UN VISAGE DANS LA FOULE, STEPHEN KING/STEWART O’NAN

*Soudain, ils entendirent les adultes s’agiter
au bord de l’étang Marsden du côté du
barrage. Ils foncèrent les rejoindre. Plus tard,
en découvrant le cadavre énucléé qui émerge
tout dégoûtant du déversoir, ils eurent
l’occasion de le regretter.*
(Extrait du livre audio contenant la nouvelle
de Stephen King et Stewart O’Nan : UN VISAGE
DANS LA FOULE. Hardigan éditeur, 2015,
narration : Arnauld Le Ridant, durée d’écoute :
75 minutes, Captation : Audible)

Depuis la mort de sa femme, Dean Evers trompe l’ennui devant les matchs de baseball à la télé. Quand soudain, dans les gradins, il découvre un visage surgi du passé. Quelqu’un qui ne devrait pas être là, au stade… ni même parmi les vivants. Le lendemain, un autre homme apparait…un homme dont Dean a assisté aux funérailles…Soir après soir, Dean se laisse hypnotiser par les visages de ceux qu’ils n’espéraient ou ne voulait plus voir. Mais le pire est à venir…

DES FANTÔMES AU MATCH
*Evers gisait pâle et immobile,
les yeux mi-clos, les lèvres
purpurines, la bouche déformée
par un rictus. La bave en
séchant sur son menton, y
avait dessiné une toile d’araignée. *

(Extrait)

D’entrée de jeu, je dois vous dire que je n’aime pas le baseball encore moins l’équipe de Tampa bay qui semble encensée dans la nouvelle de King et O’nan. Pour moi, ce sport, qui ne tient pas compte du chronomètre, est répétitif et ennuyant.

Donc, le baseball est omniprésent dans le récit. Je me suis fait violence en complétant ma lecture, restant positif, et curieux de savoir ce qu’allait donner une association de deux excellents écrivains.

Notre personnage principal est Dean Evers, un vieil homme, veuf, usé par la vie, en perdition qui s’apprête sans le savoir à entrer dans une autre dimension. Un soir, pendant un match retransmis à la télé, au troisième rang du stade, il aperçoit un visage connu. Son dentiste. Mais il est mort son dentiste, depuis longtemps. Le lendemain, il voit un homme dont il a assisté aux funérailles et puis d’autres apparitions.

Question : Dean devient-il sénile. Les conversations téléphoniques avec les morts du genre* tu me vois là…deuxième rangée…je te fais des signes…* ça ne suffit pas. Il veut en avoir le cœur net et décide de se rendre au stade pour la prochaine partie…une démarche qui pourrait sceller son avenir.

Ce n’est pas une nouvelle particulièrement originale. Je m’attendais à plus. Un vivant en sursis sensiblement impliqué dans la mort d’autres personnes qui entrent en contact avec lui…c’est du déjà-vu. Edgar Allan Poe m’a habitué à ce genre littéraire quand il a établi à sa façon, les frontières du fantastique. Il y a du O’nan là-dedans.  Que Dean se rende au stade annonce une introspection, une exploration de la conscience.

J’ai mieux compris la démarche des auteurs à la fin, heureux de lire une finale intéressante. Je n’ai pas trouvé la psychologie des personnages très poussée ni le suspense. Ça ne ressemble pas à King. O’nan est un écrivain plutôt intimiste et qui est souvent percutant. Les personnages ont peu de profondeur. Au moins, les auteurs laissent des ouvertures qui amènent le lecteur à en savoir plus sur les petites incartades d’Evers.

J’étais curieux de savoir quel auteur pouvait prendre le pas sur l’autre. La plume modérée et retenue ainsi que l’aspect fantastique de l’histoire qui m’apparaît comme inachevée me laissent supposer que Stewart O’Nan se serait placé légèrement en avant.

Bien sûr, UN VISAGE DANS LA FOULE est une nouvelle. Il est difficile de dire qu’une nouvelle est sous-développée. Mais en faisant un peu d’extrapolation, je serais porté à penser que King et O’Nan se sont freinés l’un l’autre.

Si chaque auteur avait développé le sujet chacun de son côté, on aurait eu droit à quelque chose de supérieur…un personnage principal moins mollasson entre autres, des personnages secondaires plus caractériels, plus de suspense, plus de revirements, un récit dans l’ensemble moins prévisible. Bien sûr j’aurais encore été pris pour lire des descriptifs de baseball, mais partons du principe qu’on ne peut pas tout avoir…

Je pense que l’amalgame des deux styles d’auteurs a donné un récit un peu timoré. Bien sûr c’est très personnel comme observation. Beaucoup de lecteurs et de lectrices pourraient voir les choses autrement, surtout s’ils sont amateurs de baseball…

En terminant, un mot sur la narration d’Arnauld Le Ridant…un peu ennuyeuse malheureusement, monocorde, pas toujours ajusté avec l’esprit du texte. Maquille assez bien sa voix dans les dialogues mais devient parfois assommant. Heureusement, Le Ridant a une signature vocale agréable. Ça sauve un peu les meubles.

Bref, UN VISAGE DANS LA FOULE est un récit moyen. Suspense moyen qui ne réinvente pas le genre…

Suggestion de lecture : LA THÉORIE DE GAÏA, de Maxime Chattam

Pour faire très court sur Stephen King (à droite), je dirai que c’est un écrivain américain né le 21 septembre 1947 à Portland, dans l’État du Maine. Depuis CARRIE, King a écrit une cinquantaine de romans, sans compter nouvelles et scénarios, vendus au total à plus de cent millions d’exemplaires. Consacré «roi de l’horreur» de la littérature moderne, il s’illustre dans d’autres genres comme le fantasy, la science-fiction ou le roman policier.

Stewart O’Nan est un écrivain, romancier et nouvelliste né en 1961 à Pittsburg. Titulaire d’un B.S. d’ingénierie spatiale de l’Université de Boston en 1983, Il est embauché comme ingénieur chez Grumman Aerospace à Bethpage, New York, en 1984. Il pratique cette activité professionnelle jusqu’en 1988 et, prenant goût à l’écriture, écrit parallèlement à ses activités professionnelles. 

En 1993, paraît son premier recueil de nouvelles, «In the Walled City», puis son premier roman, «Des Anges dans la Neige» (Snow Angels, 1994), adapté au cinéma en 2007.»Speed Queen» (1997), qui est son troisième roman, est dédié à Stephen King. O’Nan a d’ailleurs envisagé un temps de l’intituler «Dear Stephen King». 

