Le jour où les lions mangeront de la salade verte

Commentaire sur le livre audio de
RAPHAËLLE GIORDANO

Lu par Léovanie Raud

*…Au  milieu de ce tableau vivant, un taureau,
écrasante masse noire opaque, se détache
impitoyablement sur le sable. La tauromachie
élève sa discipline au rang d’art et la foule
agglutinée, le regard avide boit jusqu’à la lie
la coupe de sa fascination morbide.*
(Extrait : LE JOUR OÙ LES LIONS MANGERONT
DE LA SALADE VERTE, Raphaëlle Giordano,
narration : Léovanie Raud, Audiolib éditeur, 2017,
édition de papier aussi disponible, Eyrolles éditeur,
2017)

Selon l’héroïne de Giordano, la burnerie pourrait se définir comme un trouble comportemental qui se caractérise par un égo démesuré, de la mauvaise foi, un sentiment de domination plus ou moins exacerbé et une promptitude à juger.

L’homme est un lion pour l’homme. Et les lions ne s’embarrassent pas de délicatesse. Sûrs de leur bon droit, ils imposent leur vue sans conscience de leur égocentrisme et de leur appétit excessif pour les rapports de force. Ces lions, nous les croisons tous les jours : automobilistes enragés, conjoints gentiment dénigrants, chefs imbus de pouvoir, mère intransigeante qui sait mieux que nous ce qui est bon pour nous…c’est ce que Romane appelle la burnerie. 

LA ROUILLE DU MOI
*Ils jurent agir dans votre intérêt, persuadés
d’être dans le vrai, et font alors tout pour que
vous vous conformiez à leurs attentes. Quitte
à faire rentrer des carrés dans des ronds sans
se rendre compte que finalement, vouloir à tout
prix le bien de quelqu’un finit par faire plus de
mal.
(Extrait)
Le terme *burnerie* est, je dirais, un néologisme générique qui réunit toutes les mauvaises habitudes, manies, tics, tendances machistes, automatismes routiniers et autres débordements qui nuisent à nos relations avec autrui.

C’est le prétexte du livre de Giordano, le fil conducteur. Constatant que la burnerie est passée au rayon de l’art, Romane Gardner a créé, avec son père, une entreprise appelée *supdeburne*. La jeune femme crée, monte et anime des ateliers *anti-burnerie*.

L’histoire est centrée sur un groupe bien précis dans lequel se trouve, évidemment, un personnage hors-norme, ce que je pourrais appeler un récalcitrant, un rebelle, un *burné* encrassé solide qui donne de la misère à la belle Romane. Il s’agit de Maximilien Vogue, riche et prospère homme d’affaires qui compte essentiellement sur sa secrétaire pour faire du café, une *burnerie* parmi tant d’autres chez ce monsieur au caractère bétonné.

Romane décide de s’attaquer à ce problème particulier. Ça débouche sur une relation particulière qui va ébranler à la fois Romane et Maximilien.

Ma perception de ce roman se limite à un cours de développement de la personnalité. Je n’ai jamais tellement adhéré à ce principe de partage de techniques d’amélioration du comportement envers autrui. Je trouve ça typé, moralisateur et cousu de fil blanc. En lecture, je crois que j’aurais trouvé le temps long.

Bien qu’empreinte de sagesse et d’humour, l’histoire est prévisible. Il y a des redondances, des longueurs et c’est sans compter les techniques de coaching développées dans ce livre qui sont à mon avis surréalistes et un peu insipides, comme le terme *burnerie* et autres termes dérivés comme *burnés* sans étymologie et utilisé sans explication quant au choix. J’aurais apprécié une mise en contexte sur le choix du mot.

Quant à l’histoire comme telle, elle est prévisible et très axée sur une conviction personnelle de l’auteure. J’ai senti de l’insistance. Il ne faut donc pas s’étonner de trouver, à la fin du livre, une annexe qui n’est rien d’autre que le manuel anti-burnerie qui me rappelle un peu un résumé de cours.

Beaucoup de lecteurs trouveront des forces dans ce livre en partant du principe que, remettre en question nos comportements et attitudes dans nos relations avec les autres est loin d’être mauvais, bien au contraire. On sent la conviction dans le livre et la sincérité.

Moi je ne me suis pas ennuyé parce que j’ai écouté la version audio du livre et j’ai pu constater et apprécié l’extraordinaire talent de narratrice de Léovanie Raud qui a su ajuster sa voix au profil de chaque personnage, les rendant ainsi attachants, sympathiques et profondément humains. Elle m’a fait rire plus d’une fois. Quant à moi, pour la présentation, c’est une note parfaite.

Pour ce qui est du livre, il se lit vite. Le sujet est élimé mais les personnages ont été particulièrement bien travaillés, mieux que l’histoire comme telle. La version audio, dynamique et entraînante, rend le tout beaucoup plus vivant. Il est aussi très possible que le lecteur et la lectrice trouvent des idées intéressantes applicables à leur propre personnalité. La version audio a su mettre l’histoire en valeur et m’a fait passer un bon moment d’écoute.

Suggestion de lecture : LE JOUR OÙ MAMAN M’A PRÉSENTÉ SHAKESPEARE de Julien Aranda

Raphaëlle Giordano est une écrivaine française née en 1979. Elle est aussi spécialiste en créativité et développement personnel, artiste peintre…. Diplômée de l’École supérieure Estienne en Arts appliqués, elle cultive sa passion des mots et des concepts en agences de communication à Paris, avant de créer sa propre structure dans l’événementiel artistique.

Quant à la psychologie, tombée dedans quand elle était petite, formée et certifiée à de nombreux outils, elle en a fait son autre grande spécialité. Avec son premier roman, Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une, (qui a dépassé le million d’exemplaires vendus) elle s’est consacrée à un thème qui lui est cher : l’art de transformer sa vie pour trouver le chemin du bien-être et du bonheur.

Léovanie Raud est la narratrice. Originaire de Charente-Maritime, véritable femme orchestre, comédienne, chanteuse, danseuse, elle s’est vue offrir de nombreux rôles dans les opérettes, au théâtre. Elle a tourné dans plusieurs courts-métrages. Elle a également évolué dans le doublage de films, séries et dessins animés. Elle a prêté sa voix à Ariel, Maléfique, Javotte, Mama Odie pour les shows DISNEY ON ICE et DISNEY LIVE au Grand Rex. Léovanie Raud avait déjà une voxographie impressionnante quand elle a prêté sa voix au best-seller de Raphaëlle Giordano.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 3 novembre 2019

 

DEUX NUANCES DE BROCOLI, de Marie Laurent

*Oui, que peut-il me trouver, cet homme riche, jeune
et beau comme un acteur de séries pour ados ? Un
coup d’œil à la glace au-dessus du buffet me renvoie
à mon insignifiance : front, yeux, nez et bouche
moyens, cheveux réfractaires au brushing; voilà pour
le haut. Le bas n’est pas plus inspirant : des seins
banalement en pore, une taille grassouillette et un
derrière qui a une fâcheuse tendance à frôler le
gazon.*

(Extrait : DEUX NUANCES DE BROCOLI, Marie Laurent,
éditions NL, 2017, édition numériques,  140 pages num.)

Amalia Faust, brave fille complexée et un peu nunuche, caissière chez Brico, croise par hasard  Edouard Green, le séduisant patron d’une boîte de sex toys. Green propose bientôt à Amalia un étrange pacte. Elle découvre un univers insoupçonné où sexe, légumes et soumission sont étroitement associés. Mais à la longue, les positions inconciliables des deux héros risquent de rendre leur relation difficile. Il s’agit d’une parodie légumineuse de 50 NUANCES DE GREY. En plus d’être dominée par la couleur verte, la relation entre les deux protagonistes deviendra très singulière.

