La nuit des enfants rois

Commentaire sur le livre de
BERNARD LANTERIC

*Le garçon que j’ai découvert, avant que je n’épouse sa mère, n’avait pas encore réussi à maîtriser- ou à effacer, j’ignore quelle explication est la bonne- l’invraisemblable violence qu’il porte en lui. *
(Extrait : LA NUIT DES ENFANTS ROIS, Bernard Lenteric, Olivier Orban éditeur, 1992,
Format numérique pour la présente, 294 pages.)

Une nuit, dans Central Park, à New York : sept adolescents sont sauvagement agressés, battus, certains violés. Mais ces sept-là ne sont pas comme les autres : ce sont des enfants-génies. De l’horreur, ils vont tirer contre le monde une haine froide, mathématique, éternelle. Avec leur intelligence, ils volent, ils accumulent les crimes parfaits. Car ces sept-là ne sont pas sept : ils sont un. Ils sont un seul esprit, une seule volonté. Celui qui l’a compris, Jimbo Farrar, lutte contre eux de toutes ses forces. A moins qu’il ne soit de leur côté… Alors, s’ils étaient huit, le monde serait à eux et ce serait la nuit, la longue nuit, La Nuit des enfants rois.

Quelque chose a dérapé
*-Ils veulent nous tuer tous les deux Ann. Toi et moi…
-Ils allaient te tirer dessus. Ils l’auraient fait si je ne
t’avais pas appelée…-Ils arrivent, dit Jimbo, chucho-
tant à son oreille. Elle se retourna et vit les sept qui
sortaient de l’ombre. *
(Extrait)

Dès le début de ma lecture, un petit frisson d’angoisse s’est installé dans ma colonne vertébrale et y est resté jusqu’à la fin. Malgré sa structure bizarre et son développement quelque peu déficient, ce roman a de quoi faire frémir.

L’ordinateur le plus puissant du monde appelé Fozzy et créé par un informaticien de génie, Jimbo Fararr, repère dans le monde sept enfants dont l’intelligence est quasi surnaturelle. Ce repérage a été fait dans le cadre du programme CHASSEUR DE GÉNIE développé par la fondation Killian. Chaque année, Jimbo prend contact avec chaque enfant, chaque année jusqu’à leur adolescence.

Chaque enfant ne connait aucun des six autres…jusqu’à leur adolescence où la Fondation les réunit à New-York. Un soir, alors que les sept se trouvaient à Central Park pour apprendre à se connaître, ils sont brutalement agressés et violés pour certains. C’est alors que tout bascule. À la fin de ce drame, *Les sept n’échangèrent pas un mot. Ils n’auraient désormais plus besoin de se parler pour se comprendre. * (Extrait) Car les sept étaient mus par un seul et même esprit.

*Ce qui est arrivé à Central Park a scellé l’union des sept. La fraternité dans la haine. *  (Extrait) À l’arrière-plan de cette sinistre toile…des idées d’apocalypse. Une abomination était née. Avec leur intelligence hors-norme, ils arnaquent et tuent. Et les cadavres s’accumulent.

Fararr connaissait l’énorme pouvoir des sept car il est clair qu’il faut les mettre hors d’état de nuire. L’intrigue ici est de savoir dans quel camp se trouve Fararr. Si c’est dans celui des sept, ils seraient maintenant 8 et ce serait un inimaginable désastre.

Ce livre a été réédité de nombreuses fois depuis sa publication initiale en 1981. Avec le temps, j’ai l’impression que le contenu a été modifié voir tassé. L’édition que j’ai lue comporte des longueurs pénibles portant entre autres sur les arnaques bancaires. Il y a aussi des imprécisions et des éléments manquants. Rien sur la psychologie des jeunes génies, leur passé, leur histoire. Aussi, le rôle de Fararr n’est pas toujours clair. Enfin, j’ai trouvé la finale étrange, dégageant un parfum d’inabouti.

J’ai remarqué que la masse critique est divisée sur l’archaïsme de l’informatique dont il est question dans le récit. Moi je crois que les dangers de la surexploitation technologique et informatique n’ont pas d’âge. Le principe a toujours été le même et dans le récit de Lanteric, ça ne change rien. Sept petits génies ont un pouvoir conjugué tel que le monde entier est en danger.

Le génie de Lanteric a été d’installer dès le départ une atmosphère anxiogène et de la conserver tout au long du récit mettant en relief le pouvoir diabolique des sept éclos après l’évènement de Central Park qui est le point de bascule de l’histoire. La précision des meurtres et la cruauté froide et indifférente qui suivront sont à faire blanchir les lecteurs/lectrices.

Malheureusement, l’aspect dramatique de l’histoire est quelque peu noyé dans les interminables palabres sur les arnaques financières, les itinéraires compliqués des voyages de Fararr et la complexité des relations entre Jimbo et deux femmes.

Malgré tout, j’ai aimé. Ce livre m’a fait un effet…disons plutôt décoiffant…

Suggestion de lecture : LES ENFANTS DE MINUIT, de Salman Rushdie

Bernard Lenteric, nom de plume de Bernard Bester, né à Paris le 19 janvier 1934 et mort dans la même ville le 24 mars 2009, de la maladie de Charcot, est un écrivain et un producteur de cinéma français, auteur de nombreux best-sellers. Par exemple, Bernard Lenteric publie en 1993 Les Maîtres du pain, une saga familiale adaptée la même année à la télévision en deux parties. Il a également publié L’Empereur des rats, un roman fantastique qui met en scène des rats transgéniques. Pour ce roman, il s’est inspiré des Fourmis de Bernard Werber, après lui en avoir demandé l’autorisation.