Bonne Lecture
Claude Lambert
Le samedi 24 août 2019

LES CHRONIQUES DE HALLOW, tome 1

LE BALLET DES OMBRES

Commentaire sur le livre de
MARIKA GALLMAN

*Je m’avançai jusqu’à la table du salon, les
genoux tremblants. Là, je m’arrêtai, retournai
l’enveloppe dans tous les sens, pris une
profonde respiration et l’ouvris. Mes pires
cauchemars devinrent réalité lorsque je sortis
une série de photos.*
(Extrait : LES CHRONIQUES DE HALLOW, tome 1, LE
BALLET DES OMBRES, Marika Gallman, Éditions
Bragelonne,  2015, édition de papier, 475 pages)

Cette première chronique d’Hallow nous raconte l’histoire d’Aby, une jeune fille qui a le don extraordinaire d’absorber l’énergie des gens qui l’entourent. Toutefois, c’est un don qu’elle connait assez mal. Elle ne s’en sert que pour dévaliser des œuvres d’art. Mais sa vie va basculer le jour où elle se rendra compte que son dernier cambriolage était un piège, que son maître-chanteur n’a rien d’humain et qu’en plus, le policier qui la traque est immunisé contre son don. Si Aby veut survivre à cet épisode infernal, elle doit savoir qui sont ces hommes.  Cette rencontre avec le policier va la propulser dans un monde étrange : Hallow, où même les ombres peuvent tuer.

L’HÉRITIÈRE DE L’OMBRE
*Une fraction des enfants D’Ordre et Chaos, énergie pure
habitant des créatures vivantes, a créé vos ancêtres, une
«anti-énergie»…avec lesquels ils se sont reproduits pour
mettre au point votre race, une espèce capable de

suspendre l’énergie, ainsi que de l’absorber. De la
maîtriser. Lorsque la paix s’est instaurée entre les deux
factions qu’étaient devenues les enfants d’Ordre et
Chaos, vos ancêtres ont pris le rôle de garde du corps

des êtres supérieurs afin d’éviter qu’un côté n’essaie
de prendre le dessus sur l’autre.*
(Extrait : LES CHRONIQUES DE HALLOW, tome 1, LE BALLET DES OMBRES)

C’est un bon livre et je crois qu’il ouvre la voie à une série prometteuse. L’histoire est celle d’Abby, jeune femme de trente ans, voleuse professionnelle, experte en particulier dans le vol des œuvres d’art. Abby a un autre don encore plus extraordinaire : elle peut absorber l’énergie des gens qui l’entourent. Il suffit qu’elle se concentre un peu et hop, tout le monde tombe dans les pommes quelques minutes.

Très pratique pour braquer une galerie d’art. Mais son dernier vol a les apparences d’un piège. En effet, en toute ignorance, Abby tente de voler le portefeuille d’un policier…immunisé contre le don d’Abby. À partir de ce moment, un lien particulier unit maintenant le policier Wally et Abby dont les pouvoirs se détraquent. Les deux empruntent maintenant un chemin qui les mènera du côté obscur de Hallow où ils seront en présence de deux forces obscures qui s’opposent.

J’ai beaucoup aimé cette histoire. L’héroïne, Abby est une jeune femme courageuse, sympathique, très humaine, en plus d’être dotée d’un beau sens de la famille. Et surtout, elle connait son pouvoir et le craint parce que d’une certaine façon elle a la capacité de commander à l’énergie, mystère universel dont elle a une notion bien précise :

*Nous absorbions l’énergie, parfois de manière drastique, mais comme on dit : «Rien ne se perd rien ne se crée, tout se transforme.» Le surplus ne reste pas dans nos corps. Il s’évacue lentement, s’échange entre humains, animaux, plantes et même avec certains objets…Quand quelqu’un meurt par exemple, son énergie ne disparaît pas. Elle se diffuse progressivement.

Elle imprègne parfois les murs de la pièce où la personne se trouvait, ou quelque chose qu’elle touchait. L’énergie a une inclination naturelle à retourner dans un hôte vivant, mais, en cas de décès violent, elle peut se retrouvée traumatisée…et se fixer dans un objet inanimé. C’est souvent pour ça que les gens parlent de maison hantée…* (Extrait)

Dans LE BALLET DES OMBRES, il y a de la place pour tout ce qui fait la beauté de la littérature de type *urban fantasy* : une héroïne attachante et empathique au point qu’on aimerait l’avoir comme amie, il y a aussi de l’humour, du mystère, de la magie. Dans le troisième tiers du livre, l’atmosphère, le non-dit, l’aura redoutable de deux sombres personnages : Smith et McCucheon.

Tout ça me rappelle un peu le fameux comic strip policier américain DICK TRACY créé par Chester Gould en 1931. Bien sûr dans le Ballet des ombres, les visages ne sont pas déformés. La comparaison touche surtout l’atmosphère qui est glauque, obscure, mystérieuse et surtout surnaturelle.

La série ne fait que débuter. Il sera intéressant de voir quelle voie empruntera le prochain tome…par exemple que deviennent Smith et McCucheon, jusqu’où ira cet amusant petit jeu de séduction entre Wally et Abby et qui me rappelle la tague de mon enfance, quel sera le destin d’Abby? Quelles forces obscures pourraient encore se trouver sur son chemin? Je pense que la série promet.

En terminant je veux mentionner que j’ai été séduit par la beauté de l’écriture. J’y ai vu beaucoup d’inspiration, d’imagination, une recherche sérieuse de vocabulaire dans des constructions de phrases soignées et qui ont parfois une connotation sensuelle :

*L’énergie est en constant développement. Elle ne reste pas à un endroit donné, elle coule. Comme un torrent de montagne qui rejoint une rivière, puis l’océan, et sera ensuite charrié sous forme de nuage pour pleuvoir sur de nouveaux horizons. *  (Extrait)

Je suis sûr que vous apprécierez ce roman au rythme élevé et aux personnages attachants. Avec LE BALLET DES OMBRES, je crois que l’auteure Marika Gallman s’est donné un très bel élan pour sa série LES CHRONIQUES DE HALLOW. À suivre…

Suggestion de lecture : CHRONIQUE D’UN MEURTRE ANNONCÉ, de David Grann

Marika Gallman est une auteure suisse née en 1983. Collectionneuse acharnée de post-it et de personnalités multiples, elle rate de peu une carrière de scénariste à Hollywood en écrivant, alors qu’elle n’avait que douze ans, le scénario d’un Indiana Jones 4 qui ne sera finalement pas retenu.

Elle se console devant ses séries préférées dont elle rejoue les scènes culte chaque nuit à voix haute dans son sommeil, quand elle ne se relève pas en douce pour regarder des films d’horreur. Attirée par les ambiances sombres et les hommes aux dents pointues, elle se lance dans l’écriture de son premier roman, RAGE DE DENTS en 2009, donnant naissance à série MAEVE REGAN.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 14 avril 2019

EXPÉDITEUR INCONNU, livre de MARILOU ADDISON

*-Tant que la journée ne sera pas terminée, tu
risqueras de mourir de différentes façons.
-Hein ? Mais pourquoi ? –Parce que la journée
de ta mort a été décidée…*
(Extrait : EXPÉDITEUR INCONNU, Marilou Addison,
Boomerang jeunesse éditeur, édition de papier, 276p.)

Chaque année, Ludo part en vacances avec ses parents. Mais cette fois, il n’a pas envie de quitter ses nouveaux amis. Pour rester en contact, il  crée une boîte de messagerie et reçoit vite un premier message… expéditeur inconnu. À l’inverse, ce dernier semble bien le connaître. Et apparemment, il connait aussi l’avenir, puisqu’il lui annonce les évènements avant même qu’ils se produisent. De qui proviennent ces étranges courriels ? De quelqu’un de son entourage qui s’amuse à lui faire peur ? Ou pire encore ? Ou simplement D’UN EXPÉDITEUR INCONNU ?

