TENSION EXTRÊME, de Sylvain Forge

*Le sang remontait dans sa gorge. Il voulut crier. Mais seul un borborygme sortit de sa bouche. Alors, passé le choc de l’accident, la douleur se rappela à lui. Une souffrance inexplicable lui dévora les entrailles, les poumons et le cœur. La voiture s’embrasa au moment où il perdait conscience. *
(Extrait : TENSION EXTRÊME, Sylvain Forge, à l’origine, Fayard éditeur, 2017, 381 pages. Version audio : Sixtrid éditeur, 2019. Duré d’écoute : 6 heures 6 minutes. Narrateur : Nicolas Dangoise.)

Aux limites du virtuel et de la réalité, les nouvelles technologies conduisent parfois à la folie ! Des cyberattaques paralysent la Police Judiciaire de Nantes, et cernent une ville où le moindre objet connecté peut devenir une arme mortelle. Alors que les victimes s’accumulent, une jeune commissaire et son adjointe, affrontent un ennemi invisible. Toutes les polices seront mobilisées pour neutraliser la menace de la science complice du crime.

Un pouvoir effrayant
*… Une machine à café ! …Elle détient un capteur qui renseigne
sur le niveau d’eau et le café dans ses réservoirs. La machine
communique avec le cyberespace et bien sûr, elle ne possède pas
d’antivirus, donc … *
(Extrait)

Comment deux quinquagénaires peuvent-ils mourir exactement au même moment et de la même façon?  On découvre rapidement qu’ils étaient porteurs de pacemakers et que ceux-ci auraient littéralement explosé entraînant la mort instantanée des deux hommes. Le livre de Forge frappe fort dès le départ par deux morts tout à fait improbables qui vont mobiliser la Police judiciaire de Nantes et toutes les polices spécialisées. La conclusion à laquelle arrivent les limiers est tout à fait extraordinaire. La destruction des pacemakers n’est rien d’autre qu’un cyberattaque. 

Mais quelle application peut permettre de détraquer des pacemakers. Tout le récit repose sur un ennemi invisible et le temps est compté car des cyberattaques paralysent la police judicaire, infiltrent la vie privée des enquêteurs et obligent la population à se méfier du moindre objet connecté et connectable à un réseau. Une espèce de paranoïa cyber technologique se répand à une vitesse folle car les victimes s’accumulent. Les policiers, assistent à l’émergence d’une nouvelle forme de criminalité.

Les premières constations à l’écoute de ce récit donnent à penser qu’il est poussé, exagéré voire caricatural. J’ai vite conclu que ce n’était pas le cas. Il n’y a pas de sang ou de scènes dégoûtantes dans cette histoire. Il n’y a rien de gore. C’est le non-dit, c’est-à-dire ce que laisse supposer le texte que j’ai trouvé effrayant : les raffinements de la cyber menace, la technologie complice du crime, le viol de la vie privée et ce qui en découle : chantage, arnaque, vol et maintenant meurtres.

J’ai trouvé cette histoire tellement réaliste eu égard à la vitesse d’évolution des nouvelles technologies et au pouvoir des hackers qu’elle fait peur et pousse aux questionnements. Faudra-t-il se méfier de sa cafetière ou de son couteau électrique ou même de la distribution d’électricité. J’exagère ? Non je ne pense pas. Le titre est justifié. Ce n’est pas de la science-fiction.

L’auteur ne fait que devancer très sensiblement la réalité en exposant les extrêmes capacités technologiques et les extraordinaires possibilités des intelligences artificielles. Par exemple, vous pourrez suivre, dans le récit, une créature aussi puissante qu’étrange, appelée Molly. Elle m’en a fait voir de toutes les couleurs.

Ce récit n’est pas un chef d’oeuvre de style, La plume est plutôt froide et passe à l’essentiel. L’enquête est complexe et ponctuée de revirements mais dans l’ensemble, le thème principal est sous-développé. C’est très classique comme polar mais ce qu’il raconte est tout à fait délirant et pire, crédible. En tant que consommateur hyperconnecté, je pourrais ne plus devenir à l’aise avec mes *applications*. Cet aspect a dû compter pour beaucoup dans l’attribution du prix du Quai des Orfèvres et justifie particulièrement le titre.

