Un autre nom pour l’amour de COLLEEN McCULLOUGH

*…La commission d’enquête découvrit de graves
irrégularités dans les comptes et apprécia Luc à
sa juste valeur, celle d’un individu sans scrupules
et toujours prêt à semer la discorde sur son
passage. On s’en débarrassa de la manière la
plus
simple…
*
(Extrait: UN AUTRE NOM POUR L’AMOUR, Colleen
McCullough, Archipoche éditeur, 2015, papier, 500 pages)

Colleen McCullough décrit un véritable cas de conscience, celui d’une infirmière qui a en charge, dans un hôpital de campagne perdu au fond d’une île du pacifique, six soldats traumatisés par la guerre. Entre ces hommes et cette femme qui représente à la fois la mère, la sœur et l’amante que chacun veut posséder pour lui seul, vont naître des sentiments qui vont s’exacerber jusqu’au paroxysme de la jalousie et de la haine et au-delà : la tragédie. Ici, nous avons un roman d’amour bien sûr mais plus encore : une étude en profondeur du cheminement des passions chez des êtres que tout semble opposer et que tout doit finalement séparer. 

ÉMOTION À L’HORIZON
*…Elle n’avait pas honte de savoir qu’il n’avait
rien fait, rien dit pour le demander ni y
consentir. Elle le touchait, elle le caressait
amoureusement pour son seul plaisir, pour
s’offrir un souvenir. *
(Extrait)

Comme vous le savez sans doute, je ne suis pas très friand de littérature sentimentale. Toutefois, j’aime essayer des tendances différentes comme je le fais dans mes petites incursions occasionnelles dans l’Univers des grands Classiques. Alors pourquoi ne pas essayer une histoire d’amour. C’est alors que j’ai pensé à Colleen McCullough.

Je visais d’abord son œuvre majeure *LES OISEAUX SE CACHENT POUR MOURIR* mais étant peut-être trop contaminé par la série télévisée, j’ai opté pour UN AUTRE NOM POUR L’AMOUR. Je ne l’ai pas regretté.

Le livre raconte l’histoire de Honora Langtry, une infirmière de vocation, née pour ça : philanthrope, altruiste et compétente. Vers la fin d’une guerre, honora exerce sa profession dans un pavillon appelé X. Elle a sous sa responsabilité cinq hommes à qui on prête une certaine déficience mentale ou intellectuelle.

Ils sont surtout là parce que les autorités militaires ne savent pas trop où les mettre. Puis arrive le petit nouveau, Michael Wilson qui, graduellement fait battre le petit cœur d’honora tout en modifiant d’une certaine façon la discipline et surtout la routine du pavillon. Puis, les sentiments d’Honora deviennent contradictoires et j’ai compris qu’elle allait s’enliser dans un amour impossible.

Compte tenu de ce caractère contradictoire et de la nature des personnages du pavillon, mon intérêt a été soutenu jusqu’à la fin. Mise à part Honora, un personnage a retenu mon intérêt en particulier Luc Dagget, homme instable et disparate, imbu, égocentrique et à l’attitude crasse :

*Tu sais Luc, tu es d’une telle bassesse que tu serais forcé de grimper à une échelle si tu voulais gratter le ventre d’un serpent, dit Nugget en faisant la grimace. Tu me donnes envie de dégueuler. * (Extrait)

C’est un exemple. Si les hommes étaient en apparence physiquement bien portants, Ils avaient tous une meurtrissure au cœur et Honora était tout pour eux : une présence, un soulagement, une mère et même une amoureuse. Le reste concerne un petit grain de sable qui s’est glissé dans l’engrenage. Michael Wilson a changé la donne.

J’ai été happé par la dimension dramatique de l’histoire. D’autant que la guerre est finie et que la démobilisation approche. Chacun aura un choix à faire et ce choix sera tragique pour plusieurs. Luc ira jusqu’au suicide, mais est-ce un suicide ? Colleen McCullough a travaillé ses personnages.

Elle les a doté d’une personnalité complexe. La psychologie de ces personnages est un élément-clé du récit. J’ai été aussi étonné par la précision de l’écriture. Pas de longueurs. Pas de mots ou d’éléments superfétatoires. Son langage est très direct et la plume est limpide.

Oui c’est une histoire d’amour. Je serais plus précis en parlant de drame d’amour. L’intensité dramatique suit un crescendo savamment pensé et travaillé, modelé pour retenir l’attention et l’intérêt du lecteur.

Pour nourrir cette dimension dramatique, Colleen McCollough a inséré un peu de tout dans son récit : de la peur, de la folie, de l’introversion, les blessures infligées par la recherche d’un amour impossible. Il y a même quelques épisodes qui laissent suggérer l’homosexualité. Il y a donc un brassage d’émotions parfois de forte densité.

Ne vous attendez pas à un fulgurant *happy ending*. Au contraire, la finale est la conclusion logique d’une chaîne d’évènements induits par l’arrivée de Michaël Wilson. Ça rappelle un peu le chien dans le jeu de quille mais ça va plus loin. C’est un très bon roman, profond, recherché, avec des personnages authentiques dans le sens de profondément humains. Je le recommande sans hésiter.

Suggestion de lecture : LE GAZON…PLUS VERT DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA CLÔTURE, d’Amélie Dubois

Après des études en médecine, Colleen McCullough (1938-2015) s’engage  dans un laboratoire de Sydney avant de gagner les États-Unis où elle a séjourné un long moment, exerçant la profession de neurophysiologue à l’Université de Yale. Romancière émérite, elle a obtenu un succès mondial avec LES OISEAUX SE CACHENT POUR MOURIR, où elle évoque pour l’essentiel, sa famille et sa propre enfance en Australie.

Du même auteur

Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 2 août 2019

AGATHA RAISIN ENQUÊTE : LA QUICHE FATALE

Commentaire sur le livre de
M.C. Beaton

*Quoiqu’il en soit, j’espère que vous ne vous
êtes pas mis en tête de devenir la Miss Marple
de Carsely, et que vous n’essayez plus de
montrer que cet accident était un assassinat.*

(Extrait: LA QUICHE FATALE de la série
AGATHA RAISIN ENQUÊTE, M.C. Beaton,
t.f. Éditions Albin Michel, 2016, Numérique,
250 pages)

Voici le premier tome de la série Agatha Raisin : une miss Marple moderne qui n’a pas froid aux yeux, fume comme un pompier et boit sec. Dans LA QUICHE FATALE : Agatha Raisin coule une retraite anticipée dans un paisible village des Costwolds, où elle ne tarde pas à s’ennuyer ferme. Elle participe au concours de cuisine de la paroisse croyant que ça la rendrait populaire. Mais à la première bouchée de sa quiche, l’arbitre de la compétition s’effondre et Agatha doit révéler l’amère vérité : elle a acheté la quiche fatale chez un traiteur. Pour se disculper, une seule solution : mettre la main à la pâte et démasquer elle-même l’assassin.

AVANT-PROPOS :
En 2016, Marion Chesnay initie, sous son nom de plume M.C. Beaton, une nouvelle série intitulée AGATHA RAISIN ENQUÊTE. Bien sûr, Agatha Raisin est un petit clin d’œil à Agatha Christie qui elle-même a créé un personnage ayant plusieurs points en commun avec Agatha Raisin. Je parle bien sûr de Miss Marple.

Madame Raisin est une spécialiste de la communication et des relations publiques. Après plusieurs années à la direction de sa propre entreprise, elle décide de prendre une retraite anticipée, vendre sa compagnie et s’installer dans la campagne anglaise.

Quant à la personnalité de madame Raisin, disons que c’est une femme difficile d’approche, plutôt froide, égocentrique. Elle n’a pas la langue dans sa poche mais elle franche et loyale. Elle n’a pas beaucoup d’amis à part un ancien de sa boîte, Roy, un homosexuel extraverti.

L’auteure met tout en place dans ce premier opuscule pour *humaniser* Agatha Raisin et lui donner des ailes car faut-il le mentionner, son installation dans le *cottage raisin* va lui apporter des maux de tête mais va surtout lui apprendre à se connaître elle-même. Elle se découvre entre autre une capacité de déduction qui fait la barbe aux policiers.