DEUX NUANCES DE BROCOLI est une parodie de CINQUANTE NUANCES DE GREY qui  est une romance érotique. L’histoire d’Anastasia Steel, étudiante en littérature qui accepte d’interviewer Christian Grey, un homme d’affaires de Seattle. Dès le premier regard, Anastasia est à la fois séduite et intimidée. Jugeant cette rencontre désastreuse, elle tente de l’oublier jusqu’à ce qu’il débarque dans le magasin où elle travaille pour lui proposer un rendez-vous. Lorsqu’ils entament une liaison passionnée, elle découvre son pouvoir érotique ainsi que le côté obscur qu’il tient à dissimuler.

Nouvelle tendance en littérature
LE SEXE LÉGUMIER
*Le cuni nature, je connaissais pour l’avoir expérimenté
une fois avec Gérard…le cuni avec Nutella, confiture
ou miel, je connaissais aussi, par ouïe dire. Par contre
je ne soupçonnais pas l’existence d’un cuni bio jusqu’à
ce moment.*
(Extrait : DEUX NUANCES DE BROCOLI)

Le seul intérêt de ce livre est qu’il est magnifiquement ajusté avec CINQUANTE NUANCES DE GREY qui est probablement le livre le plus insipide que j’ai lu…près de 550 pages de platitudes. Le livre n’a pour moi à peu près aucune valeur littéraire. Je suis très étonné que la trilogie se soit vendu à 125 millions d’exemplaire dans le monde.

Comme dans CINQUANTE NUANCES DE GREY, DEUX NUANCES DE BROCOLI raconte la petite aventure de deux personnages caricaturés : d’une part, un cruchon sexuellement tordu et végétarien jusque dans la couchette : Édouard Green, un nom très recherché puisque tout est vert dans sa vie d’autant qu’il a un faible pour…le brocoli.

D’autre part, une nounoune de première classe : *Le chemin d’Amalia Faust, brave fille complexée et un peu nunuche, caissière chez Brico, croise par hasard celui d’Edouard Green, le séduisant patron d’une boîte de sex toys. Green propose bientôt à Amélia un étrange pacte. Elle découvre un univers insoupçonné où sexe, légumes et soumission sont étroitement associés .* (Extrait)

Et voilà, nous assistons à l’entrée triomphale du sexe brocolien en littérature. Le poireau a même été invité…ça doit être la deuxième nuance : *Je crains que vous n’ayez pas très bien compris, Amalia. Pour moi, le sexe est inséparable des légumes. Sans leur intervention, je le trouve d’un ennui mortel .* (Extrait)

 Évidemment, vous vous doutez sans doute qu’Amalia finit par déchanter : *Pointilleux me paraît faible pour qualifier Green. Tyrannique serait plus adapté, ou chiant, pour un vocabulaire moins soutenu .* (Extrait)

Et bien sûr, l’humour s’en mêle…*Je jette un regard de biais à son zizi, si impérial tout à l’heure et à présent, réduit à un macaroni Barilla…À défaut de faire l’amour, Green fait la moue, tel un enfant boudeur. Il est irrésistible ainsi : tout nu avec son brocoli dans la main et sa zigounette taille XXS.* (Extrait)

En entreprenant la lecture de ce livre, j’ai pris un risque craignant de tomber sur un désastre comme CINQUANTE NUANCES DE GREY. Mais non, DEUX NUANCES DE BROCOLI m’a fait rire, comblant d’une certaine façon le vide qui caractérise (selon moi) le livre de EL James.

Les ressemblances avec l’œuvre parodiée sont poussées à la limite de la caricature. J’ai trouvé les scènes sexuelles très drôles d’autant qu’elles sont commentées d’une façon légèrement vitrioliques par Amalia qui tient le rôle de narratrice.

Côté faiblesse, le live accuse des rebondissements sous-exploités et une finale expédiée. Dans le dernier quart du livre, subitement, je me retrouve avec un récit d’Amélia qui vient de laisser *Brocoli man* sans avertissement. C’est l’histoire du cheveu dans la soupe qui laisse à penser que l’auteure commençait à manquer d’inspiration ou en avait marre.

Quant à la finale, comme ça se produit souvent dans les parodies, elle est rapide, sous forme de lettres ou de réflexion écrite et se termine par une narration. Cette façon de faire contraste avec la trame de l’histoire et surtout les répliques parfois hilarantes d’Amalia. Malgré tout, ce livre m’a déridé. Il m’a fait rire et j’ai apprécié sa fraîcheur et sa spontanéité. J’ai aussi trouvé Amalia particulièrement attachante et drôle avec ses remarques et ses observations vigoureuses et truculentes.

Ce livre n’aura peut-être pas 125 millions de lecteur, mais je lui en souhaite un maximum. Ce n’est pas l’idée du siècle mais elle est originale, son développement est sarcastique. Il a des petits côtés coquins mais pas à outrance. L’histoire a le mérite d’être moins ridicule que CINQUANTE NUANCES DE GREY. Et surtout, le livre est drôle. À essayer avec ou sans légumes.

Suggestion de lecture : LES PETITES CULOTTES de Géraldine Collet

Marie Laurent est une auteure française qui se spécialise dans les romans historiques comme L’AVENTURIÈRE EN DENTELLES, une romance napoléonienne. Sa période préférée est le 19e siècle. Mais il lui arrive aussi d’écrire des nouvelles et des poèmes.  DEUX NUANCES DE BROCOLI ne fait pas bande à part dans l’œuvre de l’auteure. J’ai découvert que sa production est d’une très grande variété. Pour en savoir plus, l’idéal est encore de consulter sa pages FACEBOOK. Cliquez ici.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 6 octobre 21

CHASSEURS DE TÊTE, de MICHEL CRESPY

*Ça doit être effrayant le barrage qu’il s’est
construit pour tout refouler. Et ce qui fermente
derrière. Non, ce qui me fait peur, c’est qu’il
n’a pas de limites. Il est tellement sûr de lui…
Les autres n’existent pas, ce ne sont que des
reflets de son égo.*
(Extrait : CHASSEURS DE TËTES, Michel Crespy,
Éditions DenoÏL, 2000, numérique, 200 pages)

Jérôme Carceville est recruté par  une agence ultraspécialisée qui recherche les meilleurs éléments pour des emplois de hauts niveaux dans les grandes entreprises. Carceville réussit la sélection pour participer au test final :  lui et les autres candidats retenus sont séquestrés dans un endroit secret pour des épreuves qui dureront plusieurs jours. Entrevues piégées, mises en situation, résolution d’énigmes et pour la grande finale, un jeu de rôle tout à fait imprévu : la simulation d’une guerre économique … les candidats sont piégés dans une machine infernale. La chasse aux talents devient une chasse à l’homme.

LES LIMITES DE L’AMBITION
*Attends, tu vas pas me tirer dessus…tu es
complètement fou ! Pourquoi ferais-tu ça?
…-Par plaisir? Eh bien ça ne me déplairais
pas.*
(Extrait : CHASSEURS DE TÊTES)

Ne pas confondre avec chasseurs de primes, coupeurs de têtes ou chasseurs de scalps…blague à part, les chasseurs de tête dont il est question dans le livre de Michel Crespin sont des recruteurs ultraspécialisés qui font du head hunting, ce que l’on appelle en français de la chasse de tête. Ils existent réellement. Vous faites une petite recherche internet et vous aurez le choix…on sait que les méthodes d’approche et de sélection varient d’un chasseur à l’autre.

Ces méthodes sont en général très pointues, agressives jusqu’à un certain point et vise à recruter, pour le compte de grandes entreprises des candidats de haut-niveau, avec un profil précis : la denrée rare, le top, la crème de la crème. Dans le récit de Crespin, la firme de chasseurs de tête est fictive et a pour nom De WAVRE.

Le recruteur et examinateur s’appelle Del Rieco et le principal de sa méthode est de réunir ses seize candidats sur une île isolée mais pourvue de tout le confort, et de les lancer dans un jeu de rôle : trois équipes, trois grandes entreprises en concurrence dans un marché difficile. Le temps est limité…l’enjeu est crucial.

