VIES PARALLÈLES, le livre de SONIA BESSONE

*Je vais vous expliquer pourquoi je vous casse
les pieds. Parce que je ne suis pas heureuse.
J’aime mon travail mais ma vie est nulle. Je
m’accroche à un type qui préfère vivre avec
ses bières et son whisky. Et la seule chose qui
me distrait, qui me sort de cet enfer, ce sont
vos bouquins.>

(Extrait de TERENCE WILKES, une nouvelle du
recueil VIES PARALLÈLES de Sonia Bessone,
Nat éditions, 2014, versions numériques, 248p.)

La bulle humaine
*Je n’appartenais plus à personne, j’étais libre.
Un affranchi. Curieux de voir le monde, et de
choisir moi-même à qui dispenser les petits
bonheurs dont j’étais chargé. En une fumée
évanescente, je me suis enfui. Mon rêve à
moi : la liberté !*
(Extrait : VIE PARALLÈLES recueil de nouvelles)

VIES PARALLÈLES est un recueil de nouvelles dont la première, TERENCE WILKES est bâtie comme un roman et en a la longueur, occupant 80% du volume. C’est un recueil très intéressant et Terence Wilkes m’a fasciné. Malgré ses énormes succès d’auteur, Terence Wilkes abandonne l’écriture pour travailler dans la publicité. Pourquoi ? C’est simple :

*Elle n’avait pas hérité d’un frère ordinaire. Terence avait cette étrange faculté de pressentir les choses… Deviner à quel instant le téléphone sonnerait, sur quelle marche d’escalier s’arrêterait leur mère, qui frapperait à la porte…il présageait les choses et créait la vie. Malheureusement, un jour, il n’avait pas prédit que sa femme se donnerait la mort et une vie avait été détruite. * (Extrait)

Dans son deuil qui ne finit pas de finir, Terence Wilkes qui a peur de ses facultés, de ses écrits, qui angoisse sur lui-même se cherche au milieu de son petit monde. Un jour, cherchant toujours à comprendre le sens de la mort, celle de sa chère femme en particulier, Terence laisse entrer dans sa vie une fan de ses livres : Jenny, une jeune fille à la vie agitée, malmenée par son ami, macho et alcoolo.

Avec des trésors de patience et de finesse, elle se fera accepter par Terence. Est-ce qu’ensemble, ces deux égratignés de la vie pourraient aboutir à quelque chose. Ses écrits se répercutant sur la vie de ses proches, Terence aurait-il quelque chose à voir avec la mort de sa femme.

Avec un amour mutuel allant crescendo, très très graduellement, Jenny et Terrence vont apprendre ensemble à accepter leur passé et bâtir leur avenir.

Les écrits précurseurs et leur effet sur la vie réelle ne sont pas une innovation en littérature mais je me suis attaché aux personnages dès le départ. J’ai été séduit par l’intelligence et la finesse de la plume de Bessono, sa modération aussi et son humour. Elle a développé le caractère fantastique de son récit sans tomber dans le spectaculaire et le tape-à-l’œil.

Elle a dosé avec habileté rebondissements, intrigue et retournements avec une dose d’inexpliqué…de…disons surnaturel. Ce récit m’a fait vibrer. Il s’en dégage une émotion très forte. Évidemment c’est long pour une nouvelle et le récit met malheureusement un peu dans l’ombre les quatre autres nouvelles qui complètent le volume.

Ce sont quatre petits textes dans lesquels le thriller se fond dans le fantastique : LE MIROIR : quatre amis voient leur vie basculer à cause d’un miroir. DE L’AUTRE CÔTÉ DU MUR : une autre forme de réflexion sur le sens de la mort et peut-être même une raison pour laquelle on a pas à la craindre.

UN ANGE PASSE. Cette autre nouvelle est une réflexion sur la mort d’un amour et la possibilité d’une renaissance. LE FUGITIF : un être sacrifié par les Dieux et désigné pour rappeler aux hommes la grandeur de l’œuvre de l’être suprême…

J’ai toujours l’impression qu’il y a un lien entre les nouvelles. Ce n’est pas une suite, une continuité…seulement une espèce de lien comme si les nouvelles se complétaient et s’enrichissaient les unes les autres afin de remettre aux lecteurs des éléments de réflexion, ldans un style apaisant.

Enfin, un mot sur l’introduction au recueil, LA VIEILLE ROUTE. C’est un texte un peu déroutant. On pourrait presque lui faire dire ce qu’on veut. Mais ce texte m’a fait voir le recueil comme une route…avec de nombreux embranchements, mais tout en convergence. L’auteure nous prépare à longer la route…celle qui nous confronte avec la vie…tout se tient dans ce recueil qui porte vraiment bien son titre.

Le tout se lit très bien. C’est le lecteur qui est le fil conducteur. Avec la première nouvelle toutefois, j’aurais souhaité quelque chose de plus long, de mieux nourri. J’aurais préféré une meilleure exploitation du sujet pour en faire finalement un roman complet. Mais dans l’ensemble, le recueil m’a ravi.

Suggestion de lecture : L’AIGLE DE SANG, de Jean-Christophe Chaumette

Au moment d’écrire mon article, il y a peu d’informations disponibles sur Sonia Bessone. J’ai toutefois noté ce qui suit sur sa page Facebook :

Les tribulations de Sonia Bessone dans les pays lointains n’étant plus très compatibles avec ses fonctions de mère, elle s’est jetée à fond dans l’écriture. Et ses récits ont tous un petit goût « d’ailleurs » .

Nats éditions lui a attribué des fonctions de parolière pour les B.O. de livre. Une grande nouveauté pour elle, mais elle en est ravie ! Ses projets ? Quelques textes de chansons…Et peut-être libérer tout ce qui sommeille dans le disque dur de son ordi ?!!

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 31 octobre 2020

LES FILLES DE CALEB, d’ARLETTE COUSTURE

LES FILLES DE CALEB
tome 1 : Le chant du coq

-Ben, vous savez…son rhume qui traîne depuis
le commencement de l’hiver… Ben… le docteur
a dit que c’est pas un rhume ordinaire…Ça l’air
que… Ben nous autres on pensait que C’était
une pneumonie… Mais le docteur a dit que ça
l’air d’être plus grave…*
(Extrait : LES FILLES DE CALEB, Tome 1 de 3, LE CHANT
DU COQ, Arlette Cousture, Éditions Québec/Amérique,
Édition de papier, 540 pages.)

