitié et la famille sont des notions extrêmement importantes.

Je recommande aux jeunes VENT D’AVENTURES. C’est un récit sensible, développé intelligemment et qui porte très bien son titre.

Suggestion de lecture : D’ÉTOILE EN ÉTOILE, de Maurice Limat

Véronique Delamarre-Bellégo est une auteure française spécialisée dans la littérature-jeunesse. Après son passage dans les hautes études commerciales et un début de carrière comme femme  d’affaires, elle décide de suivre son mari que le travail amène à s’installer à Singapour et par la suite au Japon.

Pendant tous ses voyages, Véronique Delamarre-Bellégo développe une passion : écrire pour les enfants. C’est ainsi qu’en 2007 elle entame une étroite collaboration avec l’éditeur Oskar et publie LISE, MA CHÉRIE. Depuis, au moment d’écrire ces lignes, 12 autres romans ont suivi, toujours chez Oskar, le plus récent étant BANZAÏ SAKURA, publié en 2014.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
JANVIER 2016

 

DARWIN ET L’ÉVOLUTION EXPLIQUÉS À NOS PETITS-ENFANTS

Commentaire sur le livre de
Pascal Picq

*…de sa conception à sa mort, un individu se développe et croît en suivant un
programme. C’est exactement en ce sens qu’il faut comprendre la première
définition du terme <évolution> dans les sciences de la vie…*
(Extrait : DARWIN ET L’ÉVOLUTION EXPLIQUÉ À NOS PETITS-ENFANTS,  Pascal Picq, Éditions du Seuil, 2009, numérique, 71 pages.)

DARWIN ET L’ÉVOLUTION EXPLIQUÉS À NOS PETITS ENFANTS est un essai qui vise à expliquer le plus simplement possible la théorie de Charles Darwin sur l’évolution des espèces et à vulgariser et passer en revue d’autres théories comme celles de Lamarck et Cuvier. L’ouvrage, présenté sous forme de questions-réponses explique également pourquoi la théorie de l’évolution se heurte encore à autant de résistances de nos jours. Ce livre a été publié à l’intention des jeunes, mais s’adresse aussi aux adultes, les enseignants et les parents qui souhaitent comprendre la question complexe de l’évolution, histoire de mieux se préparer à répondre aux nombreuses questions des enfants.

Bel effort de simplification
*Toutes les facultés supérieures de l’homme
comme la morale, le souci de l’autre ou
sympathie, la représentation de l’autre ou
empathie, le rire, la colère, etc.,
proviennent d’une histoire naturelle que
nous partageons avec les espèces les plus
proches de nous, donc les singes…*
(Darwin, extrait de DARWIN ET L’ÉVOLUTION
EXPLIQUÉE À NOS PETITS ENFANTS)

C’est un petit ouvrage fascinant qui passe en revue les grands principes de l’évolution et qui vient vulgariser et simplifier les grandes théories qui sont toujours, aujourd’hui,  au cœur d’un débat scientifique à l’échelle mondiale. C’est comme qui dirait au Québec un cours *d’évolution 101* préparé à l’intention des enfants mais dans lequel beaucoup d’adultes pourraient trouver leur bonheur, ce qui fût mon cas.

Donc ce fascicule passe en revue les grandes théories de l’évolution, entre autres : celle du naturaliste Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829), du naturaliste paléontologue Georges Cuvier (1769-1832) et surtout, celle de Charles Darwin (1809-1882) portant sur l’évolution des espèces vivantes et qui a révolutionné les sciences naturelles.

L’auteur démystifie des termes comme évolution, sélection naturelle, darwinisme et néo-darwinisme, catastrophisme, transformisme, théorie des équilibres ponctués, théorie synthétique et du handicap, l’origine des espèces et j’en passe.

Ce petit livre explique de façon simple et claire une question complexe et laisse à penser que sans l’évolution, on ne serait pas là et qu’il est important de comprendre l’évolution si on veut assurer la pérennité des générations à venir. Le livre explique également pourquoi le débat sur l’évolution est toujours aussi actif dans le monde et divise autant les scientifiques. Et ça c’est un aspect extrêmement intéressant.

Par exemple Darwin prenait toutes les traditions à rebrousse-poil en affirmant que l’homme a une histoire  naturelle et qu’il a eu des ancêtres qui n’étaient pas des hommes. L’auteur précise que scientifiques et amis intimes de Darwin peinent à suivre la logique évolutionniste appliquée à l’homme.

D’ailleurs, même au moment de sa mort, Darwin était conscient des dérives de sa théorie. En fait, toutes les théories ont des failles, et ces failles s’entrecroisent encore aujourd’hui. Pourtant, pour l’auteur Daniel Pick, rien n’est vraiment compréhensible de la vie hors de la théorie de l’évolution.

Seul point un peu agaçant : les questions-réponses. L’enfant pose toujours les bonnes questions, au bon moment, avec une exceptionnelle mémoire et avec un raisonnement que beaucoup d’adultes lui envieraient. Pour un enfant entre 10 et 13 ans, c’est comme trop beau pour être vrai. Mais bon, cette faiblesse est bien surmontable.