Del Rieco voit tout ce qui se passe mais…il voit surtout que tout ne se passe pas du tout comme prévu…la barre est très haute. Les trois entreprises vendent la même chose : des hameçons. On peut comprendre que quelqu’un va tomber. Il ne faut pas perdre de vue que les candidats sont humains et qu’il y a des têtes plus fortes que d’autres, il y a aussi des serpents, des timorés, des flagorneurs.

Ce qui est au départ une mise en situation de management concurrentiel devient un féroce combat économique, et sous l’impulsion de la tête forte : Jérôme Carceville qui ne voit dans ce jeu de rôle que de l’espionnage et du contre-espionnage, tout part à la dérive, tout bascule :

*Ils veulent voir comment ça se passe quand on est ensemble et qui survivra à la jungle effrayante des relations humaines dans un climat de compétition…mais quand on vous plonge par surprise dans un grand tonneau de fumier, les éclaboussures sont inévitables.* (extrait)

Si le lecteur peut survivre aux interminables explications techniques, économiques et boursières, des irritants qui poussent à l’ennui, il verra que l’auteur l’entraîne dans une incroyable dégradation des conditions humaines.

Plus on avance dans le récit, plus la tension est palpable. Ce qui était au départ une concurrence même féroce, devient un combat à mort. Le désir d’être le meilleur vendeur d’hameçons a poussé au carnage. Quelle limite amène les hommes à devenir des bêtes ?

*Ces hommes froids et rationnels s’étaient subitement mués en garnements de cour de récréation se battant dans la boue. En coqs armés de fusils. Moi-même, j’étais en proie aux sentiments les plus primitifs : ceux que j’avais tenu à distance ma vie durant : la peur, la haine, le désir de vengeance, l’envie de tuer…* (Extrait)

Ce livre a des forces, des qualités que j’aime à découvrir en cours de lecture. D’abord son sujet est original. Puis je me suis vite aperçu que Crespin a une très bonne connaissance de la psychologie humaine.

Ses personnages sont bien définis et travaillés. L’auteur s’est montré aussi très habile à changer une situation en poudrière. La plume est fébrile, tendue, prête à nous lancer d’un rebondissement à l’autre et une finale étonnante qui montre jusqu’à quel point l’être humain peut avoir le don du gâchis.

Côté irritant… Les longues explications techniques qui sont dans les faits plus éprouvantes qu’éclaircissantes. La finale a de quoi surprendre. Elle est malheureusement sous-exploitée. Là où le livre aurait pu devenir un petit chef d’œuvre, on s’est laissé aller à une conclusion qui, quoique intéressante, est malheureusement bâclée.

Enfin, le récit est classé littérature policière, mais il n’y a pas l’ombre d’un policier. On a fini par les rejoindre…genre avant dernière page… Le livre vaut tout de même la peine d’être lu car il nourrit une réflexion intéressante sur les côtés crasses du capitalisme et sur la complexité des relations humaines en situation de concurrence.

Quand même un bon moment de lecture

Suggestion de lecture : O.T.A.N EN EMPORTE LE VENT, de Patrick Dard

Michel Crespy est un sociologue, journaliste et romancier français né en 1946. C’est aussi un passionné de la politique. En tant qu’écrivain, il a publié quelques romans psychologiques et études de mœurs, puis en 2000, il choisit la voie du roman policier avec CHASSEURS DE TÊTES et ça lui a réussi car ce titre traduit en près d’une dizaine de langue a remporté le grand prix de la littérature policière en 2001. Le livre, publié chez Denoël a été réédité par la suite chez Gallimard. 

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 18 août 2019

HISTOIRE D’UNE MOUETTE ET DU CHAT …

qui lui apprit à voler

Commentaire sur le livre de
LUIS SEPULVEDA

*Simplement il suivait rigoureusement le code
d’honneur des chats du port. Il avait promis à
la mouette agonisante qu’il apprendrait à
voler au poussin, et il le ferait. Il ne savait pas
comment, mais il le ferait.*
(Extrait : HISTOIRE D’UNE MOUETTE ET DU CHAT
QUI LUI APPRIT À VOLER, Luis Sepulveda, Éditions
SUITES Métaillé/Seuil, 2004, numérique, 125 pages)

C’est un petit roman qui raconte l’histoire de Zorbas , un gros et grand chat noir qui a promis à la mouette qui est venue mourir sur son balcon de couver son dernier œuf, de protéger le poussin et de lui apprendre à voler. Tous les chats du port de Hambourg vont se mobiliser pour l’aider à tenir ces promesses insolites. À travers les aventures rocambolesques et drôles de Zorbas et Afortunada, on découvre la solidarité, la tendresse, la nature et la poésie. Un petit roman aux allures de conte et dans lequel les animaux sont doués de parole et d’empathie.

.

UNE MAGNIFIQUE LEÇON DE TOLÉRANCE
*Les humains sont hélas imprévisibles!
Souvent, avec les meilleures intentions
du monde, ils causent les pires malheurs…
…Sans parler du mal qu’ils font
intentionnellement.*
(Extrait : HISTOIRE D’UNE MOUETTE ET DU
CHAT QUI LUI APPRIT À VOLER)

C’est la belle histoire de Zorba, un chat de port gros et noir, libre, indépendant, ombrageux et courageux et d’une mouette dont la mère est morte après avoir été piégée dans une nappe de pétrole. Avant de mourir, elle a trouvé Zorba qui voulait l’aider. Elle avait eu le temps de pondre son œuf et a fait promettre au chat de protéger son petit et de l’aider pour apprendre à voler.

Malgré les sarcasmes et les moqueries des chats du port, Zorba est allé chercher l’aide de ses vrais amis pour remplir cette délicate mission. Ils sont même allés jusqu’à négocier une trêve avec les rats pour qu’il laisse Afortunada la petite mouette tranquille.

C’est un magnifique petit récit qui m’a ému. L’histoire est brève, mais elle est extrêmement riche de leçons et d’expériences. Les jeunes lecteurs et lectrices y découvriront l’apprentissage de la vie, la tolérance, la découverte et l’estime de soi, l’importance de prendre sa place dans la société.

En parlant de tolérance, l’acceptation des différences est plus souvent qu’autrement un problème d’adultes, ce qui me laisse supposer que cette petite histoire pourrait aisément convenir à tous les âges. Zorba, qui n’hésitait pas à recourir à la violence, va découvrir la tendresse, l’empathie, l’amour.

Ce qui est beau aussi dans ce conte, c’est que Sepulveda prête la parole à des animaux qui expriment sans animosité (et sans jeu de mot) leur vision des humains. C’est aussi un regard sur l’homme, ce pollueur invétéré.

Le fait que la mère d’Afortunada soit morte asphyxiée par le pétrole en dit long sur le regard que l’homme pose sur la nature. Heureusement la finale est positive. L’auteur veut nous faire comprendre qu’il y a de l’espoir.

Donc, HISTOIRE DE LA MOUETTE ET DU CHAT QUI LUI A APPRIT À VOLER est un conte qui, sans être moralisateur à outrance, transmet de très belles valeurs. À celles que j’ai déjà mentionnées, j’ajoute la solidarité :

*Une promesse sur l’honneur faite par un chat du port engage tous les chats du port* (Extrait) le travail d’équipe, la ténacité et davantage. Ça fait beaucoup de choses.

Ça peut paraître compliqué, mais la plume de Sepulvada, qui a dédicacé ce conte à ses propres enfants, fait passer le message tout en douceur et pourtant de façon très claire. L’ensemble est donc très accessible.

Enfin, nous avons ici un petit livre bref. L’histoire s’applique à toutes les générations, tous les âges, est intemporelle. Elle sera toujours à mon avis, indémodable, l’auteur exprimant son idée de façon allégorique comme l’a fait bien avant lui Charles Perrault et les frères GRIMM entre autres. Le texte est vivant, l’humour y a sa place et la conclusion est superbe.