Cette oeuvre nous fait connaître une héroïne forte et passionnée, Émilie Bordeleau, dont nous suivons le destin de 1892 à 1946. Institutrice dans une humble école de rang de Saint-Tite, Émilie s’éprend d’un de ses élèves, Ovila Pronovost, à qui elle finit par unir sa vie, pour le meilleur et pour le pire. Leur amour, leurs défis, leurs épreuves, voilà ce qui nous est raconté dans ce roman qui n’a cessé d’embraser l’imagination des lecteurs depuis bientôt deux décennies. Cette trilogie une chronique dans laquelle on suit le quotidien de Caleb, Célina et de leurs filles dans le décor grandiose de la Mauricie. 

ENTRE BONHEUR ET MALHEUR
LE DÉFI D’UNE VIE
*Il se rendit à peine compte qu’elle
avait enlacé ses épaules de ses
bras tant son âme l’avait
quitté pour rejoindre la voie
lactée*
(Extrait : LES FILLES DE CALEB)

Mon idée au départ était de lire ce classique d’Arlette Cousture pour me faire une idée de la qualité d’adaptation à l’écran. Jamais je n’aurais cru être autant imprégné d’une télésérie. Chaque fois que je lisais une réplique d’ovila, je revoyais Roy Dupuis incarner l’éternel enfant qui affectionnait la liberté et…la bouteille.

Chaque fois que je lisais un passage impliquant Caleb, je revoyais Germain Houde jouer le rôle du père à la fois timide et inquisiteur et chaque fois que la parole était à Émilie, je revoyais Marina Orsini jouer le rôle d’une jeune fille un peu en avant de son temps avec un caractère bien trempé. Je me rends compte que la télé a occulté le livre. En effet, cette télésérie a été une des plus populaires dans l’histoire de la télévision canadienne.

Toutefois, avec le recul du temps, le livre pourrait bien sortir de l’ombre car il commence à être en demande à nouveau. Quoiqu’il en soit, j’ai adoré ma lecture à cause de la spontanéité de ses personnages et parce qu’il dépeint un portrait extrêmement réaliste de l’histoire du Québec, fin des années 1800, début des années 1900.

Et puis je peux bien le dire, j’avais un préjugé favorable au départ car l’histoire se déroule dans ma belle Mauricie, à Saint-Tite, Saint-Stanislas et Shawinigan qui est ma ville natale. Arlette Cousture dépeint avec émotion la difficile survie des familles québécoises dans les campagnes, un taux de mortalité élevé, une économie en dents de scie.

L’auteure développe aussi l’autre côté de la médaille : le caractère précieux de la famille, l’entraide, sans compter une magnifique description de la nature et des superbes paysages de la Mauricie. Autre aspect intéressant, Émilie Pronovost était une pionnière étant une des premières femmes laïques à devenir enseignante devant affronter ainsi continuellement le caractère misogyne de son époque, reflet de l’histoire du Québec.

Arlette Cousture brille par son caractère direct. En effet, l’histoire couvre une longue période, elle comprend trois livres et pourtant, il n’y a pas de longueurs pas de redondances mises à part la récurrence inhérente à l’histoire : les nombreuses *brosses* d’Ovila et comme c’était courant à l’époque, un enfant attend pas l’autre.

LES FILLES DE CALEB est essentiellement une histoire d’amour, triste avec une intensité dramatique addictive qui comprend une bonne dose d’émotion. Le fil conducteur est précis et solide donc le livre se lit très bien et vite. L’écriture est soignée et forte. L’ensemble est bien structuré et se détache par la richesse du langage. Il y a en  effet un bel étalage de jargon québécois mais pas à outrance. Pour moi, ça demeure limpide tout au long du récit.

Même si le style va droit au but avec des phrases courtes, ça ne nuit pas à la compréhension des sentiments qui animent les principaux personnages. En lisant, j’avais souvent la télésérie en tête ce qui répond peut-être à une de vos interrogations : oui, j’aurais dû lire le livre avant de regarder la télésérie. C’est ce que je fais habituellement.

Ici je croyais que tout ce temps écoulé allait me permettre de lire sans influence et en toute indépendance le livre d’Arlette Cousture. Ce ne fût pas le cas.  Mais je crois sans l’ombre d’un doute que LES FILLES DE CALEB est un chef d’œuvre de la littérature québécoise adapté jusqu’en France. À lire ou relire.

Suggestion de lecture : RUE PRINCIPALE, de Rosette Laberge

À LIRE AUSSI

     

Née à Saint-Lambert en 1948, Arlette Cousture a pratiqué plusieurs métiers avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Elle a été animatrice pour différents magazines culturels, recherchiste, journaliste et même relationniste. C’est en 1985 qu’est publié le premier tome de la série Les Filles de Caleb – Le chant du coq. Le deuxième, Le cri de l’oie blanche, sort à peine un an plus tard. 

Le dernier volet de la trilogie, L’abandon de la mésange, paraît en 2003. L’œuvre a été adaptée à la télévision au début des années 1990 et, plus récemment, en comédie musicale. En 2010, pour souligner les vingt-cinq ans de la série, les trois tomes sont réédités aux Éditions Libre Expression.

L’œuvre d’Arlette Cousture a séduit des centaines de milliers de lecteurs de par le monde.

En haut à gauche, Marina Orsini incarne Émilie Bordeleau. En haut à droite, Germain Houde dans le rôle de Caleb Bordeleau. En bas à l’avant-plan, Roy Dupuis incarne Ovila Pronovost, soupirant d’Émilie Bordeleau. Le téléroman est en vingt épisodes réalisés par Jean Beaudin. Il a été diffusé par Radio-Canada d’octobre 1990 à février 1991 et par France 3 de décembre 1992 à avril 1993.

Bonne lecture
JAILU/Claude Lambert
Le samedi 27 juin 2020

LE CALENDRIER DE L’AVENT, CATHERINE DUTIGNY

*Le vendeur releva le pan de feutre vert qui couvrait l’étal,
fouilla dans une malle et en sortit un rectangle épais de
carton, richement décoré. – Voilà un exemplaire unique :
un calendrier de l’avent qui date de 1889, une pure
merveille à plus d’un titre. -Effectivement, il est très beau,
mais qu’a-t-il de si particulier ? – Il est magique murmura-
t-il d’une voix à peine audible. *
(Extrait : LE CALENDRIER DE L’AVENT, Catherine Dutigny,
Éditions Le Manuscrit, collection M.T. Roman, numér. 222p)

Bientôt Noël dans une petite ville de province. Abel, paisible retraité, achète sur un étal de livres anciens, un calendrier de l’Avent datant de 1889 et doté de pouvoirs magiques. Qui n’a jamais rêvé de voir ses vœux se réaliser ? Cela devient complexe lorsqu’il faut souhaiter du bien à son pire ennemi, devenir le précepteur d’un cancre, rester zen lorsque l’on est l’objet de railleries. . . Faisons confiance à l’auteur des Comptines de Tante Lali pour mêler dans ce conte magie et réalité, rire et émotion. Un livre que l’on devrait lire, si l’on était raisonnable, un chapitre par jour, du 1er au 24 décembre. Mais serait-ce bien raisonnable d’attendre?