Un dernier point: les personnages ne sont pas particulièrement bien travaillés ni attachants. Mais le hacker et Molly, repoussant les limites de la folie, m’ont littéralement hypnotisé. Pour la version audio, j’ai trouvé la narration de Nicolas Dangoise acceptable.

Donc ce récit m’a secoué et éveillé en moi de nouvelles émotions. Sa crédibilité soulève surtout beaucoup de questions sur un internet hors de contrôle, l’éthique et ça va jusqu’à une réflexion sur l’avenir de mes petits-enfants. TENSION EXTRÊME n’est pas une histoire d’horreur et pourtant, elle fait peur…et pas à peu près.

Suggestion de lecture : CARBONE MODIFIÉ, de Richard Morgan

Originaire d’Auvergne, Sylvain Forge a beaucoup voyagé avant de s’installer à Nantes, depuis plusieurs années. Spécialisé sur les questions de sécurité dans le monde de l’entreprise, c’est aussi un amateur de théâtre d’improvisation et de jeu de rôles, qui a depuis longtemps le goût de raconter des histoires. Pour lui, l’écriture est apparue comme une suite naturelle. 

Bonne écoute
Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 14 janvier 2024

 

NE TE RÉVEILLE PAS, livre de LIZ LAWLER

*Un vague souvenir refit surface : elle avançait en
trébuchant…poitrine en avant, ventre rentré, histoire
de mettre sa silhouette en valeur dans sa nouvelle
robe. Et ensuite, un vertige, ses jambes qui se
dérobaient sous elle et ses genoux qui heurtaient le
sol…une pression sur sa bouche, plus d’air, un
haut-le-cœur et puis…plus rien.
*
(Extrait : NE TE RÉVEILLE PAS, Liz Lawler, City éditeur,
2018. Édition de papier, 358 pages)

Quand Alex se réveille, elle est nue, attachée sur une table médicale. Tout semble prêt pour l’opérer mais… la jeune femme est en parfaite santé, elle n’a aucune raison d’être là ! Et l’homme qui manipule les bistouris à ses côtés n’est pas chirurgien. La terreur envahit Alex, juste avant qu’elle ne perde conscience.  Quand elle reprend ses esprits, elle se voit indemne, sans blessure apparente. Dans son entourage, personne ne croit qu’elle a été séquestrée ou violée. On l’accuse de paranoïa, d’affabulation. Ravagée par  ces accusations, la jeune femme est décidée à découvrir ce qui lui est réellement arrivé. À n’importe quel prix…

Le piège de la parano
*…Alex Taylor devenait inquiétante. Son comportement…
avait conforté Laura dans sa conviction que cette
fille souffrait d’une maladie mentale. Comment était-
il d’ailleurs possible qu’on l’autorise encore à exercer ?
Mais ce n’était plus qu’une question de temps avant sa
radiation.  
(Extrait)

À partir des évènements cités dans la présentation (ci-haut) plus rien ne tournera à la faveur de la docteure Alex Taylor à qui la vie fera passer un mauvais quart d’heure. Non seulement personne ne la croit mais plusieurs pensent qu’elle est paranoïaque. 

Alex sera aussi soupçonnée suite à une série de graves évènements : sa présence lors de la mort d’Amy Abbott et de Lilian Armstrong, sa présence lorsqu’une erreur de médicament à deux doigts d’être fatale avait été commise. Sans compter la mort de Fionna Woods qui était la meilleure amie d’Alex. Pour Alex, le pire est de n’être crue d’à peu près personne.

Deux autres éléments vont venir se rajouter pour alimenter l’intrigue. D’abord, plusieurs personnes soupçonnaient Alex Taylor de réunir plusieurs symptômes du syndrome de Münchhausen, une pathologie psychologique  caractérisée par un besoin de simuler une maladie dans le but d’attirer l’attention, la compassion.