UN PLAT QUI SE MANGE CHAUD !
*John Cartwright est  le mari d’Ella Cartwright, qui avait
une liaison avec Cummings-Browne. Qui aurait pu penser
qu’il savait cuisiner ? C’est une sorte de gros gorille
dégoûtant. Tu vois. C’est tout à fait possible. Quelqu’un
a très bien pu remplacer ma quiche par la sienne.*
(Extrait)

Donc, dans ce premier volet de la série, Agatha Raisin s’installe à Carsely, petit village au cœur des Cotswolds. Elle ne l’aura pas facile car ces petits hameaux sont souvent comparables à des cercles fermés. C’est long avant d’y être accepté…

*Dans un roman d’Agatha Christie, elle aurait non seulement reçu la visite du pasteur mais aussi celle de quelque colonel à la retraite et de son épouse. Tandis que là, toute conversation se limitait «’jour», «’soir» et quelques mots sur la météo* (Extrait) Elle décide donc de faire quelque chose pour s’intégrer à la communauté.

Elle a eu l’idée de participer à un concours culinaire avec toutefois une petite tricherie que je vous laisse découvrir et qui fera toute la différence dans le récit et plus précisément l’enquête. Le plat proposé est une quiche aux épinards…elle ne manquera pas de faire de l’effet car le juge qui en fait la dégustation en meure.

On a trouvé dans la quiche de la cigüe aquatique, une plante mortelle. Agatha devra travailler très fort pour se sortir de cette situation dramatique. Comme on dit souvent que la meilleure défense est l’attaque, Agatha décide d’enquêter étant donné que les policiers obtiennent peu de résultats.

Je trouve l’idée de cette série intéressante. Le lien avec Miss Marple m’a frappé malgré sa discrétion. Je dois toutefois dire que nous sommes très loin ici de la rigueur des romans policiers d’Agatha Christie. Malgré une certaine capacité de Beaton à entretenir l’intrigue, le récit manque de fini et ce qui pourrait passer pour des rebondissements n’est en fait qu’un enchaînement de fausses pistes qui mettent en perspective l’opiniâtreté d’Agatha Raisin.

L’acharnement de celle-ci vise à prouver qu’il y a eu  meurtre et donc qu’il ne s’agit pas d’un simple accident. C’est une faiblesse dans le récit car la cigüe ne s’est pas trouvée là par hasard. Il m’a semblé évident dès le départ que ça ne pouvait pas être un accident. La police ne pouvait pas être bête au point de ne pas tirer cette première conclusion.

Donc, sur le plan policier, ce premier opuscule manque de rigueur. Je ne m’en fais pas outre mesure. Je n’ai pas lu les autres tomes de la série, mais je suis sûr que M.C. Beaton ne faisait que préparer le terrain avec la QUICHE FATALE. Elle a commencé par creuser les personnages dont Roy que j’ai trouvé extrêmement sympathique et bien sûr Agatha Raisin à qui elle attribue finalement une direction arrêtée.

Donc dans ce premier volet, je dirais que l’auteure est en mode *installation*, *mise en contexte*, début d’une nouvelle vie pour madame Raisin : la retraite…faut bien s’occuper. L’auteure nous fait aussi faire la connaissance du village et de ses habitants. On y trouve quelques corniauds et surtout beaucoup de chipies, dont la voisine d’Agatha…voisine qui sera remplacée à la fin par quelqu’un de beaucoup plus intéressant.

Qu’il me suffise de dire en conclusion qu’on est très loin du chef d’œuvre. Je ne m’attendais pas à un chef d’œuvre de toute façon et ce n’est pas ce que je cherchais, sachant très bien que LA QUICHE FATALE n’est que le premier volet d’une longue série appelée à se peaufiner et à s’améliorer.

Le simple non d’Agatha Raisin ne démontre-t-il pas qu’il ne faut pas prendre ses aventures trop au sérieux. C’est une lecture légère et divertissante et j’espère avoir bientôt l’occasion d’y revenir.

Suggestion de lecture : LE BILLETS GAGNANT, recueil de nouvelles de Mary Higgins Clark

QUELQUES *AGATHA RAISIN*

        

LISTE COMPLÈTE

AGATHA RAISIN À LA TÉLÉ

Ashley Jensen joue le rôle d’Agatha Raisin dans la série Britannique créée en 2016

Née en 1936 à Glasgow, Marion Chesney alias M.C. Beaton a été libraire et journaliste avant de devenir un des auteurs de best-sellers les plus lus de Grande-Bretagne avec ses deux séries de romans policiers : Hamish MacBeth et surtout Agatha Raisin (plus de 15 millions d’exemplaires vendus dans le monde). Elle a aussi à son actif plusieurs romans d’amour et historiques. Livreonline.com publie entre autre sur cette auteure prolifique une très intéressante revue de presse. Cliquez ici.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 28 juillet 2019

AFTER PARTY, le livre de DARYL GREGORY

*Mon esprit a commencé à s’éteindre, zone par
zone, comme une ville durant un black-out dont
des quartiers entiers sont privés de courant. Ma
conscience s’est cristallisée sur une unique
pensée : je vais mourir.*
(Extrait : AFTER PARTY, Daryl Gregory, Éditions Le
Bélial, 2016, édition numérique, 325 pages)

Une église émergente met la main sur une drogue appelée LE NUMINEUX, une molécule qui décuple le sentiment du divin, qui rend la présence de Dieu tangible, presque palpable et enracine chez son consommateur une foi inébranlable menant à l’extrémisme sans parler des crises mystiques et de très fortes hallucinations. Cette drogue neurochimique se répand rapidement dans Toronto et pourrait bien être distribuée dans le monde entier créant des légions de fanatiques.

Une seule personne peut calmer le jeu : Lyda Rose qui a contribué à la création du Numineux ce qui l’a presque anéantie. Si elle accepte, son programme sera chargé : d’abord s’échapper de l’asile psychiatrique où elle est internée, chercher de l’aide, trouver des amis, percer le secret de l’église qui vénère le Dieu hologrammatique et mettre hors d’état de nuire et soigner tous ces nouveaux fanatiques… Un vrai chemin de croix…

UNE DROGUE QUI MÈNE À DIEU
*Je ne savais pas ce qui m’arrivait. Des crampes
m’ont assailli l’estomac…J’étais au-delà de
L’hilarité, perdue dans un état émotionnel
inconnu, bruyant et chaotique. Le genre de
truc qu’éprouve une vague en s’écrasant sur
la plage ?*
(Extrait : AFTER PARTY)

Sans être un chef d’œuvre, AFTERPARTY développe un sujet qui détonne, qui tranche. Voyons un peu le synopsis, mais à ma façon : Une grande fête est organisée. Pendant ce party on fait l’essai d’une nouvelle drogue qu’on appelle LE NUMINEUX. Si on se rapporte au dictionnaire français de l’internaute, le numineux est un phénomène mystérieux qu’on ne parvient pas à expliquer rationnellement. Il laisse à penser qu’il peut-être divin.

Dans AFTERPARTY, le Numineux est une drogue qui décuple la foi en Dieu et le rend physiquement accessible : *Cette drogue te donne l’impression d’entrer en contact avec une force supérieure…l’être surnaturel se trouve dans la pièce avec toi, tu peux le voir, il est intégré à ton champ de vision. Parfois il te parle.* (Extrait)

Maintenant, vous allez comprendre toute la portée et la gravité du titre : cette grande fête a envoyé dans les ailes psychiatriques plusieurs expérimentateurs de la NEM110 qui est l’appellation disons scientifique du numineux et qui développe l’addiction avec une extrême rapidité. Entre temps, par le biais d’une église émergente, la drogue se répand dans toute la ville et risque de se répandre sur toute la planète.

Pour éviter ce fléau on demande l’aide d’une des internées, Lyda Rose qui serait la seule à pouvoir remonter la filière et éviter le pire. Elle accepte, s’échappe de sa résidence avec d’autres personnages aussi mal pris qu’elle et se met à l’œuvre. Elle peut faire la différence car elle a participé à la création du numineux et connait beaucoup de monde.

Donc le livre se concentre surtout sur *l’après-party* et ses conséquences : de graves traumatismes liés à la NEM110. Je ne suis pas spécialement amateur de techno-thrillers mais j’ai trouvé celui-ci assez bien fait. Il n’y a pas de charge contre la religion ni contre l’église, mais l’enquête de Lyda-Rose et de ses amis nous fournit suffisamment de matière pour nourrir une réflexion sur les coûts sociaux et humains des addictions aux drogues.