LA RÉALITÉ DU RÊVE
*Le calendrier est bien aise de vous retrouver.
Nous espérons que la lumière a éclairé les
cœurs de ceux qui vous entourent et qu’un
même élan vous guide tous ensemble vers
le jour de la nativité.
(Extrait)

C’est un petit livre bien spécial qui apporte, en cette période la plus froide de l’année, chaleur et apaisement. On y suit Abel Beaujour, un paisible retraité ayant une bonne nature et soucieux d’offrir à son unique petit-fils de 10 ans, un cadeau original pour Noël. Dès le début de ses emplettes, Abel est attiré par un étal de vieux livres. Ne trouvant pas ce qu’il désirait, il s’apprêtait à quitter quand le vendeur l’a retenu et attiré vers une malle dont il sortit une sorte de rectangle épais, en carton.

C’était un vieux calendrier de l’avant datant de 1889. Il était très beau et d’après le vendeur, il était magique. Il ne s’agissait pas d’un calendrier offrant un chocolat à chaque jour de l’avant. Ce calendrier était très singulier. C’était un calendrier à vœu. Chaque jour correspondait à un vœu et si ce vœu était sincère et motivé, il était exaucé. Abel acheta le calendrier et finalement décida de le garder pour lui. Il trouvera bien autre chose pour son petit-fils.

Abel allait-il vraiment formuler chaque jour un vœu salon les instructions du calendrier? *Et vlan ! Voilà que la mission incombait à un athée. Deux générations à bouffer du curé avaient laissé des traces indélébiles sur la suivante…* (extrait) Dès la première ouverture du calendrier, Abel comprit que sa mission ne serait pas si simple :

*Votre entrée dans le monde du calendrier se fera d’autant plus facilement que votre premier vœu doit soulager un animal domestique étranger à votre toit d’une affliction ou d’un sort injuste. La pertinence de votre choix, la sincérité de votre souhait, la générosité du cœur seront déterminantes quant à la réalisation de ce vœu qui devra être prononcé entre l’Angelus du midi et l’Angelus du soir. * (Extrait, 1er jour de l’avent)

Ces mots, sincérité et générosité du cœur seront déterminants dans le dévoilement complet du calendrier. C’est ainsi qu’Abel se retrouva avec un nouveau compagnon de vie : FILOU, un chien miraculeusement guéri de sa cécité et de son arthrite.

Abel se laissa pénétrer de l’esprit de Noël, avançant fièrement dans sa mission quotidienne d’altruisme, d’empathie, d’entraide. Dès lors l’auteure, Catherine Dutigny nous entraîne dans le quotidien d’Abel avec ses hauts et ses bas car il faut bien le dire, certains vœux sont très complexes. Beaucoup auraient arrêter la mission au milieu du calendrier. Plus on avance dans le récit, plus on se sent envouté par la magie ou la magie de  la fête de Noël.

Le récit est évidemment un peu surréaliste mis j’ai vraiment eu l’impression qu’Abel et l’auteure aussi insufflaient le goût de la réconciliation, de l’amour et de la tolérance autant aux acteurs du récit qu’à ses lecteurs. Je me suis senti gentiment interpelé. Pas d’erreur, l’auteure m’a fait vibrer. Le CALENDRIER DE L’AVANT m’a vraiment apporté ce que j’attends d’un livre : un petit frisson, une caresse dans le dos. Un vent doux pour l’esprit. Reste à savoir si c’est mieux de lire une case par jour…

Je crois que lire une case par jour, contenu avec explication et la façon de procéder d’Abel relèverait autant d’une expérience littéraire que d’une expérience de vie car c’est bien ce dont il s’agit c’est-à-dire comme un projet d’élévation de la nature humaine mais en douceur et même avec une dose d’humour. Quant à moi, je n’ai pu m’arrêter. J’ai lu le livre d’une traite…une petite soirée douce et bucolique à brasser des émotions. J’en suis sorti ragaillardi et motivé avec bien sûr Noël en tête.

Ce livre est bien écrit, bien pensé, bien imaginé et met en perspective le caractère universel de la fête de Noël, laissant à penser que la tolérance, l’empathie, la générosité voire l’altruisme sont des vertus qui devraient être pratiqués à longueur d’année, ce qui générerait à coup sûr un monde meilleur.

On pourrait aussi se baser sur l’idée de Catherine Dutigny et bâtir un petit calendrier pour les enfants.. Gardez cette idée en tête pour l’année prochaine, avant tout autre livre de Noël, essayez LE CALENDRIER DE L’AVENT. Vous apprécierez je crois.

Suggestion de lecture : 24 HISTOIRES D’AVENT NOËL, d’Erik Bjork

Passionnée de littérature française et étrangère, Catherine Dutigny lit énormément depuis son enfance. Elle écrit pour son seul plaisir des textes de fiction restés longtemps bien au chaud dans des cahiers personnels ou cachés au fond de son ordinateur. Diplômée de Sciences Po, d’une Licence Es Sciences Économiques, elle a exercé plusieurs activités professionnelles  avant de se consacrer en priorité à la littérature. Rédactrice de critiques de romans pour le site « La Cause Littéraire » depuis novembre 2012.

BONNE LECTURE
CLAUDE LAMBERT

Le vendredi 20 décembre 2019

SOUS LA SURFACE, livre de MARTIN MICHAUD

*Le nom de l’expéditeur n’était pas affiché et quelques
clics m’ont confirmé qu’il provenait d’un numéro que
je ne connaissais pas. Prenant soin de ne pas être
remarquée, j’ai tapé la première chose qui me passait
par la tête et j’ai appuyé sur la touche d’envoi : QUI
QUE VOUS SOYEZ, VOUS ÊTES MALADE!*
(Extrait : SOUS LA SURFACE, Martin Michaud, les éditions
Coup D’œil, édition de papier, 430 pages)

Patrick Adams, le favori dans la course à l’investiture démocrate est en pleine campagne avec sa femme, Leah Hammett. Alors que son mari se prépare à être propulsé vers le sommet, Leah reçoit un étrange message qui vient perturber leur ascension et la replonge dans un passé douloureux bien enfoui. Elle tente d’éclaircir ce pan sombre de sa vie. Mais la tâche se révèle plus difficile qu’il n’y paraît, surtout lorsque l’on s’apprête à devenir la première dame des États-Unis. S’amorce alors une danse entre mensonges et vérité. Objectif : plonger sous la surface et affronter ses démons…

