LES CONTES DE NOËL, de CHARLES DICKENS

*Le fantôme approchait d’un pas lent, grave et silencieux.
Quand il fut arrivé près de Scrooge, celui-ci fléchit le genou,
car cet esprit semblait répandre autour de lui, dans l’air qu’il
traversait, une terreur sombre et mystérieuse.*
(Référence : Folio éditeur, 2012, version audio : Audible
Studios éditeur, 2014. Durée d’écoute : 3 heures 27,
narrateur : Mathieu Barrabès)

C’est la veille de Noël et tous s’affairent aux préparatifs. Préférant la solitude à ces fêtes joyeuses, Ebenezer Scrooge refuse les invitations. Pour ce vieux grincheux que tous prennent soin d’éviter, Noël se résume à un simple mot : « Sottise ! »  jamais il ne s’associera à cette vaste fumisterie. Mais ce soir-là, les esprits de Noël en décident autrement. Plongé malgré lui entre passé, présent et futur, le vieux grippe-sou reçoit une leçon de vie..

LA MAGIE DE DICKENS
*L’oncle Scrooge s’était laissé peu à peu si bien gagné
par l’hilarité générale, il se sentait le cœur si léger qu’il
qu’il aurait fait raison à la compagnie quoiqu’elle ne
s’aperçut pas de sa présence, et prononçait un discours
de remerciement que personne n’eut entendu si le
spectre lui en avait laissé le temps. *
 (Extrait)

Je ne me suis jamais vraiment demandé ce qui fait qu’un livre devient fétiche. Pourquoi on aime y revenir sans se lasser. Pourtant, c’est une question intéressante à creuser. Dans ma bibliothèque, des fétiches, il n’y en a pas beaucoup. J’ai réuni mes quelques titres avec, comme point de départ, les contes de Dickens. Certains livres induisent une attraction, une attirance difficile à expliquer.

Le principal point commun de ces livres, c’est l’émotion qu’ils me font vivre. Pour faire passer les émotions, Dickens est passé maître. Il me fait vibrer. C’est comme ça. Et ça va plus loin. Je pourrais parler pendant des heures de son chef d’œuvre DAVID COPPERFIELD. J’ai réalisé que les CONTES DE NOËL me poussent à l’introspection.

Le célèbre Ebenezer Scrooge, un homme égoïste, pingre, méchant, froid et insensible est entrepris par trois fantômes qui lui font revivre son passé et l’obligent à regarder le mal qu’il a fait, à regarder son prochain avec des yeux différents. Une revitalisation du cœur s’opère graduellement au fur et à mesure que Scrooge se rapproche du moment où on lui dévoilera son futur. Voilà pour l’objectif du récit…le fil conducteur.

Vous avez droit à un profil complet du personnage au début de l’œuvre et il est loin d’être tendre : *… Le vieux pêcheur était un avare qui savait saisir fortement, arracher, tordre, pressurer, gratter, ne point lâcher surtout. Dur et tranchant comme une pierre à fusil dont jamais l’acier n’a fait jaillir une étincelle généreuse…Le froid qui était au-dedans de lui gelait son vieux visage, pinçait son nez pointu, ridait sa joue, rendait sa démarche raide et ses yeux rouges, bleuissait ses lèvres minces et se manifestait au dehors par le son aigre de sa voix

Ce n’est qu’un extrait mais le profil complet laisse à penser qu’il serait pratiquement impossible de faire copain-copain avec un tel personnage. Il faut voir aussi comment va s’opérer la transformation.

Donc l’attraction est issue de l’émotion qui se dégage de la plume combinée aux élans de bonté, de générosité, d’altruisme et de don de soi induits par la fête de la Nativité. C’est ce qu’on appelle la magie de Noël. Dans le cas de la version audio, je dois dire que le narrateur peine à transmettre l’émotion mais la signature vocale a un certain charme.

Les contes de Noël ont évidemment un caractère fantastique dominant et sont porteurs d’un message social qui appelle au partage et à la tolérance. Dickens est un magicien des mots. Sa plume est envoûtante car elle m’a propulsé dans mon enfance. Il y a dans ces contes quelque chose d’onirique qui appelle aux changements pour une société plus juste. Un seul petit point négatif : l’ensemble est sensiblement moralisateur.