UN TEXTO ENTRE PUIS UN COURRIEL
*Bien content de voir que tu as pu t’en sortir
en un seul morceau. Comme tu pourras le
lire dans cet article, ton destin aurait pu
être tout autre…À l’avenir, je te conseille
de prendre mes avertissements au sérieux.
Un inconnu qui sait comment te garder en vie.*
(Extrait : EXPÉDITEUR INCONNU)

EXPÉDITEUR INCONNU est l’histoire de Ludovic Saint-Pierre, un ado débordant d’énergie et d’imagination. Lors d’une randonnée de vacances avec ses parents, Ludo reçoit d’étranges courriels et des textos tout aussi étranges en provenance d’un expéditeur inconnu.

Ce mystérieux expéditeur connait l’avenir apparemment car dans ses correspondances, il annonce à Ludo des évènements avant même qu’ils ne se produisent et ce dans l’unique intention de lui sauver la vie car pendant les vacances, la mort rôde sur Ludo et le danger guette toute la famille.

Dans une de ses correspondances, le mystérieux inconnu laisse échapper une phrase bizarre : *Je n’ai pas intérêt à ce que tu meures* (Extrait)

C’est tout à fait ce que cherche une majorité d’ados et de pré-ados : du mystère, du suspense, du danger, des énigmes, de l’étrange et une touche de surnaturel. La plume de Marilou Addison se raffine toujours.

Sa plume entretient un mystère continu qui force le jeune lecteur à tourner page sur page afin de trouver les indices nécessaires à la résolution du mystère. Ce mystérieux expéditeur serait-il un fantôme ? Vous avez d’une part plusieurs situations potentielles de péril et d’autre part, messages et textos pour avertir Ludo et, par la bande, toute sa famille.

C’est un très bon roman versé dans la littérature jeunesse québécoise qui continue de s’enrichir et de pousser les jeunes à la lecture. Le roman est relativement court même s’il fait 276 pages.

C’est que Marilou Addison et l’éditeur se sont entendus pour utiliser des grosses lettres qui amènent les jeunes lecteurs à tourner les pages rapidement comme ça s’est fait pour les ZOZOS DU SPORT du même auteur.

Je trouve ça génial car c’est une excellente façon d’introduire les jeunes lecteurs aux livres plus volumineux. À ce sujet je dis souvent aux jeunes de ne pas se laisser impressionner par l’épaisseur des volumes, vous pourriez passer à côté d’un trésor….

Pour en revenir à EXPÉDITEUR INCONNU, ça se lit très bien, les lettres sont grosses la plupart du temps de lecture, les textos sont adaptés dans les bulles classiques, et les courriels accusent des polices plus petites. Tout est adapté et le fil conducteur est solide, les jeunes lecteurs peuvent s’y ancrer sans problèmes.

Enfin je mentionne un fait important, ce sont les magnifiques illustrations de Sabrina Gendron qui rendent le livre attrayant et vivant. Sabrina est une spécialiste des arts plastiques et de l’animation 2D/3D.

Elle travaille sur plusieurs projets en arts visuels mais depuis quelques années, elle se concentre sur l’illustration d’albums et de romans pour la jeunesse. On peut voir dans EXPÉDITEUR INCONNU une magnifique manifestation de son talent.

En terminant je dirai que le jeune lecteur pourra facilement sentir l’émotion de Ludo qui ne sait pas ce qui lui arrive. C’est un personnage attachant et très sympathique. Tout est dévoilé dans la finale qui est un peu surprenante…

C’est donc avec enthousiasme que je vous suggère EXPÉDITEUR INCONNU pour les 9-13 ans en particulier mais très rafraîchissant pour les adultes en général.

Originaire de la région de Montréal, Marilou Addison a grandi entre une mère écrivaine et un père enseignant le français. Depuis plusieurs années, elle a décidé de plonger sans retenue dans le monde du livre. Elle écrit donc à temps plein des romans pour tous les groupes d’âge. Active dans les divers salons du livre du Québec, l’auteure adore rencontrer ses lecteurs. C’est pourquoi elle visite régulièrement les écoles afin de communiquer sa passion à tous ceux qui sont prêts à l’entendre !

LECTURES PARALLÈLES SUGGÉRÉES…dans la série SLALOM :

                   

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 17 février 2019

 

 

 

 

LEGEND, tome 1, le livre de MARIE LU

*L’espion nous observe les uns après les autres.
Une lueur de rage brille dans son regard. Des
filets de sang s’échappent de sa bouche et
coulent sur son front et ses cheveux avant de
tomber par terre. Dès qu’il s’agite, le
commandant marche sur la chaîne qui lui
enserre le cou.*
(Extrait : LEGEND, tome 1, Marie Lu, édition originale
XIWEI LU, 2012, traduction française chez Bragelonne,
2012. Littérature-jeunesse. Éd. Num. 290 pages.)

LEGEND est le récit de June, brillante jeune femme dont l’avenir est prometteur dans les hauts rangs de l’armée, et Day, le criminel le plus recherché du pays. Il sévit depuis des années sans que les autorités puissent lui mettre la main dessus. Un jour, le frère de June, Métias, officier de l’armée, est assassiné. June, persuadée que Day est responsable de ce meurtre, le traque sans relâche. June et Day vont finir par se rencontrer, d’abord sans rien savoir de leur identité, le temps que s’installent attirance et sentiments et avant que la vérité éclate. 

JUNE Vs DAY
*Le garçon jaillit de derrière la cheminée avant que
la malheureuse ait le temps de s’effondrer. Je me
fige. Le contrôle de la situation m’a échappé.
Personne ne devait être blessé ou tué. Le
commandant Jameson ne m’a jamais dit qu’elle
ferait abattre un prisonnier…*
(Extrait : LEGEND)

LEGEND est une dystopie. L’action se déroule dans un pays où les libertés individuelles sont étouffées. Le livre raconte l’histoire de deux jeunes ados de 15 ans que tout oppose…qui vivent dans des mondes complètement opposés et à qui pourtant l’auteur a attribué une nature et un caractère auxquels beaucoup de jeunes se reconnaissent ou s’identifient.

Il y a d’abord June paris, une jeune fille considérée comme un prodige, brillante, astucieuse, patriote jusqu’au bout des ongles et vouée à un avenir fort prometteur dans l’armée. Et puis il y a Daniel Wing, appelé DAY…un jeune hors-la-loi issu d’un taudis des bidonvilles qui entourent la ville. Day est intelligent, futé, plutôt beau garçon et il a soif de ce que sa société lui refuse résolument : la liberté.

Un jour, June est appelée à remplacer son frère Métias assassiné comme officier de l’armée. Elle est convaincue que c’est DAY le meurtrier. L’histoire est un crescendo d’action soutenue qui dirige graduellement les deux jeunes héros vers la vérité. Au départ, il s’agit d’une histoire de vengeance.