Deuxième élément, la participation d’un personnage appelé Oliver Ryan, un acteur de cinéma qui avait reçu l’autorisation de suivre le corps médical de l’hôpital où travaillait Alex Taylor, dans le but de camper le mieux possible un personnage médical dans un futur film. Pour le malheur d’Alex, Oliver Ryan est mort pendu. Cette mort a toutes les apparences d’un suicide mais elle est, semble-t-il, entourée de beaucoup de mystères.

Je mentionne enfin qu’Alex Taylor s’est jurée de découvrir ce qui lui est vraiment arrivée et le temps presse, parce que sa vie part complètement à la dérive. La question est : se fait-elle des accroire ?

Le moins que je puisse dire est que l’auteure Liz Lawler a réussi à me mystifier. J’étais tantôt convaincu qu’Alex Taylor disait vrai et était victime d’une cruelle machination, tantôt je croyais que la docteure inventait toute son histoire et se laissait aller à d’horribles crimes. Je me promenai ainsi d’un camp à l’autre jusqu’à ce qu’un policier, un cran plus perspicace que les autres, considère que quelque chose cloche.

C’est le petit côté prévisible de ce genre d’histoire. Il y a quelque part un petit Colombo en puissance qui voudra scruter le côté B de la médaille. Mais cette curiosité, Greg l’a poussée un peu tard. Le lecteur est maintenu longtemps dans une zone grise mêlant adroitement le tort et la raison, d’autant que la pauvre Alex était portée sur la bouteille depuis son premier enlèvement (il y en aura un autre). Au bout du compte, il y avait plus de contre que de pour. 

C’est une intrigue efficace. Elle m’a tenu en haleine. L’écriture est directe. Je n’ai pas décelé beaucoup de longueurs. On entre assez vite dans l’histoire. Je m’attendais à voir des policiers s’épancher sur leurs états d’âme comme ça arrive souvent mais l’auteure s’est abstenue, l’intrigue ayant pu ainsi maintenir toute sa force jusqu’à la fin. Même qu’une policière très portée sur l’avancement s’est fait remettre à sa place et ça m’a plu. 

Dans l’ensemble, les personnages sont plutôt froids. Il est difficile de s’y attacher. Ce qui explique en partie pourquoi il est si difficile de départager le tort et la raison chez Alex. On doit s’en tenir à l’opiniâtreté d’un personnage : *Son unique espoir désormais reposait sur Greg Turner, un homme bien et doué pour déceler les mensonges…* (Extrait)

Je ne veux pas vous mystifier à mon tour mais est-on certain que Turner apprendra la vérité et si oui, en faveur de qui penchera-t-elle? Bien écrit ! Bien rendu ! NE TE RÉVEILLE PAS est un thriller très recommandable.

Suggestion de lecture : CETTE NUIT-LÀ, de Linwood Barclay


Après avoir été infirmière et responsable d’un hôtel de luxe, Liz Lawler se consacre aujourd’hui à l’écriture. Ce premier roman l’a consacrée comme nouvelle reine du thriller psychologique britannique. Numéro un des ventes, ce roman palpitant est en cours de traduction dans une dizaine de langues.

 

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 19 juin 2022

TOUS À ZANZIBAR, livre de JOHN BRUNNER

Tomes 1 et 2

Jaime ce pays, et quand ils décomposeront
cet amour en un ramassis de facteurs
analysables par ordinateur, il ne restera rien
de ce qui fait la fiert
é d’être un homme.
(Extrait : TOUS À ZANZIBAR, John Brunner, Éditions
J’AI LU 1968, trad. Fr. Éditions Robert Laffont 1972,
Édition de papier, 412 pages tome 1, 410 pages t.2)

Cette histoire a été écrite en 1968. Elle nous transporte au XXIe siècle à New-York, Une ville tout entière protégée par un dôme, mais parcourue de saboteurs qui détruisent et tuent pour le plaisir ; une ville régie par la technologie la plus raffinée, où la loi interdit de procréer si vous présentez la moindre tare, mais qu’est-ce qu’une tare ? Pour le savoir, pour tout savoir, il y a Shalmaneser, l’oracle électronique.