Dans l’ensemble c’est vraiment un bon petit livre, mais son niveau demeure élevé, vue la complexité du sujet. Il faut le prendre pour ce qu’il est : un ouvrage qui introduit les enfants et les non-initiés dans un domaine scientifique complexe, encore à débroussailler de nos jours.

Suggestion de lecture : LE SINGE NU, de Desmond Morris

Pascal Pick, né en 1954 est  un paléoanthropologue et conférencier, auteur de plusieurs ouvrages et articles scientifiques traitant de l’espèce humaine et de l’évolution. L’ensemble de son œuvre semble marqué par une seule et même question : qu’est-ce que l’humain. Il a aussi écrit entre autres : LES ORIGINES DE L’HOMME, AU COMMENCEMENT ÉTAIT L’HOMME et LE SEXE, L’HOMME ET L’ÉVOLUTION. Son œuvre comprend sept ouvrages pour la jeunesse.

Pour en savoir plus sur l’auteur, consultez son site officiel : www.pascalpick.fr

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
DÉCEMBRE 2015

 

Capitaine Static, BD d’Alain M. Bergeron et Sampar

*Qui s’y frotte, s’y tic!
Telle est la devise du
Capitaine Static.*
(Extrait : CAPITAINE STATIC,
Alain M. Bergeron et Sampar,
Québec Amérique, 2007, rééd. :
2010. Num. 87 pages.
Alternance de texte et de BD)

Au moment d’écrire ces lignes, la série CAPITAINE STATIC comprend 6 volumes proposant une alternance de textes et de bandes dessinées. La série qui devrait se poursuivre constitue une parodie de la culture des superhéros. Elle raconte l’histoire d’un jeune garçon, Charles Simard qui se découvre un pouvoir spécial quand il porte ses pantoufles en phentex. Charles décide de s’en servir pour défendre les opprimés en commençant par…lui-même. Il s’entoure d’une petite bande dont il devient le capitaine et nous entraîne, d’un volume à l’autre, dans une série d’aventures originales, drôles, voire loufoques. 8-14 ans.

ET VIVE LE PHENTEX…
*Je suis furieux de voir ces garçons
aussi peu respectueux des livres.
Ils pourraient agir ainsi avec ma
future biographie officielle!*
(Extrait de la série CAPITAINE STATIC)

CAPITAINE STATIC est une série de petits volumes pour les pré-ados. J’ai lu six tomes et je dois le dire, je me suis amusé. Ce sont de petites histoires drôles, amusantes, imaginatives avec de l’action, des situations loufoques et des revirements comiques et, à l’avant-plan, un petit garçon sympathique, très éveillé et qui utilise un petit pouvoir très simple pour tenter de réaliser quelques rêves de gloire et de reconnaissance parmi ses pairs.

Cette série est présentée dans une forme littéraire extrêmement intéressante quoique peu répandue : une alternance de textes et de bandes dessinées. C’est-à-dire une partie narrée quand l’action est à la baisse (lorsque Capitaine Static concocte un plan ou réfléchit) conjuguée à la bande dessinée (lorsqu’il y a de l’action ou une chaîne d’évènements).

Cette formule offre un merveilleux avantage à mon avis. En effet, elle amène le jeune lecteur à une transition en douceur entre la bande dessinée et le récit romancé.

J’ai été frappé par l’originalité du contenu et séduit par la parodie de la culture des superhéros développée par l’auteur. J’ai été aussi surpris de toutes les chaînes d’évènements provoqués par les qualités particulières d’une paire de pantoufles. Il y a vraiment tout ce qu’il faut dans cette série pour garder le jeune lecteur captif du récit et lui donner le goût de passer d’un tome à l’autre.

D’ailleurs, la reconnaissance n’a pas tardé à se faire sentir pour Bergeron et Sampar. La série s’est rapidement *bardée* de prix et de distinction de toutes sortes.

Par exemple, peu après sa sortie en 2007, le volume un de CAPITAINE STATIC remportait le prix HACKMATACK, le choix des jeunes, puis le prix du livre DISTINCTION TAMARACK 2009 et la liste des distinctions pour ce volume et ceux qui suivent est longue.

Je crois que la série réunit tous les éléments nécessaires pour donner aux jeunes le goût de la lecture : l’écriture est simple, les illustrations vivantes et amusantes, les personnages attachants, il y a de l’action, les histoires sont développées avec intelligence. Ça se lit vite et bien.

Suggestion de lecture : YUL ET SA CLIQUE, bd de Julien Mariole

Les titres que j’ai lus :-Capitaine Static 1, 2007
-Capitaine Static 2, L’imposteur, 2009
-Capitaine Static 3, L’étrange Miss Fissy, 2009
-Capitaine Static 4, Le maître des Zions, 2012
-Capitaine Static 5, La bande des trois, 2013
-Capitaine Static 6, Mystère et boule de gomme, 2014

Alain Bergeron (à gauche) est un auteur québécois né en 1957 et résident de Victoriaville. Il était journaliste avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Il s’est tourné vers la littérature jeunesse parce qu’il aime raconter des histoires.