En fait, l’histoire se compose de deux récits en alternance…DAY…June…DAY…June…jusqu’à la fin. Chacun se raconte à son tour. Ici, la les mécanismes de la convergence sont tout à fait prévisibles. C’est la faiblesse du livre.

Mais il faut voir de quelle façon les sentiments de June envers DAY et aussi envers le système se modifieront, pour ne pas dire s’inverseront, au fur et à mesure que la vérité se précisera. Ça, c’est le côté génial du livre : la psychologie et la force de nos jeunes héros.

De sa plume alerte et intelligente, Marie Lu a lancé comme un défi au lecteur en semant, à des moments judicieusement choisis des indices sur ce qui, finalement transformera June dans tout son être.

LEGEND est une belle histoire qui met donc en scène deux jeunes personnages séparés par une raison d’état pourrie et sans scrupule, mais qui finissent par se comprendre… il faut voir comment…c’est plus qu’une simple amourette. Il y a dans ce récit la recherche d’une vérité qui m’a agrippé.

J’ai été enthousiasmé par la lecture de ce livre. Il n’est pas très long, il se lit en quelques heures. Malgré ses petits aspects prévisibles, c’est un livre fort. J’ai déjà noté que d’une dystopie à l’autre, les mêmes thèmes reviennent souvent.

Mais dans LEGEND, j’ai relevé deux points intéressants : Marie Lu plonge le lecteur rapidement et avec un remarquable savoir-faire dans l’atmosphère et le contexte social de l’histoire et elle livre ici et là dans son récit d’intéressantes réflexions qui manquent souvent dans cette tendance littéraire qui souffre d’épuisement : la dystopie.

Le récit ne présente aucune longueur ni redondance. L’écriture est fluide, directe et laisse absorber au lecteur beaucoup d’émotion. En passant, je me suis demandé pourquoi Daniel Wing est surnommé DAY et pourquoi ce surnom est devenu le titre.

C’est brièvement mais clairement expliqué vers la fin de l’histoire. C’est comme si ça venait résumer toute l’existence de Day…bien pensé… J’ai vraiment passé un bon moment de lecture. Vivement…les deux autres tomes…

Marie Lu est une romancière américaine née en 1984 née à Wuxi en Chine. Elle n’avait que 5 ans quand sa famille s’est installée aux États-Unis. Passionnée de lecture, elle s’est mise très tôt à l’écriture et s’est spécialisée dans les dystopies. C’est sa série LEGEND en trois tomes qui lui a valu la renommée. On dit que le film LES MISÉRABLES a inspiré Marie Lu pour la création de DAY, un jeune hors-la-loi de génie. Elle continue d’écrire autant pour les jeunes que pour les adultes.

 

Bonne lecture,
Claude Lambert
le 23 septembre 2018

LE SPECTRE DU LAC, livre d’HERVÉ DESBOIS

*Même si elle n’a aucune explication, Mégane
est maintenant persuadée que ce qu’elle a vu
va se produire ici même, dans ce village. Oui
mais quand? Demain? Dans une semaine?
Dans un mois? Cette nuit?*

(Extrait : LE SPECTRE DU LAC, Hervé Desbois,
Éditions de Mortagne, 2016, édition de papier,
377 pages, littérature jeunesse québécoise)

Pour fêter la fin de l’année scolaire, une classe de jeunes élèves se retrouve pour une semaine entière dans un centre de plein air des Hautes Laurentides au Québec. Pour Mégane et son meilleur ami Nicolas, ce séjour , qui s’annonçait pourtant très bien , pourrait bien tourner au cauchemar car depuis qu’elle a 12 ans, l’adolescente est hantée par des visions sur lesquelles elle n’a aucun pouvoir. Or, dès son arrivée, Mégane est hantée par des rêves terrifiants qui deviennent de plus en plus réels. Avec l’aide de Nicolas, Mégane va tenter de résoudre ce mystère entourant l’arrivée de ce fantôme et qui coïncide bizarrement avec la mort suspecte d’un habitant du village. 

UNE CONNEXION DE MONDES PARALLÈLES
*…le corps soudain agité de violents tremblements,
Mégane prend conscience qu’elle est en train de
sombrer dans une obscurité plus opaque que la
pire des nuits sans lune. Comme on se noie dans
les eaux noires et glacées d’un lac. Est-ce ça la mort?
(Extrait : LE SPECTRE DU LAC)

Je sais que les histoires de fantômes, de spectres et d’ectoplasmes sont très répandues en littérature. À ce titre, le livre d’Hervé Desbois peut ne pas paraître très original et pourtant, je lui ai trouvé un cachet particulier. Je crois que ce récit devrait plaire aux jeunes à cause de ses personnages.

Le personnage principal est Mégane Prégent. Elle a 13 ans. Cette jeune fille a un don très spécial…un don médiumnique et même kinésique. Elle fait des rêves à caractère prémonitoire. Depuis près d’un an, elle a des visions sur lesquelles elle n’a aucun pouvoir. À ses côtés : le meilleur ami de Mégane, Nicolas.

Dans le récit, un spectre semble bel et bien avoir choisi Mégane pour étancher sa soif de vengeance. C’est pendant un voyage de fin d’année scolaire dans un camp de vacance que le spectre va pousser Mégane et Nicolas à aller au bout de cette histoire.

Il y a de tout dans ce livre pour plaire aux jeunes lecteurs : un phénomène paranormal avec du danger, une histoire captivante avec des revirements et des rebondissements et surtout, des personnages attachants, Mégane, Nicolas, Cassandre et même le dur de dur de l’école Jean-Christophe qui ne manque pas une occasion d’embêter nos jeunes héros.

Il y a de tout donc pour que les jeunes lecteurs se reconnaissent à une exception près : Mégane fait partie d’un très faible pourcentage de la population possédant un don médiumnique.

En cours de lecture, je me suis posé des questions : qu’est-ce que je ferais avec un don pareil? Est-ce que ça gâcherait ma vie? Est-ce que ça me permettrait de sauver des vies? Et qu’en serait-il de ma qualité de vie? Donc, je me suis senti interpelé par le livre, par l’histoire et l’étrange atmosphère qui s’en dégage.

Alors je me suis laissé glisser dans cette histoire qui se passe au Québec, je le rappelle, grâce à une écriture fluide et un langage accessible dépourvu de tout caractère infantilisant. J’ai accroché dès le début d’ailleurs :

*Ça veut dire quoi être normale? Avoir beaucoup d’amis avec qui parler et rigoler? Sortir avec un gars qui porte des jeans en bas des fesses et des espadrilles pas lacées?…se chicaner avec ses parents…?…Ou peut-être avoir le dernier téléphone intelligent…? … Et si c’était ne surtout pas être comme moi? (extrait)

La conclusion laisse supposer une suite ou tout au moins fait place à l’idée d’une suite, car au moment d’écrire ces lignes, je ne connais pas les intentions de l’auteur. Mais l’idée serait très intéressante. Je n’hésite donc pas à recommander LE SPECTRE DU LAC une histoire captivante qui devrait beaucoup intéresser les ados et tous les âges en fait.