DU MÊME AUTEUR

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 1er novembre 2025

Deux contes interdits

PETER PAN de Simon Rousseau

Et
LA PETITE SIRÈNE de Sylvain Johnson

Une vague de drogués se jetant du haut d’immeubles, croyant pouvoir voler. Des disparitions. Une île perdue dans la forêt boréale, habitée par une communauté déjantée et leur leader sans âge. Une baronne du crime nymphomane et amoureuse des bijoux en forme de clochettes. Un enquêteur médisant dépourvu de sa main droite, dévorée par un cannibale qui hante encore ses nuits. La réécriture la plus sombre du conte classique » Peter Pan »

 

Cette version moderne de La petite sirène plonge dans les bas-fonds de la nature humaine et de l’horreur. Un conte d’espoir, de perdition, de déchéance, où sont exploités les plus bas instincts qui animent les hommes. Il faut parfois savoir accepter notre destin au risque de déclencher des évènements irréversibles…Un père alcoolique qui tente de noyer son enfant difforme…Un couple de monstres de foires en cavale, poursuivi par un policier corrompu, au service d’un juge pervers. Une mystérieuse attraction montréalaise, le palais des nains, qui cache des abominations, d’absurdes personnages de cauchemars aux intentions machiavéliques.

Le cœur de l’horreur
(Encore et toujours)

C’est sans doute le dernier commentaire que je fais sur des livres de cette série. Je me sens saturé car la tendance gore est peu renouvelable. La série regroupe des contes revisités ou détournés de façon à mettre en exergue la vision la plus glauque de l’esprit humain.
Nous avons maintenant des récits qui inspirent le dégoût et l’horreur dans les thèmes typiques du genre : pédophilie, gore, voyeurisme, drogue, prostitution et même cannibalisme…j’en passe. La sensibilité de beaucoup de lecteurs risque d’être carrément violée.

C’est pratiquement du pareil au même d’un récit à l’autre. On a pratiquement fait de cette série une culture du mauvais goût. J’ai apprécié au début, mais le genre est statique, peu évolutif. En fait, c’est la redondance qui m’a saturé. Dans Peter Pan de Simon Rousseau, une drogue qui rend totalement abruti et dépendant fait l’objet d’un odieux trafic. On y trouve un tueur en série, une nymphomane cruelle et vicieuse et bien sûr Peter Pan, abusé dans sa jeunesse, devenu gore, violent, sanguinaire.


Le récit est composé d’histoires imbriquées, pas de fil conducteur et les ingrédients qui sont la signature habituelle des Contes interdits : cruauté, violence, torture, bestialité et du sang à la tonne. Rien de neuf. J’ai trouvé LA PETITE SIRÈNE de Sylvain Johnson mieux structurée. C’est évidemment très gore, ça lève le cœur par moment, mais il y a un fil conducteur et la petite sirène a un objectif précis.
Ici, nous avons une jeune fille atteinte du syndrome de la sirène appelé sirénomélie, une maladie fœtale très rare qui se caractérise par une fusion des membres inférieurs qui rappelle une queue de poisson.

L’objectif de la petite sirène est clair : se faire greffer une belle paire de jambes flambant neuves. Mais ce rêve devient un cauchemar car la petite deviendra victime des pires bassesses humaines. Pas de pitié, pas d’empathie.
L’histoire a une certaine originalité et sa composition fait qu’elle est facile à suivre. À part cet attribut quand même important, c’est aussi glauque et sulfureux que les autres livres de la série. Comme d’habitude, ça finit mal et comme d’habitude, le récit est truffé de passages dégeulasses de nature à soulever le cœur.


J’ai le plus grand respect pour les amateurs de gore Mais en ce qui me concerne, je suis heureux de passer à autre chose.

Suggestion de lecture : GORE STORY, de Gilles Bergal



L’auteur Simon Rousseau                    l’auteur Sylvain Johnson

Le 31 octobre 2021, le site internet fillesdejoual.com a publié un article extrêmement intéressant signé Withney St-Onge B.

Le dossier résume et analyse le succès foudroyant de la série des CONTES INTERDITS. Pour lire le dossier et avoir accès aux résumés des 25 contes interdits, cliquez ici. Vous ne serez pas déçu.

 

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le vendredi 29 août 2025

RAIPONCE, L.P. Sicard

<Elle entendait chaque millilitre d’hémoglobine s’égoutter des pointes repues et éclater au plancher, chaque respiration rauque de son latent assassin et le subtil crépitement de la glace que le sang chaud faisait craqueler.>

Extrait : RAIPONCE, de L.P. Sicard, ADA Éditeur 2018, édition de papier, 192 pages. Version audio : ADA AUDIO-SGNT média éditeur, 2020, durée d’écoute : 5 heures 13 minutes. Narrateurs-comédiens : Frédérik Zacharek, Danièle Panneton, Catherine De Sève, Jean-François Beaupré, Tristan Harvey, Elisabeth Gauthier Pelletier, Lisanne Lafontaine, L.P. Sicard

Des contes revisités qui mettent en exergue la vision la plus glauque de l’esprit humain. Nous avons maintenant des récits qui inspirent le dégoût et l’horreur dans les thèmes typiques du genre : pédophilie, gore, voyeurisme, drogue, prostitution et même cannibalisme…j’en passe. La sensibilité de beaucoup de lecteurs risque d’être carrément violée.  (Extrait d’un article de JAILU publié en février 2021, commentant la série LES CONTES INTERDITS.)

Gore et choquant

Comme tous les livres de la série CONTES INTERDITS, RAIPONCE est réservé à un public averti. Mais alors là, vraiment averti…c’est-à-dire prêt à mettre de côté les critères du bon goût et plonger dans les profondeurs de l’horreur et goûter à tout ce qui est noir et tordu.