Pour lui, être lu par des jeunes est une de ses plus grandes joies. Au moment de la publication de cet article, il avait déjà écrit près de 180 livres chez une dizaine d’éditeurs.

Samuel Parent est un illustrateur et bédéiste québécois chevronné qui publie sous le pseudonyme SAMPAR. Sa carrière a pris son envol chez SAFARIR, la célèbre revue humoristique. Il connaîtra la notoriété avec son personnage ÉMILE non seulement au Québec mais aussi aux États-Unis et en Australie.

Par la suite, il s’associera avec Alain Bergeron pour réaliser LA VIE SECRÈTE DU PÈRE NOËL publiée pendant trois ans dans le temps des fêtes, dans le journal de Montréal et bien sûr pour la réalisation de la série CAPITAINE STATIC.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
DÉCEMBRE 2015

MATRICULE 728, servir et se faire salir

Commentaire sur le livre de
BERNARD TÉTRAULT
et STÉFANIE TRUDEAU

*Tout a changé le soir du 20 mai 2012 quand, intervenant
dans une des émeutes de la grève étudiante, je me suis
retrouvée à la une de tous les journaux, à la radio, à la
télévision et sur les réseaux sociaux, décriée comme «une
folle qui a pété sa coche»…*
(Extrait : MATRICULE 728, servir et se faire salir, Bernard
Tétrault et Stéphanie Trudeau, Éditions Ada, 2015, 304 pages)

Lors des manifestations étudiantes du printemps 2012, à Montréal,  Stéfanie Trudeau, connue comme matricule 728 du SPVM, est filmée aspergeant de gaz poivre des manifestants. Le 2 octobre 2012, elle tente d’arrêter un homme qui buvait une bière sur la voie publique près d’une résidence d’artistes. L’évènement est filmé par une passante avec son téléphone portable.

Trudeau  applique une prise d’étouffement sur l’homme qu’elle voulait arrêter ; quand finalement elle lâche prise, elle fait un rapport verbal de l’incident, rapport enregistré sur un téléphone portable saisi et dont la fonction enregistrement avait été accidentellement déclenchée ; son langage est parsemé de jurons et d’insultes à l’endroit des occupants de la résidence. Avec Internet, les vidéos font le tour du monde.

Suite à ces évènements et à certains antécédents relatifs aux agissements de Stéfanie Trudeau, personne ne prendra sa défense, ni les autorités policières du SPVM, encore moins la presse.

En 2015, donc trois ans plus tard, bien que la poussière ne soit pas encore retombée sur ces évènements sur les plans judiciaires et médiatiques, Stéfanie Trudeau, vivant l’ensemble de cette situation comme une descente aux enfers, décide de publier un livre pour s’expliquer en entraînant le lecteur sur le terrain des évènements.

Photo d’une manifestation étudiante captée à Montréal lors du *printemps érable*, la grève étudiante la plus longue et la plus imposante de l’histoire du Canada, déclenchée en réponse à l’augmentation projetée des droits de scolarité universitaire dans le budget du Québec 2012-2013 du gouvernement libéral de Jean Charest.

Un long justificatif
*J’avais agi, dans l’imaginaire des gens, sous le
coup de la frustration, de la colère et de
l’impatience, alors que j’avais fait exactement
ce qu’on attendait de moi et ce pourquoi
j’étais payée.*
(Extrait : MATRICULE 728)

Voici un livre qui tente de s’ajuster à une actualité brûlante. En effet, au moment d’écrire mon commentaire sur le livre, Stéfanie Trudeau est devant la justice dans cette affaire qui traîne en longueur. Il est très difficile d’écrire un commentaire sur ce livre sans l’imprégner d’une pensée éditoriale.

J’essaie de me limiter au commentaire sur le livre, mais je ne peux éviter de parler du volume sans parler de la personne car le livre, Matricule 728, Stéfanie Trudeau et les évènements pour lesquels elle a été sévèrement blâmée sont intimement liés.

Le livre comporte une petite partie biographique au début. Le reste est une longue justification des attitudes et comportements de Stéfanie Trudeau pendant la crise basée sur une discrimination relative à des aspects bien précis de sa personnalité :

*Comme mon image était déjà perçue comme très négative à cause de mon allure, mon caractère, ma stature, mon orientation sexuelle, mes sentiments exprimés sous le coup de l’émotion, ma masculinité et mon look androgyne, ils n’avaient pas eu beaucoup de difficulté à me faire un procès d’intention et à fausser la perception de la population à mon endroit en refusant systématiquement de rectifier les faits en laissant croire que j’étais fautive durant cette intervention.* (Extrait)

C’est là toute la faiblesse du livre : Stéfanie Trudeau n’admet à peu près aucun tort. C’est la faute à tout le monde mais pas la sienne. Le récit prend même, par moment, l’allure d’un réquisitoire contre les autorités policières, les politiciens, la Presse et les réseaux sociaux. Elle n’a pas tout faux. Comme elle le dit elle-même, tous les services de police et tous les systèmes politiques ont leurs côtés occultes et ça j’y crois.