Si le rythme du récit est assez élevé et farci de nombreux rebondissements, l’histoire accuse quand même quelques faiblesses. J’ai souvent parlé du fil conducteur d’une histoire. Je trouve important que les auteurs ne se mettent pas trop en marge de ce fil pour ne pas perdre ou décourager le lecteur.

Voilà la principale faiblesse du récit : un fil conducteur en dents de scie. L’auteur se disperse, le rythme casse. J’ai tenu bon car la finale en vaut la peine. Il faut savoir toutefois qu’un récit en déséquilibre peut amener des lecteurs/lectrices à se décourager.

Par contre, les personnages sont attachants, quelques-uns sont plutôt originaux. Je pense à la docteure Gloria, un personnage imaginaire issu de la schizophrénie de Lyda-Rose. Au départ, elle devait toujours dire ce que Lyda avait besoin d’entendre. Au final, c’est plus que ça mais c’est tout en douceur et en intelligence.

Gloria vient apporter un peu de légèreté dans un monde lourd et malade. Le tout évolue dans le futur. Imaginez, une drogue qu’on imprime…avec une imprimante spéciale produisant une sorte de papier buvard. Est-ce que Lyda Rose empêchera la propagation mondiale de cette cochonnerie qui grafigne dangereusement le cerveau ?

Malgré une tendance à l’éparpillement, je pense que Darryl Gregory a pondu un bon suspense, intriguant avec plusieurs personnages au caractère bien trempé. Le tout est crédible et porte à réflexion. Donc à lire : AFTER PARTY.

Suggestion de lecture : DUNE, de Frank Herbert

Daryl Gregory est un auteur américain de romans et de bandes dessinées. Il a été diplômé de l’Illinois State University. C’est un grand adepte de la Science-Fiction et de la Fantasy et naturellement, ça transpire dans l’ensemble de son œuvre. Son succès est consacré depuis plusieurs années. Il a remporté le Crawford Award pour PANDEMONIUM publié en 2008. Il est lauréat des prix Shirley Jackson et World Fantasy en 2015.

Pour en savoir plus sur les activités littéraires et la carrière de Daryl Gregory, consultez son site internet : http://darylgregory.com/ (en anglais)

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 30 juin 2019

 

VATICANUM, de JOSÉ RODRIGUES DOS SANTOS

*Enimont ? L’auditrice respira profondément,
presque déprimée d’avoir évoqué ce nom
maudit. –Il s’agit d’un immense scandale de
corruption, dit-elle en insistant sur le mot
«immense»*
(Extrait : VATICANUM,  José Rodrigues Dos Santos,
traduction française aux Éditions Hervé Chopin, 2017,
éditions numériques et de papier, 504 pages num.)

Depuis des siècles, trois prophéties annoncent la mort du pape et la chute du Vatican. Des documents de première importance sont volés dans la cité pontificale, le pape fait appel à Tomás Noronha pour les retrouver. Celui-ci commence son enquête dans les catacombes de la basilique Saint-Pierre, mais sa mission prend très vite une nouvelle tournure. Le pape vient d’être enlevé, il est menacé de mort. Le compte à rebours commence et le chaos menace. Les attentats s’enchaînent et plusieurs pays se préparent à entrer en guerre. Noronha doit retrouver le pape et mettre fin à cette situation en voie de devenir apocalyptique.

AVANT-PROPOS

Banco Ambrosiano est une banque italienne qui a fait l’objet d’une des plus retentissantes faillites de l’histoire en 1982, suscitant ainsi un énorme scandale impliquant la Mafia et la banque du Vatican, son premier actionnaire. Ce scandale aussi spectaculaire que complexe ouvrira la voie à l’opération MAI PULITE qui mettra au jour dans les années 90 des vérités troublantes.

Ainsi, Roberto Calvi, membre de la loge *Propaganda Due*, une loge maçonnique appelée *P2*, et aussi directeur de la banque Ambrosiano, a été retrouvé pendu sous un pont de Londres le 17 juin 1982.

En 2006, dans la foulée du procès Calvi, le grand-maître de la loge P2 est arrêté après 3 mois de cavale à Cannes. En 1978, alors qu’il fait une tentative d’assainissement des finances du Vatican, Jean-Paul premier est retrouvé mort. On a lié le décès au scandale de la banque Ambrosiano car cette dernière venait d’être accusée de transférer secrètement des fonds au syndicat polonais SOLIDARNOSC et aux Contras du Nicaragua soutenus par Washington contre le régime sandiniste.

Pour l’histoire générale, cliquez ici, Suggestion de lecture spécifique ici.

LE CÔTÉ OBSCUR DU VATICAN
 *L’heure était extrêmement grave…le
délai fixé par les ravisseurs était sur

      le point d’expirer et il ne restait plus
assez de temps pour découvrir le
lieu où ils retenaient le chef de l’église.
*
(EXTRAIT: Vaticanum)

En cours de lecture de ce pavé qui fait près de 600 pages, j’ai fait une recherche pour m’assurer que je départageais correctement la fiction de la réalité. On y parvient aisément mais ça fait peur un peu. On trouve ici tout ce qui touche le tripotage des finances du Vatican, le cambriolage du palais des congrégations, les relations du Saint-Siège avec la mafia, le blanchiment d’argent, le sabotage systématique des enquêtes judiciaires de la part du Vatican, le célèbre scandale de la banque Ambrosiano et j’en passe…

tout cela constitue malheureusement une triste réalité. Ce qui concerne la fiction vise surtout la piste Islamique et l’enlèvement du pape. Même les prophéties présentées dans ce roman concernant la mort du pape sont authentiques. Je fais références aux prédictions de Malachie, Pie X et de Fatima.

L’histoire commence alors que le Pape fait appel au célèbre cryptologue Tomas Norona pour retrouver des documents très importants volés au Palais des congrégations. Puis tout s’enchaîne : le pape est enlevé et menacé de mort, le monde est menacé de chaos et la situation devient presqu’apocalyptique. Le temps est compté et dans son enquête, Norona fait d’obscures découvertes de nature à faire frémir d’horreur le monde…et les lecteurs…

Ce livre me rappelle un peu un énorme dossier de presse. La recherche documentaire est impressionnante. Entre les éléments d’action le livre comporte trois parties : un long dialogue avec le pape au début, un très long dialogue avec Catherine, la principale auditrice du Vatican et une longue conclusion qui n’est rien d’autre qu’un spectaculaire exercice de logique, de la part d’un simple historien qui vient mystifier les policiers chargés de l’enquête.

Trop beau pour être vrai dans les faits. Ça m’a rappelé un peu Da Vinci Code. Toutefois, Dos Santos est plus crédible et son histoire beaucoup mieux construite. Le problème majeur de Vaticanum tient sur le fait que le récit est long, répétitif, redondant jusqu’à l’ennui.

Donc le texte est lourd et les interminables dialogues, bâtis comme des articles de presse, diluent beaucoup l’action. Au moins, la crasse bancaire vaticane qui en ressort est un fait avéré. L’information livrée est vulgarisée et claire. Il y a quand même des éléments importants qui font que le lecteur et la lectrice ont de la difficulté à lever le nez de ce livre.

En fait, Dos Santos a le don de finir chaque chapitre par un élément qui rend le lecteur captif et qui l’oblige pratiquement à passer rapidement au chapitre suivant : un rebondissement, un fait nouveau, une révélation spectaculaire…c’est comme ça pour chaque chapitre. Moi qui ai toujours apprécié les livres ventilés avec des chapitres courts, j’ai été servi.

Voilà…on peut bien pardonner un peu les longueurs, la redondance et certains éléments comme la petite condition sentimentale de tomas que j’ai trouvée passablement insignifiante, car le récit ne laisse pas indifférent et même…il choque, remue, secoue, provoque la colère. L’émotion n’est pas imprégnée dans le récit qui est au contraire plutôt froid. C’est le récit qui crée l’émotion dans l’esprit du lecteur et le laisse grandir.

En conclusion, vous avez ici un récit dont l’aspect thriller alterne avec l’aspect journalistique. Les deux sont intéressants mais le rythme est altéré. Ça se lit vite malgré tout et je vous assure que votre patience sera récompensée.