On devrait rendre cette lecture obligatoire dans les classes du primaire. Ça serait loin d’être une corvée et les jeunes apprendraient beaucoup de choses. Je vous recommande sans hésiter HISTOIRE DE LA MOUETTE ET DU CHAT QUI LUI APPRIT À VOLER.

Luis Sepúlveda est né le 4 octobre 1949 à Ovalle, dans le nord du Chili. Étudiant, il est emprisonné sous le régime de Pinochet pendant deux ans et demi. Libéré puis exilé, il voyage à travers l’Amérique latine et fonde des groupes théâtraux en Équateur, au Pérou et en Colombie. 

Il a reçu le prix de poésie Gabriela Mistral en 1976, le prix Casa de las Americas en 1979, le prix international de Radio-théâtre de la Radio espagnole en 1990, le prix du court-métrage de télévision de TV Espagne en 1991.

Ses œuvres sont aujourd’hui des best-sellers mondiaux. Le Vieux qui lisait des romans d’amour, son premier roman traduit en français, a reçu le Prix France Culture du roman étranger en 1992 ainsi que le Prix Relais H du roman d’évasion et connaît un très grand succès dans le monde entier, il est traduit en 35 langues.

Luis Sepúlveda est le fondateur du Salon du Livre ibéro-américain de Gijón (Espagne) destiné à promouvoir la rencontre entre les auteurs, les éditeurs et les libraires latino-américains et leurs homologues européens.

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BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 2 mars 2019

COMME UN POISSON DANS L’ARBRE, LYNDA MULLALY HUNT

*Je comprends soudain que ce n’est pas non plus parce qu’on me colle une étiquette que je suis nécessairement ce qu’elle décrit.*
(Extrait : COMME UN POISSON DANS L’ARBRE, Lynda Mullaly Hunt, Castlemore, pour la présente traduction : Bragelonne, 2015, édition numérique, 288 pages.)

Un poisson ne sait pas grimper aux arbres, mais ça ne veut pas dire qu’il est stupide pour autant. Allie a une problématique particulièrement gênante : elle ne sait pas lire. Et elle fait des pirouettes pour que ça ne se sache pas en classe parce qu’elle a peur qu’on la prenne pour une incapable, une sans-génie. Ce camouflage gaspille l’énergie d’Allie et l’isole. C’est un coup dur pour l’estime de soi.

Mais un jour, tout change avec l’arrivée d’un nouveau professeur : monsieur Daniels. Très vite, le nouvel enseignant apprend à connaître chacun de ses élèves et cerne le problème d’Allie : elle ne sait pas lire. Elle est très intelligente, futée, volontaire…mais elle ne sait pas lire. Monsieur Daniels découvre qu’Allie est dyslexique. En appliquant les méthodes pédagogiques appropriées, monsieur Daniels réussira-t-il à faire ressortir les talents d’Allie?

AVANT-PROPOS :

La dyslexie est une difficulté d’apprentissage de l’orthographe et de la lecture. Ce trouble concerne entre 8 et 10% des enfants et en grande majorité des garçons, trois fois plus que les filles. La dyslexie n’a pas d’origine psychiatrique et n’est pas causée par une déficience intellectuelle. Source : Https://orthophonie.ooreka.fr/comprendre/dyslexie

LES EFFETS DE L’OUVERTURE D’ESPRIT
*«Et tu trouves facile d’écrire ou c’est juste que
tu n’aimes pas ça?» Je mens. « C’est facile. C’est
juste ennuyeux.»

«Eh bien nous pourrions peut-être trouver un
moyen de rendre ça plus plaisant. De te donner
envie d’écrire. C’est une idée à explorer. Sois
créative. Pose-moi des questions.»*
(Extrait : COMME UN POISSON DANS L’ARBRE)

 COMME UN POISSON DANS L’ARBRE est l’histoire d’Allie Nickserson, 12 ans. Après avoir suivi son père qui est militaire, de déménagement en déménagement, elle se retrouve en 6e année dans une nouvelle école publique. Allie a beaucoup de difficulté à trouver sa place. Elle est très intelligente, elle a beaucoup d’humour mais elle a une problématique majeure : elle ne sait pas lire… elle n’arrive pas à apprendre.

Pour elle, les lettres sont des dessins qui s’enchevêtrent. Elle inverse les lettres, elle mêle tout. Pour avancer, elle ruse, trouve des excuses crédibles, mais malgré tout ça, exception faite de ses deux meilleurs amis, Albert et Keisha, elle est la risée de la classe.

Un jour, la vie d’Allie va basculer du bon côté grâce à un changement de professeur. Il faut un certain temps à monsieur Daniels et Allie pour s’apprivoiser. La jeune fille n’ayant à peu près pas d’estime de soi, c’était difficile pour monsieur Daniels et pourtant, le professeur a vite compris la difficulté d’apprentissage d’Allie.

Allie ne sait pas lire parce qu’elle est dyslexique. Monsieur Daniels, qui étudie lui-même en éducation spécialisée à l’Université a fait alors ce qu’il fallait : il s’est outillé, il a obtenu finalement la collaboration d’Allie et s’est ajusté à ses besoins :

*« Il me fait tracer des lettres avec du sable rose ou bleu. Ou bien avec les doigts dans de la mousse à raser.»« Ah bon ? Tu arrives à lire maintenant ?» « Pas encore très bien mais je fais des progrès. Parfois, c’est aussi dur que de grimper sur un immeuble en courant et ça m’épuise. Mais j’y arrive de mieux en mieux. »* (Extrait)

Allie finira peut-être par trouver ce qu’elle cherche depuis 6 ans : sa place en société et du bonheur.

C’est un roman pour la jeunesse mais je suis content de l’avoir lu et je pense qu’il convient parfaitement aux adultes, enseignants compris car l’ouvrage traite des enfants différents, Ici il est question de dyslexie mais on pourrait parler aussi d’autisme, de trouble envahissant du développement, d’asperger, d’hyperactivité, de trouble de l’attention, dysphasie…etc…

Dans tous ces cas, les enfants sont intelligents et capables d’apprendre.

Ayant moi-même des enfants dont un en difficulté d’apprentissage, je sais par expérience que si les enfants ne rentrent pas dans le moule de l’éducation et de ses programmes dont plusieurs accusent de la lourdeur et peu de souplesse, la possibilité pour eux de réussir est compromise et la possibilité de pousser les parents à partir en guerre est très forte…

C’est un ouvrage très simple, chaleureux, bien écrit avec des personnages attachants. J’ai particulièrement apprécié l’affection et la complicité liant Allie et son frère aîné Travis qui a quelque chose de particulier qu’il ne confiera qu’à la fin de l’histoire. Une autre chose que j’ai appréciée est le fait que le livre n’est pas moralisateur.

Il raconte simplement mais de façon détaillée le quotidien d’Allie avec ses hauts et ses bas, un peu à la manière d’une chronique, et l’humour est très présent. Le livre est facile à lire : chapitres courts, écriture très fluide et la façon dont l’auteur amène Allie à prendre conscience de sa problématique est vraiment bien pensée.

J’ai trouvé saisissante la justesse du propos et les précisions dans une foule de détail comme quoi l’auteure en sait long sur la question. Lynda Mullaly Hunt nous propose un récit qui appelle à l’ouverture d’esprit et nous livre un beau plaidoyer sur la force de l’amitié.

Le livre appelle aussi à la réflexion : est-ce que les enfants doivent forcément s’ajuster au système d’éducation ou si le système d’éducation doit s’ajuster aux enfants.

Doit-on prendre les enfants pour ce qu’ils sont…des enfants ou les voir comme des problèmes sur deux jambes. Des *monsieur Daniels*, est-ce qu’il y en a beaucoup dans le système éducatif?

La seule chose que je ne comprends pas dans ce livre c’est : Comment Allie a pu se rendre en 6e année alors qu’elle ne sait pas lire. Peut-on échapper à un système aussi longtemps. Je crois que l’auteure aurait dû s’étendre un peu plus sur les antécédents d’Allie.