Pour plusieurs, ça peut être irritant. C’est le cas aussi de la narration qui s’accorde plus ou moins bien avec l’esprit du texte. Enfin, il y a l’entrée en matière qui est très longue avec des passages peu pertinents. Mais dans l’ensemble, l’oeuvre est une fresque. La lire, c’est y revenir.

Un petit détail en terminant. Cette œuvre de Dickens est une lecture pour adulte. On y trouve effectivement beaucoup de notions abstraites pour les enfants. Rien n’empêche toutefois d’en faire une lecture adaptée pour les premiers lecteurs en mettant l’accent par exemple sur des vertus comme la générosité, l’entraide, le don de soi.

Suggestion de lecture : JACK ET LA GRANDE AVENTURE DU COCHON DE NOËL, de J.K. Rawling

Charles John Huffam Dickens est un écrivain  anglais né le 7 février 1812 et mort le 9 juin 1870. Son style littéraire est inspiré de sa jeunesse, dure étant donné que son père a fait de la prison et que lui a dû travailler jeune. Ses histoires sont donc presque toutes sur le thème d’enfants aux parents difficiles, d’enfants orphelins. 

Il s’est surtout fait connaître par ses lectures publiques. Dès ses premiers écrits, il est devenu immensément célèbre, sa popularité ne cessant d’augmenter au fil de ses publications dont plusieurs sont devenues très célèbres comme OLIVER TWIST et DAVID COPPERFIELD.  et bien sûr d’Ebenezer Scrooge. Pour consulter l’impressionnante bibliographie de Charles Dickens, cliquez ici.

Mes meilleurs souhaits pour un joyeux Noël, une bonne et heureuse année 2020

Claude Lambert

Le dimanche 22 décembre 2019

LA PETITE ET LE VIEUX, de MARIE-RENÉE LAVOIE

*-Pis Mathusalem ? Lui j’peux pas ! Pourquoi ?
Parce que c’est triste en chien ! Nan…y u dis toutl’temps ça !
Ben lui c’est vrai ! Pourquoi ?
Parce que t’est fatigante en maudit ! Pourquoi ?
Parce qu’à ton âge on est supposé croire que
l’monde est toute ben beau pis ben fin-*
(Extrait LA PETITE ET LE VIEUX, Audible studios,
2018, édition originale, 2010, rééd. Gallimard 2015
Durée d’écoute : 5h55. Littérature jeunesse)

Hélène se fait appeler Joe parce qu’elle veut vivre en garçon comme lady Oscar, son héroïne de dessins animés préférée qui est la capitaine de la garde rapprochée de Marie-Antoinette. Comme elle, elle aimerait vivre à l’époque de la Révolution française. Mais elle doit se contenter de passer les journaux, puis de travailler comme serveuse dans une salle de bingo. Après tout, au début du roman, elle n’a que huit ans, même si elle prétend en avoir dix.

LADY OSCAR ET L’OURS MAL LÉCHÉ
*- Y est ben de bonne heure pour boire une grosse bière de même !
– Sacrament, qu’est-ce tu veux, j’haïs le café. Ça me donne des
brûlements d’estomac. – Prends du Pepto-Bismol. – Ha ! ha ! ha !
C’é quoi ton nom, p’tite vermine ? – J’ai pas de nom, gros soûlon. *
(Extrait)

C’est le livre le plus drôle qu’il m’ait été donné de lire et d’écouter car j’ai utilisé deux supports. J’ai beaucoup ri et quelques larmes se sont manifestées même. Drôle, émoustillant, rafraîchissant…mais commençons par le commencement. Voici l’histoire d’Hélène 8 ans, qui se fait appeler Jos car au départ, Hélène n’aime pas sa condition de fille, au départ du moins.

Elle préfère vivre en garçon et s’identifie à Lady Oscar, héroïne d’un dessin animé, elle aussi masculinisée. Oscar est la capitaine de la garde de Marie-Antoinette. Eh oui, Jos aurait aimé vivre à l’époque de la révolution pour remettre la justice à sa place à une époque où couve la France de Robespierre.