Suggestion de lecture : LA FORMULE DE DIEU, de J.R. Dos Santos

José Rodrigues dos Santos est un journaliste, reporter de terrain, correspondant et écrivain portugais d’origine africaine. Il est né à Beira au Mozambique le 1er avril 1964. Pour CNN et la BBC, Dos Santos a parcouru le monde pour couvrir les plus grands conflits. Il a tiré de cette expérience de terrain des romans majeurs traduits dans près d’une vingtaine de langues. Il a un vécu très intense qui se répercute dans son œuvre littéraire. 

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 23 juin 2019

AFFAIRES PRIVÉES, livre de MARIE LABERGE

*-Le suicide, Rémy, ça se sème pas de même.
C’est pas le genre d’affaires qui s’attrape
comme un rhume. Faut souffrir pour se tuer.
À quinze ans comme à soixante. Comment
elle a fait ça? *
(Extrait : AFFAIRES PRIVÉES, Marie Laberge,
Productions Marie Laberge 2017 pour l’édition de
papier, Éditions Martha pour l’édition numérique.
442 pages numériques.)

Quand Rémy Brisson, le directeur de l’escouade des crimes non résolus, affecte Vicky Barbeau à une enquête sur une mort fort peu suspecte, il le fait pour des raisons personnelles. Il est incapable de refuser quelque chose à la mère de cette jeune fille de quinze ans trouvée morte dans un boisé après avoir pris une dose mortelle de somnifères. Et quand Vicky s’aperçoit qu’en s’approchant des témoins de la vie de cette magnifique Ariel, elle s’expose à revoir des gens qu’elle a relégués au passé, l’enquête prend des allures de cauchemar.

CÔTÉ NOIR
*Qu’un adulte se laisse traiter comme du bétail à faire
jouir, ça le regarde. Mais qu’on contraigne un enfant,
qu’on profite de l’ascendant qu’on a sur lui pour
L’entraîner dans une violence et une subordination
inimaginables, tout cela pourquoi? Pour permettre à
Des impuissants de rêver qu’ils dominent enfin, alors
Qu’ils sont dominés par leurs peurs et leur abjection. *
(Extrait : AFFAIRES PRIVÉES)

Il y a longtemps que je ne m’étais laissé aller à une lecture aussi addictive. Troisième essai dans le roman policier pour Marie Laberge. Elle a signé une histoire complexe et brillante. Un succès.

Voyons d’abord la trame : le directeur de l’escouade des crimes non résolus Rémy Brisson demande à Vicky Barbeau d’enquêter sur le suicide apparent d’une jeune fille nommée Ariel, retrouvée morte dans un boisé, intoxiquée par une dose massive de somnifère.

Vicky enquête effectivement, mais rien ne laisse supposer autre chose qu’un suicide. Elle apprend qu’une autre fille de l’école d’Ariel, s’est suicidée il y a deux ans Après l’étude des conclusions de l’enquête et du rapport du coroner, tout tendait à confirmer les suicides. Ce n’est qu’à l’arraché que Vicky, aidée de son collègue français Patrice trouvera quelques indices qui laisse supposer que tout ça n’est pas net.

Et s’il y avait un lien entre les deux suicides? Ça ne coûtait rien de fouiller de ce côté-là. C’est à partir de là que l’enquête prendra des allures de cauchemar et Vicky trouvera sur son chemin certaines personnes qui auraient beaucoup à se reprocher. Jamais on n’aura poussé l’opiniâtreté si loin.

Ce qui était au départ un cas simple de suicide est devenue une histoire d’horreur dont l’auteur tire une à une les ficelles avec une lenteur calculée et un incroyable don de déduction. Elle utilise le meilleur de sa connaissance de la nature humaine pour extraire des vérités dérangeantes qui n’étaient jusque-là qu’affaires privées.

Laberge signe un roman complexe développé avec une intelligence remarquable alliée à une connaissance précise de l’âme humaine. Avec une lenteur calculée, un sens précis de la déduction, des éléments d’enquête ajoutés à la petite culière, l’auteure lève le voile sur l’horreur, sur cette capacité qu’ont les êtres humains de tomber si bas. Le livre vient nous faire réfléchir sur la nature même du suicide.

Certains suicides s’annoncent, d’autres non, mais ils ne se font jamais sans raison. Il faut chercher à comprendre. J’ai beaucoup apprécié la subtilité des dialogues et de la grande sensibilité avec laquelle les enquêteurs approchent les jeunes dont le silence recouvre des secrets innommables. Par exemple, pourquoi Ariel se mutilait? Pourquoi deux suicides en deux ans et y a-t-il un rapport avec le théâtre que les deux jeunes filles adoraient?

Graduellement, l’auteur aborde avec tact la détresse des adolescentes, la souffrance de leurs parents et l’incompréhension puis, alors que les informations se recoupent,  l’auteure introduit les pointes acérées de la vérité qui n’est rien de moins qu’une descente aux enfers pour Ariel, et avant elle, Andréanne. L’auteure évoque la fragilité de l’adolescence et la subtilité des messages qu’elle peut lancer à ses pairs.

Je me doutais bien toutefois qu’un livre aussi intense allait avoir ses petites faiblesses. En fait, ce sont des personnages qui se caricaturent eux-mêmes : le metteur en scène Gilles Caron, con comme un balai, la directrice de l’école, pincée et aseptisée. Assam qui incarne le bon Roméo, le genre dernier amant romantique.

Il y a certains passages où l’auteure semble sombrer dans la facilité. Disons simplement que la psychologie de plusieurs de ses personnages est insuffisamment développée. J’ai cessé de compter le nombre de fois ou Caron passe pour bête à manger du foin. Ajoutons à tout cela la longueur de certains interrogatoires.

AFFAIRES PRIVÉES reste une excellente histoire. Marie Laberge y a mis toute sa sensibilité vu le sujet traité et y sonde avec précision la nature humaine. Le livre fait réfléchir sur la démarche du suicide ou ne serait-ce que la seule pensée effleurée.

Deux suicides qui au départ étaient sans liens. Conclusions de l’enquête : suicide simplement. La ténacité d’un enquêteur plongera le lecteur dans les abîmes immondes de la pédophilie et du masochisme. Ne vous attendez pas à des descriptions à soulever le cœur. Parfois, le non-dit est pire.

Un grand cru.

Suggestion de lecture: AFFAIRES ÉTRANGES. de Joslan F. Keller

Marie Laberge est une écrivaine, dramaturge, romancière, comédienne et metteur en scène québécoise née le 29 novembre 1950 à Québec.  Elle a à son actif une vingtaine de pièces de théâtre traduites et jouées dans de nombreux pays.

Toute sa carrière est parsemée d’honneurs, de prix et d’attributions. Par exemple, sa nomination au titre de Chevaliers de l’Ordre des Arts et des Lettres en 1998 par le ministère de la culture de la France pour son apport à la francophonie. 

En mai et juin 1995, à la demande du premier ministre du Québec, M. Jacques Parizeau, elle a rédigé le préambule de la Déclaration d’indépendance du Québec en collaboration avec, entre autres, Gilles Vigneault, Fernand Dumont et Jean-François Lisée.

Pour en savoir plus sur Marie Laberge, consultez son site officiel.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
Le samedi 22 juin 2019

 

88888-LES ENFANTS PERDUS, CÉLINE TANGUY

*…-Est-ce qu’il dort?
-Plus ou moins. Il est encore dans l’entre-deux.
-Qu’est-ce que c’est?
-C’est un endroit où il peut se reposer, reprendre des forces, avant de revenir.
-C’est là où j’étais, avant d’être assise là?
-Non, toi tu étais juste dans le passage.
-Ah…
-Où sommes-nous? C’est si étrange ici.
-Dans la zone grise. Mais la question serait plutôt quand sommes-nous?…*
(Extrait : 88888-LES ENFANTS PERDUS, Céline Tanguy, Éditions Humanis, 2013,  num. 200 pages)


L’histoire est celle d’Antoine, homme solitaire, peu motivé et que peu de choses intéressent. Il semble oublié de la vie jusqu’à ce qu’il rencontre Marlène. Il ne la connait pas mais elle lui rappelle quelqu’un…les deux ont un point en commun. Depuis toujours, Antoine entend les pensées des autres et cherche désespérément quelqu’un qui lui ressemble. Cette Marlène ne s’appelait-elle pas Juliette dans un autre espace-temps? Et lui-même ne s’appelle-t-il pas plutôt Ganymède ? Et puis que signifie le nombre 88888. Pourrait-il s’agir d’une année ?