C’est un bon livre qui a des choses intéressantes à dire doublées d’une belle leçon de vie. Je comprends maintenant que ces enfants sont intelligents et capables d’apprentissage. Comme ce fut le cas pour Einstein, Edison et plusieurs autres, leur cerveau fonctionne différemment, le tout est de s’ajuster à cette différence :

Pour eux, «retard de lecture» résume tout. Comme si j’étais une boîte de soupe dont ils pouvaient lire les ingrédients…il y a pourtant des tonnes d’informations sur la soupe qu’on ne peut indiquer sur l’étiquette comme son odeur, son goût…Je suis forcément davantage qu’une fille qui ne sait pas lire. (Extrait)

Je vous invite à lire COMME UN POISSON DANS L’ARBRE. En lisant, vous comprendrez aisément le titre. Je mentionne enfin que l’éditeur propose une version de ce livre pour les dyslexiques qui est lisible aussi pour les non-dyslexiques. Ce serait un exercice intéressant et même enrichissant à faire.

Lynda Mullaly Hunt est une auteure, professeure et oratrice née, comme elle le dit elle-même, à la fin des années 60. Elle s’est distinguée dès le départ avec son premier roman ONE FOR THE MURPHYS qui a pris sa place pour un temps dans la liste des 20 meilleurs livres de l’année 2013.

Elle est membre de la Société des écrivains et Illustrateurs de livres pour enfants. Lynda Mullaly Hunt aime écrire en particulier pour les enfants qui vivent une problématique. Toujours à la recherche de solutions simples pour améliorer la qualité de vie des enfants en difficulté et utilise les arts et la littérature pour enrichir leur personnalité et leur vie…

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 10 février 2019

CHRONIQUE D’UN MEURTRE ANNONCÉ, de DAVID GRANN

*Un complot, a écrit Don DeLillo, est tout ce que la vie quotidienne n’est pas. C’est un jeu pour initiés auquel on joue froidement…Nous sommes des innocents, à l’intelligence défectueuse qui nous efforçons de trouver un sens approximatif au chaos quotidien.* (Extrait : CHRONIQUE D’UN MEURTRE ANNONCÉ, David Grann,
t.f. Éditions Allia, Paris, 2013, édition numérique.)

Lorsqu’en 2008, le juge Castresansa s’empare de l’affaire du meurtre de Rodrigo Rosenberg, avocat guatémaltèque estimé, il ne sait pas qu’il va ouvrir une boîte de Pandore. Dans un pays où le complot est de règle et la corruption une éthique, la suspicion règne. Car cette enquête retrace aussi l’histoire d’un pays. Par une minutieuse reconstitution des faits, Grann montre que le crime s’accommode autant de vrais mensonges que de fausses vérités.

Le moteur du récit : de multiples retournements de situation. D’autant que David Grann parle par la voix de la victime. Voix d’autant plus gênante que l’homme est mort. La vidéo devient alors l’outil de la confession, en l’occurrence publique puisqu’elle est diffusée sur YouTube et fera évidemment le tour du monde. Ce livre est aussi la chronique d’une véritable crise politique.

LES RÈGLES DE L’IMPUNITÉ
*Le gang s’était forgé son propre langage codé :
les «verts» désignaient l’argent, «soulever
quelqu’un», c’était le kidnapper; et «canarder
une voiture» voulait dire assassiner quelqu’un.
Plus elle écoutait, plus l’agente comprenait que
«faire tomber un gros morceau», c’était tuer
quelqu’un de haut placé.*
(Extrait : chronique d’un meurtre annoncé)

J’ai été attiré par le titre, je n’ai pas été déçu par le livre même si j’ai trouvé l’édition numérique moins qu’ordinaire : pas de ventilation, pas de paragraphe, un texte en paquet de la page 1 à la page 100. L’éditeur aurait pu rendre le texte beaucoup plus présentable car le livre en vaut la peine.

Sa trame est complexe toutefois car l’auteur évoque l’affaire Rosenberg de 2009 qui avait secoué les milieux politiques guatémaltèques et par ricochet l’ensemble de la Société du Guatemala, un des pays les plus corrompus au monde.

Rodrigo Rosenberg, avocat célèbre enquêtait sur la mort violente de Khalil Musa, ami et homme d’affaire connu et de Marjorie, sa fille qu’il fréquentait secrètement. Un mois plus tard, le 10 mai 2009, Rosenberg est assassiné près de son domicile.

Il faut être très attentif à ce récit car il y a deux questions que le lecteur devra se poser jusqu’à la fin : À qui profite le crime ? Et quelles étaient les motivations profondes de Rosenberg. La réponse à cette deuxième question m’a donné une véritable gifle. Je ne peux rien dévoiler, mais le raisonnement fataliste de Rosenberg a de quoi surprendre.

Peu importe la façon dont Rosenberg est mort, on peut supposer qu’il en savait trop. Pour enquêter sur ce crime à saveur très politique, il fallait un incorruptible, denrée très rare au Guatemala. C’est un espagnol qui est désigné : Castresana, personnage froid, tranchant et agressif.

Castrasena ira au fond des choses et finira par comprendre comment est mort Rosenberg. Mais qu’est-ce que ça donnera dans un pays dont la corruption est devenue d’une navrante banalité ? : *Les contrefaçons de la réalité les plus efficaces sont celles qui représentent ce que seuls les comploteurs semblent capables de créer : une trame parfaitement cohérente. * (Extrait)

La trame qui met en évidence l’arrière-boutique de la politique, est très complexe. L’auteur évoque même dans son récit la possibilité d’un complot à l’intérieur du complot.

Ce n’est pas simple mais l’auteur David Grann qui est journaliste apporte un magnifique éclairage sur les intrigues complexes des coulisses du pouvoir et des arrière-cours de la politique où se précise et s’entretient tout le drame du peuple guatémaltèque. Avec sa plume froide et directe et en un peu plus d’une centaine de pages, en résumant l’affaire Rosenberg, Grann plante tout le décor d’une politique tentaculaire et corrompue.

Ce petit livre est plus que le résultat d’une enquête. En effet, en résumant l’affaire Rosemberg, David Grann a créé un véritable suspense qui place le lecteur dans l’attente de ce qui va se passer créant ainsi une certaine addiction. Je ne sais pas si c’était dans ses intentions mais c’est raconté avec intelligence et fougue et ça met en perspective les cadres d’une cruelle réalité :

*Le gouvernement guatémaltèque aurait dissimulé sa propre corruption. La prolifération des fausses réalités a souligné combien il était difficile de s’assurer de la vérité dans un pays où cette dernière a si peu d’arbitre* (Extrait)

Cet extrait n’est pas sans me rappeler le film *Z* coécrit et réalisé par Costa Gavras en 1969 et qui raconte que dans un pays du bassin méditerranéen, un député progressiste fut assassiné. Pendant son enquête, le juge d’instruction met en évidence le rôle du gouvernement, de l’armée et de la police dans cet assassinat. Voyez le film si vous le pouvez, le petit juge sort énormément de saletés.

C’est un récit un peu trop bref à mon goût, mais je dois l’admettre, il est très bien construit et donne à penser que les historiques petites coutumes douteuses des coulisses politiques guatémaltèques mettent dans l’ombre les résultats de l’enquête.

C’est un grand défi de résumer en si peu de pages une enquête aussi complexe que celle sur l’affaire Rosenberg. Grann a brillamment réussi. Retenez donc bien ce titre qui colle avec la réalité du récit et c’est en lisant que vous allez comprendre : CHRONIQUE D’UN MEURTRE ANNONCÉ, un pas intéressant dans la lutte contre l’impunité.

Note : ce récit de David Grann est issu d’un article publié dans le New-Yorker du 4 avril 2011. Il a été publié en français dans le magazine Feuilleton de janvier 2012. Enfin le journaliste a accepté l’offre des Éditions Allia de l’éditer en février 2013 dans un format à mi-chemin entre le documentaire et le polar.

