*Nous étions assis vers le fond de l’appareil, juste
derrière l’aile. Il était près du hublot et moi à côté
de lui. Dix minutes environ après avoir quitté
Gênes…le négociant s’est tourné vers moi. M’a
donné une tape sur le bras et m’a dit : «Excusez-
moi, mais vous ne voudriez pas jeter un petit coup
d’œil dehors. Je rêve ou quoi? Est-ce que ce moteur
est vraiment en feu?*
(Extrait : UN TOUT PETIT MONDE, David Lodge, Éditions
Rivages, Rivages poche, 1992, édition de papier, 500 pages)
Dans ce récit loufoque et hilarant, David Lodge s’immisce dans le monde huppé des Universitaires, plus précisément des spécialistes en critique littéraire, qui vont de congrès en congrès pour *crier en silence* leur besoin d’être entendus. Par le biais de deux Universitaires. l’auteur nous entraîne dans le monde fascinant des congrès, colloques, conventions et rencontres internationales où les pontes de la critique se retrouvent et se perdent.
Lodge jette un regard sarcastique, aussi acide qu’hilarant sur les protocoles et rituels des congrès : rencontres intellectuelles hermétiques, dialogues sirupeux, tourisme, sexe, loisirs, bouffe et conférences ennuyeuses transforment les congrès en liturgie…
LES CONGRÈS : MODE D’EMPLOI
*…Que les filles enlèvent tous leurs vêtements avant de
commencer à danser devant leurs clients. Ce n’est pas du
strip-tease, c’est du vulgaire déshabillage, l’équivalent
terpsichoréen de l’illusion herméneutique d’un sens
récupérable, laquelle illusion prétend que si nous
dépouillons un texte littéraire de son enveloppe
rhétorique, nous découvrirons les faits simples et
élémentaires qu’il essaie de nous communiquer*
(Extrait : UN TOUT PETIT MONDE)
Ce livre fascinant m’a aspiré dès les premières pages dans l’univers cossu des colloques et des congrès des milieux littéraires universitaires de partout dans le monde…un milieu qui souffre d’un snobisme torturé et handicapant :
«Les journaux du dimanche et les hebdomadaires ne s’intéressent pas autant à la critique littéraire qu’autrefois, j’en ai bien peur«. «C’est parce qu’elle est souvent illisible, dit Philip Swallow. Moi je ne la comprends pas, alors comment veux tu que les gens du commun la comprennent? En fait c’est précisément ce que raconte mon livre. C’est pour ça que je l’ai écrit». (Extrait)
Avec un humour parfois noir et grinçant, mais pourtant irrésistible, David Lodge nous décrit les rituels entourant ces congrès, comprenant bien entendu une programmation de conférences et de communications qui n’aurait aucune raison d’être si elle n’avait pas un côté social bien développé :
*Allons boire un verre, allons dîner, allons déjeuner ensemble. C’est ce genre de contact informel, bien sûr, qui constitue la raison d’être d’un congrès et non pas le programme des communications et des conférences qui pourtant a servi d’alibi pour rassembler les participants et qui semble à la plupart d’entre eux affreusement ennuyeux.* (extrait) Il y a aussi, selon les congrès des programmations culturelles et touristiques.
Mais surtout, tout bon congrès est assorti d’une programmation un peu plus discrète celle-là, un peu plus cachée, à peine avouée mais qui ne surprend personne…les congrès sont l’occasion d’aventures sexuelles et là-dessus, Gibson entre allègrement dans les détails.
C’est comme si l’activité sexuelle entretenait avec la créativité intellectuelle de certains congressistes des liens vitaux, mystérieux et profonds. Cet aspect du rituel des congrès occasionnent dans le récit des tournants plus dramatiques quoi qu’extrêmement intéressants.
Il y a dans ce récit, deux fils conducteurs intimement liés : d’abord, un des principaux héros, Persse McGarrigle a soif de gloire, mais cette soif se transforme graduellement en soif d’amour et la recherche de cet amour incarné par Angelica Pabst va le faire errer de congrès en congrès. Va-t-il la rattraper? Dans une espèce d’attachement au personnage que j’ai développé, je me suis surpris à espérer pour lui.
Ensuite, secrètement ou ouvertement, les grands pontes de la critique littéraire espèrent décrocher la chaire de critique littéraire offerte par l’Unesco, dotée d’avantages plus que confortables, ce qui donne au récit un petit caractère intriguant, les héros de la plume versant dans de petites bassesses, des petites jalousies et un peu de léchage. Le fin mot de la course m’a un peu déçu mais pas vraiment surpris.
Donc nous avons ici un roman très bien bâti, facile à suivre malgré une grande quantité de personnages, un roman qui tranche par son originalité bien sûr mais aussi par la plume franche et directe de Gibson qui nous a réservé une fort belle finale..
Le récit a un petit côté noir, en fait disons gris, grinçant, mais moi, je l’ai trouvé terriblement humain car dans cet énorme chassé-croisé de profs d’universités à travers le monde, j’ai pu observer tout au long de ma lecture, l’évolution d’hommes et de femmes qui, sous leur surface hermétique et snobinarde, ont un extraordinaire besoin de reconnaissance et d’amour.
En terminant, l’auteur aborde la littérature et la critique littéraire faite par des professeurs aussi émérites que flagorneurs. Vous comprendrez d’une part pourquoi l’auteur a choisi comme titre UN TOUT PETIT MONDE et d’autre part pourquoi mes articles constituent des commentaires et non de la critique. Mon dernier commentaire est à l’effet que, d’après moi, vous aimerez ce livre.
David Lodge est un écrivain britannique né à Londres en 1935. Diplômé de l’Université de Londres, il enseigne l’anglais. Il a écrit son premier roman à l’âge de 18 ans : LE MONDE, LE DIABLE ET LA CHAIR, mais il ne sera jamais publié.
À partir des années 1970, les romans de Lodge dépeignent ironiquement et avec sarcasme les milieux universitaires, créant quelques personnages dont quelques-uns deviendront récurrents dont le professeur de lettre qui aspire à devenir l’enseignant le mieux payé du monde : Morris Zapp.
D’ailleurs, David Lodge atteindra la notoriété avec la publication de UN TOUT PETIT MONDE en 1992.Ce n’est que dans les années 80 qu’il variera le cadre de ses romans, développant différents thèmes dont le monde de la télévision et la maladie d’Alzheimer (LA VIE EN SOURDINE, 2008)
BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 11 novembre 2018