ZONE GRISE
*Une goutte de sueur froide roula le long de son
épine dorsale. « Je tourne en rond. Je suis dans
la boucle infinie de la zone grise. » Il ne comprit
pas la dernière phrase. Mais elle résonna en lui
comme une évidence. Une angoisse profuse le
submergea, inexplicable dans son intensité*
(Extrait : 88888-LES ENFANTS PERDUS)

88888 LES ENFANTS PERDUS est un roman initiatique, une histoire étrange dans laquelle le passé, le présent et le futur s’entrecroisent dans un monde sans temps, sans espace, ni dimension ni sens…un monde appelé Zone Grise. C’est dans cette zone sans repère où l’âme devient étrangère à son corps sans compter le temps qui s’arrête.

Cette zone, mystérieuse au-delà de toute imagination humaine est comme une station que l’âme emprunte avant d’être réorientée dans le passage qui déconnecte de tout avant la renaissance : *Il allait être soigné maintenant. Quand il reviendrait à lui, il serait à nouveau un petit garçon. Mais pour faire quoi ? Il était seul. Il pouvait juste déambuler à l’infini dans les couloirs du temps. Et parfois se donner l’illusion de vivre .* (Extrait)

Les principaux personnages : Juliette, Ganymède, Marlène, Antoine sont des passagers du temps transitant par la zone grise d’où cette impression de déjà vu qu’on a tous développé tôt ou tard. Ces enfants perdus sont passagers du temps. Ils ne *se déplacent pas dans le temps*, Ils déplacent le temps : *Quelque chose défilait peut-être. Ici, cette chose n’avait pas de nom. Dans l’autre monde, cela aurait pu s’appeler le temps* (Extrait)

Aussi, plusieurs personnages ont un point en commun : ils lisent dans les pensées des autres. Quant au chiffre 88888, ça peut être beaucoup de choses, une année, un mot de passe peut-être. 88888 c’est aussi le chiffre numérique de base, le 8 englobant tous les chiffres de 0 à 9.

Bien qu’il y ait un indéniable voyage dans le temps, cette histoire est à la fois statique et enveloppante, pousse à l’introspection et induit un voyage intérieur qui ne sera pas vécu de la même façon d’un lecteur à l’autre. Par exemple, avez-vous déjà eu l’impression de sortir de votre corps, de vous regarder, ou de regarder un bout de film de votre vie.

Vous avez peut-être déjà eu une impression de déjà vu ou de déjà vécu ? Une forte impression de rêve éveillé ? Vous voyez où je veux en venir ? Cette histoire est un carnet de voyage spirituel qui vient chercher chaque lecteur de façon différente. La plume de Céline Tanguy est d’une grande profondeur et d’une incroyable richesse.

Les ouvrages à caractère initiatique ne m’ont jamais tellement attiré. Pourtant, j’ai dévoré la PROPHÉTIES DES ANDES de James Redfield qui, dans sa révélation de l’éveil à la conscience, évoque les coïncidences qui façonnent nos vies. Là s’est arrêtée ma quête. Pour ce qui est de Céline Tanguy, c’est le titre qui m’a attiré et très vite, j’ai été happé par une trame complexe, qui nécessite réflexion et concentration.

C’est pour moi, une belle histoire qui vient m’interroger sur le sens de ma vie, qui me porte à occulter * le temps d’un temps* mon passé pour me concentrer sur l’avenir et sur la nécessaire transition dans la zone grise.

C’est un ouvrage très intéressant que j’ai dévoré car il s’est ajusté à moi comme il s’ajustera à chaque lecteur selon son vécu, ses convictions. Il sollicite un peu la raison et beaucoup le cœur avec une réflexion sur la solitude, les mystères de la vie, le sens de la vie et le sens de la mort avec en plus une vision originale de l’avenir.

Donc 88888 LES ENFANTS PERDUS est un livre différent qui a fait diversion dans mes lectures, comme une pause me permettant de lire quelque chose de différent, de vivre par des mots, par la pensée et de réfléchir sur les promesses de pérennité de l’âme. J’irais jusqu’à dire que c’est une lecture qui fait du bien.

J’aurais aimé que l’auteur s’étende davantage sur la zone grise. Il m’a semblé que son exploration était très incomplète. Mais bon, ce sera peut-être pour une suite. Ne serait-ce que pour sa pensée profonde et la beauté de son écriture qui confine parfois à la poésie, je n’hésite pas à vous recommander 88888 LES ENFANTS PERDUS de Céline Tanguy.

Suggestion de lecture : MORTS VIRTUELLES, de Catherine Doré

Céline Tanguy est une écrivaine et juriste française née à Nancy. Elle se considère toutefois comme une bretonne pur jus puisqu’elle habite cette région depuis ses premiers pas. Écrire est une pulsion irrépressible qui lui permet d’être *simplement dans le monde*. Elle exige de ses personnages qu’ils *lui donnent tout, jusqu’au bout d’eux-mêmes. Céline Tanguy a une maxime qu’elle aime partager : Ce qui est derrière n’existe plus, ce qui est devant n’est pas certain, seul compte ce qui se passe maintenant.

Bonne Lecture
Claude Lambert
le dimanche 16 juin 2019

35 MM, le livre de CHRISTOPHE COLLINS

*-Excusez-moi…mais je suis un peu
sur les nerfs…et je sais que les
apparences ne sont pas en ma
faveur. Je ne connais pas ce type
étendu dans la chambre froide.
Mais c’est bien dans mon
restaurant qu’il est venu mourir.*
(Extrait: 35 MM, Christophe Collins,
Lune-Ecarlate éditions, numérique,
310 pages)

Birdies’fall, un village sans histoire est ébranlé quand un restaurateur découvre un cadavre dans sa chambre froide. Selon un officier de police, ce n’est qu’un clochard qui s’est soulé et s’est accidentellement enfermé dans la chambre froide et est mort gelé…banal…et puis Il ne faut surtout pas nuire à l’évènement annuel tant attendu dans la région : le grand tournoi international de golf. Jack Sherwood décide de pousser l’enquête malgré l’avis de son chef. Son intuition lui fait craindre le pire et effectivement, un meurtre s’ajoute…

UN TUEUR ÉTRANGE
*Le livreur entra dans la maison et referma
calmement la porte derrière lui. Il se pencha
vers Maxwell, un étrange sourire figé sur les
traits. « Fin de l’acte 1, siffla-t-il en décochant
un violent coup de matraque sur la tempe du
shérif*
(Extrait : 35 mm)

35 mm est un thriller qui ne réinvente pas le genre mais qui comporte des forces et quelques originalités. Voyons d’abord le contenu : l’histoire se déroule à Birdie’s Fall, un petit village tranquille avec une criminalité à peu près nulle et qui serait un parfait *nowhere* si ce n’était d’un évènement annuel qui accueille le gratin d’un peu partout dans le monde.

En effet, Chefs d’état, artistes, diplomates etc.,  s’y donnaient rendez-vous pour L’OPEN ANNUEL DE GOLF. Un jour, la paix apparente du village est rompue quand un cadavre est retrouvé dans la chambre réfrigérée d’un restaurant.

L’enquête est confiée à Jack Sherwood qui ne croit pas la version dite officielle du soulard qui s’est enfermé par erreur dans un réfrigérateur et qui est mort gelé. D’autres cadavres s’ajoutent : *Des notables liés entre eux par le secret…Qui finissent tués lors de mises en scène macabres…* (Extrait)

Les politiques et les chefs de police font tout ce qu’ils peuvent pour ralentir l’enquête de Sherwood pour ne pas nuire à la réputation du village et de son évènement annuel, la vache à lait du patelin : l’Open de golf. Mais cette obstination cache quelque chose de beaucoup plus lourd.