VICES CACHÉS, MAGOUILLES
ET POLITICONNERIES
*Au premier étage…ils trouvèrent le corps de Garcia.
Ce dernier gisait dans une mare de sang, la gorge
tranchée. Ramirez n’avait jamais été un as en
mathématiques, mais il n’eut pas besoin de faire
le décompte pour savoir qu’ils n’étaient désormais
plus que deux.*
(Extrait : SOUS LA SURFACE)

C’est la deuxième fois que je lis Martin Michaud. J’avais été emballé par LA CHORALE DU DIABLE. Plusieurs années et plusieurs volumes après, je ne suis toujours pas déçu. Une belle évolution et peut-être un goût de faire différent me font douter qu’avec SOUS LA SURFACE, Martin a voulu sortir un peu des sentiers battus avec un thriller mêlant la corruption, l’amour et la politique.

C’est explosif…très explosif. Le meilleur moyen de définir le livre de Michaud est d’emprunter les paroles de la journaliste Mallory Brown, personnage fictif de SOUS LA SURFACE qui résumera durement les évènements extraordinaires qui ont secoué Lowell et toute l’Amérique.

Le genre d’évènement qui fait qu’on aimerait tout jeter à terre et reconstruire…l’homme inclus :*Meurtres, morts violentes, parfum de scandale, soif de pouvoir, complots, dissimulation, mensonges, trahison, tractations secrètes et tromperie, le contenu sulfureux de SOUS LA SURFACE plonge le lecteur dans la tourmente* (Extrait) eh oui, SOUS LA SURFACE est aussi le titre d’un livre de l’héroïne qui racontera tous les évènements qui ont déchiré son âme.

SOUS LA SURFACE est le récit de Leah Hammet, 45 ans, ancienn mannequin professionnel, puis écrivaine. Une femme ordinaire à ceci près qu’elle est la conjointe de Patrick Adams, le favori aux présidentielles américaines.

Alors qu’elle se prépare au Super Tuesday, elle reçoit un mystérieux texto de son premier amoureux, censé être mort depuis 25 ans. Dès lors, une tempête d’émotions éclate à l’intérieur et Leah jure d’aller au bout de cette histoire et vous pouvez me croire quand je vous dis que le fouet va claquer.

Le lecteur pourrait être surpris des qualités et attributs que l’auteur a donné à son principal personnage : *Il y a toujours deux forces en moi. Deux personnalités diamétralement opposées. Leah, la femme douce et effacée, cette façade que je présente en public. Et puis il y a LEE, ce démon qui m’habite et que je m’efforce de contenir, cette femme dure et impitoyable. Cette femme au cœur de glace.* (Extrait)

À travers le drame extrêmement intense que vit Leah Hammet, L’auteur décrit avec une minutie extraordinaire les rouages de la politique américaine, la complexité du système électoral et l’atmosphère étouffante des conventions, réunions, séminaires et les tractations étranges et pas toujours nettes du collège électoral.

C’est vrai que j’ai toujours trouvé les manœuvres électorales américaines compliquées, mais Martin Michaud nous les décrit avec une fluidité qui force l’admiration. La plume est concise, efficace, directe, pas de temps morts, la toile est trop complexe. L’auteur l’a compris.

Avec un étonnant savoir-faire, l’auteur amène tous ses personnages sans exception SOUS LA SURFACE, l’envers du décor pour tenter de balayer toutes les saletés qui s’y trouvent. Michaud ne néglige rien, ne ménage personne, même pas le lecteur qui ne voit pas venir une finale spectaculaire et imprévue. Avant d’entreprendre la lecture je me suis dit : surprend-moi Martin. C’est fait, c’est même au-delà de toutes mes attentes.

J’ai vu beaucoup de choses intéressantes dans ce livre car il est évident que l’auteur s’est documenté. Une plongée dans le cœur du pouvoir de la politique américaine, la course effrénée et dans certains cas désespérée pour le pouvoir, le mal engendré par l’ambition et l’absence de scrupules.

Mais tout n’est pas noir car quelque part dans l’œuvre, malgré le caractère soutenu démoniaque de l’intrigue, le lecteur est témoin d’un magnifique, d’un extraordinaire geste d’amour difficilement cadrable dans un univers aussi malsain. Vous voyez, rien ne nous est épargné dans ce thriller haletant y compris une fort mortifiante preuve d’amour.

Avec SOUS LA SURFACE, je suis fier de voir confirmé le nom Du québécois Martin Michaud dans les ligues majeures, comme créateur d’émotions qui n’a rien à envier aux auteurs de thrillers américains.

Suggestion de lecture du même auteur : LA CHORALE DU DIABLE

ici.radio-canada.ca

Né à Québec en 1970, Martin Michaud est un véritable homme-orchestre : avocat, scénariste, écrivain, il est aussi musicien. Sur le plan littéraire, il s’est spécialisé dans le thriller à forte intensité.

Ses trois premiers ouvrages (IL NE FAUT PAS PARLER DANS L’ASCENSEUR et LA CHORALE DU DIABLE en 2011, JE ME SOUVIENS en 2012) obtiennent un succès spontané et fulgurant avec la création d’un personnage tourmenté mais d’une impeccable moralité : Victor Lessard. Son œuvre lui vaut de prestigieux prix littéraires.

Pour en savoir davantage sur cet auteur déjà qualifié de maître du thriller québécois, consultez le site internet officiel de Martin Michaud. Cliquez ici.
Pour lire mon commentaire sur LA CHORALE DU DIABLE de Martin Michaud, cliquez ici.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 7 décembre 2019

BINE, tome 9, une série de DANIEL BROUILLETTE

*-Est-ce que tu penses qu’ils sont en train de faire ce que je pense ? Demande Maxim en retenant un ricanement. – En tout cas, ils sont pas en train de jouer à la pétanque…- Mes parents ont déjà fait la même affaire à Old Orchard. – York ! Pas eux ! – Je sais, c’est dégueulasse.* (Extrait : BINE t9 TOURISTA SOUS LES PALMIERS,
Daniel Brouillette, Éditions Les Malins, 2018. Édition de papier, 400 pages)

C’est envahi par la peur de mourir dans un écrasement d’avion que notre très brave Bine s’envole pour Cuba en compagnie de sa belle Maxim et de son père. Il se donne une semaine pour reconquérir celle qu’il aime, mais qu’il a malheureusement trahie. En vacances, loin de l’école sous un soleil magnifique et un décor enchanteur tout ne peut que bien aller, non ? Dans MARTINE À LA PLAGE, peut-être. Mais dans BINE, pas vraiment…