Mais malheureusement, j’ai vu moi aussi les vidéos et nonobstant le contexte et l’urgence du moment, je n’ai pas aimé ce que j’ai vu. Je pense qu’il faut être naïf pour croire que la Presse et les réseaux sociaux n’utiliseront pas ces images pour les monter en épingle.

Je crois qu’ici les torts devraient se partager. Les propos publiés par Stéfanie Trudeau dans son livre m’amènent à la certitude que la Presse et les médias sociaux s’attardent rarement à un travail bien fait de part et d’autre. Y a-t-il eu bavure policière? Est-ce que, par des écarts de gestes et de propos, Stéfanie Trudeau a simplement été victime de sa trempe et de son caractère?  À vous de juger. Moi je crois que de part et d’autre le travail a été bâclé.

Quant au livre comme tel, je ne sais pas si c’est parce que Stéfanie Trudeau se disculpe avec l’énergie du désespoir et qu’elle semble fortement miser sur les sentiments du lecteur en parlant par exemple de sa famille, mais je l’ai trouvé ennuyeux avec ses nombreuses répétitions et son  caractère à sens unique.

Je l’ai lu plus par curiosité que par la conviction que j’allais tomber sur un chef d’œuvre de haute qualité littéraire. Ne développant qu’un seul côté de la médaille, la crédibilité qu’on peut accorder à un tel volume est finalement une question de foi.

Je ne crois pas que ce livre passera à l’histoire.

Suggestion de lecture : LA MORT EST MON MÉTIER, de Robert Merle

Stéfanie Trudeau est née à Brossard en 1972. Cadette de la famille Trudeau, son père était policier. Dans sa biographie, elle avoue avoir connu une jeunesse difficile parce qu’elle était différente des filles de son âge se disant entre autres plutôt masculine. Après son passage à l’école secondaire, elle fait ses études collégiales au Cégep Maisonneuve, puis entre à l’école nationale de police du Québec à Nicolet.

Elle est assermentée comme policière à l’été 1994 et accepte une fonction au poste 33 du SPVM. Au printemps 2012, la crise étudiante baptisée PRINTEMPS ÉRABLE bat son plein. Pendant une émeute, elle pose des gestes considérés par ses pairs, les autorités, la presse et le public comme une bavure policière.

Avec des images et des propos peu flatteurs qui font le *cybertour* du monde, La vie de Stéfanie Trudeau bascule et elle décide de s’expliquer en publiant en 2015 MATRICULE 728 SERVIR ET SE FAIRE SALIR MON HISTOIRE.

Bernard Tétrault est un journaliste spécialisé dans les affaires criminelles et judiciaires depuis 1964. Il a été le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Allô Police. Il est aussi le coauteur de Claude Poirier – 10-4, de Claude Poirier – Sur la corde raide et a signé, avec Michael Lechasseur, Confidences d’un agent double – En mission à 14 ans.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
DÉCEMBRE 2015

MEURTRES POUR RÉDEMPTION, Karine Giébel

*Le poison continua son étrange cheminement.
Ouvrant au hasard les tiroirs de son cerveau.
Elle bascula brusquement dans le passé. Là où
elle n’aurait pas aimé retourner…l’angoisse lui
paralyse le cerveau et les muscles. Elle a peur.
Son ventre se tord…*
(Extrait de MEURTRES POUR RÉDEMPTION, Karine
Giébel, réédition :  Fleuve Noir, 2010, 765 pages, num.)

Marianne de Gréville, 20 ans est emprisonnée à vie pour de multiples meurtres. À cause de son caractère orageux, instable et violent, elle est détestée par ses codétenues et harcelée par ses gardiennes qui veulent la *casser* en la torturant et l’humiliant, ce qui est fort mal connaître la nature meurtrière et vengeresse de cette furie. Toutefois, un homme la remarque et tombe sous le charme de la sauvagesse. Alors que l’espoir et l’amour se pointent et que se développe lentement  le désir de se racheter, Marianne se retrouve devant un horrible choix : tuer encore et gagner sa liberté ou se laisser dompter et gagner par l’espoir…

Au fond des bas-fonds
*Si je te faisais bouffer cette merde,
hein De Gréville?
Tu crèverais non?
-Vas-y, essaye!
Nouveau coup de matraque.
Nouveau hurlement.*
(extrait de MEURTRES POUR RÉDEMPTION)

C’est une histoire très longue…près de 800 pages…une brique de violence et d’actions désespérées et l’auteure Karine Giébel ne fait pas dans la dentelle, propulsant le lecteur dans un effroyable dédale de violence, de cruauté et de sadisme.