David Grann est un écrivain et journaliste américain né à New-York en 1967. Ancien rédacteur en chef pour les journaux The New republic et The Hill, il a collaboré avec plusieurs prestigieux journaux dont le Washington post, le Wall street journal, le Times de New-York. Grann a aussi écrit LA CITÉ PERDUE DE Z et deux courts polars.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 3 février 2019

ANABIOSE, le livre de CLAUDINE DUMONT

*Ils nous ont choisis. C’est la première pensée claire
qui me vient lorsque j’émerge de mon sommeil. Ils.
Nous. Ont. Choisis. Je n’ouvre plus les yeux en me
réveillant. Je n’ouvre pas les yeux. Je me demande
combien de temps le corps prend avant de
s’adapter à une nouvelle réalité. Ils nous ont choisis.*

(Extrait : ANABIOSE, Claudine Dumont, XYZ éditeur, 2013,
Collection Romanichels, édition numérique, 150 pages)

ANABIOSE raconte l’histoire d’emma, une femme solitaire qui n’ose rien, ne crée aucun lien. Elle a un boulot inutile, bref elle existe sans vivre. Alors pour oublier qu’elle gaspille son existence, Emma boit et elle boit trop, plus que de raison.

Un jour, Emma se fait enlever dans sa chambre par deux hommes masqués et se réveille le lendemain dans une pièce vide, entre quatre murs de béton, avec seulement un matelas au sol et une lampe au plafond. Où est-elle exactement ? Qui l’a enlevée ?

Emma tente de comprendre ce qui se passe pendant des jours. Pendant des mois. Bon gré mal gré, elle entre dans une phase de profonde introspection et vous pouvez me croire, Emma passera par tous les questionnements possibles et imaginables entre autres sur la façon dont elle a vécu jusque-là…quand elle était encore en liberté.

Le voyage intérieur finit par s’interrompre alors qu’un jour, Emma se réveille et découvre qu’elle n’est plus seule…un homme dort à ses côtés…elle apprendra qu’il s’appelle Julien et qu’il a été enlevé…comme elle…

AVANT PROPOS :
anabiose : Retour à une vie normale après une période où les fonctions normales de l’organisme étaient suspendues, donnant une apparence de mort

litt. une anabiose consiste en la reprise d’une vie active après une diapause prolongée, en particulier après une dessication (wiktionnaire)
Autrement dit…le processus de la résurrection…

CONSCIENCE À LA DÉRIVE
Une douche. Chaude. La sensation de l’eau, l’odeur
du savon. Un détail dans le quotidien. Je me réveille
avec ce manque sur ma peau. Il n’y a pas de douche.
Il n’y a pas d’eau chaude. Il y a le silence. Et l’autre.
Je le regarde dormir. Il est paisible. Quand ses yeux
s’ouvrent, c’est autre chose.

(Extrait : ANABIOSE)

ANABIOSE est un thriller psychologique intimiste et intense. Un voyage dans les méandres d’une conscience solitaire et torturée. C’est l’histoire d’une femme, Emma, qui n’aime rien ni personne. Enlevée par des hommes masqués, elle se retrouve dans une pièce en béton, vide…vide comme sa vie. Commence alors un long voyage intérieur, une exploration introspective profonde et méthodique.

Emma passera par tous les questionnements imaginables, sur elle-même en particulier et sur la façon dont elle a vécu sa vie jusque-là. Un matin, elle se réveille et voit qu’elle n’est plus seule…il y a Julien. Elle ne tient pas à sa présence au départ mais quelque chose commence à couver dans l’âme d’Emma. Et ce n’est pas nécessairement ce qu’on pense.

La première chose que j’observe dans ce roman haletant ce sont les phrases courtes écrites en saccades, plusieurs sans verbe :

*J’émerge. Je rêvais de soleil. La sensation du soleil sur ma peau. La chaleur. L’intensité des couleurs sous le soleil de midi. Et le vent. Le vent dans mes cheveux. La caresse du vent d’été sur ma peau. Je ne veux pas ouvrir les yeux. Je veux rester au soleil. Dans le vent. Le vert. Voir du vert. Des arbres. Le bleu du ciel.* (Extrait)

Ici, quinze phrases en quatre lignes. Ces enchaînements brusques et irréguliers traduisent une plume hypernerveuse.

Avec ce style fragmenté, Claudine Dumont exploite pratiquement chaque seconde de la vie enfermée d’Emma, chaque respiration, chaque mot qui prend forme dans son esprit. Ça donne au texte une incroyable densité qui m’a littéralement emporté. Pour utiliser gentiment le style de madame Dumont, ça m’a surpris. Ça m’a étonné. Ça m’a emporté. Ça m’a rendu accro. Ça m’a plu.

L’auteure a fait en sorte que le lecteur rejoigne Emma dans son étrange captivité ainsi que Julien qui introduit dans la vie d’Emma une notion d’entraide ce qui est nouveau pour elle :

*J’y arrive Emma, mais ça va prendre du temps. Il ne faut pas que tu abandonnes. Reste avec moi. Tu es là ? Emma, tu m’écoutes ? Tu es dehors avec moi. Dehors d’accord ? Dans un grand champ. Un champ immense. Le ciel est bleu…* (Extrait)

Le récit est à la fois simple et complexe : simple parce qu’il n’y a que deux personnages dans cette histoire qui se déroule dans une seule pièce à une exception près et que je vous laisse découvrir.

Le questionnement au départ : Comment ? Pourquoi ? Pourquoi moi ? Jusqu’à quand ? Vais-je mourir ? Complexe parce que la psychologie d’Emma est décortiquée. Sa captivité est étrange. Elle est droguée et manipulée pendant son sommeil où on pourvoit à ses besoins nutritifs et hygiéniques.

À intervalles, elle est privée d’une capacité sensorielle et l’auteur dévoile à la petite cuillère tous les éléments d’une redécouverte du caractère précieux de la vie : *Je peux imaginer les notes. Je souris. Il s’arrête. Je fais «encore» avec mes lèvres. Il pianote…je peux imaginer les notes. Je souris. Il s’arrête. Il montre du doigt mon sourire. Il lève le pouce. * (Extrait)

Ira-t-elle au bout de cette découverte. Vous devez lire le roman pour le savoir. Il a 150 pages se lit bien et rapidement. Il suffit de suivre le rythme effréné de la plume de Claudine Dumont.

Maintenant, la grande question : Est-ce que Emma et Julien retrouveront leur liberté? Évidemment je ne peux pas répondre à cette question mais je peux vous dire toutefois que j’ai été sidéré par la finale. Cette finale, vous allez l’accueillir selon votre philosophie de la vie. Pour ma part, je m’attendais à tout excepté à çà.

C’est un premier roman pour Claudine Dumont et je dois dire qu’elle frappe fort. Je n’hésite pas à vous le recommander. Son deuxième livre est aussi disponible et fait l’objet d’un  commentaire sur ce site.

À SUIVRE

BONNE LECTURE

JAILU/Claude Lambert

le samedi 2 février 2019

LE LIVRE DES RECORDS RÉGLISSE, Marilou Addison

Et la série LES ZOZOS DU SPORT
Littérature jeunesse

*Ceci est le livre des records Réglisse. Ce manuel
contient des épreuves que peu d’entre vous
connaissent. Des compétitions que seuls les vrais
sportifs peuvent réussir. En accomplissant ces
exploits, nous pourrons enfin dévoiler à tous que
nous méritons de figurer dans ce livre en tant qu’
athlètes accomplis.*
(Extrait : LE LIVRE DES RECORDS RÉGLISSES, de la série
LES ZOZOS DU SPORT, Marilou Addison, Andara Éditeur
2016, édition de papier, 420 pages, illustré par Richard
Petit, littérature jeunesse pour les 8 ans et plus)

POUR ANULER LA NULLITÉ
*En sifflotant, les mains derrière le dos, Luigi
s’approche de Yohan, déjà entouré par des
dizaines de participants. Ces derniers sont
fébriles. Avec raison! S’ils ne remportent pas
au moins UNE épreuve, ils pourront se traiter
eux-mêmes de tous les noms dont ils ont osé
affubler l’école de Yohan! Et devenir la crème
de la crème du zozotisme.
(Extrait : LE LIVRE DES RECORDS RÉGLISSE)

Voici un livre que j’ai trouvé drôle et divertissant. Le héros de l’histoire est Yohan, 12 ans. Yohan rêve de faire partie de l’équipe de soccer de son école. Toutefois, un handicap l’empêche d’être accepté : on le juge trop petit pour jouer et performer au soccer. Pour Yohan, qui est effectivement petit, cette raison ne tient pas debout.