C’est dans ce monde que tentent de vivre, liés par une amitié menacée, Donald Rogan, le Blanc et Norman House, l’Aframéricain. Deux hommes lucides qui se veulent encore libres. À moins que conditionnés, manipulés, ils ne soient plus déjà que des pions que l’on déplace sur l’échiquier d’une conspiration planétaire…

ÉTERNELLE HOMMERIE
*EXPLOSION DÉMOGRAPHIQUE : Évènement unique de
l’histoire humaine. C’est arrivé hier et tout le monde dit
que c’est pour demain.
(Extrait du lexique de la
délinquescence de Chad C. Mulligan, personnage créé par
Brunner qui publie son lexique en parallèle de l’histoire
principale.)
(Extrait : TOUS À ZANZIBAR, tome 2)

C’est une lecture à la fois fascinante et éprouvante. Voyons d’abord le côté fascinant, en ne perdant pas de vue que le livre a été écrit en 1968, son action se déroule en 2010 et au moment d’écrire ces lignes, nous sommes en 2019.

La surpopulation est telle que la pollution est hors de contrôle, que la tension sociale est soulagée à coup de tranquillisants, le contrôle des naissances est devenu une obsession, les libertés individuelles disparaissent et plusieurs pays ont adopté une *législation eugénique contre l’idiotie… l’hémophilie, le diabète, le daltonisme, rigoureusement appliquée.* (Extrait)

La terre abrite maintenant une société paranoïaque et artificiellement oxygénée. À New York, la toute puissante société GT Corporation organise, avec l’aide de son superordinateur omniscient SHALMANEZER, l’achat d’un pays nord-africain. Il semble aussi que l’eugénisme soit appelé à se généraliser. L’humanité aurait un besoin urgent de se rebâtir.

Ce qui m’a le plus émerveillé dans cette œuvre est son aspect prophétique. Dans sa plume multidirectionnelle et parfois indisciplinée, une valeur intrinsèque de l’auteur, Brunner, sans nécessairement le savoir, comme tout bon visionnaire a mis en perspective de nombreux liens entre le monde qu’il décrit et notre propre évolution récente. Le caractère anachronique du récit confirme les qualités de Brunner comme futurologue.

Par exemple, toujours dans cet ouvrage écrit en 1968, décrivant une époque proche de la nôtre, Brunner développe une société en effervescence affaiblie par la pollution qu’elle a elle-même engendrée, une société qui banalise l’homosexualité et développe de puissants stimulants sexuels, combat ce qui est devenu l’ennemi mondial numéro 1 : le terrorisme et utilise une espèce de *Google* qui atteint la perfection et qu’on appelle SHALMANEZER.

John Brunner, décédé en 1995 n’aura jamais su à quel point il décrivait avec une étonnante justesse notre société actuelle. Il n’y a pas de doute dans mon esprit, dans le cercle très restreint des écrivains visionnaires des XIXe et XXe siècle, on retrouve John Brunner, bien campé à la droite de Jules Verne, entouré de George Orwell et Arthur C. Clarke.

Et maintenant le côté éprouvant de cette lecture, c’est son caractère multidirectionnel et ses formes narratives au nombre de quatre. Quatre canaux d’expression qui s’imbriquent les uns dans les autres et qui éliminent la possibilité de s’accrocher à un fil conducteur.

Un de ces canaux donne la parole à un sociologue fictif, Chad C. Mulligan qui vient donner un poids non négligeable au propos de l’auteur mais qui fait parfois diversion. Les formes narratives sont éclatées, Deux d’entre elles sont bourrées d’ellipses, de sous-entendus, de propos allusifs, de paragraphes inachevés.

Les règles narratives sautent. Il semble que c’est une caractéristique de l’auteur dont j’ai déjà lu LE TROUPEAU AVEUGLE, paru en 1972 et qui décrit un monde étouffé par la pollution. Ce livre et TOUS À ZANZIBAR ne sont pas liés et peuvent donc être lus indépendamment mais au début des années 1970, on aurait pu appliquer un slogan publicitaire commun aux deux ouvrages : *LE XIXe siècle comme si vous y étiez*.

Si vous réussissez à surmonter les fantaisies narratives de l’auteur, vous allez comprendre très vite pourquoi TOUS À ZANZIBAR est rapidement devenu un des plus importants ouvrages d’anticipation du XXe siècle. Il a d’ailleurs remporté en 1969 le prix HUGO, une des plus prestigieuses reconnaissances littéraires de la science-fiction.