7 ANS ET 10 ALBUMS PLUS TARD
*L’acte de se dandiner sur de la musique a quelque chose
de bizarre. Surtout qu’en temps normal, ça ne se passe
pas sur une scène devant une foule. D’habitude, les
gens dansent en rond, en petits groupes et rient en
sautillant comme si leurs pantalons subissaient une
infestation de mulots.
(Extrait)

C’est en 2014 que j’ai fait la connaissance de Benoit-Olivier Lord, surnommé affectueusement et…comiquement, BINE dans le premier tome de la série : L’AFFAIRE EST PET SHOP. Il y a des choses qui ne changent pas : Bine a toujours *un exceptionnel sens de la répartie et une magnifique spontanéité dans ses relations avec ses pairs* (Extrait du commentaire de 2014)

J’étais curieux de voir comment Bine avait évolué avec le temps. Dans le tome 9, Bine a 14 ans, la belle Maxim est toujours dans le décor et Bine en est amoureux fou. A-t-il vieilli ce fameux personnage issu de l’imagination de Daniel Brouillette ? Plus qu’issu en fait…Bine serait l’extension de Brouillette. Ce n’est pas moi qui le dit, le caractère autobiographique de la série est avéré. Qu’en est-il de Benoit-Olivier à 14 ans ? Il est toujours Bine, pas d’erreur.

D’abord Brouillette a donné à 9-TOURISTA SOUS LES PALMIERS un caractère très intimiste. Peut-être même un peu trop si on tient compte, par exemple, des nombreux détails livrés sur les mécanismes de la diarrhée.

*un courant chaud interne annonciateur de tempête et un vertige donnant le mal de mer, on jette l’ancre aux toilettes pour se vider, une, deux trois, quatre fois…ce n’est pas une simple indigestion qui afflige Maxim. On est au sommet de la hiérarchie des diarrhées. Une princesse. Nulle autre que lady Diarrhea…* (Extrait)

L’auteur est encore plus direct en limitant par exemple à une phrase le chapitre 19 : *Maxim se chie la vie* (Extrait) Cet aspect du livre, passablement dominant m’a fait plutôt déchanter. Mais au-delà des détails croustillants sur *l’asperge* de Bine *squeezée* dans son speedo léopard et sur la tuyauterie grumeleuse de Maxim, j’ai quand même pu cerner le personnage de Bine, comment il a grandi, comment il a changé.

D’abord, Bine n’est plus un enfant. C’est un ado…tributaire du réveil de ses hormones, obsédé par son *ZWIZ*. Il demeure spontané et attachant, mais personnellement, je l’ai trouvé un peu benêt. Toutefois, après avoir complété la lecture du livre et avec un peu de recul, j’ai compris que notre jeune héro est amoureux fou, qu’il a des choses à se faire pardonner. Ça le rend parfois aussi gauche qu’adorable.

Si je vais bien au-delà de son petit caractère dégoûtant : *Mais l’entendre épandre du purin en quantité suffisante pour remplir un silo est une première. C’est triste à dire et je sais que ce n’est pas de sa faute, mais c’est carrément dégueulasse. * (Extrait)

Ce récit est une histoire d’amour d’adolescent. Et les péripéties du voyage à Cuba ne sont que des diversions…tous les chemins mènent à Rome. Je peux bien maintenant pardonner à l’œuvre de Brouillette ses petits aspects dérangeants.

Pour le reste, l’auteur maintient le cap : des chapitres courts, numérotés et titrés de façon originale et drôle : *une partie de ping-pong avec la fille qui pogne* (Titre du chapitre 13.) Écriture directe et fluide. Comme je le mentionne plus haut, il y a des choses qui ne changent pas…il y a une ou deux constantes dans les 9 tomes de Bine, un fil conducteur tenace mais rassurant :

*la belle Maxim qui fait battre son *ti-cœur* et dans son langage basé sur un vocabulaire pas toujours recherché et pas toujours appétissant mais qui finit toujours par nous faire sourire avec des jeux de mots parfois douteux mais dont plusieurs ne manquent pas d’originalité. * (Extrait du commentaire sur L’AFFAIRE EST PET SHOP)

Bine a maturé mais il est encore très jeune et il lui reste beaucoup d’aventures à vivre. La finale de l’histoire promet une suite intéressante. J’ai dû combattre un peu mon côté réfractaire aux changements mais j’étais heureux de le retrouver. Je n’hésite pas à vous recommander la série…

Suggestion de lecture, du même auteur : BINE, L’AFFAIRE EST KETCHUP

LES AUTRES BINES…

           

           

      

Daniel Brouillette est né en 1978. Après une vingtaine d’années à blaguer à l’école, il est devenu enseignant au primaire. Le dédain pour la correction d’examens et l’amour de l’écriture l’amènent à abandonner son boulot au salaire ridiculement bas pour joindre l’École nationale de l’humour. Depuis sa sortie en 2006, il a travaillé en tant qu’auteur-scripteur-concepteur pour les émissions « L’union fait la force », « Pyramide », « Le dernier passager », « Les Chefs! », « Duo » et « Taxi payant ».

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 26 octobre2019

Un autre nom pour l’amour de COLLEEN McCULLOUGH

*…La commission d’enquête découvrit de graves
irrégularités dans les comptes et apprécia Luc à
sa juste valeur, celle d’un individu sans scrupules
et toujours prêt à semer la discorde sur son
passage. On s’en débarrassa de la manière la
plus
simple…
*
(Extrait: UN AUTRE NOM POUR L’AMOUR, Colleen
McCullough, Archipoche éditeur, 2015, papier, 500 pages)

Colleen McCullough décrit un véritable cas de conscience, celui d’une infirmière qui a en charge, dans un hôpital de campagne perdu au fond d’une île du pacifique, six soldats traumatisés par la guerre. Entre ces hommes et cette femme qui représente à la fois la mère, la sœur et l’amante que chacun veut posséder pour lui seul, vont naître des sentiments qui vont s’exacerber jusqu’au paroxysme de la jalousie et de la haine et au-delà : la tragédie. Ici, nous avons un roman d’amour bien sûr mais plus encore : une étude en profondeur du cheminement des passions chez des êtres que tout semble opposer et que tout doit finalement séparer. 