Il faut être préparé pour lire un tel livre car la plume de Giébel est incroyablement efficace. J’ai pensé que pour mettre en perspective toute la noirceur de cette histoire, l’idéal est encore de rassembler des extraits forts évocateurs…et j’avais un choix pratiquement illimité :

*Trente jours. Dans ce trou infâme, pestilentiel. Sept cent vingt heures de solitude. Quarante-trois mille deux cents minutes d’une lente déchéance…Deux millions cinq cent quatre-vingt-douze mille secondes de désespoir…*

*Je vais lui faire du mal! Gémit Marianne. J’vais lui faire du mal! Je sais faire que ça! Je suis mauvaise, pourrie jusqu’à l’os.*

*Après la douleur, ce fût la peur qui explosa en elle.*

*Comment pouvait-elle héberger tant de cruauté? Quel mal la rongeait pour la rendre aussi insensible? Aussi monstrueuse?*

*Pariotti semblait avoir perdu tout contrôle. Elle se vengeait de la terre entière, se vautrait dans la barbarie avec une frénésie sanguinaire. Marianne encaissa encore plusieurs chocs…*

*Il lui écrasait le dos avec sa chaussure. Avec ses cent quarante kilos de cholestérol pur. Elle criait de douleur…*

*Une nouvelle bestiole à mille pattes rampa sur son pieds, elle secoua la jambe en gémissant.*

*…Parce que sa vie se résumait à des maux sans fin. Parce qu’elle était Marianne. Qu’elle n’avait toujours connu que le malheur, l’horreur. La noirceur d’une vie sordide.*

Dans MEURTRES pour rédemption, pas de soleil…pas d’espoir et surtout, pas de répit pour le lecteur. Je trouve extraordinaire que Giébel ait réussi à insérer une histoire d’amour crédible dans ce drame infernal…et encore, je ne peux pas dire que cette histoire soit imbibée d’eau de rose.

C’est un livre à l’écriture puissante quoique j’ai pensé que 100 ou  200 pages en moins de cruauté, de torture, de haine et de trahison auraient tout de même fait l’affaire. Il y a des longueurs et c’est sans compter les petits retours en arrière qui sont parfois agaçants.

Malgré tout, il y a de très grandes forces dans ce livre qui vient nous rappeler que s’il y a quelque chose de pourri dans les basses fosses que sont les prisons européennes pour meurtriers et récidivistes irrécupérables, on trouve aussi de la pourriture dans les hautes sphères de la société qui elles, s’en tirent à bon compte.

Quant au personnage principal. Marianne, classée comme un monstre, elle a un petit quelque chose d’attachant qui appelle la compréhension circonstancielle du lecteur.

Elle a une forte personnalité teintée de rudesse mais sans être foncièrement mauvaise. Voici une autre citation qui illustre mon propos :*Oh oui! Et tu es encore plus jolie à l’intérieur. Malgré tout ce que tu as commis…Malgré tout ce que tu as subi aussi…Tu restes capable du meilleur.*

Comment décrire ainsi une machine à tuer et est-ce plausible? C’est au lecteur de le découvrir. Ce livre ne m’a laissé aucun répit. Il est d’une noirceur opaque et pousse continuellement le lecteur à se demander comment les choses peuvent dégénérer à ce point. C’est un livre d’une violence parfois insoutenable, même la rédemption dont il est question dans le titre est dramatique.

Mais l’écriture est magistrale et d’une efficacité qui fige le lecteur dès le début et le garde sur le qui-vive d’un rebondissement à l’autre. Notez que je parle ici de la narration car les dialogues sont sans doute la principale faiblesse du livre.

Une dernière petite remarque peut-être…j’ai trouvé cocasse que l’auteure cite Dostoïesvki dans son livre…*Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons.* Dostoïesvski  Voilà qui en dit long sur ce qu’on appelle la civilisation.

Je recommande ce livre aux âmes pas trop sensibles mais gardez-vous du temps, car il est très long et l’incroyable magnétisme de la plume de Giébel risque de vous retenir…prisonnier…

Suggestion de lecture : MEURTRES EN SOUTANE, de Phyllis Dorothy James

Karine Giébel est une auteure française née en 1971. Pendant ses études de droit, elle a développé un goût prononcé pour l’écriture  et  complète en 2004 un premier polar salué par la critique : TERMINUS ELICIUS qui reçoit en 2005 le grand prix marseillais du polar. MEURTRES POUR RÉDEMPTION est son deuxième roman, publié en 2006 et nominé pour le prix Polar Cognac. Suivront deux autres volumes primés : LES MORSURES DE L’OMBRE en 2009 et JUSTE UNE OMBRE en 2012. Son œuvre est rehaussée par une impressionnante collection de prix littéraires.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
NOVEMBRE 2015

O.T.A.N. EN EMPORTE LE VENT, Patrice Dard

*Je ne suis ni humble ni orgueilleux. Ni soumis,
ni initié. Je crois en ma raison mais l’accuserai
néanmoins d’être défaillante avant de soupçonner
l’évènement d’être surnaturel. Et pourtant…les
rapports que je suis en train de parcourir jetteraient
le trouble dans l’esprit le plus rationnel…*
(extrait de Alix Karol 11, O.T.A.N. EN EMPORTE LE VENT,
Éditions de Vauvenargues, 1977, éd. Numérique i book,
250 pages)