Hervé Desbois est comédien et écrivain né en France. Ancien fonctionnaire, il a fait un saut heureux en 1998 dans l’univers de la musique, du cinéma et de la littérature ce qui l’a amené à côtoyer de nombreuses stars dont David Bowie, et Angelina Joli. Installé au Québec, Hervé Desbois fait preuve d’une remarquable polyvalence, œuvrant à la production de publicité, films, téléséries, écrivant des chansons entre autres pour Bruno Pelletier et Véronic Dicaire en plus d’une quinzaine de livres dont un en littérature jeunesse avec LE SPECTRE DU LAC, le prix Victor-Martyn-Lynch-Stauton 2015.

BONNE LECTURE

Claude Lambert
le samedi 22 septembre 2018

 

HISTOIRES EXTRAORDINAIRES, recueil d’EDGAR ALLAN POE

*Arrivés à une vaste pièce située sur le derrière, au quatrième étage, et dont on força la porte qui était fermée, avec la clef en dedans, ils se trouvèrent en face d’un spectacle qui frappa tous les assistants d’une terreur non moins grande que leur étonnement* (Extrait : HISTOIRES EXTRAORDINAIRES, Edgar Allan Poe, Elit éditions, 2014, première publication en France en 1856, Traduction par Charles Beaudelaire, édition
numérique, 250 pages.)

HISTOIRES EXTRAORDINAIRES est un des grands classiques de la littérature. Ce recueil réunit les nouvelles d’Edgar Allan Poe : DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE, LA LETTRE VOLÉE, LE SCARABÉE D’OR, LE CANARD AU BALLON, AVENTURE SANS PAREILLE D’UN CERTAIN HANS PFAAL, MANUSCRIT TROUVÉ DANS UNE BOUTEILLE, UNE DESCENTE DANS LE MAELSTROM, LA VÉRITÉ SUR LE CAS DE M. VALDEMAR, RÉVÉLATION MAGNÉTIQUE, SOUVENIRS DE M. AUGUSTE BEDLOE, MORELLA, LIGEIA, METZENGERSTEIN. On y trouve tous les genres qui ont fait la notoriété d’Edgar Allan Poe : étrange, fantastique, intrigue policière, horreur, paranormal, mystère, peur…terreur, suspense. Un incontournable de l’univers littéraire traduit par un admirateur inconditionnel de Poe : Charles Baudelaire.

POE LE PRÉCURSEUR
*Ces neuf dernières heures ont été
incontestablement les plus enflammées
de ma vie. Je ne peux rien concevoir de
plus enthousiasmant que l’étrange
péril et la nouveauté d’une pareille
aventure. Dieu veuille nous donner le
succès*
(Extrait : HISTOIRES EXTRAORDINAIRES,
LE CANARD AU BALLON)

C’est vrai. HISTOIRES EXTRAORDINAIRES est un incontournable de la littérature, un petit chef d’œuvre dans le genre, mais pas nécessairement à cause de la qualité ou la valeur des textes mais parce que Poe, sans être nécessairement le Père de la littérature policière, de science-fiction ou de fantastique, a donné une direction à ces genres littéraires. Il a jeté les bases. Je n’ai pas vraiment été emballé par LES HISTOIRES EXTRAORDINAIRES mais je dois dire que j’ai été subjugué par l’acuité intellectuelle de l’auteur.

Le problème avec Poe est qu’il s’étend très longtemps sur des détails techniques, des postulats scientifiques, de savantes démonstrations de logique et de déductions. Ça s’étend sur de nombreuses pages. Les intrigues sont noyées…les mystères dilués. Je ne suis pas surpris que ces histoires aient marqué leur temps mais elles sont aujourd’hui dépassées.

Malgré tout, j’ai apprécié les HISTOIRES EXTRAORDINAIRES car la lecture m’a permis de comprendre le rôle important qu’a joué Edgar Allan Poe dans l’évolution de la littérature. Je ne crois pas exagérer en disant que dans les genres POLARS, SCIENCE-FICTION, FANTASTIQUE et LITTÉRATURE POLICIÈRE, Poe a été un précurseur. Il a influencé des auteurs devenus des maîtres de la littérature…des incontournables comme Jules Verne dont la richesse descriptive des récits est tout à fait remarquable.

Poe a aussi influencé Conan Doyle dans la création de Sherlock Holmes devenu l’archétype du détective privé et qui n’a pas tardé à éclipser le chevalier Auguste Dupin, le fin limier créé par Poe. Avec son génial détective qui n’hésite pas lui non plus à s’étendre sur les détails de sa logique, Conan Doyle a complètement rénové la littérature policière et Edgar Allan Poe n’y est pas du tout étranger.

J’ai aussi senti l’influence sur plusieurs autres auteurs comme Agatha Christie dont le fameux détective Hercule Poirot est un puits de science et de raisonnement et même sur Fenimore Cooper qui a donné à son personnage NATTY BUMPER appelé œil de faucon un incroyable pouvoir descriptif…un langage du cœur qui confine parfois à la poésie. Et que dire de l’influence de Poe sur le cinéma…

Voilà pourquoi j’ai passé un bon moment avec les HISTOIRES EXTRAORDINAIRES. C’est vrai. Ses histoires ont vieilli mais j’ai pu me mettre dans la peau d’un pionnier aux extraordinaires talents et à l’insatiable soif de connaissances sans compter le regard critique qu’il jette sur la nature humaine. Poe demeure un maître…respect.

Quelques histoires extraordinaires

           

LA SUITE

 Edgar Allan Poe (1809-1849) est un romancier, dramaturge, poète, nouvelliste et critique littéraire américain natif de Boston. Il compose ses premiers poèmes. Malgré son alcoolisme chronique, il connaîtra beaucoup de succès jusqu’en 1845 où il publie LE CORBEAU dont le succès est particulièrement fulgurant. C’est après que Poe connaîtra une déchéance irréversible, sombrant dans une misère extrême jusqu’à sa mort consécutive à une crise de delirium tremens vers la fin de 1947.

La Critique contemporaine situe Poe parmi les plus remarquables écrivains de la littérature américaine. Il a été reconnu et défendu par des auteurs célèbres dont Charles Baudelaire qui est devenu son traducteur officiel.

QUELQUES FILMS ADAPTÉS DES LIVRES D’EDGAR ALLAN POE

    

C’est le cycle Edgar Allan Poe qui a valu au cinéaste américain Roger Corman une réputation internationale. Il s’est entouré pour ses projets d’une équipe *d’inconditionnels* : l’écrivain Richard Matheson, les scénaristes Charles Beaumont et Charles Griffith.

Plusieurs acteurs sont sollicités dont Boris Karloff, Peter Lorre et bien sûr Vincent Price qu’on retrouve dans tous les films du cycle, des productions cinématographiques à la mise en scène particulièrement soignée donnant un remarquable résultat artistique.