C’est beau le canal Famille mais Jos doit aussi vivre au présent avec sa famille, papa, maman, Jeanne, Catherine. Elle est camelot et serveuse dans une salle de bingo., le tout dans un quartier de Limoilou, près du Centre Hospitalier Giffard qui, depuis la désinstitutionalisation, a libéré une grande quantité de patients qui demeurent autour et qui, sans ressembler à des extra-terrestres, rendent le quartier plutôt…pittoresque.

Jos vit aussi en bon voisinage avec le vieux Roger, lui aussi issu de Giffard mais comme préposé. Le père Roger est un sympathique gueulard, grincheux, mal embouché, chialeur et désillusionné. Malheureusement, notre deuxième héros, Roger, ne parle que de mourir, de disparaître.

Graduellement Jos et Roger s’apprivoisent et laissent s’installer *pouce par pouce* une connivence qui ne se démentira plus : *«C’est quoi ton nom p’tite vermine? –J’ai pas de nom gros soûlon ! – Ha ! Ha ! Ha ! Une p’tite comique.  J’sens que jvas aimer ça icitte. » (Extrait) C’est un bonheur de les entendre converser, lui avec son langage de charretier et elle avec son langage de petite fille de 8 ans qui déclare en avoir 10.

LE PETITE ET LE VIEUX n’a pas d’intrigue comme telle. C’est la chronique du quotidien d’un quartier de Québec, d’un voisinage, d’un papa qui se contente de tout, d’une maman qui se contente de rien, de deux sœurs, d’un vieux solitaire qui jure en calant des bières tout en étant le puits de connaissances du bon grand-père, toujours disponible pour soulager les bobos avec ses ptits trucs du terroir.

Et il y a bien sûr Hélène, Jos la narratrice, intelligente, attachante, généreuse, une petite fille à son affaire qui cumule deux jobs éreintants pour aider sa famille. Ce livre est un trésor d’humour et d’émotions, de sentiments et de tendresse entremêlés. Un des plus beaux moments de ce livre est celui où le papa de Jos tente de se rapprocher de sa fille en se levant en même temps qu’elle pour l’aider à livrer ses journaux.

Le dialogue est lent mais chargé de sens et vient nous rappeler, avec le secours d’Ernest Hemingway qu’il n’est pas donné à tout le monde de manifester son amour. Mais si on sait lire entre les lignes…si on sait interpréter les gestes, le non-dit, on découvre des trésors fantastiques.

LA PETITE ET LE VIEUX est à l’image de son héroïne. C’est tout le livre qui ouvre son cœur, les dialogues sont pétillants et les personnages tellement attachants qu’on aimerait les avoir près de soi. C’est un authentique et vivant portrait de société avec ses personnages pittoresques et ses dépanneurs :  *Jvas rien slaquer pantoute maudit saint-ciboire,  jsus déménagé icitte pour être plus proche du dépanneur* (Extrait)

Je vous recommande chaleureusement ce livre et même la version audio qui est un enchantement. La jeune Juliette Gosselin nous livre une performance remarquable. J’irais jusqu’à dire que ce petit bijou serait tout indiqué pour une personne qui veut s’adonner à la lecture, qui veut essayer quelque chose qui l’amènerait à continuer.

C’est un livre savoureux. Profondément québécois et pas seulement pour son langage mais pour l’authenticité…profondément humain…un enchantement.

Suggestion de lecture : IL PLEUVAIT DES OISEAUX, de Jocelyne Saucier

Née en 1974, à Québec, Marie-Renée Lavoie détient une maîtrise en littérature québécoise de l’Université Laval. Lauréate du Grand Prix de la relève littéraire Archambault, en 2011, elle a remporté un vif succès, autant critique que populaire avec son premier roman, LA PETITE ET LE VIEUX, finaliste, en 2011, au Grand Prix du public Archambault, au Prix France-Québec et au Prix des cinq continents de la Francophonie. 