Deux agents enquêtent sur de mystérieuses disparitions signalées entre la Crète, Chypre et le port d’Alexandrie dans la Méditerranée. Un bateau de pêche, cinq avions chasseurs de l’O.T.A.N. et un Jumbo Galaxy renfermant plus de 70 militaires et cent tonnes de matériel disparaissent corps et bien. Les agents doivent-ils attaquer le problème comme on l’a fait jadis pour le vieux mystère du triangle des Bermudes ou y aurait-il anguille sous roche étant donné que les disparitions concernent essentiellement des hommes et du matériel américains. Karol et Bis entreprennent donc une angoissante enquête, quoiqu’ils ne s’empêcheront nullement de profiter de la vie au passage…

100% DARD
*Croyant à une soudaine crise de folie de leur
employé, les deux grecs se hâtèrent d’obéir,
forts du préjugé qu’il ne faut jamais
contrarier un dément.*
(extrait : O.T.A.N. EN EMPORTE LE VENT)

Ayant déjà lu un livre de la série SAN ANTONIO initiée par le père de Patrice Dard, Frédéric, j’étais curieux de connaître le style du fils et j’ai fait l’essai d’un titre de la collection ALIX KAROL très en vogue dans les années 70. La plupart des livres ont été réédités et sont encore lus aujourd’hui.

Moi je n’ai pas été impressionné. La série initiée par Frédéric Dard met en scène San Antonio et son compère Berurier, celle de Patrice Dard suit les aventures d’Alix Karol et de son compère Bis. La première est une série d’espionnage, l’autre policière. Le style des personnages est le même : farfelu.

O.T.A.N. en emporte le vent est une variation sur un thème archi-connu : la guerre froide entre les États-Unis et l’union Soviétique comme toile de fond, l’énigme n’est pas plus originale à cause de son analogie avec le triangle des Bermudes. Ici, il est question du triangle du démon dans lequel on signale d’étranges disparitions : chasseurs et autres avions, navires etc…tous américains.

Pas facile à suivre cette histoire. Il m’aurait fallu un dictionnaire spécialisé tellement le langage est argotique…voici deux exemples :

*Une onde de traczir me cigogne la boyasse.*   *Comme je ne dispose pas de fromtogome pour appâter l’animal, force m’est donc de le brutaliser un chouïa pour lui introduire la bande dans le corps. En poussant du médius, je lui enfonce le blot jusque dans l’estogome*

Si vous avez une bonne connaissance de l’argot et que vous pouvez passer outre sur un humour un peu usé, vous aurez probablement plus d’agrément à lire ce livre que j’en ai eu et vous pourrez alors mieux profiter d’une finale intéressante, sans être géniale, ce qui constitue à peu près la seule force de cette histoire.

Je rappelle que la collection, qui comprend plus d’une vingtaine de titres a été rééditée. C’est donc qu’elle a été appréciée quelque part, probablement par la francophonie européenne surtout.

J’ai pas beaucoup aimé, même si j’ai trouvé ce livre meilleur que ce que j’ai lu de la série San Antonio.

Suggestion de lecture : LA COMPAGNIE, de Robert Littel

Patrick Dard est un écrivain et scénariste français  né en 1944 en banlieue Lyonnaise.  Il est le fils de Frédéric Dard, créateur de la série SAN ANTONIO. Très jeune, il s’intéresse à l’écriture, fait carrière au Fleuve Noir où il crée les personnages de Vic St Val et d’Alix Karol. Il poursuit l’œuvre de son père en écrivant ses propres aventures du commissaire San-Antonio et de son fidèle comparse Bérurier. Énergique et prolifique,  Il écrira aussi plusieurs livres de cuisine ainsi qu’une grande quantité de scénarios pour des téléfilms et des dessins animés.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
NOVEMBRE 2015

Le scandaleux Héliogabale d’EMMA LOCATELLI

Empereur, prêtre et pornocrate

*Un seul mot et tu peux faire tomber toutes ces têtes.
Tu es l’empereur.
Il se souvint alors de tous ceux qu’il avait raillés et
humiliés au cours de ses banquets, victimes tremblantes
et pathétiques de ses farces cruelles.*
(extrait LE SCANDALEUX HÉLIOGABALE, Emma Locatelli,
Nouveau Monde éditions, 2006, num. 510 pages)

Rome, en 217 de l’ère chrétienne. Varius devient empereur. Adorateur mystique d’une obscure divinité orientale appelée l’Elagabal solaire, il prendra le nome de HÉLIOGABALE. Ainsi commence le règne qui durera un peu moins de quatre ans d’un monstre homosexuel, travesti, débauché, excentrique et cruel, totalement dépourvu d’empathie et de toutes morales. Dans son livre, Locatelli décrit toute la démesure de ce jeune homme âgé de 14 ans au début de son règne…le règne décadent d’un couronné perturbé, capricieux, instable et immature, exécré par le Sénat et l’armée. L’empire romain n’aura jamais connu pire… 