C’est une œuvre majeure de la SF. J’ai dit plus haut que la trame est multidirectionnelle, j’ajouterais que le tout est multidisciplinaire et anti-disciplinaire. John Brunner le dit lui-même d’ailleurs : TOUS À ZANZIBAR est un non-roman. Je le rappelle, ce n’est pas une lecture facile, mais bien au-delà de sa construction littéraire, l’ouvrage est tout simplement génial et demeure toujours aussi pertinent même à la vitesse avec laquelle le temps s’écoule.

TOUS À ZANZIBAR, une belle lecture très sortie des sentiers battus.

Note : pour en savoir plus sur l’eugénisme, cliquez ici.

Suggestion de lecture CTRL+Q, de Kathy Dorl

John Kilian Houston Brunner (1934-1995) écrivain britannique de science-fiction a connu vraiment la consécration en 1969 alors qu’il recevait le prix Hugo et le British SF award pour son livre TOUS À ZANZIBAR. Il a écrit plus d’une quarantaine d’ouvrages. Une de ses grandes préoccupations était de dépeindre l’humanité au 21e siècle et la portée et les conséquences des progrès technologiques avec un maximum de justesse

Pour lire mon commentaire sur LE TROUPEAU AVEUGLE volumes 1 et 2 de John Brunner, cliquez ici .

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 5 décembre 2020

LE SORCIER, le livre de DAVID MENON

*-Il m’avait confié ce que Georges Lui faisait. Il m’a pris comme ami et comme protecteur.- -Et toi tu lui as planté un couteau dans le dos?- -Mary Griffin a utilisé mon homosexualité contre moi.- Comment ça?> (Extrait : LE SORCIER, David Menon, 2013, édition numérique, 200 pages.)

Trois cadavres sont retrouvés dans une vieille maison qui était autrefois un pensionnat de garçons. L’inspecteur Jeff Barton met à jour la terrifiante époque de brutalité et d’abus qui s’y déroula. L’enquête le mène sur les traces de l’ancien directeur et de sa femme et d’une affligeante liste de victimes. Mais Jeff, tiraillé entre un travail exigeant et Toby, son fils de cinq ans découvre ce que personne ne voit. Un plan audacieux et implacable fomenté par une ancienne victime pensionnaire déterminée à se venger. Si Jeff voit juste, alors lui et son  équipe doivent agir vite avant que la maîtrise de la sentence ne leur échappe pour de bon.

ILS ÉTAIENT CENSÉS ÊTRE EN SÉCURITÉ
*Depuis des années, ce réseau gagne des milliers et des milliers
avec la vente et la distribution de ses films de pédopornographie
particulièrement violents et écœurants. Ils s’en sont sortis en
cachant leurs activités derrière des vitrines respectables, mais
le mode opératoire a toujours été le même. *
(Extrait : LE SORCIER)

C’est une histoire très sombre et elle commence sur des chapeaux de roues. Au cours des rénovations entreprises dans un vieux bâtiment qui servait autrefois de pensionnat pour jeunes garçons, des travailleurs font la découverte de cadavres dans les sous-sols. Les travaux sont arrêtés, la police mandée sur les lieux.

L’enquête s’annonce complexe. On fait appel à l’enquêteur chef Jeff Barton, personnage récurrent de l’œuvre de David Menon. Il aura besoin d’aide et d’un estomac solide car si l’enquête met à jour de la crasse au départ, la suite devient une histoire d’horreur sans nom.

Dans ce livre, la plume de Menon a deux qualités particulières : elle ne vous fera jamais dévier de l’histoire et elle entretient minutieusement l’intrigue jusqu’à la fin. Je vous avertis toutefois que certains passages sont à soulever le cœur, le principal suspect étant un monstre sans conscience, tordu et dénué d’empathie, persuadé dans son obsession qu’il rendait service aux enfants :

*« C’était dans le donjon qu’ils faisaient leurs films. Ils y emmenaient certains garçons et les gardaient toute la nuit. C’était des trucs SM. Les garçons étaient attachés par les entraves fixées au plafond. Griffin les violait et c’était filmé. »* (Extrait)

C’est une histoire très bien ficelée avec une intrigue solide et un développement en crescendo. L’auteur y a imprégné suffisamment de réalisme pour faire frissonner le lecteur. Je parle de réalisme car bien qu’étant une fiction, toutes les sociétés ont connu des drames semblables à celui développé dans le SORCIER.