C’est, pour moi, un des récits les plus intenses de la série quoique j’y ai trouvé peu d’affinité avec le conte original des frères Jacob et Wilhelm Grimm. Quoiqu’il en soit, les amateurs de gore y trouveront largement de quoi se satisfaire : du sang, de la peur, de la violence, des esprits détraqués. Bref, du trash qui va d’abomination en abomination. De l’horreur…rien que de l’horreur sans répit.

La plume est acide, directe et crue. L’auteur va jusqu’à décrire dans les détails une scalpation…un des passages les plus glauques du récit. Fermez les yeux et imaginez-vous un instant qu’on vous arrache le cuir chevelu…horreur en profondeur. 190 pages de frissons et de poils dressés.

La version sonore canalise davantage la terreur et l’amplifie à cause des effets sonores et de la musique, le tout parfaitement ajusté avec le caractère choquant de l’histoire. De plus, j’ai trouvé la narration particulièrement impressionnante. Que ce soit papier ou audio, si vous êtes trop impressionnable, abstenez-vous.

Quant à l’histoire comme telle, elle est vraiment bien écrite. Sicard manie les mots en maître et aucune page de son livre n’est délestée de cruauté. Il a les mots justes qui secouent le lecteur et entretient la tension tout au long de la lecture pouvant jusqu’à provoquer un malaise.

Dans ce livre, qui tranche par son réalisme, beaucoup de mots vont au-delà de leur définition et certains agencements rappellent la poésie d’une certaine façon. Je me réfère en particulier aux figures de style. C’est très personnel comme point de vue. D’une façon ou d’une autre, RAIPONCE ne laisse pas indifférent.

C’est un livre terriblement descriptif. San être emballé, j’ai assez aimé…

Suggestion de lecture : Coup d’œil sur la série CONTES INTERDITS

Louis-Pier Sicard est un écrivain québécois né en 1991. Il obtint un baccalauréat en éducation physique en 2014. Il est inscrit à la maîtrise en études littéraires tout en travaillant, depuis 2012, comme enseignant suppléant en éducation primaire. Gagnant du premier prix mondial de poésie francophone des 15-25 ans en 2014, il a publié un premier recueil en 2013, Les Amants de l’abîme, et a entrepris la publication d’une série fantastique, Félix Vortan, dont le premier tome obtient le Grand prix jeunesse des univers parallèles.

La série CONTES INTERDITS
en développement

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert

LE DIMANCHE 24 AOÛT 2025

Sang trouble

Commentaire sur le livre de
ROBERT GALBRAITH
Cinquième volume de la série CORMORAN STRIKE

*Strike avait du mal à résister à l’envie de savoir. C’était un besoin impératif chez lui, comme une démangeaison. *
Extrait : SANG TROUBLE, Robert Galbraith, Grasset éditeur 2022, édition de papier, 906 pages. VERSION AUDIO : Audiolib éditeur, 2022, durée d’écoute : 33 heures 2 minutes. Narrateur Philippe Résimont.

Cormoran Strike est en visite dans sa famille en Cornouailles quand une inconnue l’approche pour lui demander de l’aide. Elle aimerait retrouver sa mère, disparue dans des circonstances jamais éclaircies en 1974. Intrigué, Strike accepte, malgré la longue liste des cas sur lesquels lui et son associée Robin Ellacot travaillent déjà.  Petit à petit, l’enquête apparaît comme très complexe. Sur leur chemin, Robin et Strike rencontrent des témoins peu fiables, s’interrogent sur des jeux de tarots, tout en poursuivant des pistes qui semblent mener vers un serial killer psychopathe. Ils apprendront bientôt, à leurs dépens, que même des affaires classées peuvent se révéler dangereuses…

Un duo attachant

C’est une enquête très complexe, un défi de lecture dans la mesure où on peut rester concentré. Car comment une enquête pourrait ne pas être complexe quand elle reprend une affaire insoluble depuis 40 ans.

En effet, un soir, la docteure Margot Bamborough quitte son cabinet médical pour un rendez-vous auquel elle ne se présentera jamais. En fait, on ne l’a jamais revue. L’enquête sera confiée à un policier nommé Talbot, mentalement instable et fortement influencé par l’astrologie et le tarot.

Résultat : l’enquête n’aboutira jamais et Talbot finira à l’hôpital psychiatrique. 40 ans après la disparition de Margot Bamborough, sa fille Anna Phillips demande au détective privé Cormoran Strike et à son adjointe Robin Ellacott de reprendre l’enquête et de trouver le fin mot de l‘histoire.

La force du récit réside dans le parcours des détectives qui doivent reprendre une enquête qui fut un véritable gâchis… un parcours labyrinthique qui leur fera croiser le chemin de deux psychopathes, tueurs en série d’une inimaginable cruauté dont un raconte en détail à Strike son palmarès de meurtres avec une légèreté choquante.

Ce qui m’a captivé particulièrement dans cette lecture fut les personnages particulièrement bien travaillés avec une psychologie bien développée, peut-être un peu trop car la vie privée des détectives est compliquée et ça se ressent beaucoup dans leurs interactions. Cela provoque beaucoup de longueurs et un peu d’errance, malgré toute la force et la conviction de la plume.

C’est effectivement bien écrit. De plus, malgré les nombreux étalements d’états d’âmes de Strike et Ellacott, l’auteure a créé un contexte fort de nature à rendre les détectives attachants. Dans l’ensemble, j’ai beaucoup aimé malgré les longueurs et le fait que j’ai été un peu déçu par la finale, un peu simpliste.

Détail intéressant : Chaque chapitre est précédé d’une citation de LA REINE DES FÉES, un célèbre poème épique d’Edmund Spenser (1552-1599). Le lien avec SANG TROUBLE n’est pas évident, d’autant que l’œuvre de Spenser est essentiellement dédié à la vertu. Un défi de plus pour la compréhension des lecteurs et lectrices et aussi les auditeurs et auditrices (car je dois le dire en passant, la version audio est excellente).