LA CHUTE DE LA MAISON USHER inaugurera le cycle en 1960 et suivront : LA CHAMBRE DES TORTURES en 1961, L’ENTERRÉ VIVANT et L’EMPIRE DE LA TERREUR en 1962, LE CORBEAU, considéré comme un chef d’œuvre, sorti en 1963 avant LA MALÉDICTION D’ARKHAM, LE MASQUE DE LA MORT ROUGE et LA TOMBE DE LIGEIA en 1964.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 27 mai 2018

 

LES CHRONOLITHES, livre de ROBERT-CHARLES WILSON

*Lorsque l’expédition s’est approchée du cœur de la cité, le chronolithe a commencé à apparaître dans chaque plan. De loin, dominant le fleuve, ou de près, imposant dans la mi-journée tropicale. Le monument était d’une propreté ahurissante. Les oiseaux et les insectes eux-mêmes l’évitaient.*(extrait de LES CHRONOLITHES de Robert-Charles Wilson, Folio, t,f, Éditions Denoël, 2003, 295 pages, num.)

En Thaïlande, un américain est témoin de l’apparition d’un énorme et mystérieux obélisque venu d’on ne sait où. Cette structure parfaite qu’on appellera CHRONOLITHE est faite d’une matière inconnue, apparemment impénétrable. Dans les années qui suivent, les apparitions de Chronolithes se multiplient partout dans le monde  et graduellement rendent l’équilibre de la planète extrêmement précaire. La vie de Warden bascule lorsqu’une femme ayant développé une expertise des  Chronolithes lui apprend qu’il aura un rôle à jouer dans cette histoire et qu’il pourrait peut-être éviter le cataclysme final.

CAUCHEMAR…UN PRÉSENT DU FUTUR

*La présence du monument à cet endroit-là
était en soi d’une étrangeté aveuglante,
et pourtant, on ne pouvait se méprendre
sur sa solidité ni sur son poids, sa taille ou
sa stupéfiante incongruité…*
(extrait : LES CHRONOLITHES)

LES CHRONOLITHES est le récit de Scott Warden qui, à 70 ans, fait un retour sur les évènements dramatiques qui ont marqué sa vie : l’apparition, la multiplication dans le monde de mystérieux et énormes monuments commémorant les victoires à venir (20 ans plus tard) d’un mystérieux personnage, conquérant et guerrier, appelé KUIN, ainsi que le chaos géopolitique qui va s’ensuivre et bouleverser l’ensemble de l’humanité.

Bien que les sauts et les paradoxes temporels et la lente évolution de l’effet Papillon vers la théorie du chaos soient des thèmes très répandus et très chers à la littérature de science-fiction, le sujet du livre est très original et développé de façon intelligente et crédible en plus de véhiculer des questionnements aussi sérieux que complexes : comment le futur peut venir influencer le présent? Peut-on changer le futur? Les coïncidences et le hasard sont-ils plausibles?

Toute la richesse du récit repose à mon avis sur le bouleversement social engendré par l’apparition dramatique de ces monuments appelés CHRONOLITHES, ce qui n’est pas sans nous faire réfléchir sur les influences qui modèlent les courants de pensée et les comportements de masse.

Par exemple, dans ce récit, il se développe autour des chronolithes et de l’effigie de Kuin une philosophie, un mode de pensée et de vivre et surtout une déstabilisation à l’échelle mondiale de l’ordre établi.

L’humanité se divise en deux grandes factions : PRO-KUIN et ANTI-KUIN. Comme il est impossible de ne pas prendre position, le tout prend l’allure d’une guerre de religion, sans même savoir vraiment qui est Kuin et ça c’est un élément qui a monopolisé mon attention. Voici un extrait qui exprime parfaitement ma pensée :

*Il semble évident que c’était justement parce qu’on ignorait qui était KUIN que cela le rendait dangereux. Son programme se réduisait à la conquête, son idéologie à la victoire ultime. En ne promettant rien, il promettait tout.* (extrait de LES CHRONOLITHES) Le fait que KUIN soit devenu graduellement une idée, une mythologie, un symbole universel est l’élément qui fait toute la richesse et la complexité du récit.

Donc LES CHRONOLITHES est un livre riche et passionnant et dont le réalisme, sur le plan social frappe l’esprit de façon parfois effrayante. Il a une petite faiblesse, du moins en ce qui me concerne : l’histoire n’est pas suffisamment développée sur le plan scientifique.

On y évoque des théories avérées comme la relativité et les déplacements temporels et on y trouve des théories pour les besoins du récit, un peu pâteuses comme la Turbulence Tau, mal définie et peu expliquée. Mais c’est très personnel comme opinion et il est très possible et même probable que ce soit tout à fait voulu par l’auteur.

Je vous recommande donc LES CHRONOLITHES en particulier pour les interrogations que l’ouvrage soulève. Par exemple, comment la croyance profonde d’un futur défini peut-elle pousser celui-ci à se réaliser. Vu l’état actuel de la situation sur la terre, quelle sorte de futur sommes-nous en train de préparer? Que sera demain compte tenu de la logique des faits actuels?

C’est un roman profondément humain qui pose les bonnes questions.

Suggestion de lecture : L’odyssée du temps, d’Arthur C. Clarke

Robert-Charles Wilson (1953-    ) est né en Californie. Il écrit ses premières nouvelles dans les années 70 et ses premiers romans dignes d’intérêt sont livrés à la fin des années 90 : Darwinia et Mysterium. Wilson est lauréat de nombreux prix. LES CHRONOLITHES s’est vu décerné le prix John W Campbell en 2002. SPIN, écrit en 2007,  son œuvre la plus remarquable s’est vue remettre le prix HUGO du meilleur roman en 2006 et le grand prix de l’imaginaire en 2007.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
3 JUILLET 2016

L’ACCORDEUR DE PIANO, le livre de Pascal Mercier

*J’attendis que cédât en moi cette grande pression intérieure comme lorsqu’on a enfin surmonté un obstacle. En vain. Je sus alors que quelque chose n’allait pas.*
(Extrait : L’ACCORDEUR DE PIANO,  Pascal Mercier, Meta-Éditions, 2008, édition de
papier, 510 pages)

Un ténor célèbre est abattu d’un coup de pistolet sur la scène de l’opéra de Berlin alors qu’il était en pleine représentation de Tosca de Puccini : L’assassin est identifié : il s’agit d’un accordeur de piano. Ses enfants, les jumeaux Patrice et Patricia regagnent le foyer familial afin de comprendre ce qui a poussé leur père, accordeur réputé mais piètre compositeur à commettre ce meurtre. C’est en sondant le passé de leur père que les jumeaux vont découvrir la cause de son désespoir et de celui de toute la famille. Est-il possible que le crime ait été orchestré par la musique ou qu’il ait un lien avec celle-ci? 

LA MUSIQUE COUPABLE
*…Succès. C’était le mot devant lequel je
M’étais enfui et que je ne voulais plus
jamais entendre. Quoique fût ce qui
avait envoyé Père en prison, l’idée de
succès y avait joué un rôle, j’en étais
sûr.
(Extrait : L’accordeur de piano)

 Avant d’entreprendre la lecture de L’ACCORDEUR de piano, j’étais stimulé par plusieurs critiques élogieuses que j’ai lues sur ce livre de Pascal Mercier… Beaucoup de commentaires pour le moins flatteurs. Malheureusement, j’ai déchanté au fil des pages.