Bien que ce soit une bonne histoire, elle est très dure et je ne la recommande pas aux cœurs sensibles. : *…Cette enquête plongeait de plus en plus dans les méandres d’esprits aussi malades que tordus.* (Extrait)

La principale faiblesse de cette histoire est la quantité de personnages. On s’y perd un peu parce que les monstruosités commises sur les garçons ont provoqué à moyen terme des drames d’un autre type : suicides, éclatements familiaux, maladies mentales, peur et paranoïa et j’en passe.

Des familles s’imbriquent, les personnages s‘entrecroisent. L’identité de plusieurs de ces personnages risque de vous échapper. Il y a moyen de surmonter cette faiblesse en se concentrant bien sur le début de l’histoire.

Puisqu’on parle de personnages, je ne peux pas dire vraiment que j’ai réussi à m’y attacher. Je les ai trouvés un peu froids sauf peut-être Jeff Barton à qui l’auteur a donné un rôle aussi capital qu’effacé avec toutefois une remarquable intuition, qualité que j’apprécie particulièrement dans ce type de récit.

Quelques petits points en terminant. Je me demandais pourquoi LE SORCIER comme titre. Je l’ai compris dans les dernières pages. L’auteur aurait pu faire mieux là-dessus. Ensuite j’ai trouvé la finale un peu expédiée et j’ai été un peu déçu du sort de certains personnages. À vous de voir. Enfin l’édition que j’avais comportait une mise en page douteuse. La version numérique n’était guère mieux, mais *j’ai fait avec*. Recommandé pour les cœurs solides et amateurs d’émotions…LE SORCIER de David Menon.

Suggestion de lecture : LES SORCIÈRES DE SALEM, de Millie Sydenier

« J’aime écrire dans le genre de crime parce que je peux couvrir toutes les différentes classes sociales, sexe, race, sexualité, histoire, contemporain … c’est vraiment un grand pinceau et ma motivation d’écrire vient d’un désir de divertir les gens avec une bonne histoire. »

David Menon

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 14 juin 2020

TRAQUÉ, le roman initiatique de LUDOVIC ESMES

*Ils sont nombreux ceux qui en veulent à ma peau.
Il y a un avis de recherche contre moi et je ne sais
pas pourquoi…Où vais-je me rendre demain?*
(Extrait : TRAQUÉ, Ludovic Esmes, Les Éditions de
L’Arlésienne, 2016, édition numérique, nouvelle, 15
pages numérique)

TRAQUÉ  raconte l’histoire extraordinaire de Thomas qui, perdu au milieu de nulle part a comme but d’atteindre la montagne, mais pour y trouver quoi? Persécuté dans ses pensées et traqué comme un criminel par une horde de sauvages munis de fourches et de torches enflammées. Thomas devra faire preuve de courage. Jusqu’où portera la folie humaine. Le lecteur, tout comme Thomas, apprendra que la fin n’est pas une solution en soi. L’histoire commence alors que Thomas se trouve près d’un village qui ne représente même pas un lieu sûr pour sa sécurité. Quelle direction prendre s’il en existe une dans ce pays dystopique?

ESSAI SUR LA FOLIE
*Je suis tiraillé entre l’espoir de sauter dans le vide
et peut-être m’en sortir ou alors rester et me faire
capturer  par je ne sais qui. Je suis comme écartelé
à vif sans anesthésie.*

(Extrait : TRAQUÉ)

TRAQUÉ est une nouvelle, donc un roman très bref et pourtant d’une grande profondeur. Le récit raconte l’histoire de Thomas, un homme perturbé en ce sens qu’il semble, à première vue, atteint d’un complexe de persécution. Il se sent traqué par des centaines de personnes munies de fourches et de bâtons.