ÉMOTION À L’HORIZON
*…Elle n’avait pas honte de savoir qu’il n’avait
rien fait, rien dit pour le demander ni y
consentir. Elle le touchait, elle le caressait
amoureusement pour son seul plaisir, pour
s’offrir un souvenir. *
(Extrait)

Comme vous le savez sans doute, je ne suis pas très friand de littérature sentimentale. Toutefois, j’aime essayer des tendances différentes comme je le fais dans mes petites incursions occasionnelles dans l’Univers des grands Classiques. Alors pourquoi ne pas essayer une histoire d’amour. C’est alors que j’ai pensé à Colleen McCullough.

Je visais d’abord son œuvre majeure *LES OISEAUX SE CACHENT POUR MOURIR* mais étant peut-être trop contaminé par la série télévisée, j’ai opté pour UN AUTRE NOM POUR L’AMOUR. Je ne l’ai pas regretté.

Le livre raconte l’histoire de Honora Langtry, une infirmière de vocation, née pour ça : philanthrope, altruiste et compétente. Vers la fin d’une guerre, honora exerce sa profession dans un pavillon appelé X. Elle a sous sa responsabilité cinq hommes à qui on prête une certaine déficience mentale ou intellectuelle.

Ils sont surtout là parce que les autorités militaires ne savent pas trop où les mettre. Puis arrive le petit nouveau, Michael Wilson qui, graduellement fait battre le petit cœur d’honora tout en modifiant d’une certaine façon la discipline et surtout la routine du pavillon. Puis, les sentiments d’Honora deviennent contradictoires et j’ai compris qu’elle allait s’enliser dans un amour impossible.

Compte tenu de ce caractère contradictoire et de la nature des personnages du pavillon, mon intérêt a été soutenu jusqu’à la fin. Mise à part Honora, un personnage a retenu mon intérêt en particulier Luc Dagget, homme instable et disparate, imbu, égocentrique et à l’attitude crasse :

*Tu sais Luc, tu es d’une telle bassesse que tu serais forcé de grimper à une échelle si tu voulais gratter le ventre d’un serpent, dit Nugget en faisant la grimace. Tu me donnes envie de dégueuler. * (Extrait)

C’est un exemple. Si les hommes étaient en apparence physiquement bien portants, Ils avaient tous une meurtrissure au cœur et Honora était tout pour eux : une présence, un soulagement, une mère et même une amoureuse. Le reste concerne un petit grain de sable qui s’est glissé dans l’engrenage. Michael Wilson a changé la donne.

J’ai été happé par la dimension dramatique de l’histoire. D’autant que la guerre est finie et que la démobilisation approche. Chacun aura un choix à faire et ce choix sera tragique pour plusieurs. Luc ira jusqu’au suicide, mais est-ce un suicide ? Colleen McCullough a travaillé ses personnages.

Elle les a doté d’une personnalité complexe. La psychologie de ces personnages est un élément-clé du récit. J’ai été aussi étonné par la précision de l’écriture. Pas de longueurs. Pas de mots ou d’éléments superfétatoires. Son langage est très direct et la plume est limpide.

Oui c’est une histoire d’amour. Je serais plus précis en parlant de drame d’amour. L’intensité dramatique suit un crescendo savamment pensé et travaillé, modelé pour retenir l’attention et l’intérêt du lecteur.

Pour nourrir cette dimension dramatique, Colleen McCollough a inséré un peu de tout dans son récit : de la peur, de la folie, de l’introversion, les blessures infligées par la recherche d’un amour impossible. Il y a même quelques épisodes qui laissent suggérer l’homosexualité. Il y a donc un brassage d’émotions parfois de forte densité.

Ne vous attendez pas à un fulgurant *happy ending*. Au contraire, la finale est la conclusion logique d’une chaîne d’évènements induits par l’arrivée de Michaël Wilson. Ça rappelle un peu le chien dans le jeu de quille mais ça va plus loin. C’est un très bon roman, profond, recherché, avec des personnages authentiques dans le sens de profondément humains. Je le recommande sans hésiter.

Suggestion de lecture : LE GAZON…PLUS VERT DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA CLÔTURE, d’Amélie Dubois

Après des études en médecine, Colleen McCullough (1938-2015) s’engage  dans un laboratoire de Sydney avant de gagner les États-Unis où elle a séjourné un long moment, exerçant la profession de neurophysiologue à l’Université de Yale. Romancière émérite, elle a obtenu un succès mondial avec LES OISEAUX SE CACHENT POUR MOURIR, où elle évoque pour l’essentiel, sa famille et sa propre enfance en Australie.

Du même auteur

Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 2 août 2019

L’ÉCUME DES JOURS, le livre de BORIS VIAN

*Prenant son élan, sauvagement, il lui décocha
un formidable coup de patin sous le menton et
la tête du garçon alla se ficher sur une des
cheminées d’aération de la machinerie tandis
que Colin s’emparait de la clé, que le cadavre,
l’air absent, tenait encore à la main. Colin ouvrit
une cabine, y poussa le corps, cracha dessus et
bondit vers la 309.*

(Extrait : L’ÉCUME DES JOURS, Boris Vian, Société
nouvelle des Éditions Pauvert, 1979, 1996, 1998,
Livre de poche, édition de papier, 320 pages)

Deux histoires d’amour s’entrecroisent faisant se côtoyer le rêve et la réalité. Colin est un jeune rentier élégant qui épouse Chloé. Son ami Chick entretient une relation avec Alise. Tout irait pour le mieux si ce n’était de l’état de Chloé qui souffre d’une maladie qui lui dévore les poumons et de l’obsession qu’entretient Chick pour un philosophe. Le drame contamine graduellement la pureté et la légèreté qui s’annonce avec tant de fierté au début du récit. C’est une histoire farfelue qui rappelle un peu les liaisons passionnées entre éternels adolescent mais qui évoquent aussi les liaisons caricaturées par les structures sociales et les mentalités de l’époque.

LA CULTURE DE L’INCOHÉRENCE
*-Je ne tiens pas à travailler. Je n’aime pas ça.
-Personne n’a le droit de dire ça, dit le chef de
la production. Vous êtes renvoyé, ajouta-t-il.
-Je n’y pouvais rien, dit Chick. Qu’est-ce que
C’est que la justice? –Jamais entendu parler,
dit le chef de la production.*
(Extrait : L’ÉCUME DES JOURS)

Je n’ai jamais lu d’histoire d’amour. Ça ne m’a jamais vraiment attiré jusqu’à ce que, tout récemment, je décide d’en faire l’essai. Pour cette première, j’ai décidé de me tourner vers la littérature classique et pour ma plus grande satisfaction, je suis tombé sur un livre qui va au-delà de la simple histoire d’amour.