Fou à attacher…
*Jamais je n’aurais pu me décider à écrire la vie
d’Héliogabale Antonin, qui fût aussi appelé Varius,
et à faire connaître au monde que les romains ont
eu pour prince un pareil monstre, si déjà avant lui
ce même empire avait eu les Caligula,  les Néron et
les Vitellius.
(Aelius Lampridius, historien, contemporain de Dioclétien et
Constantin le Grand. Bibliothèque latine, HISTOIRE AUGUSTE
tome 2, seconde série.  Remacle.org )

Héliogabale ou Élagabal est empereur romain de 218 à 222 sous le nom de Marcus Aurelius Antoninus (Héliogabale Antonin). Il nait, vers 203, à Émèse, en Syrie. C’est le fils de Julia Soemias et de Varius Marcellus

HELIOGABALE est un roman historique…une histoire tellement incroyable que j’ai dû consulter les différents textes, récits et analyses issus des bibliothèques latines et grecques sur la vie et le règne de Marcus Aurelius Antoninus dit Héliogabale afin de m’assurer de la crédibilité du roman d’Emma Locatelli.

Effectivement, le roman est crédible, je dirais même que Locatelli a fait preuve d’une certaine retenue, évitant un penchant disons trop croustillant et spectaculaire, misant davantage sur la cruauté et la violence psychologique exercée par le jeune Héliogabale et là encore, l’auteure n’a pu éviter des passages choquants allant jusqu’à soulever le cœur par moment.

Cela dit, Emma Locatelli nous raconte l’histoire d’un inimaginable monstre : Marcus Aurelius Antonius, devenu le 29e empereur de l’empire romain à l’âge de 15 ans, un garçon dégénéré, apathique, capricieux, cruel, mentalement instable et misanthrope endurci.

Non seulement il rejoint les tyrans qui ont ensanglanté l’histoire de l’empire, tels Néron, Caligula, Tibère et Dioclétien mais il les dépasse largement par le raffinement de sa cruauté et de son despotisme. Heliogabale n’avait de respect ni pour la vie, ni pour les lois, ni pour la tradition.

De plus, il était manipulable et à ce titre, les femmes de son entourage, sa mère, sa grand-mère et sa tante s’en sont servi pour leurs basses ambitions. Bien sûr, elles n’avaient pas prévu perdre le contrôle d’un être aussi fourbe et avide. L’atmosphère de la Cour était carrément pourrie et l’empire en souffrait.

C’est un bon livre qui lève le voile sur un sale moment de l’histoire…l’auteure décrit sans concession le règne d’un enfant-roi dominé par la débauche et la démesure. La plume est habile et pousse le lecteur à se demander jusqu’au ira l’empereur fou et décadent. Il est par conséquent difficile de fermer le livre sans l’avoir terminé. C’est un livre violent, une histoire que je ne conseille pas aux âmes sensibles d’autant qu’elle est historiquement vraie.

J’ai senti que l’auteure ne porte pas de jugement. Elle rapporte, tout simplement, durement, mais objectivement, allant même jusqu’à préciser dans son prologue que si des empereurs ont souillé le nom de Rome par leur cruauté et leur fourberie tels Héliogabale, Néron, Caligula et Commode, d’autres furent des législateurs et des administrateurs sages et avisés, tels César Auguste, Vespasien, Trajan, Marc-Aurèle pour ne nommer que ceux-là.

Bien que ce ne soit pas dramatique, ce qui manque le plus à cet ouvrage est un développement sur la mentalité de l’époque car je dois le confesser, j’ai beaucoup de difficulté à saisir la réalité culturelle de l’époque des empereurs romains.

Je me pose encore les mêmes questions : comment pouvait-on permettre à un enfant de régner sur un aussi vaste empire sans régence sérieuse et surtout, comment a-t-on fait pour tolérer pendant trois ans un être aussi brutal, cruel et incompétent?

Un livre dur, déroutant mais fascinant…

Suggestion de lecture : BORGIA, de Michel Zévaco

Emma Locatelli est française. Femme de lettre, romancière et enseignante, elle partage son temps entre l’écriture et son métier d’enseignante. Outre la biographie romancée d’Héliogabale, elle a aussi écrit un thriller historique : MALEFICUS qui évoque une affaire de sorcellerie au XVIIe siècle et son roman LES HAINES PURES (roman historique sur l’après-guerre et ses blessures) sorti en 2013 chez Albin Michel a reçu le prix des lecteurs du Festival du Livre de Mouans Sartoux ainsi que le prix Coup de Cœur de la 25e heure du Livre du Mans