Thomas n’a qu’un objectif, très précis : atteindre la montagne. Pourquoi ? Je suppose que la montagne est un symbole de sécurité. Je ne fais que supposer car dans les réponses aux questions soulevées dans ce récit, on peut autant avoir tort qu’avoir raison. En effet, il est question dans cette histoire d’un état sans définition vraiment précise : la folie.

Thomas a peur, c’est évident. Est-il fou pour autant, paranoïaque ? Moi par exemple, j’ai une peur presque obsessionnelle des araignées. Suis-je paranoïaque ? C’est facile de dire que quelqu’un est fou ou détraqué. Mais dans ce récit, la question n’est pas de savoir qu’est-ce que la folie mais plutôt qui en est atteint. C’est le petit côté génial de l’histoire et ce qui en fait toute son originalité.

Le récit nous pousse à essayer de comprendre ce qui se passe dans l’esprit de Thomas et à entrer en introspection avec lui :  *Pourquoi suis-je traqué par tout ce qui bouge ? Traqué physiquement mais aussi mentalement. Des images concernant ma sœur défilent continuellement. Ces images m’accusent de ne pas l’avoir aidée et sauvée. Je l’aimais ma sœur. Je n’aimais pas ses choix de vie, mais elle oui. Il y a un lien de sang indélébile. Elle n’est plus là et pourtant elle est bien présente dans mes pensées. * (Extrait)

On sent bien que l’esprit de Thomas est torturé. Mais pourquoi. Qu’est-il arrivé à sa sœur. Ça fait beaucoup de questions sans réponses mais peu importe parce que j’ai senti que le but de  cette histoire est d’alimenter une réflexion sur la folie. Ça ne règle rien et portant ça peut tout changer.

Le sujet est sensible et encore jusqu’à un certain point tabou. Il laisse à penser qu’il y a autant de définitions de la folie que de personnes. Dans ce récit, l’auteur pose beaucoup de questions qui ouvrent différentes voies dans l’esprit du lecteur.

Il ne faudra pas trop se surprendre d’une finale un peu choquante qui m’a ramené à une époque où la psychiatrie balbutiait, une époque où les soi-disant grands spécialistes avait *la folie facile* et une seringue toujours prête pour ne pas parler d’autres traitements et abus que la profession d’aujourd’hui a beaucoup de mal à faire oublier.

Ça met mal à l’aise et ça laisse supposer qu’au fond, on a pas régler grand-chose. Je ne peux pas préciser ce qui attend Thomas. Ce que je peux vous dire, c’est que, quelques phrases à peine dans la conclusion apportent un éclairage très intéressant sur l’ensemble du récit et la situation de Thomas.

Le roman est très bien ventilé, la plume est fluide. Si je ne tiens pas compte de l’aubergiste, il y a un personnage central, Thomas, puis ses poursuivants. Et bien sûr, il y a la blouse blanche, miss seringue en personne. Le but de Thomas est simple : atteindre la montagne. C’est l’objectif, le but ultime et la plume d’Esmes m’a comme poussé à souhaiter que Thomas l’atteigne. Elle est importante la montagne, en fait elle a une grande valeur de symbole.

J’ai trouvé ce petit roman bien écrit et qui est de nature à nourrir une intéressante réflexion. Le message qu’il transmet ou devrais-je dire la question qu’il pose est pour moi très limpide : Qui est fou en réalité. J’ai apprécié cette lecture et je la recommande sans hésiter.

Suggestion de lecture : DREAMWALKERS, d’Alain Lafond

Ludovic Esmes, auteur Belge, est un passionné d’écriture depuis son plus jeune âge, Sa première nouvelle LE PETIT ET LE ROBOT a été publiée sous son vrai nom aux Éditions Novelas (Belgique) le 4 juin 2015 dans le recueil de contes EN MILLE ET UN MURMURES. Ses terrains d’écriture sont la science-fiction, le polar et les nouvelles. Rêver, imaginer et voyager sont des sensations qu’il partage sans détour à travers ses écrits. Il publie en numérique et en papier. Visitez son site ici.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 8 septembre 2019