Personnellement, L’ÉCUME DES JOURS est une de mes plus belles découvertes. L’amour conditionnel (Alise et Chick) y côtoie l’amour inconditionnel (Colin et Chloé). Dans les deux cas, le destin est tragique. Boris Vian a imprégné cette œuvre magistrale d’une dualité qui confine à la tension dramatique, spécialement à la fin qui est tragique et inspire la colère..

Sur fond de poésie, l’ambiance glauque alterne de façon imprévisible avec une atmosphère de sensibilité et de légèreté. Comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas un lecteur de roman d’amour mais j’ai tout de même compris qu’il n’y a rien de conventionnel dans le récit de Vian.

Ce qui m’a le plus fasciné dans ce roman, c’est l’incroyable variété des niveaux de langage qu’impose Boris Vian qui passe avec une facilité déconcertante du grossier au familier, jusqu’au langage haut perché.

Je mentionne aussi que le livre est truffé de jeux de mots et de signifiants, de fantaisies grammaticales et de néologisme à la Vian…c’est ainsi qu’un réfrigérateur devient un frigiploque, un peintre devient un peintureur, un pompier devient un pompeur, une sacristie devient une sacristoche.

On pourrait avoir l’impression que Vian cultive l’absurde sur les plans physiques et contextuels (des murs qui rétrécissent, une souris qui parle, Colin qui trouve un travail consistant à annoncer les malheurs 24 heures à l’avance…)

Ajoutons à cela l’omniprésence dans le récit du jazz, en particulier de Duke Ellington, de la gastronomie et de Jean-Sol Partre, qui vous l’avez compris, est un anagramme de Jean-Paul Sartre, le célèbre philosophe (1905-1980) que Vian a déjà rencontré d’ailleurs. Il faut voir aussi comment Jean-Sol Partre fait le malheur de Chick dans L’ÉCUME DES JOURS. C’est du grand art.

L’incroyable quantité d’invraisemblances qu’on trouve dans le texte donne à l’œuvre un puissant caractère surréaliste. Trop surréaliste…si je peux faire un tout petit reproche à Vian. On s’y perd un peu. Toutefois, l’onirisme qui imprègne le récit vient apporter un bel équilibre.

Donc, en entreprenant la lecture de L’ÉCUME DES JOURS, attendez-vous à pénétrer dans un monde surréaliste, voir surnaturel, teinté d’humour et où l’amour est malmené et pas seulement l’amour… j’ai senti que Vian prenait plaisir à tourner en dérision les structures sociales, la finance, la police et même la religion.

Il y a entre autres, vers la fin du récit, un dialogue entre Colin et un prêtre que vous risquez de trouver assez décapant. Ce petit côté moqueur m’a beaucoup plu, ainsi qu’un petit côté extravagant qui permet un peut tout, y compris amalgamer sinon mêler le réalisme et l’onirisme, l’amour impossible et l’amour vrai, la vie et la mort, le possible et l’impossible.

J’ai savouré L’ÉCUME DES JOURS. L’écriture est d’une beauté envoûtante, le style de Vian est puissant car il a ce pouvoir de faire rire et pleurer…bref de nous faire passer par toute une gamme d’émotions.

L’ÉCUME DES JOURS…à lire absolument et éventuellement à relire…

L’ÉCUME DES JOURS AU CINÉMA
La plus récente adaptation cinématographique a été réalisée par Michel Gondry d’après la scénarisation de Luc Bossi. On retrouve entre autres dans la distribution Audrey Tautou, Romain Duris, Gad Elmaleh et Omar Sy. Le film est sorti en avril 2013.

Homme aux multiples talents, véritable homme-orchestre, Boris Vian (1920-1959) a été écrivain, poète, parolier, chanteur, musicien, critique, conférencier, ingénieur, traducteur, acteur et peintre. Il a aussi produit des pièces de théâtre. Même en matière littéraire, Vian a été un vrai touche-à-tout, exploitant la poésie, la chronique, la nouvelle, le roman et même le documentaire.

C’est surtout sous le pseudonyme de VERNON SULLIVAN que Vian s’est fait connaître, publiant de nombreux romans dont J’IRAI CRACHER SUR VOS TOMBES qui a fait scandale, qui a été censuré et qui lui a presque valu la prison. C’est d’ailleurs Lors de la projection privée du film tiré de son roman J’irai cracher sur vos tombes, que Boris Vian s’éteint brutalement. 

Il a aussi publié de nombreux autres ouvrages sous différents pseudonymes. L’oeuvre de Boris Vian n’a été vraiment reconnu qu’après sa mort, dans les années 60. L’ÉCUME DES JOURS en particulier est un chef d’œuvre devenu incontournable dans l’univers littéraire.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 3 juin 2018

MOI, SIMON 16 ANS HOMOSAPIENS de BECKY ALBERTALLI

*Au fait, petite parenthèse : tu ne trouves
pas que tout le monde devrait en passer
par le coming out? Pourquoi
l’hétérosexualité serait-elle la norme?
Chacun devrait déclarer son orientation
quelle qu’elle soit, et ça devrait être
aussi gênant pour tout le monde, hétéros,
gays, bisexuels ou autres. Je dis ça, je dis
rien.*
(Extrait : MOI, SIMON 16 ANS HOMO SAPIENS,
Becky Albertalli, t.f. Hachette Livre, 2015, 206
pages, édition numérique)

Simon Spier, 16 ans est gay, mais personne ne le sait. Il n’a pas fait son *coming out*. Simon se sent particulièrement bien quand il clavarde avec un irrésistible jeune homme de son lycée dont le pseudonyme est BLUE. Un jour, Simon commet une erreur impardonnable : il oublie de fermer sa session de clavardage sur un ordinateur du lycée. Un camarade de classe, Martin prend connaissance de la séance et fait une capture d’écran dont il se sert pour s’adonner à un petit chantage : soit Simon organise un rancart entre sa meilleure amie et Martin, soit Martin met le secret de Simon au grand jour…pas simple.

Au-delà des sentiments
*Mais n’hésite pas à tirer sur la bride au
besoin, Okay? Avec moi, surtout, dit-il
en se frottant le menton. Je sais que je
ne t’ai pas rendu le coming out facile.
Nous sommes très fiers de toi. Tu en as
dans le ventre, fiston.*
(Extrait : Moi, Simon 16 ans Homo sapiens)

Vous l’avez compris, le thème de ce livre pour la jeunesse est l’homosexualité. Au début de son récit, Simon a 16 ans. Il en aura 17 avant la fin. À travers son quotidien, la famille, l’école, ses activités, ses amis, ses parents, Simon raconte tout ce qu’il ressent à travers les différentes phases de manifestation de son homosexualité.