En résumé c’est un bon roman, long et complexe en partie parce qu’il repose davantage sur l’intuition que sur le dialogue d’où l‘impression d’une histoire qui ne finit pas de finir. Heureusement, l’enquête est passionnante, intrigante et j’ai développé une belle empathie pour les détectives, Robin en particulier pour qui le bourru Cormoran n’est pas toujours facile à suivre même si l‘auteure l’a doté d’une belle sensibilité.

Malgré la lenteur de son développement, SANG TROUBLE est une très bonne histoire à lire ou à écouter.

Suggestion de lecture : L’APPÂT, de Sylvie G.


Robert Galbraith est un pseudonyme de la célèbre J.K.Rawling

Dans la même série

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le dimanche 3 août 2025

Le monstre de Kiev

Commentaire sur le livre de
SYLVAIN JOHNSON

<Il n’eut droit à aucun procès et fut rapidement surnommé ―le monstre de Kiev― par les journaux et les citoyens, qui parleraient de son crime pendant des mois. D’autres agressions inexpliquées sur des enfants lui furent rapidement attribuées, sans la moindre preuve. Le lendemain, il était déjà en route pour le goulag, le fameux système carcéral de camps de travail. >

Extrait : LE MONSTRE DE KIEV, Sylvain Johnson, ADA éditeur, 2018, collection Corbeau, édition de papier, 445 pages.

Grigori Tarasovski, un condamné au goulag pour un horrible crime qu’il n’a pas commis, découvre la violence et la folie de son espèce au sein des camps de prisonniers. Toutefois, il s’aperçoit que l’enfer de Sibérie cache autre chose: des entités innommables, monstrueuses, nées d’une légende antique. La source de leur création – et de leurs pouvoirs – est tout près. Une source capable de changer le destin des hommes. Et de les détruire.

Note :
GOULAG : organisme central gérant les camps de travail forcé en Union soviétique. La police politique placée à la tête du système pénal développa le Goulag comme instrument de terreur et d’expansion industrielle. Cette administration pénitentiaire connut une croissance constante jusqu’à la mort de Staline, à mesure que de nouveaux groupes étaient incarcérés et déportés, et que ses prérogatives économiques se développaient. <Wikipédia>

 

L’horreur né du goulag

Quoiqu’original, LE MONSTRE DE KIEV est un roman dur, violent et d’une grande noirceur car on y plonge dans l’atmosphère de la Russie Stalinienne des années 1930 alors que le peuple était écrasé par la paranoïa et la délation. On plonge aussi dans le quotidien d’un goulag, celui de Kolyma, une prison-mouroir sibérienne, basse œuvre d’un régime politique cancéreux.

Je pourrais dire que l’histoire est en deux parties mais son caractère surnaturel est tellement manifeste qu’il est plus juste de dire que l’histoire se déroule en deux temps parallèles mais elle deviendra plus claire pour les lecteurs quand les deux existences s’imbriqueront.

On suit Grigori Tarasovsky, injustement condamné au Goulag, milieu carcéral sibérien d’une inimaginable cruauté qui transformera Grigori en monstre cruel et sans pitié. Une chaîne d’évènements mettra Grigori en présence d’enfants à l’apparence de spectres, venus de nulle part et qui doivent leur subsistance à une entité nommée *la Source* et qui doit être protégée à tout prix.

Par la suite, après avoir hérité de l’énigmatique médaille de Saint-Christophe, Tarasosvky changera de temps et d’espace grâce au concours de deux petites filles : Svetla et Tania, jusqu’à une rencontre ultime, à Montréal. Rongé par un cancer, menacé par la redoutable mafia russe, Grigori ne se doute absolument pas de ce qui est prévu pour lui, par la source…

Sachant que l’auteur, Sylvain Johnson est membre du collectif des CONTES INTERDITS, je craignais un récit gore, aux limites du supportable. Ce ne fut pas le cas. Bien sûr, la plume est crue, directe et froide, mais le récit dans l’ensemble est original. L’histoire est captivante et le style de l’auteur m’a plu.

Toutefois, l’épilogue m’a semblé un peu anarchique et la finale un peu prévisible concernant le destin de Grigori Tarasovsky. Si l’évolution du personnage principal est relativement facile, je ne peux en dire autant des créatures en général et de la Source en particulier. Des détails manquent à ma compréhension. L’aspect surnaturel est indéniable, mais, me semble-t-il, sensiblement sous développé.

Dans l’ensemble j’ai aimé ce livre. Il est bien documenté et m’a appris des choses et bien sûr, il m’a fait frissonner. Bref, c’est une histoire d’horreur qui m’a fait de l’effet.

Suggestion de lecture du même auteur : UN DIEU PARMI LES HOMMES


L’auteur Sylvain Johnson

 

Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 21 juin 2025

L’archipel du Goulag, 2

Commentaire, 2e partie
sur le livre d’ALEXANDRE SOLJENITSYNE

Pour revenir sur la première partie, cliquez ici.

L’ARCHIPEL DU GOULAG est un très long pavé (2 000 pages et plus selon les éditions) chargé de noirceur, de mort et de désespoir, cri du cœur de la réalité historique décriée froidement par Soljenitsyne. Plusieurs passages m’ont fait frémir et même, glacer d’horreur :
*Il y a un ordre du GPU : <Ne gaspillez pas de munitions ! Pas un seul coup qui ne soit pour le prisonnier ! >* (extrait)

*Entrez dans le socialisme en renforçant les prisons au maximum ! Ce n’était pas une blague dans un magazine humoristique, cela a été déclaré par le procureur général de l’Union Soviétique ! * (extrait)

*À Serpentika, 30 à 50 personnes étaient abattues par jour à quelques pas de la cellule au secret; puis les cadavres ont été entassés sur des traîneaux, et un tracteur les a emmenés de là. * (extrait)

*La mort est la principale production de l’archipel, une production ininterrompue qui n’a pas besoin de règles ou de règlements. * (extrait)

Il est pratiquement impossible de critiquer un tel ouvrage car les témoignages sont les cris du cœur de personnes déportées qui ne savent pas trop ce qui leur arrive, encore moins que le goulag n’est qu’un soutien de l’économie soviétique. Plutôt que de chercher un sens à la vie, les témoignages donnent un sens à la mort.