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 21 décembre 2019

TREIZE RAISONS, le livre de JAY ASHER

*-Eh, mollo ! C’est moi… qu’est-ce que tu fais là? Je lui demande. Sous mes yeux,
Marcus brandit une grosse pierre de la taille de son poing. -Prends ça, dit-il. Je lève les yeux vers lui. Pour quoi faire? -Tu te sentiras mieux après, Clay. Sérieux.* (Extrait: Treize raisons, Jay Asher 2007, t.f et rééditions 2010, 2014, 2017, Albin Michel, éditions de papier, 290 pages.)

*-J’espère que vous êtes prêts, parce que je vais vous raconter l’histoire de ma vie. Ou plus exactement la raison pour laquelle elle s’est arrêtée. Et si vous êtes en train d’écouter ces cassettes, c’est que vous êtes l’une de ces raisons.*
En entendant ces mots, Clay Jensen croit à une erreur, il n’a rien à voir dans la mort d’Hannah Baker. D’abord choqué, il erre dans la ville endormie, suspendu à la voix de son amie. Et ce qu’il va découvrir va changer sa vie à jamais.

SUICIDE RAISONNÉ
*À la fin du cours, Mrs Bradley a distribué des
tracts intitulés «les signaux indicateurs chez
les personnes à tendances suicidaires».
Devinez ce qui venait en tête du top 5?
«Un brusque changement d’apparence.»
J’ai tiré sur une mèche de mes cheveux courts.
hmm…Si prévisible, moi? Qui l’eût cru?
(Extrait : TREIZE RAISONS)

TREIZE RAISONS est le récit de Clay Jensen, un des treize désignés sur les cassettes enregistrées par une adolescente perturbée, Hannah Baker. Avant de mettre fin à ses jours, Hannah a enregistré des cassettes dans lesquelles elle pointe du doigt chacune des treize personnes qui aurait une responsabilité dans son suicide.

Clay se demande qu’est-ce qu’il fait sur ces cassettes, quel est son rôle. Il décide donc de les écouter, une par une…pour comprendre. C’était capital pour Clay de comprendre, d’autant qu’il avait un sentiment amoureux pour Hannah. La vie de Clay ne sera plus jamais la même à cause de ce qu’il a entendu…et compris.

Il est étrange ce livre. Je l’ai trouvé dur, dérangeant et il touche une corde extrêmement sensible : le suicide. Il pourrait heurter certains lecteurs, certaines lectrices qui, comme moi par exemple, trouvent le suicide très difficilement justifiable. Un livre qui confronte une école de pensée, ce n’est pas nouveau, ce n’est pas malsain non plus.

C’est l’idée de base qui m’a mis mal à l’aise. C’est vrai. Le livre est poignant, émouvant. L’auteur prend le lecteur à témoin d’une incroyable succession de malheurs, trahisons, de coups bas, le tout porté, voire bercé par un nuage d’indifférence.

Ce qui m’a dérangé en particulier, c’est que dans ce livre, l’idée du suicide est développée un peu à la façon d’une téléréalité à rebours. On dirait un scénario. Le suicide est plus que raisonné ici, il est présenté comme la seule solution au problème d’Hannah et ça, c’est singulièrement dérangeant car ça laisse supposer qu’il n’y a plus d’espoir, plus rien à faire. Ça me dépasse et ça livre un message qui va complètement à l’encontre de mes croyances. Dans son histoire, Hannah ne communiquait pas.

Les sentiments ne se sont jamais développés avec Clay parce qu’ils n’ont jamais su communiquer. Hannah avait besoin d’aide. Il y en a un qui a essayé : monsieur Porter, le prof d’anglais. Il s’est joliment planté quand il a évoqué l’ultime possibilité pour Hannah de tourner la page…mauvaise idée.

Au moins, ai-je développé un courant d’accord avec Clay : il n’en revenait pas et moi non plus : *J’aimerais seulement trouver une trace d’elle loin de la laideur de ces cassettes. C’est même une nécessité vitale*  (Extrait)

Je sais, je vais un peu à contre-courant de la critique. TREIZE RAISONS est considéré comme un chef d’œuvre de la littérature américaine. Plus d’un million d’exemplaires vendus. Moi je l’ai trouvé décevant et dévastateur. C’est un livre-spectacle porté à l’écran. J’en reste au livre toutefois : il ne contient pas de volonté évidente de privilégier la prévention, rien ou presque sur les signes annonciateurs de suicide.