Le récit évoque l’histoire d’une famille un peu dégénérée, en commençant par le père et époux : Frédéric Delacroix, un musicien raté dont la vie s’enlise dans un déni total de son incapacité à créer de grandes œuvres musicales. Sa vie se résume en d’*amères expériences du foyer et les nombreuses humiliations subies dans sa recherche de reconnaissance*. (extrait)

Ensuite, il y a la mère, une morphinomane qui est loin de ce qu’on pourrait appeler une enfant de Marie. Finalement, il y a les jumeaux : Patrice et Patricia dont l’amour qui les unit va un peu plus loin que le simple amour fraternel si vous me suivez bien.

Dans ce livre, les jumeaux communiquent entre eux par le biais de cahiers qui expliquent finalement une sorte de malédiction qui pèse sur la famille avec une énorme quantité de détails, dont beaucoup sont insignifiants,  qui se coupent et se recoupent. Ces cahiers sont aussi préparatoires à la séparation définitive des jumeaux.

Il y a sept cahiers pour chaque jumeau. Cela donne à l’œuvre une forme littéraire un peu particulière qui ne m’a pas vraiment emballé. Je précise aussi que le drame est annoncé dès le départ : un célèbre ténor est abattu en plein concert, devant tout le monde, par Delacroix.

Par l’entremise des cahiers, les jumeaux tente d’expliquer le geste du père, et ce faisant, dévoilent des secrets fort dérangeants sur l’histoire de la famille. C’est loin d’être simple.

Ce n’est pas facile de commenter un tel livre. D’une part, l’écriture est d’une magnifique richesse, dans une excellente traduction (de l’allemand au français) mais d’autre part, j’ai été déçu par la pauvreté du sujet. L’ensemble est lourd, indigeste avec des longueurs assommantes.

L’histoire est complexe et je me suis souvent perdu dans des sommes de détails dont l’utilité m’apparaissait douteuse. J’ai trouvé agaçant de ne pas trouver plus de rythme, de légèreté, de simplicité,  dans un livre où on parle de musique à peu près à chaque page.

C’est un roman glauque pas facile à lire sans se perdre tellement le récit est éclaté. Il n’y a pas de repères, pas de fil conducteur et il n’y a pas d’ordre chronologiques dans les évènements. Toutefois, je ne considère pas avoir perdu mon temps car j’ai savouré la beauté de l’écriture, la richesse des mots. Sous cet aspect, je considère que l’ouvrage nous pousse à une réflexion sur l’écriture et aussi sur la complexité de la famille.

Il appartient évidemment au lecteur d’aller chercher dans le récit ce qui le fera vibrer.

Suggestion de lecture : PASSÉ À VIF, de Lisa Jackson

Pascal Mercier, de son vrai nom Peter Bieri est un écrivain et philosophe suisse de langue allemande né à Berne le 23 juin 1944. De 1993 à 2007, il a été titulaire de la chaire de philosophie des langues de l’Université Libre de Berlin, mais il est surtout connu du public pour ses romans, plusieurs ayant été traduits en français comme LE SILENCE DE PERLMAN en 1995, LÉA en 2011 et bien sûr L’ACCORDEUR DE PIANO en 1998.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
MARS 2016

LA TRAHISON PROMÉTHÉE, le livre de Robert Ludlum

 *Restez couchée! Souffla Bryson en levant son Uzi pour tirer une rafale dans la direction générale de son ennemi. Mais sans grand effet; le tueur continuait à approcher de son allure tranquille.* (Extrait : LA TRAHISON PROMÉTHÉE, Robert Ludlum, t.f. : Éditions Grasset et Fasquelle, 2001, 730 pages.)

Après 15 ans au service d’une agence ultrasecrète américaine appelée LE DIRECTORAT, l’agent Nicholas Bryson apprend que son employeur n’est pas du tout au service du gouvernement américain, mais plutôt associé à un mystérieux groupe terroriste appelé PROMÉTHÉE, profondément infiltré dans les plus hautes sphères des puissances économiques et militaires, telles la Chine, la Russie, la France et bien sûr les États-Unis.  

Bryson, dont la désillusion est cruelle, est recruté par la CIA pour mettre fin aux agissements de cet envahisseur tentaculaire qui s’étend telle une infection et dont les agissements confinent à la folie et au cauchemar en utilisant les technologies les plus raffinées pour manipuler, déstabiliser et tuer. Devant les complots, les trahisons et la paranoïa, la vie de Bryson ne tient qu’à un fil.

DES ESPIONS QUI ESPIONNENT DES ESPIONS
*-Et pour finir, la dernière gâterie, lui
murmura la blonde à son oreille.
Il eut à peine le temps de voir le
fil de fer tranchant comme une
lame qu’elle passait en un éclair
autour de son cou…*
(Extrait : LA TRAHISON PROMÉTHÉE)

C’est un livre intéressant, très captivant mais il faut le lire avec attention et concentration car le récit, changeant parfois de direction, est développé sous le thème complexe de l’espionnage et du contre-espionnage. Suite à la lecture de ce livre, j’ai fait une recherche et j’ai réalisé que Ludlum s’est bien documenté.

En effet, dans les pays du G7 on ne compte plus les agences de renseignements, services secrets et autres obscurs départements dont certains existent sans avoir d’existence officielle et même des agences qui surveillent d’autres agences. Je me suis même demandé si l’administration des salaires de ces gouvernements savaient qui ils payaient et pourquoi?

Le coup de génie de Ludlum repose sur la vraisemblance et l’actualité du sujet. PROMÉTHÉE est en effet une organisation extrêmement puissante, riche et influente qui se propose d’installer un système de surveillance très étroite des individus, et ce à l’échelle planétaire faisant ainsi de la vie privée rien d’autre qu’une chimère.

Or, tout le monde sait que, qui contrôle l’information parfaitement contrôle tout le reste. Pour donner une couverture légale à son action, PROMÉTHÉE tente de faire voter par un maximum de pays un traité de surveillance et de sécurité qui n’est rien d’autre qu’un système de surveillance planétaire rendant les gouvernements obsolètes.

Le héros de l’histoire, Nicholas Bryson est un agent que le directorat, une autre de ces obscures agences ultra secrètes, a manipulé pendant plus de 15 ans. Je ne vais pas dévoiler ici de quelle façon, mais Bryson a connaissance du complot PROMÉTHÉE et c’est ici que le fil conducteur de l’histoire devient d’une remarquable efficacité : Bryson risquera le tout pour le tout afin d’empêcher la catastrophe.

il ira de pays en pays, subissant de multiples blessures, frôlant la mort, victime de trahison et de tromperie. L’auteur ne lui réserve que peu de repos. Plusieurs critiques comparent Bryson à James Bond mais je crois qu’il est infiniment plus malmené et dispose de moins de moyens. Il ne sait plus à qui se fier, la trahison et la mort l’entourent.

Une fois que j’ai bien saisi l’enchevêtrement des arcanes de cet incroyable pouvoir menant au contrôle de la planète, je me suis laissé emporter par le rythme soutenu imposé par l’auteur : beaucoup d’action, de rebondissements et s’ajoute à cela de la violence, de la haute technologie et enfin une plume tellement habile qu’elle propulse le lecteur dans l’histoire lui donnant l’impression d’être un personnage du livre.