Je crois avoir bien saisi l’esprit de l’auteur et ce qui réactualise le livre à mon avis est l’Ukraine. En effet, au moment d’écrire cet article, l’Ukraine et la Russie sont en guerre. La Russie veut récupérer l’Ukraine.

Il faut croire que la grande histoire a ses contradictions…* Lénine a signé cette paix avec Hetman Skoropadski, ce faisant, il a montré qu’il était pleinement satisfait de la séparation de l’Ukraine…* (extrait)

Je vous avertis d’aiguiser votre patience. L’ARCHIPEL DU GOULAG est un livre très long, très dur et quelque peu indigeste à cause de nombreux palabres pas toujours utiles, de nombreux termes russes, une phénoménale quantité de notes renvoyées à la fin de l’ouvrage et une traduction douteuse. La grande force du livre tient dans le fait que Soljenitsyne couvre absolument tous les aspects de la vie concentrationnaire.

C’est un témoignage rude et sans compromis sur un système despotique qui a fait des millions de morts. *… dans le monde de la concentration, l’homme est pour l’homme un rat et un cannibale…* (extrait)

Je crois que L’ARCHIPEL DU GOULAG demeure un incontournable, un puits de réflexion sur la capacité humaine à tuer et détruire, sur la folie de dirigeants instables et sur les inimaginables débordements du pire système concentrationnaire de l’histoire. Ce livre vient nous rappeler qu’il ne faut jamais oublier.

*Il faut haïr son propre pays, il faut lui être totalement étranger pour tirer sur la fierté de la nation, l’essence de son savoir, son énergie et son talent… * (extrait)


Joseph Staline (1878-1953)


L’auteur Alexandre Soljenitsyne (1918-2008)

 

LE GOULAG À L’ÉCRAN

L’ARCHIPEL DU GOULAG a fait l’objet de nombreuses adaptations. Je vous recommande le film documentaire de Jean Crépu réalisé en 2008.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 10 mai 2025

DÉLIVRANCE

Commentaire sur le livre de
JUSSI ADLER-OLSON

 

*Personne ne prit le temps de lire la série de lettres à
demi-effacées en tête du message, et personne ne
se demanda pourquoi quelqu’un avait écrit un jour :
AU SECOURS. *
(Extrait : DÉLIVRANCE de Jussi Adler-Olson. Origine :
Albin Michel littérature éditeur, 2013. 672 pages,
édition de papier, aussi disponible en format numé-
risque, 807 KB)

Au fin fond de l’Ecosse, une bouteille ancienne en verre poli est longtemps restée sur le rebord d’une fenêtre. Personne ne l’avait remarquée, pas plus que le message qu’elle contenait. Un message qui commence par le mot Hjlp, « au secours », en danois, écrits en lettres de sang… Envoyée par la police anglaise à Copenhague, la mystérieuse missive révèle qu’elle provient de deux garçons qui auraient été kidnappés dix ans plus tôt. Chose étrange : leur disparition n’a jamais été signalée… La chasse haletante lancée par les inspecteurs Mørck et Assad derrière un tueur que rien ne semble pouvoir arrêter ne les dispense pas de jeter au passage un regard acerbe et troublant sur la société danoise.

Les mots de la mer
*Que ferons-nous s’il décide de découper mes enfants
en morceaux ? *
(Extrait)

C’est avec un plaisir renouvelé que je plonge dans la littérature scandinave, plus précisément danoise cette fois. C’est un thriller prenant qui provoque autant de frissons qu’il suscite de curiosité car enfin, l’intrigue démarre dans une bouteille jetée à la mer, puis repêchée et qui s’est retrouvée momentanément, et même quelques années aux oubliettes dans un commissariat de police jusqu’à ce que le département V de la police de Copenhague se penche sur l’énigmatique SOS qui se trouve dans cette bouteille et qui suscite rapidement beaucoup de questionnements.

Ce sera un défi de taille pour les policiers Carl et Assad. Le temps presse pour les limiers car le mystérieux message, dénaturé par le temps et l’humidité, laisse supposer, après une étude sérieuse et un examen approfondi que des enfants pourraient être en danger de mort. C’est ça, où ils sont déjà morts. L’enquête qui devient particulièrement poussée lance les policiers sur les traces d’un tueur en série particulièrement singulier par son modus operandi, sa cruauté, et sa façon de se jouer des policiers.

Je cherchais quelque chose qui dressait les cheveux sur la tête, de l’angoisse, de l’intrigue et pour couronner le tout, de l’originalité. Je n’ai pas été déçu surtout si je tiens compte de la façon d’opérer du tueur :

*Le kidnappeur choisit deux des enfants qui, pour une raison ou une autre, ont un statut particulier dans la fratrie. Il les enlève tous les deux, et une fois qu’il a touché la rançon, il en libère un. La famille sait désormais qu’il est prêt à tout. Le meurtrier devient donc crédible quand il les menace d’enlever un autre de leurs enfants, à n’importe quel moment, sans préavis…* (Extrait)

Je m’abstiendrai ici de donner des exemples de ce dont ce tordu est capable mais ça m’ouvre une porte pour vous dire que plusieurs passages sont à soulever le cœur. Rien de gratuit mais c’est gore par moment évoquant le raffinement dans le sadisme.