Ça commence par l’auto reconnaissance de son orientation sexuelle, son acceptation, un développement substantiel et très fort de tout ce qui est lié au *coming out* puis l’amour naissant…tout cela est bien sûr compliqué par la crainte des réactions parentales, la crainte du jugement de ses pairs, la peur de perdre de précieuses amitiés…

Ce n’est pas facile de sortir les squelettes du placard. Pour se brancher à la dure réalité de l’homosexualité chez les jeunes en fin d’adolescence, l’auteure a dû *victimiser* Simon avec des insultes profondément blessantes de son entourage, dures mais typiques d’un comportement homophobe que notre société moderne est loin d’avoir tout à fait abandonné.

Pourtant, j’ai trouvé dans l’ensemble que Becky Albertalli a développé son sujet d’une façon progressiste et très positive, trop peut-être selon certaines critiques. Moi j’ai trouvé que l’auteure a fait preuve d’un bel équilibre, probablement à cause de la nature des personnages qu’elle a créés.

La forme littéraire est aussi très intéressante. En fait le récit de Simon alterne avec des échanges de courriels entre lui et le mystérieux Blue, qu’on ne connaîtra que vers la fin de l’histoire.

Mais c’est dans ces courriels justement qu’on peut apprécier la psychologie des personnages et surtout la profondeur des sentiments de Simon qui devient graduellement amoureux : *Au début, les mails de Blue constituaient une sorte d’agrément séparé de ma vie réelle. Alors que maintenant, j’ai l’impression que ma vie se trouve peut-être dans ces missives.* (Extrait)

Ne vous attendez pas à des passages torrides dans ce livre. Je suis toutefois d’accord avec le fait qu’il s’en dégage une certaine sensualité que je qualifierais de saine et rafraîchissante. C’est avant tout une histoire sympathique qui met en scène des jeunes attachants avec leurs hauts et leurs bas, leurs qualités et leurs défauts.

De plus, il y a quelque chose de très beau en Simon, comme une chaleur, un lyrisme qui donne au récit de la couleur, de la force et une tonalité profondément humaine.

Je note aussi au passage que le récit nourrit une certaine réflexion sur la force et la valeur de l’amitié car c’est sur elle que s’appuie tout le courage de Simon et toutes les petites et les grandes victoires qui contribuent à donner aux jeunes la place qui leur revient dans la société.

MOI, SIMON 16 ANS HOMOSAPIENS est un roman sans prétention. Le livre est très ventilé, avec des chapitres courts, sans longueur, agréables à lire. La plume pousse tellement le lecteur à être proche du personnage principal que j’avais l’impression de partager avec Simon ses doutes, ses craintes, ses déceptions, ses joies et même ses fantasmes.

Je vous invite donc à faire la connaissance d’un grand amateur d’Oréos qui ne cherche qu’à bâtir son bonheur. Je ne m’étendrai pas sur les Oréos, je dirai simplement que l’humour a sa place dans ce livre qui a été pour moi un coup de cœur.

À LIRE: un intéressant petit dossier sur le coming out.

Becky Albertalli est née à Atlanta aux États-Unis. Elle écrit depuis toujours. Ses premiers romans, griffonnés dès la maternelle parlaient surtout des animaux de compagnie. Elle a écrit et dirigé une tragédie à l’âge de 12 ans. Docteur en psychologie clinique, elle se consacre totalement à l’écriture. MOI, SIMON 16 ANS HOMO SAPIENS est son premier roman.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 4 février 2018

SI JE TE RETROUVAIS, le livre de NORA ROBERTS

Eh bien voilà… Il fallait bien que ça arrive un jour. Pour la première fois en 7 ans avec Québec Loisir, je n’ai pas reçu ce que j’avais commandé. En ouvrant la boîte j’ai découvert une petite brique dont l’auteur et la couverture ne me disait rien du tout. Par curiosité plus que par lâcheté, j’ai décidé de conserver le livre plutôt que de le retourner. Après tout, des découvertes fantastiques ont été faites en partant d’une erreur!


Fiona Bristow mène une vie idyllique sur une île au large de seattle avec ses trois labradors. Dans sa jolie maison campagnarde, elle dirige son centre de dressage canin et reçoit des clients d’un peu partout. Quelques années plus tôt, elle a été kidnappée par un tueur en série. Par miracle elle a pu s’échapper, mais le tueur s’est vengé en assassinant son fiancé, ce qui a conduit à son arrestation.

Après des années difficiles, Fiona a enfin pu retrouver la paix dont elle avait besoin pour se reconstruire après ce cauchemar.  C’est alors qu’entre dans sa vie Simon Doyle, un homme plutôt froid et  asocial devenu propriétaire malgré lui d’un chien incontrôlable. Une chimie se crée entre ces deux personnes aux caractères particulièrement opposés. Puis se produisent des événements inquiétants: une série de meurtres sont commis en suivant exactement les mêmes méthodes que le kidnappeur de Fiona. Et tout indique que le tueur se rapproche d’elle.

Il serait très facile de ne pas aimer ce livre. Une recherche rapide a confirmé mes doutes: Nora Roberts a une sérieuse bibliographie de romans d’amour et de thrillers psychologique. Du coup ça explique pourquoi l’intrigue amoureuse et les états d’âme de Fiona prennent autant de place. Beaucoup de –je t’aime -moi non plus mais pas trop à l’eau de rose heureusement. Ça peut tout de même devenir vite ennuyeux quand on aime pas le genre.

Nora Roberts

En ce qui me concerne, trois éléments m’ont fait accrocher suffisamment longtemps pour que je veuille le finir. Dans la première partie du livre,  Fiona dirige une équipe de recherche afin de retrouver un enfant égaré. Il est beaucoup question de dressage, de comportement et de psychologie canine. Moi qui veut un berger ou un retriever depuis des années, j’en ai rêvé un coup! L’histoire se déroule à la campagne, au travers de forêt,  de clairières et  de prairies, encore de quoi me faire rêvasser. Et finalement la petite intrigue policière est somme toute assez intéressante.

Comme vous voyez c’est plutôt subjectif. Les chiens, la campagne et le meurtrier m’ont aidé à passer au travers des histoires de couple des deux personnages principaux, et de ne pas regretter la lecture de ce livre de 600 pages. Enfin j’ai trouvé que Nora Roberts manipule bien les dialogues, qu’elle utilise en abondance. Elle réussit aussi à bien nous représenter les lieux, sans se lancer dans des phases descriptives interminables.

Suggestion de lecture : LE CHIFFREUR, de Christine Benoit

Phenixgoglu
Avril 2013