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
NOVEMBRE 2015

LE MYSTÈRE DES PIRATES, O.P. Poivre d’Arvor

FRÈRES DE SANG, FRÈRES D’ARMES

Commentaire sur le livre d’
Olivier et Patrick Poivre d’Arvor

*Je m’appelle François. J’ai dix ans et j’ai mille ans.
J’ai été de toutes les aventures du monde…je vais
aujourd’hui vous raconter la fabuleuse histoire des
pirates et des corsaires. Je les ai tous connus et
accompagnés sur les mers, ils ont été mes frères.
Mes frères de sang, mes frères d’armes.*
(4e de couverture, LE MYSTÈRE DES PIRATES, de Patrick et
Olivier Poivre d’Arvor, éd. Albin Michel jeunesse, 2009,
littérature jeunesse, 130 pages. Édition de papier)

Ouvrage en deux parties, la première étant le récit de François, un jeune garçon de 10 ans qui résume la vie de quelques pirates et corsaires devenus célèbres par leurs exploits en mer comme par exemple les frères Barberousse. La deuxième partie, plus didactique, est en fait un dossier que François appelle Carnet de navigation et qui réunit les éléments nécessaires à la compréhension de la mentalité et de la culture de tous ces personnages colorés et de leur époque : cartes, les équipages, stratégies de combat en mer, description des bateaux et des armes, etc. Le livre est agrémenté et rehaussé par les très belles illustrations d’Antoine Ronzon.

Frères de sang, Frères d’armes
*À tous mes camarades de course,
mes frères et sœurs de mer,
à tous mes cousins pirates…
merci de nous avoir fait rêver,
nous, les petits enfants du monde entier.*
(extrait : LE MYSTÈRE DES PIRATES)

Dans le MYSTÈRE DES PIRATES, les frères Poivre D’Arvor racontent les trépidantes et dangereuses aventures des corsaires et des pirates à travers les yeux d’un petit garçon appelé François.

Quoique très intéressant et vraiment bien fait, le livre ne fait qu’effleurer le sujet. Il passe en revue le destin de quelques pirates et corsaires et cette revue est à mon avis est très incomplète. Heureusement, au moins, François explique clairement au début, la différence entre un corsaire et un pirate.

Mais dans l’ensemble, le sujet n’est développé qu’en surface. Peut-être les auteurs n’ont-ils pas voulu décourager les jeunes en leur refilant une brique qui serait de nature à les décourager mais il aurait été intéressant je crois d’alimenter davantage le sujet.

En revanche, la deuxième partie du livre est impeccable et tout à fait conforme, je crois, aux capacités d’absorption intellectuelle des enfants. Cette partie est en fait un dossier qui regroupe des éléments très intéressants sur la culture pirate et corsaire et de leur époque : des cartes, une présentation des principaux navires utilisés, les stratégies guerrières, un lexique, et même des suggestions de livres, de sites internet et de films, dont bien sûr PIRATES DES CARAÏBES.

Je veux souligner ici la superbe présentation du volume : un papier au style parcheminé, une couverture attrayante une écriture simple et limpide, le langage est soigné l’ensemble est bien ventilé et enrichi par les très belles illustrations d’Antoine Ronzon réputé pour créer des images à forte intensité, extrêmement visuelles et riches en détail. Ajoutons à cela que François, le jeune narrateur a un ptit quelque chose de sympathique, d’attachant.

L’ensemble a un petit côté romanesque et devrait plaire aux jeunes, les garçons en particulier, mais aussi aux jeunes filles qui ont un caractère le moindrement aventurier. Il n’est pas exclu non plus que ce livre plaise aux adultes.

Après tout qui n’a pas été fasciné tôt ou tard par le caractère énigmatique des pirates et des corsaires.

Suggestion de lecture : L’ÉLU DE MILNOR,  de Sophie Moulay

Patrick (à gauche) et Olivier Poivre D’Arvor

Patrick Poivre D’Arvor (1947- ) est français. C’est un véritable homme-orchestre : journaliste, animateur de télévision, écrivain. Sa vie professionnelle est marquée par la controverse…il aura en effet à subir plusieurs procès et condamnations. Sa vie privée est aussi abondamment scrutée par la presse à scandale.

Il a d’ailleurs écrit un livre à ce sujet : LETTRE AUX VIOLEURS DE VIE PRIVÉE (1997). Malgré tout, il accumule les distinctions : Légion d’honneur, officier de l’ordre national du mérite entre autres. Son œuvre (en partie d’inspiration autobiographique) comprend une soixantaine de titres avec la participation, pour certains d’entre eux, de son frère Olivier.

Olivier Poivre D’Arvor (1958- ) est un écrivain et diplomate français et au moment d’écrire ces lignes, il est directeur de la radio FRANCE-CULTURE. Il est aussi homme de théâtre et un peu homme à tout faire dans le réseau culturel français.

Il est l’auteur de près de 25 ouvrages, surtout des romans et des essais, certains écris  avec son frère Patrick. On lui doit en particulier LE VOYAGE DU FILS et LE MONDE SELON JULES VERNE.
Olivier Poivre D’Arvor est, au moment d’écrire ces lignes, membre permanent du jury DES PRIX LITTÉRAIRES.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
NOVEMBRE 2015