C’est un roman d’une grande intensité qui mise en particulier sur la psychologie du meurtrier, l’auteur, sans doute fort bien documenté va jusqu’à démontrer comment les mécanismes de l’esprit peuvent s’enrayer au point de devenir psychopathe, voire, fou à tuer. Je note aussi que les personnages ont un caractère bien trempé, ce à quoi nous a habitué la série sur le fameux département V, spécialisé dans les affaires non élucidées. Je pense à l’opiniâtreté de Carl et Assad mais aussi aux excentricités de Rose qui vient alléger un contenu stressant à souhait.

Ce thriller m’a essoufflé et a brassé en moi beaucoup d’émotions et ça risque de vous arriver amis lecteurs, amies lectrices car la corde est sensible puisqu’il est question d’enfants et vous pouvez me croire quand je vous dis que les enfants de cette histoire ne sont pas ménagés. L’ouvrage porte bien son titre, mais il faut voir à quel prix. Les faiblesses de ce livre sont peu signifiantes mais avant d’entreprendre la lecture, rappelez-vous qu’il s’agit d’une histoire sordide développée avec un réalisme ahurissant. Je dirai que j’ai passé un *sale quart d’heure* … fort satisfaisant.

Auteur Danois né le 2 août 1950 à Copenhague au Danemark,  Jussi ADLER-OLSEN a étudié la médecine, la sociologie, le cinéma et la politique. Il a été éditeur, guitariste. Il aime la scène et transmettre. Il a dans un premier temps écrit des grands thrillers internationaux. Puis il a tourné son regard et ses écrits vers le Danemark. Il connaît en Europe un succès sans précédent avec sa série d’enquêtes de l’inspecteur Mork, couronnée par les prix scandinaves.

Il va créer les enquêtes du département V qui gère les affaires non résolues. La série comportera normalement 10 tomes. Cette grande saga s’inscrit dans le temps. Jussi Alder-Olsen a adoré lire Zola, cela l’a inspiré pour écrire une grande fresque. Le premier tome « Miséricorde » est paru en France aux éditions Albin Michel en 2011. Les quatre premiers tomes ont été adaptés en film. (Extrait du site nordique.zone livre.fr On peut y lire une entrevue passionnante avec l’auteur, par Sophie Peugnez. Intéressé ? Cliquez ici.

 Suggestion de lecture : ENLÈVEMENT, de Tara Taylor-Quinn

DÉLIVRANCE au cinéma

Un film de Christoffer BOE
Ecrit par Nikolaj ARCEL, Christoffer BOE & Mikkel NØRGAARD

D’après le roman de Jussi ADLER-OLSEN (publié aux Editions ALBIN MICHEL et LIVRE DE POCHE et AUDIOLIB)

  • Avec Nikolaj LIE KAAS, FARES FARES, Johanne Louise SCHMIDT
  • Danemark – Durée : 1h58
    Date de sortie : 3 mars 2016 au Danemark

Bonne lecture 
Claude Lambert
le dimanche 3 novembre 2024

LA CHASSE, Bernard Minier

<La forêt recouvrait les collines, la nuit recouvrait la forêt, la peur recouvrait ses pensées. Sa peur avait un son – celui de sa propre respiration terrorisée et de son cœur qui battait -, elle avait une odeur – celle de sa transpiration et de cette chose puante sur sa tête -, elle avait une couleur : noir, noir de la foret, noir de l’âme de ces hommes, noir de sa propre peau…>

Extrait : LA CHASSE, Bernard Minier, XO éditeur 2021, papier, 424 pages. Version audio : Lizzie éditeur, 2021, 1.01 go, durée d’écoute : 12 heures 11 minutes, narrateur : Hugues Martel.

Il y a des ténèbres qu’aucun soleil ne peut dissiper. Sous le halo de la pleine lune, un cerf surgit de la forêt. L’animal a des yeux humains. Ce n’est pas une bête sauvage qui a été chassée dans les forêts de l’Ariège… Dans ce thriller implacable au final renversant, Bernard Minier s’empare des dérives de notre époque. Manipulations, violences, règlements de comptes, un roman d’une actualité brûlante sur les sentiers de la peur. Une enquête où Martin Servaz joue son honneur autant que sa peau.

 

DÉRIVE EN CRESCENDO


Aucun criminel ne fait montre de plus de cruauté que celui qui se croit d’avance absous de ces crimes par une cause qu’il pense juste.

Extrait

 

L’auteur frappe fort dès le début alors qu’un jeune noir coiffé d’une tête de cerf fait l’objet d’une cruelle chasse à mort dans une forêt toulousaine. Sur son cadavre, on trouvera un simple mot gravé : Justice. L’éditeur présente ce livre comme un thriller. Ce genre littéraire procure généralement des émotions fortes, ce que je n’ai pas vraiment ressenti. J’ai vu plutôt ce livre comme un polar à cause, en particulier, de l’analyse extrêmement critique qu’il fait de la Société.

C’est un roman très noir. Il ne brille pas particulièrement par son originalité. J’ai trouvé l’intrigue, développée sur fond de COVID, intéressante mais plutôt limitée, entre autres par les observations acerbes faites sur une société malade à en crever. L’idée de base du récit est dévoilée assez vite.

Je crois plutôt que c’est la chasse qui tient le lecteur dans le coup…la chasse au gibier humain d’abord, puis la chasse aux chasseurs et c’est à ce niveau que l’auteur développe la théorie d’une justice occulte opérant dans la plus totale illégalité. Ce n’est pas une nouveauté en littérature mais j’ai trouvé intéressante la façon dont ce thème est développé dans la CHASSE.

Sa force étant occultée par un rythme très lent, l’intrigue ne m’a pas vraiment fasciné, encore moins l’analyse sociétale qui s’en dégage : Société à la dérive, justice traficotée, police infiltrée par l’incompétence et la trahison, entre autres. Rien de nouveau.