J’ai dévoré ce livre, d’autant qu’il touche une corde sensible de notre société : la protection de la vie privée et des renseignements. J’ai été comblé par l’histoire mais je me suis retrouvé à la fin avec des questionnements dont je crains un peu les réponses si jamais on venait à me les donner : quel héritage ai-je laissé sur Internet, mes courriels, mes comptes électroniques?

À quel point ma signature électronique peut se retourner contre moi? N’importe qui, mal intentionné ou non peut-il tout savoir sur moi? Suis-je surveillé?

Remarquez que je n’ai pas développé de paranoïa, mais LA TRAHISON PROMÉTHÉE est un livre qui, en plus de nous propulser dans une action soutenue et de forte intensité est aussi porteur de questionnement sur les éléments qui contrôlent notre vie et sur le pouvoir magistral donné à celui ou ceux qui contrôlent l’information.

C’est un bon livre…il sent la décadence, mais il est fort excitant.

Suggestion de lecture : LE DOSSIER MÉTÉORE, de Benjamin Faucon

Robert Ludlum (1927-2001) était un écrivain américain connu aussi sous les pseudonymes de Jonathan Ryder et Michel Shepherd. Très tôt, il est attiré par le théâtre mais la carrière militaire prend le dessus. Après la guerre, il devient comédien, metteur en scène avant de se tourner vers l’écriture au début des années 70.

Depuis L’HÉRITAGE SCARLATTI publié en 1971, plusieurs de ses romans seront considérés comme des chefs d’œuvre. L’ensemble de son œuvre comprend 26 romans traduits dans 32 langues, l’adaptation au cinéma de quatre livres de la série JASON BOURNE et plusieurs films tirés de ses autres romans dont LE WEEK-END OSTERMAN par Sam Peckinpah .

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
AVRIL 2016

I V, un livre intrigant de RAPHËL GRANGIER

*Eh bien voilà, l’objet utilisé pour réaliser les inscriptions dans le corps de votre victime, était bien un harpon, inspecteur…* (Extrait : I V, Raphaël Grangier, Paul & Mike Éditions, 2014, numérique 510 pages)

L’histoire a pour cadre le Connemara, une très belle région située dans l’ouest de l’Irlande. Un jour, en plein cœur du Connemara, un chalutier emprisonne dans ses filets un corps humain meurtri et sans visage. Deux lettres gravées dans la chair du cadavre : I V laissent supposer un meurtre. Quelques jours après cette pêche cauchemardesque, une jambe et deux doigts humains son repêchés. On y trouve les mêmes lettres gravées dans la chair. Deux policiers aux méthodes complètement différentes vont devoir s’unir pour résoudre ce mystère…une enquête qui risque de mettre à nu quelques secrets parmi les plus inavouables d’Irlande. 

HISTOIRE VENGÉE
*Vous avez tué des innocents, gratuitement,
reprend Andrew d’une voix sourde. Leur
seul tort était d’être anglais. Vous vous
êtes servi de l’histoire entre nos deux pays
pour assouvir votre besoin de vengeance.*
(Extrait : I.V.)

J’ai beaucoup aimé la lecture de ce livre pour plusieurs raisons. D’abord l’originalité du sujet. Je reviendrai là-dessus un peu plus loin. Ce qui m’a d’abord sauté aux yeux, c’est que tout le livre est imprégné de l’Irlande : un magnifique pays d’Europe de l’ouest, au passé tourmenté et qui revendique toujours son identité celtique. I.V., c’est l’Irlande dans sa mentalité, sa culture, son caractère et surtout son histoire.

I.V. : deux lettres gravées dans la chair d’un cadavre imposeront la tenue d’une enquête complexe mais palpitante qui s’imprègnera graduellement de la tragique histoire de l’Irlande. Deux enquêteurs disparates : Andrew Richards, dépêché par la criminelle de Londres et Nuala McFeen de la police de Dublin seront contraints de collaborer dans cette difficile enquête qui mettra à nus des secrets très dérangeants et dont l’Irlande ne doit pas être fière.

Ce que j’ai le plus apprécié dans ce livre est qu’il repose sur l’histoire trouble de l’Irlande. Pour avancer dans l’enquête, les policiers ont dû s’attabler pour étudier et surtout comprendre l’histoire de l’Irlande et elle n’est pas simple.

Voilà la grande originalité du récit : on ne peut résoudre l’affaire qu’en passant par l’histoire. Pour mieux apprécier l’objectif de l’auteur, j’ai fait une recherche parallèle sur l’épisode spécifique de l’histoire de l’Irlande qui se rattache au récit de Grangier.

I.V. fait donc référence à la guerre d’indépendance irlandaise, appelée aussi Tan War, c’est-à-dire la campagne de guérilla qu’a mené l’IRA, l’Armée Républicaine Irlandaise contre la police royale irlandaise, l’armée britannique et les Black and Tans en Irlande et qui fit rage de 1919 à 1921, préludant à la naissance de l’Irlande du Nord..

Je ne rentrerai pas dans les détails, ce serait trop long ici. Je me contenterai de dire que cette guerre a donné lieu à des horreurs innommables et ça transpire dans le livre de Grangier.

Ma petite recherche m’a permis de constater que les éléments historiques ont été intelligemment imbriqués dans le récit de Grangier. I.V. est en fait une histoire de vengeance historique. Une bonne partie de la résolution du mystère se trouve dans le titre du livre, mais je ne gâcherai certainement pas le plaisir du lecteur en continuant sur cette voie.

Enfin, j’ai été surpris par la finale de l’histoire. En effet, alors que je croyais l’enquête terminée et l’affaire classée, voilà qu’un détail troublant vient tout faire basculer et relance l’investigation. Pour moi, le dénouement du récit était totalement inattendu.

En conclusion, I.V. est un excellent polar qui m’a plongé dans une forme inespérée de fascination. C’est un récit fluide et rythmé qui nous tient en haleine du début à la fin.

Suggestion de lecture : AMERICAN GODS, de Neil Gaiman

Je n’ai pas trouvé beaucoup de détails sur le parcours de Raphaël Grangier. C’est sans doute normal car au moment d’écrire ces lignes, Grangier est un auteur émergent qui écrit depuis deux ans seulement et I.V. est son premier roman, paru en 2014. Je crois que c’est prometteur.

Quant à ce que je sais de son parcours, disons que Raphaël Grangier est un technicien supérieur en mécanique. Il a travaillé plusieurs années en sous-traitance avionique avant de devenir professeur certifié en sciences et technologies. I.V. est son premier ouvrage à compte d’éditeur. Souhaitons qu’il y en ait d’autres

Comme je le disais,  concernant Raphaël Grangier, au moment de publier cet article, il y a peu de détails disponibles sur internet. Même sa page Facebook est maigre, mais elle s’enrichira sans doute avec le temps. Voici l’adresse pour les intéressés :

https://fr-ca.facebook.com/AngeR2009

BONNE LECTURE
MARS 2016/Claude Lambert
JAILU