Dans un communiqué émis en avril 2017 par l’Association québécoise de prévention du suicide, l’organisme s’inquiète de voir des jeunes déjà fragiles s’identifier à Hannah Baker et à son choix fatal : *La série peut renforcer l’idée que le suicide est un résultat « naturel » de l’intimidation ou d’autres difficultés, ce qui n’est pas le cas* (AQPS/Radio-Canada)

Le succès télévisuel de TREIZE RAISONS a convaincu NETFLIX de poursuivre l’aventure. J’espère que l’accent sera mis davantage sur la prévention, la formation en relation d’aide qui devrait même faire partie du programme scolaire de secondaire.

Je l’ai déjà dit, aucun livre n’est foncièrement mauvais sauf de rares exceptions. TREIZE RAISONS véhicule une espèce de non-dit qui évoque le refus de cette saleté qu’on appelle l’indifférence, l’action devant l’intimidation et qui appelle à une meilleure compréhension de la fragilité psychologique des adolescents, l’importance de développer une capacité d’empathie.

Ça peut paraître étrange mais c’est comme ça, le non-dit parle dans l’écrit et je l’ai ressenti. C’est la qualité du défaut de ce livre.

Je crois qu’il y a toujours de l’espoir. J’aurais préféré que le livre manifeste cette croyance…

Suggestion de lecture : LE MAGASIN DES SUICIDES, de Jean Teulé

Jay Asher est un romancier américain né en Californie dans une famille qui a toujours encouragé ses goûts artistiques. Treize Raisons, son premier roman, a reçu de nombreuses distinctions, dont celle du Teen Book Review, et a figuré sur la liste des best-sellers du New York Times. Treize Raisons est devenu une référence de la littérature jeunesse actuelle. (lecteurs.com)
Il a été adapté à la télévision en 2007. succès immédiat,  fulgurant. forçant la réédition du livre.

TREIZE RAISONS À LA TÉLÉ

Katherine Langford et Dylan Minette sont les acteurs principaux de la série TREIZE RAISON inspiré du livre de Jay Asher et développée en 2017 par Brian Yorkay pour Netflix. 

Bonne lecture

Claude Lambert

le dimanche 25 août 2019

L’ARRACHEUSE DE TEMPS, de FRED PELLERIN

 

*…Toussaint fût réveillé subitement. Était-ce le
chant du coq d’Ovide Samson? Non. Le coq
avait succombé d’un coup de poêlonne de
fonte dans l’omelette ce matin-là. Le chant
du toc, ce fut une explosion. Bang! Chez les
Gélinas.*
(Extrait : L’ARRACHEUSE DE TEMPS, contes de
village, Fred Pellerin, Sarrazine Éditions, 2009,
num. 135 pages)

Encore une fois, Le célèbre conteur Fred Pellerin plonge dans l’inépuisable mémoire de
Saint-Élie-De-Caxton pour nous livrer un conte touchant et vibrant sur le thème de la mort. Il y est question de cette étrangère venue s’établir au Lac-Aux-Sangsues…une femme discrète qu’on a élevée rapidement au rang de sorcière parce qu’elle lisait l’avenir. Une arracheuse de temps comme on dit…partie comme elle est arrivée emportant une grande quantité de mystères et de secrets enfouis dans la mémoire de Saint-Élie…

SAINT-ÉLIE PURE LAINE
*La dépouille faisait fureur. Tout le monde
s’était agglutiné autour de la table où
s’étendait la translivide. On observait cette
anonyme sans vie. À intervalles, chacun
jetait un œil à son voisin pour décoder une
réaction. À s’interroger sur la façon de
s’endeuiller devant l’inconnue.*
(Extrait : L’ARRACHEUSE DE TEMPS)

L’histoire tourne autour de LA STROOP, un des personnages de légende de Fred Pellerin. LA STROOP est une étrangère riche, étrange, mystérieuse et indépendante qui s’est installée un peu en retrait du village, ce qui entretien davantage le mystère qui l’entoure avec le résultat que le village n’a pas tardé à *sorciériser* la femme, encouragé par le curé neuf qui est par nature assez orthodoxe.