Je crois quand même pouvoir identifier ici deux éléments qui font principalement la force du récit : premièrement son atmosphère ou l’ambiance si vous préférez, sa noirceur, son non-dit qui force les méninges du lecteur pour tenter de comprendre les motivations des chasseurs de gibier humain et le parallèle avec la Société actuelle.

Deuxième force du roman : un personnage particulièrement bien travaillé et qui tient lieu de fil conducteur dans tout le récit : Le policier Martin Servaz, un brillant limier, opiniâtre, tenace, personnage récurrent dans l’œuvre de Bernard Minier. J’ai beaucoup aimé son caractère directif et sa façon de mener l’enquête.

Bref, LA CHASSE est un roman qui explore, avec une imagination parfois trop poussée, la noirceur de l’âme humaine et les tares de notre Société. L’intrigue est moyenne mais les motivations dévoilées graduellement dans l’histoire poussent à la réflexion entre autres sur le mal que la Société sa fait à elle-même. Ce n’est pas ce que j’appellerais un livre inoubliable mais il est intéressant à lire avec des personnages intéressants à suivre, dont un Martin Servaz égal à lui-même.

Suggestion de lecture : UNE CHASSE DANGEREUSE de Clifford D. Simak


L’auteur : Bernard Minier

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le dimanche 11 août 2024

MÉMOIRES D’OUTRE-MORT, de CHRISTOPHER BUEHLMAN

*Si vous cherchez une histoire de gens sympas qui font
des trucs sympas, passez votre chemin. Vous allez
être plombé par un narrateur peu fiable qui va vous
décevoir et vous répugner au détour de chaque page.*
(Extrait : MÉMOIRES D’OUTRE TOMBE, Christopher Buelham,
Hugo roman éditeur, 2019, 429 pages. Version audio : Audible
éditeur, 2019. Durée d’écoute : 11 heures 52, narrateur : Pierre
Rochefort)

1978: Si New York est une ville sale et dangereuse pour les vivants, Joey Peacock, vampire aux traits éternellement jeunes, y voit toujours un magnifique terrain de chasse. La nuit tombée, du fameux Studio 54 aux appartements du Village en passant par le CBGB cher aux punks, il écume Manhattan en quête d’une artère compatissante. Première des règles : charmer la proie, ne jamais la tuer.

Quand vient l’aube, Joey rejoint dans une station de métro désaffectée ses frères et soeurs de sang, parmi lesquels Cvetko le Slovène philosophe, Billy Bang le fou de free jazz et, bien sûr, la patronne, Margaret, qui administre son territoire d’une main de fer. Jusqu’au jour où de nouveaux arrivants menacent la survie de la petite communauté : des enfants aux yeux brillants et aux longues canines, redoutables tueurs dont les besoins semblent sans limite…

On ne nait pas vampire, on le devient
*Je vais vous raconter comment on fait souffrir
 des gens, et si vous aimez ce genre d’histoire,
 c’est que vous êtes mauvais.*
(Extrait)

MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE aurait pu s’intituler <journal d’un vampire>. En effet, dans ce récit, un vampire, transformé dans son adolescence se raconte…son visage est d’ailleurs marqué par une éternelle jeunesse. Son nom est Joey Peacok. C’est le narrateur et il nous entraîne dans les basses fosses de New-York, c’est-à-dire les égouts qui constituent sa résidence, qui le protègent de la lumière et qui lui permettent de remonter à la surface ponctuellement afin de se nourrir.

Il raconte comment il arrive à charmer les humains avant de s’en nourrir en tuant le moins possible car, faut-il le préciser, Joey a des états d’âme. On trouve dans le récit beaucoup des clichés courants sur les vampires, mais Joey profite du <micro> pour en démonter quelques-uns comme le fameux crucifix par exemple. En effet, celui-ci fonctionne si le vampire y croit, sinon il devient aussi utile qu’un fusil à l’eau. Joey nous raconte et nous explique les mœurs des vampires, leur langage, leurs manies.

Un jour, de nouveaux arrivants menacent la petite communauté vampirique des sous-sols new-yorkais: des enfants, de véritables monstres, petits tueurs impitoyables aux appétits illimités. Le récit devient alors glauque, macabre, terrorisant et pourrait bien générer chez certains auditeurs sensibles de sérieux frissons.

Première observation, malgré un ton monocorde, j’ai senti que le narrateur s’adressait à moi. Il me raconte son monde. Je sens parfois la conviction mais en général le ton est détaché et froid ce qui est peut-être normal quand on pense qu’ici, c’est un vampire qui s’exprime. Malheureusement, l’histoire n’est pas facile à suivre. Le fil conducteur est instable et prend toutes sortes de directions. J’en ai perdu des bouts je l’admets.

Dans ce récit, il y a peu d’action. L’histoire génère un peu d’émotion quand on y explique avec des détails parfois croustillants la cruauté des enfants. Mais je m’attendais à plus d’action, un caractère plus soutenu dans le développement du récit, un rythme plus élevé ou tout au moins un peu plus nerveux.

Au début, c’est prometteur mais au final, le sujet m’a semblé sous-développé. Et puisque je parle de finale, je dois vous dire que je l’ai trouvé bizarre, peu claire. Je n’ai pas vraiment compris où l’auteur voulait en venir. J’aurais souhaité quelque chose de plus précis sur le sort des enfants et les effets sur la communauté de vampires.

Sur le plan littéraire, si vous ne gagnez pas l’auditeur ou le lecteur dans les cinquante premières pages, il devient très difficile de le gagner pour l’ensemble de l’œuvre. La première moitié du récit justifie le titre : des mémoires imbriqués sans suite. Dans la deuxième partie, l’écriture est plus limpide mais nous dirige vers une finale étrange. La première idée qui m’en est venue se résume à ces mots: C’est n’importe quoi.