Ça peut paraître bizarre de s’exprimer de cette façon, mais le meurtrier dans cette histoire, de toute évidence très intelligent, fait preuve d’une rare originalité. Par exemple, le fait de coudre les pattes d’une tarentule (préalablement endormie) sur la poitrine de sa victime (qui est bien réveillée) et d’enduire les crochets de l’animal d’un poison. Ça fait, au bout du compte, un cadavre assez impressionnant.

Voilà qui traduit une force très importante du récit : l’originalité du tueur qui va jusqu’à donner des indices aux policiers pour les narguer, des indices qui sont en lien avec des films célèbres. Ça explique le titre et ça en dit très long sur la psychologie du tueur qui nous est dévoilée très graduellement par l’auteur :

*Du fard de couleur bleue. Histoire de donner au cadavre l’apparence d’un mort de froid…telle que la croyance populaire se l’imagine. Cela dénote d’une réflexion, d’un crime qui va au-delà de la simple pulsion .* (Extrait) .

L’intrigue elle, est assez bien menée mais elle accuse des faiblesses, un certain piétinement dans le fil conducteur de l’histoire et, au départ, un prologue très étrange, écrit au temps présent et qui représente à peu près l’idée que je me fais d’un faux départ. Il m’a donc fallu un certain temps pour être entraîné dans l’histoire mais ma patience a été récompensée comme ça se produit souvent en lecture.

C’est la crédibilité et la psychologie des personnages qui m’ont remis sur les rails. Une petite exception toutefois : Sherwood, le flic désabusé venu s’installer au milieu de nulle part pour enterrer un passé douloureux et qui se retrouve sur la piste d’un tueur en série. Cet aspect du flic instable dans une enquête est plus que réchauffé…il est brûlé.

Cette faiblesse s’endure à mon avis car si vous persévérez dans votre lecture, dites-vous que vous vous dirigez vers une finale impensable, un dénouement tout à fait imprévisible qui vous donne l’impression d’avoir été mené en bateau par un auteur habile et dont vous avez été incapable de percer le secret.

Alors il ne vous reste qu’à dire à l’auteur : Mission accomplie, et vous voilà sur la liste des lecteurs ou lectrices satisfaits… Enfin, notons des chapitres relativement courts et une plume fluide. 35 mm est un thriller original qui est allé au-delà de mes attentes. Les références cinématographiques sont particulièrement intrigantes. Bref, j’ai passé un très bon moment de lecture et je n’hésite pas à recommander ce thriller de Christophe Collins.

Suggestion de lecture : APOCALYPSE SUR COMMANDE, de Ken Follett

Né en 1970, Christophe Collins a publié plusieurs romans fantastiques, d’aventures et d’action à la fin des années 90. Il a également touché au théâtre, au seul-en-scène, à la radio, à la télévision, à la critique littéraire et à la poésie.

Sous le nom de Christophe Corthouts, il a travaillé pendant plus dix ans avec Henri Vernes sur les aventures de Bob Morane. En 2011, il publie L’ÉTOILE DE L’EST, la première enquête du commissaire Sam Chappelle de la police de Liège. En 2012, L’ÉQUERRE ET LA CROIX, la seconde enquête de Chappelle est dans les librairies. Avec 35 MM, il publie son premier thriller.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 9 juin 2019

TARZAN SEIGNEUR DE LA JUNGLE, EDGAR RICE BURROUGHS

LES CLASSIQUES DE JAILU

 *Haut dans les branches d’un arbre majestueux,
elle serrait contre elle le bébé hurlant,
et bientôt, l’instinct qui dominait cette femelle sauvage
comme il avait dominé le cœur de sa tendre et
gracieuse mère -l’instinct de l’amour maternel-
toucha l’entendement à peine formé du

petit enfant homme, qui se calma aussitôt.

Puis la faim combla le fossé entre eux,
et le fils d’un lord anglais et d’une lady anglaise
téta le sein de Kala, la guenon anthropoïde.
(Extrait : TARZAN SEIGNEUR DE LA JUNGLE,
Edgar Rice Burroughs, édition d’origine, E.R.B. 1912
réédition 2016 : Éditions Archipoche, édition de papier,
330 pages)

JUIN 1888 : Lord John et lady Alice voguent à bord d’une goélette au large de l’Afrique. À la suite d’une mutinerie, ils sont débarqués sur la côte. Dans une cabane, Alice met au monde leur fils John Clayton III, comte de Greystoke. Un an plus tard, les parents meurent. Kala, une jeune femelle, guenon anthropoïde s’empare alors du bébé humain et s’en occupe comme s’il était le sien. Elle lui donne le nom de Tarzan, ce qui signifie *peau blanche*. À 20 ans, Tarzan rencontre une équipe d’explorateurs anglais conduite par le professeur Porter et sa fille Jane. Il y a comme une chimie dans l’air.

LE SEIGNEUR DES CLASSIQUES
*Les français y découvrirent un spectacle
indescriptible. Une douzaine de morts et
de mourants roulaient de bord à bord,
les vivants mélangés aux cadavres. Deux
de ceux-ci avaient été partiellement
dévorés, comme par des loups.*
(Extrait : TARZAN SEIGNEUR DE LA JUNGLE)

Encore une fois j’avais envie d’un classique et je me suis tourné cette fois vers un personnage de légende créé par Edgar Rice Burroughs que j’ai suivi pendant mon adolescence par le biais de la bande dessinée, de la télésérie et du cinéma.

Étant un peu moins connu dans l’univers du roman, je me suis intéressé à la toute dernière édition de TARZAN, SEIGNEUR DE LA JUNGLE, un condensé de l’édition originale réalisé par Archipoche. Je voulais en particulier ce que la BD et la télévision ne pouvait m’offrir, soit l’histoire de Tarzan. En fait je voulais tout savoir.

Le fait est que Lord John et Lady Alice Greystoke se sont échoués sur une île. Alice a donné naissance à un enfant et est morte. Puis John est mort. Le petit a été adopté par une guenon du nom de Kala qui avait déjà un petit, mort dans la cabane qu’habitaient Alice et John. Kala a nommé le bébé Tarzan qui est devenu son enfant par substitution.

Tarzan a grandi et a retrouvé la cabane beaucoup plus tard. Il y avait trois squelettes : deux adultes et un enfant. Tarzan est à la recherche de son identité et découvre différents indices. Une confusion nait dans son esprit. Tout porte à croire que c’est un Greystoke mais le squelette de l’enfant complique beaucoup ses recherches. De qui est le squelette? Entre temps, la belle Jane débarque sur l’île…

Ce roman est toujours demeuré une œuvre culte, malheureusement occultée par le septième art, en particulier par Walt Disney qui a charmé littéralement les babyboomers mais en déformant sensiblement l’oeuvre originale. J’ai beaucoup aimé ma lecture malgré certains irritants.

Mais je veux d’abord signaler la beauté de l’écriture qui décrit remarquablement la splendeur de la jungle africaine ainsi que ses pièges, ses dangers et les tribus qui l’habitent. Les talents descriptifs d’Edgar Rice Burroughs me rappellent un peu Fenimore Cooper qui décrit presqu’avec poésie son Amérique, celle d’œil-de-Faucon.

Ce raffinement verbal dans la redécouverte d’un de mes héros d’enfance m’a beaucoup plu et j’ai pu enfin avoir le fin mot du rôle joué par Jane Porter dans la vie de Tarzan. Il y a des passages très touchants dans ce roman mais toujours avec cette légèreté, cette délicatesse, cette sobriété qui caractérise Rice Burroughs. J’ai aussi trouvé l’évolution de Tarzan moins ampoulée dans le roman, plus authentique que dans les films que j’ai vus.

Pour moi, le principal irritant de cette histoire tient dans le fait que tout est grossi à outrance quant à la personnalité de Tarzan : sa force, sa puissance, sa beauté, son intelligence, je pense entre autres à la vitesse à laquelle il apprend à lire et à écrire…seul…sans aide, sans oublier sa vitesse et sa facilité d’adaptation à la civilisation moderne.

De plus, il est à peine sujet à l’erreur…*Tarzan, seigneur des singes, était la personnification même de l’homme primitif, du chasseur, du guerrier. Le port altier de sa belle tête sur ses larges épaules, l’éclair de vie et d’intelligence qui animait ses yeux clairs le faisaient ressembler à un demi-dieu venu d’un ancien peuple guerrier de cette forêt.* (Extrait) C’est trop parfait, c’est trop beau pour être vrai. C’est surfait, surréaliste.