Il sent qu’il peut devenir un joueur-clé de son équipe. Il faut dire aussi qu’il n’y a pas grand monde qui performe dans son école qui se fait appeler gentiment L’école des Zozos du sport. Eh oui ! Il semble que son école soit la plus nulle dans tous les sports.

Pour remédier à cette situation gênante, Yohan, aidé par un homme-fée apparu de nulle part et qui a un accent espagnol plutôt comique, organise une compétition réunissant les quatre écoles de sa ville. L’initiative vise à faire entrer son école dans LE LIVRE DES RECORDS RÉGLISSE.

Ce livre très sympathique m’a bien fait rire. Il réunit les critères que les jeunes recherchent dans leur lecture dont le sens de l’humour qui est omniprésent dans le récit : *Comme vous pouvez le constater, l’équipement permis est constitué d’une raquette de tennis et une douzaine d’œufs. Le but du jeu est de renvoyer la balle, ou plutôt l’œuf, de l’autre côté du filet, SANS LE CASSER ! (Extrait)

Les autres compétitions sont toutes aussi bizarres. Aussi, il ne faudra pas se surprendre que le héros de cette histoire qui est le plus petit de sa classe s’appelle Yohan Lenain ou que l’infirmière de l’école s’appelle madame Seringue.

Le livre comporte une autre caractéristique intéressante pour les jeunes lecteurs et lectrices : il est volumineux…plus de 400 pages. Avec des lettres très grosses, environ quarante mots par page et souvent moins car le livre est abondamment illustré. Ça se lit donc aussi vite qu’un petit livre.

Bien sûr, sa présentation en kiosque est un peu impressionnante mais ici, j’ai un message pour les jeunes et il pourrait aussi s’adresser à beaucoup d’adultes : Ne vous laissez pas impressionner par l’épaisseur d’un livre ou par le nombre de pages. Prenez un livre, essayez-le pour la peine. Entrez dans l’histoire, si vous ne trouvez rien qui vous y retient, essayez un autre livre. Tôt ou tard, vous ne verrez plus le temps passer.

Ce livre est une intéressante et amusante lecture que je propose aux jeunes lecteurs et lectrices et elle est aussi porteuse de petite leçons et de petites morales très actuelles, sur les vertus du travail d’équipe par exemple, la perspicacité, la ténacité, la volonté et la tolérance.

De plus, comme le dit si bien cet étrange personnage, l’homme-fée maladroit qui est là pour aider Yohan, façon de parler : *Cé né pas tout dé gagner dans la vie ! * (Extrait)

Donc en résumé, LES ZOZOS DU SPORT, LE LIVRE DES RECORDS RÉGLISSE est un *bon gros petit livre*, c’est-à-dire 412 pages en très gros caractère, très ventilé, abondamment illustré par un artiste de talent, Richard Petit.

Les chapitres sont courts, titrés de façon très originale. Il y a de l’action, des bonnes idées et beaucoup d’humour. Ça se lit vite et bien. Les jeunes vont aimer je crois.

Suggestion de lecture, de la même autrice : EXPÉDITEUR INCONNU, de Marilou Addison

Marilou Addison a grandi à Montréal entre une mère écrivaine et un père qui enseignait le français. On comprend donc d’où lui vient cet engouement pour les livres et l’écriture.

Diplômée en littérature de l’UdM, elle a été commis de bibliothèque, libraire, attachée de presse et coordonnatrice du Prix Cécile Gagnon, décerné par l’Association des écrivaines et des écrivains québécois pour la jeunesse (AEQJ) en hommage à une écrivaine pionnière de la littérature jeunesse au Québec…

Parmi ses ouvrages pour enfants, mentionnons : J’ai mangé Pistache, Pistache détective et La Planète des Mignons… À la croisée du temps est son premier roman pour adolescents, sur ce site, j’ai déjà commenté ONDE DE CHOC, un véritable cri du cœur d’un adolescent en détresse,  et elle en a d’autres en préparation.

Marilou a d’ailleurs des tonnes de projets qui ne demandent qu’à naître sous sa plume… Active dans les divers salons du livre du Québec, l’auteure adore rencontrer ses lecteurs. C’est pourquoi elle visite régulièrement les écoles afin de communiquer sa passion à tous ceux qui sont prêts à l’entendre !

QUELQUES TITRES DE MARILOU ADDISON
POUR LA JEUNESSE

On peut avoir plus d’infos sur Marilou Addison chez Mortagne et aux éditions Boomerang-Jeunesse. Beaucoup  d’autres titres à venir. Voici le lien de Boomerang Jeunesse:

http://www.boomerangjeunesse.com/auteurs/marilou-addison/

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
Le dimanche 10 septembre 2017

CANADA, le livre de RICHARD FORD, récit

*Sur le moment, je n’ai pas fait le
rapprochement. Mais plus tard, si.
C’était quelque chose qui l’avait
toujours tenté. Il y a des gens qui
rêvent de devenir directeurs de
banque, d’autres, braqueurs de
banque.*
(Extrait : CANADA, Richard Ford, Éditions
de l’Olivier, 2012, éd. Num. 460 pages)

Great Falls, Montana 1960. Dell Parsons vit avec ses parents et sa sœur Berner. Les jumeaux ont 15 ans. Après quantités d’emplois instables et douteux, les parents de Dell et Berner, pressés par un créancier menaçant, commettent un hold-up. Mais celui-ci échoue et les parents se retrouvent en prison. Pour éviter l’orphelinat, Berner fugue à San-Francisco et Dell décide de suivre une idée de sa mère : passer la frontière du Canada en Saskatchewan et retrouver un certain Remlinger, organisateur de chasses. Dell devient son apprenti. CANADA raconte son apprentissage au milieu d’une nature extraordinaire mais parmi des hommes violents. 

Les rejetons de l’insouciance

*Quand vous nous appréciez, on se met à douter que
ce soit pour de bonnes raisons. Ça doit être tout à
fait différent aux États-Unis. J’ai dans l’idée que
tout le monde s’en fiche là-bas. Faire les choses
pour de bonnes raisons, c’est l’esprit du Canada.
-Ça me plait-, j’ai dit.*
(Extrait de CANADA de Richard Ford)

C’est une belle histoire. Celle de Dell Parson et de sa jumelle, Berner. À l’âge de 15 ans, leur vie va basculer complètement après l’arrestation de leurs parents pour un hold-up complètement raté. Le choix des jumeaux est simple et rapide : la fugue pour échapper aux services sociaux.

Berner s’enfuira à San Francisco, pour Dell, ce sera le Canada, plus précisément la Saskatchewan où il fera la connaissance d’un personnage énigmatique, secret, au passé lourd : Arthur Remlingler. Remlinger prend Dell en charge. Le récit se concentre surtout sur Dell qui devient le narrateur et raconte son dur apprentissage dans une nature saisissante parmi des hommes violents.

Bien qu’elles ne soient pas clairement identifiées, il y a trois parties distinctes dans ce livre : d’abord une chronique de la vie familiale dans laquelle j’ai pu me familiariser avec le quotidien et la psychologie des personnages : Dell, que j’ai trouvé particulièrement attachant, Berner la rebelle, et leurs parents un peu étranges, lui,  militaire désœuvré impliqué dans toutes sortes d’activités douteuses, elle, distante, incapable de s’adapter à son environnement.