Je veux quand même terminer sur certains points positifs : entendons-nous, il n’est pas question ici de <gentils vampires> mais la sincérité de Joey m’a semblé évidente. Il y a dans l’histoire de bonnes idées, entre autres sur les mœurs vampiriques. La plume est directe, le sang coule à flot, beaucoup vont apprécier sans doute. Plusieurs passages sont très durs. Amis auditeurs et auditrices, la balle est dans votre camp.

Suggestion de lecture : DRACULA, de Bram Stocker

Christopher Buehlman est né en 1969 à Tampa en Floride. Il est l’auteur de deux romans et a obtenu le prix Bridport 2007 en poésie. Il a également publié plusieurs pièces de théâtre et incarne, en tant que comédien, le personnage « Christophe the Insultor » devenu culte grâce à de nombreux festivals. Il est diplômé en histoire et en français, et vit à St. Petersburg, en Floride.

 

Bonne lecture
Bonne écoute

Claude Lambert

le vendredi 5 avril 2024

SI JE SERAIS GRANDE, d’Angélina Delcroix

*Elle me caresse les cheveux et me dit qu’on va réussir.
Réussir quoi ? Je sais pas. Elle quitte ma chambre. Les
cris recommencent dans le jardin d’à côté et s’estompent. *
(Extrait : SI J’ÉTAIS GRANDE, Angélina Delcroix, or. Éditions
Nouvelles Plumes, 2019, version audio : Audible studio éditeur,
2019. Durée d’écoute : 11 heures 50 minutes. Narrateur :
Pascal Chemin)

  1. Deux petites filles disparaissent le même jour, sans laisser de traces. Elles sont voisines, mais n’étaient pas ensemble au moment de leur enlèvement. Eleanor, bientôt six ans, vit dans la crainte de déplaire à ses parents. Est-elle la menteuse que décrit sa mère ?
  2. Des cadavres d’enfants viennent d’être découverts. Mais il y a une survivante. l’adjudante Joy Morel se retrouve à la tête d’une enquête éprouvante qui va l’entraîner aux frontières de l’inimaginable…

LES ÉLITES DE LA HONTE
âmes sensibles s’abstenir
*…Et les pensées qu’elle avait eu en entendant la voix sur le
répondeur… Quelle horreur ! À quel moment s’était-elle
transformée en un monstre d’égoïsme ? Quel malheur nous
autorise à enfermer à double tour empathie, bienveillance et
générosité ? La conséquence en était aujourd’hui mortelle. *

Le récit est ébranlant. J’avais parfois besoin d’arrêter…de respirer et de réfléchir même sur la réalité que met en lumière ce roman noir. Jetons d’abord un bref coup d’œil sur le synopsis : en 2006, deux petites filles disparaissent séparément, même si elles sont voisines. Dix ans plus tard, un charnier est découvert…un charnier d’enfant…au milieu des cadavres, une survivante dont l’esprit est totalement chaviré :

*C’est plus fort que moi. Une force me pousse. Je ne me contrôle plus. Je laboure les bandages comme un chien creuserait pour trouver un os. Au passage, je me griffe la peau autour. Maman crie. Je l’entends, mais de loin. Je suis partie dans mon monde…celui de la souffrance. * (Extrait)

 À la tête de l’enquête, Joy Morel, enceinte de quatre mois et plutôt mal remise de son enquête précédente entraînera son équipe et en général les personnages sains de l’histoire et par la bande les lecteurs-lectrices, auditeurs-auditrices au-delà des frontières de l’imaginable. Mais voilà…qui est sain dans cette histoire et qui ne l’est pas? C’est loin d’être évident.

Même si vous n’êtes que légèrement sensible, attendez-vous à grincer des dents car dans ce roman noir, tout n’est que meurtres rituels et torture d’enfants, haine, cruauté, violence, satanisme, pédophilie, folie. Le récit dévoile une des pires distorsions de l’âme humaine et touche la corde sans doute la plus sensible en littérature et dans la Société en général : les enfants. C’est à la limite du supportable.

Même le titre qui évoque un certain caractère d’innocence camouffle une incroyable terreur. Je n’ai pas eu vraiment de plaisir à écouter cette histoire. L’efficacité de la plume de Delcroix a exacerbé ma curiosité jusqu’à la finale…une finale d’ailleurs qui m’a glacé le sang. C’est bien écrit…trop bien peut-être et c’est d’une crudité parfois refoulée heureusement mais en générale glaciale et dérangeante.

Le tout se rapproche considérablement de l’actualité, la maltraitance des enfants étant une malheureuse réalité. L’auteure vient aussi nous rappeler que souvent, les personnes que l’on croit bien connaître ou qui sont haut placées dans la Société ne sont pas celles qu’on pense. Il y a des penchants qui sont hautement inavouables.

C’est un roman *Coup de poing*, très fort, très noir, immersif et même gore. Son sujet dérange mais pousse à la réflexion et c’est ce que souhaite l’auteure dans une note publiée à la fin de l’ouvrage. Il faut toutefois faire attention…il y a beaucoup de personnages, on s’y perd un peu…

Encore plus dur de savoir qui est bon, qui est mauvais : *Soit, je suis vraiment un être à part, soit ils sont tous tordus. Vu qu’apparemment je suis toute seule à être différente, la réponse est toute trouvée. * (Extrait) Malgré tout, j’ai été éprouvé par le récit, ébranlé à l’idée qu’on applique à des enfants un étau psychologique qui leur donne un horrible choix : Mourir ou devenir eux-mêmes des monstres. Préparez-vous à du *pas facile*.

Suggestion de lecture : GORE STORY, de Gilles Bergal

Angélina Delcroix, psycho praticienne et auteure

À écouter aussi, de la même auteure
le premier volet de la série JOY MOREL

Bonne lecture
Bonne écoute

Claude Lambert

le samedi 16 mars 2024