Personnellement je n’ai jamais lu un livre que j’ai jugé parfait. Toutefois, dans mon rapport de forces et de faiblesses, le livre sort gagnant. Il m’a rappelé de beaux souvenirs d’enfance et j’observe que le roman ne vieillit pas.

Edgar Rice Burroughs vient ainsi rejoindre dans mes favoris entre autres, Robert Louis Stevenson avec son ÎLE AU TRÉSOR, Fenimore Cooper avec LONGUE CARABINE et Rudyard Kipling avec son magnifique livre de la jungle. Pour les enfants que nous étions et les adultes que nous sommes devenus, Tarzan a toujours sa place dans nos rêves et dans notre bibliothèque…

Suggestion de lecture : LES AVENTURES DE TOM SAWYER, de Mark Twain

Edgar Rice Burroughs (1875-1950) est un romancier américain né à Chicago le premier septembre 1875. Il est l’auteur de plusieurs séries de science-fiction, de romans policiers. Par exemple, il a créé en 1912 un personnage qui sera en fait le premier héros de science-fiction : John Carter. La même année Edgar Rice Burroughs créait un des personnages devenus parmi les plus célèbres de la littérature et du cinéma : TARZAN L’HOMME SINGE publié officiellement pour la première fois en France en 1926. Tarzan a eu un énorme impact dès sa sortie et aura marqué l’enfance et l’adolescence des baby-boomers. 

Pour en savoir plus, je vous invite à visiter la tribune des amis d’Edgar Rice Burroughs.

TARZAN AU CINÉMA

Il serait trop long de développer ici l’évolution de Tarzan au cinéma. Je laisse cela aux sites spécialisés. Toutefois, je dirai que l’acteur le plus populaire ayant incarné Tarzan fut sans aucun doute Johnny Wessmuller (1904-1984) d’origine austro-hongroise. C’était le premier Tarzan du cinéma parlant en 1930. 

Après avoir grandi dans la jungle africaine, Tarzan a renoué avec ses origines aristocratiques, répondant désormais au nom de John Clayton, Lord Greystoke. Il mène une vie paisible auprès de son épouse Jane jusqu’au jour où il est convié au Congo en tant qu’émissaire du Commerce. Mais il est loin de se douter du piège qui l’attend. Car le redoutable belge Leon Rom est bien décidé à l’utiliser pour assouvir sa soif de vengeance et sa cupidité… Réalisation David Yates (2016) avec Alexander Skarsgârd dans le rôle de Tarzan.

Pour ceux que ça intéresse, cineserie.com dresse un portrait très intéressant des principaux acteurs ayant incarné Tarzan dans l’histoire du cinéma. Cliquez ici.

BONNE LECTURE
CLAUDE LAMBERT
Le samedi 8 juin 2019

PANDEMIA, le livre de FRANK THILLIEZ

*Quand l’homme en noir mettra le Grand Projet en route, vous n’aurez aucune chance. Cette histoire n’est pas terminée et vous n’auriez jamais dû mettre les pieds
dedans.*
(Extrait : PANDEMIA, Frank Thilliez, Fleuve édition, 2015, édition de papier, 650 pages)

Deux scientifiques sont appelés à faire des prélèvements sur des cadavres de cygnes découverts à la réserve ornithologique de Marquenterre. Un sac avec des ossements est trouvé à proximité dans un étang. Quelque chose pousse les scientifiques à prendre cette découverte très au sérieux car elle pourrait bien hypothéquer l’avenir de la planète. C’est une enquête ardue pour Franck Sharko et Lucie Hennebelle ainsi que Camille, jeune et courageuse, elle aura un rôle capitale à jouer dans la préservation de l’espèce humaine car c’est bien de ça qu’il s’agit. Ils apprendront que l’homme, tel que nous le connaissons est en fait le pire virus de la Terre.


*L’un des cavaliers, le vert, était un squelette enroulé
dans un long drap et armé d’une lance. La Mort. J’ai
dû voir ce genre de tableau dans un musée. Nicolas
s’approcha, interloqué. «Ce sont…«…les quatre
cavaliers de l’apocalypse. Les annonciateurs de la
fin du monde. *
(Extrait : PANDEMIA)

C’est un thriller assez bien construit avec les héros récurrents de Thilliez : Sharko et Hennebelle. Je n’ai pas choisi ce livre pour son côté thriller biologique même s’il est bon de se faire rappeler des fois que l’être humain est extrêmement vulnérable. Mais j’ai lu beaucoup de romans sur les virus, les bactéries, les épidémies et les pandémies.

Pour moi, le sujet est usé à la corde. Bien sûr on en apprend beaucoup sur les plus petits êtres de la nature, la façon foudroyante avec laquelle une simple grippe peut se répandre. C’est effrayant, et qu’est-ce qui peut se passer quand un criminel met la main sur une culture virale ou bactériologique. J’ai choisi PANDÉMIA pour son côté policier.

Sharko et Lucie sont sur une enquête poussée, complexe et dangereuse, Une affaire de meurtres sordides commis selon un rituel qui évoque les quatre cavaliers de l’Apocalypse. Dans  ce rituel, il  y a trois cercles concentriques représentant les paliers de l’enfer, le cercle du centre étant représenté par le grand patron du mal : Satan, incarné aux fins de l’enquête par l’homme noir.

Cet icone du mal est un être froid, dépourvu de toute compassion, pas d’empathie, pas de regrets et par-dessus tout, un être qui, comme Hitler, avait dans l’idée de purifier l’humanité en conservant les meilleurs, les plus forts. C’est un des côtés originaux du roman de Thilliez, suivre un meurtrier de masse dans sa folie Eugénique.

J’ai appris beaucoup de choses avec PANDEMIA. En effet, les bassesses innommables de l’homme en noir m’ont poussé à faire une recherche sur l’eugénisme. J’ai compris entre autres que l’eugénisme fait abstraction de toute sympathie, pitié, compassion ou empathie.

Même si les progrès de la génétique viennent relativiser l’eugénisme, je considère toujours que cette philosophie n’a fait qu’ensanglanter l’histoire. Il sera intéressant de voir ce que l’eugénisme moderne donnera. Sur son site internet encyclopédique, agora nous résume sa définition de l’eugénisme. Allez voir pour vous faire une opinion…

Autre fait extrêmement intéressant qui ajoute à l’originalité de l’histoire : l’auteur fait plonger le lecteur au cœur des basses fosses d’internet : le Darknet : *Le Web profond, c’est la pire des déviances humaines, c’est la poubelle de l’humanité, un gros cyber-réservoir à déchéance. Nous on essaie de surveiller ce territoire de près dans nos services mais c’est très compliqué, vous allez voir* (extrait)

Vu l’anonymat total qui entoure les méandres du Darknet, il est impossible de remonter aux sources, ce qui laisse quartier libre à l’homme en noir pour l’utiliser comme trait d’union entre lui et ses sbires. Malheureusement le darknet est une réalité. Cliquez ici pour en savoir plus.

Par l’intermédiaire de Sharko, l’auteur vous donne une petite idée des horreurs qu’on peut trouver dans les bas-fonds de la toile. C’est la première fois que je lisais un roman faisant référence au darknet. Je pêche peut-être par naïveté, mais j’ai été impressionné par l’effet que ça a donné au développement du récit, un effet addictif.

Donc, si je ne tiens pas compte des nombreuses références à des enquêtes antécédentes ou des titres antécédents qui devenait singulièrement irritants, je dirai que PANDEMIA est un très bon roman : très ajusté à notre temps, donc très actuel, j’ai l’impression que Thilliez était très bien documenté.

Chapitres courts, rythme élevé, fil conducteur solide, écriture nerveuse, plusieurs moments de forte tension. C’est quand même une brique de 650 pages (édition de papier, Fleuve noir) mais ça se lit bien quoique ce n’est pas un roman idéal pour les cœurs sensibles à cause de l’inclusion du darknet dans le récit.