La deuxième partie est celle du hold-up (perpétré avec une incroyable incompétence), l’arrestation et la période d’incertitude et d’insécurité qui suit pour les jumeaux et la troisième partie est celle de la fugue et se concentre sur la fuite de Dell au Canada et la dure réalité dans laquelle il devra plonger en Saskatchewan.

C’est un roman fort, tout à fait conforme au style intense, descriptif et sensiblement philosophique de Richard Ford. La description de la nature au Canada est magnifique et l’auteur nous saisit d’une remarquable toile de la nature humaine, d’une haute précision. Sans être moralisateur, ce beau roman est porteur d’une profonde réflexion sur le sens de la vie, et surtout, la définition du bonheur.

En fait, Ford amène le lecteur à se demander comment rebâtir une vie quand celle-ci a basculé complètement. Comment se reconstruire quand sa vie tourne au désastre? Il faut dire que l’auteur a donné à son personnage principal Dell, une très bonne nature. Dans l’histoire, il se dit lui-même satisfait de la tournure des évènements au Canada et ça l’a aidé à avancer.

Dans CANADA, il n’y a pas beaucoup d’action ni de rebondissements. Le rythme est lent. Le style descriptif de Ford a parfois mis ma patience à l’épreuve. C’est l’émotion que j’ai ressentie qui m’a gardé dans le coup, ainsi que le courage et l’abnégation de Dell dont j’ai partagé finalement les tribulations.

Je précise enfin que l’épisode qui précède le départ de Dell pour Winnipeg est particulièrement violent et sa dernière rencontre avec sa sœur Berner, juste avant la mort de celle-ci, est particulièrement émouvante.

Ce fût pour moi, un très beau moment de lecture où je me suis vu moi-même comme un adolescent cherchant le meilleur chemin pour atteindre la joie de vivre et le bonheur. Je recommande CANADA sans hésiter.

Suggestion de lecture : 1630 LA VENGEANCE DE RICHELIEU, de Jean-Michel Riou

Richard Ford est un écrivain américain né le 16 février 1944 à Jackson, Mississipi. Son roman le plus connu est INDEPENDANCE publié en 1996 et pour lequel il a obtenu le prix Pulitzer ainsi que le PEN/Faulkner award. INDEPENDANCE est la suite du roman UN WEEK-END DANS LE MICHIGAN. Son livre CANADA, publié en 2013 lui a également valu un prix prestigieux : le prix FÉMINA ÉTRANGER 2013. Ford est maintenant professeur dans le Maine.

BONNE LECTURE
JAILU/Clade Lambert
le 9 avril 2017

DERRIÈRE LES PORTES BLEUES, MICHEL GILIBERTI

*Tes qualités exceptionnelles de musicien et,
malheureusement ta gueule d’ange ne m’auront
jamais laissé de répits…mais si je n’étais pas
intègre, j’aurais pu profiter de la situation et
te faire miroiter la star que j’allais faire de toi.
N’importe quel gamin se serait couché pour
moins que ça.*
(Extrait : DERRIÈRE LES PORTES BLEUES, Michel
Giliberti, H&O Éditions, 2000, papier, 195 pages.)

DERRIÈRE LES PORTES BLEUES raconte la fusion de deux destins : celui de Jérémie Gil, jeune musicien-chanteur désabusé, en déclin, au caractère instable, porté sur l’alcool et la vie urbaine trépidante, et celui de Tarek, jeune arabe-musulman de 19 ans, fringant, spontané, têtu et tenace et à qui la vie a imposé très tôt une certaine maturité. Cette rencontre bouleversera la vie de Jérémie qui développera une affection dont il se croyait incapable et qui se transformera graduellement en obsession, puis en passion. Jérémie lutte contre sa nature jusqu’à ce que le destin se scelle derrière les portes bleues…

CŒUR EN CONTRADICTION
*Pourquoi s’investir à ce point avec Tarek?
Quel nom donner à l’émotion qui a étranglé
sa gorge lorsque sa main est restée
prisonnière de la sienne pendant l’atterrissage?…
…Il n’a aucun préjugé mais sait qu’il n’est pas
pédé. Il a un tel tableau de chasse à son actif.
Peut pas finir pédé! Toutes ces nanas
quand même!
(Extrait : DERRIÈRE LES PORTES BLEUES)

J’ai été simplement enveloppé par ce livre à cause de la grande sensibilité qui s’en dégage et des deux principaux personnages, caractériels et rebelles, et pourtant tellement attachants. Dans DERRIÈRE LES PORTES BLEUES, Giliberti évoque la fusion de deux destins.

Il y a d’abord Jérémie Gil, 33 ans, auteur-compositeur-interprète, artiste déjà en déclin, non par manque de talent mais surtout à cause de sa personnalité trouble et trop spontanée. Puis, il y a Tarek, 19 ans, jeune arabe musulman au style rappeur, extroverti, têtu et que les aléas de la vie ont amené à devenir rapidement mature malgré son allure **éternel adolescent** .

Une simple signature sur un plâtre déclenche l’entrée de Tarek dans la vie de Jérémie. À partir de ce jour, la vie de Jérémie ne sera plus jamais la même. Dans son cœur et son esprit, Tarek prendra successivement toutes les formes : simple connaissance, ami, frère, fils, artiste en devenir à gérer, former et protéger jusqu’à la relation ultime qui a poussé Jérémie à une extraordinaire introspection dont il ne se croyait pas capable…

*Il s’est conforté dans l’idée, à s’en convaincre presque, que ce n’était sûrement pas ce qu’il croyait, que la tendresse révèle parfois des formes excessives, que ce serait passager… Mais ce matin, il est plus englué que jamais dans ses contradictions. Il voudrait s’épancher en toute confiance…avec…sa peau d’homme, ses paroles d’homme.* (Extrait : DERRIÈRE LES PORTES BLEUES)

Avec intelligence, une remarquable finesse et dans un style qui confine parfois à la poésie, Giliberti raconte très lentement, très progressivement, la naissance d’un sentiment entre deux êtres disparates.

Tarek qui ne craint pas d’afficher ouvertement son homosexualité et Jérémie qui n’a connu que des femmes et dont le cœur et l’âme se retrouvent coincés dans l’étau d’une terrible dualité. À vous de découvrir s’il se laissera aller. La réponse sera scellée derrière les portes bleues.

C’est une belle histoire qui en dit long sur la profondeur et la complexité de la nature humaine. J’ai été touché en particulier par la richesse de la langue, la lumière et la chaleur des mots. Avec ce que je sais de l’auteur, qui a la réputation d’être lui aussi un éternel adolescent, avec sa façon d’évoquer sa Tunisie natale et de mentionner d’une façon assez singulière son nom dans le livre, à titre d’artiste-peintre, je ne serais pas surpris que Giliberti ait empreint son récit d’un petit caractère autobiographique.

Ce récit est porteur d’une intéressante réflexion sur la nature humaine et des thèmes corollaires : estime de soi, tolérance et aussi sur un thème qui touche tous et chacun tôt ou tard : le déclin. Il m’a semblé terminer la lecture du livre alors que je l’avais à peine commencée. Le temps a passé vite. Je recommande donc DERRIÈRE LES PORTES BLEUES de Michel Giliberti…envoûtant

Suggestion de lecture : MOI, SIMON 16 ans homosapiens de Becky Albertalli

Michel Giliberti est un écrivain, artiste-peintre, photographe et chanteur né à Ferrville, Tunisie, en 1950. Véritable homme-orchestre, il a aussi produit un recueil de poésie et une pièce de théâtre. Comme chanteur, il a été très populaire dans les années 70.  La poésie et la musique sont pour Giliberti des composantes indissociables de la peinture.  Vous pouvez visitez son site internet ici

BONNE LECTURE
JAILU/CLAUDE LAMBERT
4 décembre 2016