Ce que tout le village ne sait pas, c’est qu’il côtoie la mort, personnifiée dans le conte par celle qu’on appelle LA TRANSLIVIDE. Mais ce qu’on ne sait pas ne fait pas mal n’est-ce pas?

Toujours est-il qu’on fait connaissance avec des personnages sympathiques bien ancrés dans leur mentalité de village : Méo le coiffeur du village, Toussaint Brodeur, la belle Lurette, le curé *Neuf*…tous ont des raisons de consulter la STROOP qui aurait le pouvoir de faire reculer la mort…de lui *arracher du temps*.

Telle est la trame de ce conte rempli de fantaisies, de sympathiques expressions tordues, de tendresse, et porteur d’une belle réflexion sur la mort…pas le genre à faire peur mais plutôt à y réfléchir simplement. Fred Pellerin demeure résolument positif…même que personne ne meure pendant le passage de la STROOP chez les *Caxtoniens* sauf si on doit considérer la mort de la mort elle-même.

Le spectacle m’a ému, le livre m’a enveloppé. Dans le spectacle, Fred Pellerin a ce don magnifique de mettre en perspective le non-dit par son expression et son langage dans lequel le français *passe par des tours de passe-passe* tout à fait délicieux. Il rit de la mort sans jamais nous laisser indifférent à la Faucheuse. Avec une remarquable énergie, de l’humour et beaucoup de douceur, il laisse en nous la couvaison d’une réflexion qui viendra bien en son temps.

Si le spectacle mérite d’être vu, le livre vaut vraiment la peine d’être lu. Je sais que pour Fred Pellerin, le récit oral passe bien avant l’écrit. Mais ce livre est beaucoup plus que la transcription du conte dans le genre *mot à mot*, j’ai pu en mesurer toute l’intensité et les expressions tout à fait savoureuses et de superbes tournures de phrase :

*Et toutes ces choses faisaient d’elle une prémonitieuse sans fil. En interurbain constant avec le passé. L’avenir aussi. L’indicatif passé proche, et le futur compliqué…il suffisait de la consulter quelques minutes dans une volonté de vous refaire le futur que déjà vous n’aviez plus aucune idée de ce que vous avez fait la veille. À subjoncter au possible…*(Extrait)

Si vous êtes tanathophobe, ou si vous avez ne serait-ce que peur d’avoir peur, pensez à la légende Caxtonienne et à son fier porte-parole Fred Pellerin avec L’ARRACHEUSE DE TEMPS. C’est une formidable thérapie. Je vous dirai ici que le meilleur des mondes consiste à voir le spectacle et à lire le livre, peu importe dans quel ordre. De toute façon, les deux versions sont vendues ensemble.

Vous aimerez je crois…vous aimerez beaucoup.

Suggestion de lecture : LES CONTES DES 1001 NUITS

Fred Pellerin est un conteur, écrivain, scénariste et chanteur né en 1976 à Saint-Élie-De-Caxton en Mauricie au Québec. Diplômé en littérature de l’Université du Québec à Trois-Rivières, il s’est fait connaître rapidement par ses contes issus de son village natal, Saint-Élie-De-Caxton, et mettant en scène des personnages du village, comme Toussaint Brodeur, La Stroop et Méo le coiffeur, entre autres. Il est devenu, tôt dans les années 2000, un des meilleurs conteurs du Québec.

En 2007, il produit avec son frère Nicolas, un album de musique folklorique. L’année suivante, un de ses contes est adapté à l’écran par le réalisateur Luc Picard. Il a produit plusieurs spectacles, livres, disques et DVD. L’ARRACHEUSE DE TEMPS est son 4e spectacle produit en 2008, publié par la suite chez Sarrazine en 2009. Il a été reçu Chevalier de l’Ordre National du Québec en décembre 2012.

BONNE LECTURE
JAILU/CLAUDE LAMBERT

le 18 décembre 2016