*Un roman peut-être bien plus efficace qu’une campagne de sensibilisation.* (LE FIGARO, édition du 15 juin 2015)

Suggestion de lecture : GENESIS, de John Case

Franck Thilliez est l’auteur de plus d’une dizaine de romans, parmi lesquels PANDEMIA bien sûr et Le SYNDROME E dont j’ai déjà parlé sur ce site. Lauréat du prix Étoiles du Parisien-Aujourd’hui en France pour le meilleur polar 2014 avec ANGOR, Franck Thilliez confirme sa place de pilier du thriller français et continue d’alterner *one-shots* et enquêtes menées par ses personnages phares Lucie Henebelle/Franck Sharko. Ses livres sont traduits dans le monde entier.

BONNE LECTURE
CLAUDE LAMBERT
Le dimanche 2 juin 2019

TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, le classique de VOLTAIRE

*Le mensonge en a trop longtemps imposé aux
hommes. Il est temps qu’on connaisse le peu
de vérités qu’on peut démêler à travers ces
nuages de fables qui couvrent l’histoire romaine,
depuis Tacite et Suétone et qui ont presque
toujours enveloppé les Annales des autres nations
anciennes.*

(Extrait : TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, Voltaire. Publication
originale : 1763. Pour la présente édition : Les Éditions du 38,
réédition en mode numérique, 2015)

LE TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE est une œuvre publiée en 1763, qui vise la réhabilitation de Jean Callas, protestant faussement accusé et exécuté pour avoir assassiné son frère afin d’éviter que ce dernier ne se convertisse au catholicisme. Dans ce texte, Voltaire invite à la tolérance entre les religions et prend pour cible le fanatisme religieux et présente un réquisitoire contre les superstitions véhiculées par les religions.

À la suite de l’exécution de Jean Calas, qui plaide son innocence jusqu’à sa mort, le procès est rejugé à Paris et, le 9 mars 1765, la famille Calas est réhabilitée. Il faut dire que la famille protestante avait été mise aux fers et le père avait été condamné à mort malgré l’absence de preuves. Le contexte historique est encore une fois fortement marqué par les guerres de religions des siècles précédents.

BRÛLANT D’ACTUALITÉ
MÊME APRÈS 250 ANS
*La querelle s’échauffa ; le jacobin et le jésuite se prirent aux
cheveux. Le mandarin, informé du scandale, les envoya tous
deux en prison. Un sous-mandarin dit au juge : «Combien de
temps Votre Excellence veut-elle qu’ils soient aux arrêts?»
«Jusqu’à ce qu’ils soient d’accord.» «Ah!…ils seront donc en
prison toute leur vie.» «Hé bien! Dit le juge, jusqu’à ce qu’ils
se pardonnent.» «Ils ne se pardonneront jamais…je les connais.»
«Hé bien donc! Dit le mandarin, jusqu’à ce qu’ils fassent
semblant de se pardonner.»
(extrait)

Vous savez que je n’échappe pas à un appétit occasionnel pour les classiques. Cette fois, j’avais envie de plonger dans un livre du grand Voltaire. En consultant son extraordinaire bibliographie, j’ai été tenté d’abord par CANDIDE, sa meilleure œuvre romanesque, publiée en 1759 mais finalement j’ai opté pour TRAITÉ SUR L’INTOLÉRANCE parce que le livre développe un thème qui m’est cher même si son appel du cœur condamnant l’intolérance se fait sentir dans l’ensemble de son œuvre.

Première observation, Voltaire a toujours été un infatigable défenseur de la tolérance et de la liberté individuelle. Deux vertus pas très compatibles avec son époque. Il écrivait fort…il parlait fort…peut-être trop au goût de ses contemporains.

Frappé par la censure, Voltaire continuait son combat mais ses écrits devinrent clandestins. Il n’est donc pas étonnant que j’aie senti une certaine retenue dans son TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE. J’ai trouvé ça un peu désolant eu égard à sa rectitude d’esprit et à son insatiable soif d’équité, de justice, de raison et de liberté. Toutefois, je peux comprendre cette retenue. Voyons le contexte.

Le fils de Jean Callas est retrouvé mort, supposément par suicide. Le peuple ne voit pas cette mort du même œil. Il se trouve que le fils Callas s’était converti au catholicisme. Son père étant Huguenot, donc protestant.

Vous devinez sans doute que Jean Callas ferait une belle proie pour une justice douteuse et expédiée par 13 juges question de calmer un peu le peuple qui évoque, pour moi en tout cas, un cheptel de moutons. Effectivement, le 10 mars 1762, Jean Callas est arrêté et condamné à mort à l’issu d’un procès qui ne tenait compte finalement que de la direction du vent.

Et la demande populaire (le vent) n’étant pas favorable à la famille, celle-ci fut mise aux fers. Aucune preuve sérieuse n’est apportée. Encore une fois la justice a été ballotée par l’histoire qui est comme on le sait riche en guerres de religions

*Il est donc dans l’intérêt du genre humain d’examiner si la religion doit être charitable ou barbare* (Extrait) Il faudra attendre jusqu’en 1765 avant que l’appel soit accepté et que la famille soit réhabilitée…un peu tard. Et ça n’a pas ressuscité Jean.

Vous voyez où je veux en venir. Voltaire marchait sur des œufs. Son traité sur la tolérance visait avant tout le renversement du jugement et la réhabilitation de la famille Callas. Il devait éviter tout emportement et rester à l’intérieur des limites de la diplomatie face à la royauté et à l’Église Catholique. Il a dû souffrir le pauvre. Je ressens sa frustration à travers sa plume : *On dirait qu’on a fait vœu de haïr ses frères; car nous avons assez de religion pour haïr et persécuter, nous n’en avons pas assez pour aimer et secourir*. (Extrait)

Le TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE est un long appel de Voltaire à la raison. Son argumentaire est sérieux et très éclairant à mon avis. Peut-être cet appel a-t-il été entendu au fil des ans, mais aujourd’hui, 257 ans après la publication du TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, j’observe que les choses n’ont pas changé. Je pense aux dirigeants qui posent des actes qu’ils ne tolèrent pas eux-mêmes en vertu de la loi, sans parler de l’antisémitisme, du racisme, du Djihad, de l’inquisition et j’en passe.

Est-ce que l’intolérance serait atavique ? Génétique ? Jamais un livre n’aura gardé autant son actualité au fil des siècles. Il aurait pu être publié cette semaine, Voltaire n’aurait probablement pas changé un mot. Car il était et il est toujours impensable que les croyances excusent la folie, que la Foi justifie la violence, la haine et les guerres soi-disant saintes.

Beaucoup de chose m’ont plu dans le TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE. J’ai déjà parlé de l’argumentaire, j’ajouterai la force de sa conviction menant à une dénonciation de la bêtise humaine, corollaire de l’intolérance, son côté mordant et parfois cynique, Voltaire aime grafigner. Je suis aussi émerveillé par l’érudition de Voltaire et l’audace avec laquelle il brasse la Chrétienté et l’Église catholique entre autre, cette dernière parvenant difficilement à évoluer.

Malgré toute la philosophie et le*bon pain* qui se dégage de ce texte, j’observe que Voltaire est un combattant engagé. Il dénonce l’intolérance mais oublie souvent de prôner la tolérance. Il dénonce, mais sans guider son lectorat vers de meilleures dispositions. C’est la principale faiblesse de son traité, si je fais abstraction de ses phrases très longues et cassantes et d’une grammaire compliquée.

Une chose est sûre, l’intolérance mène à la tyrannie. Ce n’est pas un droit, c’est une plaie purulente qui entache l’histoire de l’humanité. Le point de vue de Voltaire mérite d’être exploré. LE TRAITÉ SUR L’INTOLÉRANCE est une belle œuvre. Tout le monde devrait lire ce livre au moins une fois.

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Suggestion de lecture : LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY, d’Oscar Wilde

François-Marie Arouet, dit Voltaire, né le 21 novembre 1694 à Paris est un écrivain et philosophe français qui a marqué le XVIIIe siècle et qui occupe une place particulière dans la mémoire collective française et internationale. Figure emblématique de la philosophie des lumières, son nom reste attaché à un combat farouche contre le fanatisme religieux et pour la tolérance et la liberté de pensée. Intellectuel engagé au service de la vérité et de la justice, il prend, seul et en se servant de son immense notoriété, la défense des victimes de l’intolérance religieuse et de l’arbitraire dans des affaires qui l’ont rendu célèbre comme l’affaire Jean Callas.

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Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 26 mai 2019