LÉDO, un roman sombre de PIERRE CUSSON

<Tu vas voir, salaud, lequel des deux est le plus fou…Le triangle enflammé n’est plus qu’à vingt mètres. Le moment est arrivé…> (Extrait : LÉDO, Pierre Cusson, Éditions Pratiko/ Polar presse, édition numérique, 375 pages)

La petite ville de Ste-Jasmine et l’inspecteur Réginald Simard sont aux prises avec une série de meurtres tous aussi horribles que mystérieux. Un dangereux criminel court les rues et semble insaisissable. Il s’acharne à narguer Simard en le ridiculisant par des notes laissées sur les lieux de ses méfaits. La clé de l’énigme est confinée dans les dossiers de l’éminent policier.

De nombreux rebondissements viennent compliquer l’enquête et au moment où le mystère Lédo semble résolu, surgit alors l’impensable…*Un être aussi abject, d’une perversité aussi extrême, ne peut continuer à faire partie intégrante d’une société* Extrait

PSYCHOPATHE ET PIRE…
*Recouvert d’une mince couche de frimas, le corps
de Rita Donovan gît tout au fond, sur un lit de
petits paquets de viande et de boîtes de produits
de toutes sortes.. À ses pieds l’accompagne son
caniche…*
(Extrait : LÉDO)

Comme la plupart des livres de Pierre Cusson, Lédo est un roman policier très sombre. Pour vous placer le mieux possible dans le contexte, je pourrais comparer le style de Cusson à celui de Martin Michaud (voir la chorale du diable) ou encore à celui de Chrystine Brouillet. Ces auteurs ont une capacité de montrer jusqu’où peut descendre la bêtise humaine.

Dans LÉDO, la petite ville de Sainte-Jasmine est le théâtre de meurtres aussi horribles que mystérieux. Des meurtres qui laissent supposer que les victimes ont subi une innommable torture. Un criminel dégénéré court les rues, insaisissable et pousse la provocation jusqu’à laisser des messages à l’inspecteur Réginald Simard qui enquête sur ces meurtres :

*«Que fais-tu Simard? Tu arrives trop tard. Il ne te reste plus qu’à ramasser les ordures. Comme d’habitude. Tu es un incompétent et jamais tu ne pourras m’attraper. Mais comme je suis généreux, tu auras encore ta chance. Ce petit salaud n’est pas le dernier. Alors à bientôt, Réginald. xxx.»* (Extrait)

J’ai plongé dans cette lecture et je n’ai jamais vu le temps passer. Intrigue, mystère, énigmes et beaucoup de questionnements. Il semble que plusieurs victimes étaient loin d’être des enfants de chœur. Mon attention était déjà soutenue jusqu’au milieu du récit où j’ai eu droit à un véritable coup de théâtre, l’histoire a fait un extraordinaire virage sans nuire en quoi que ce soit au fil conducteur.

N’ayant aucune idée du nombre de pages restantes, je croyais que l’histoire était terminée. Mais non. J’étais au milieu. La deuxième partie m’a catapulté dans une forte addiction qui m’amenait de surprise en surprise.

Pierre Cusson a fort bien soigné la psychologie de ses personnages et a orchestré une histoire noire dont certains passages sont à soulever le cœur et poussent le lecteur et la lectrice à se demander s’il est possible que l’homme puisse descendre aussi bas. Je vous fais grâce des détails mais en dehors des exactions humaines heureusement décrites avec une certaine retenue, nous avons ici un excellent roman policier, très bien écrit.

Le style de Cusson est très direct et le caractère haletant de l’histoire ne ménage pas le lecteur. Bavures, errance policière, traîtrise… La plume est forte. Il n’y a pas de longueurs, pas de temps morts. Le coup de théâtre au milieu du récit m’a pris par surprise et j’ai trouvé la finale fort imaginative et qui n’est pas sans laisser le lecteur avec de la matière à réflexion.

En fait, le principal questionnement ici est le fait de se faire justice soi-même. *«Se faire justice soi-même est un grave délit. Laisser errer un meurtrier parmi les innocents, c’est de la folie pure et simple», Ce sont ces phrases que Réginald Simard avait criées à Marcel Vincelette alors que ce dernier quittait sa chambre à l’hôpital de Sainte-Jasmine.* (Extrait)

Est-ce qu’on est en droit de dire que quelqu’un ne mérite pas de vivre? Que la seule façon d’empêcher une récidive de la part d’un meurtrier est de l’abattre ? Est-ce qu’on peut se substituer à la justice ?

Qui n’a pas été tenté de le faire ? La loi est claire. Il y a la justice qui est là pour ça. Elle est lente. À beaucoup, elle donne l’impression d’être détraquée. La justice est aveugle comme le dit l’expression consacrée, mais c’est la justice. Le livre pose ou peut-être devrais-je dire *expose* une question : Est-il possible qu’il se présente des circonstances qui ne donnent pas le choix ?

Plusieurs personnages ne sont pas tous ce qu’ils prétendent être. C’est un beau défi de lecture car on va de rebondissement en rebondissement et l’énigme s’épaissit au fur et à mesure de la progression de l’histoire et la première conclusion tirée au milieu de l’ouvrage est surprenante. Pour ceux et celles qui aiment les lectures *hard* et *gore* pour utiliser un langage exceptionnellement familier, LÉDO est pour vous.

Suggestion de lecture : DANS L’OMBRE DE CLARISSE, de Madeleine Robitaille

Au moment d’écrire ces lignes, les notes biographiques sur Pierre Cusson étaient à peu près inexistantes. Je sais que Pierre Cusson est né en 1951 en Montérégie au Québec et que toute son enfance a été imprégnée des histoires d’Hergé, de Jules Verne et d’Henri Verne et plusieurs autres auteurs et qui ont contribué au développement de l’imagination déjà fertile de Pierre Cusson. Pour suivre cet auteur, cliquez ici.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 9 novembre 2019

STAR WARS, LES DERNIERS JEDI, BRIAN JOHNSON

Commentaire sur le roman du film
novellisation d’après le scénario de
BRIAN JOHNSON

*L’homme abandonne son air sévère. Ses yeux se voilent. Ce sabre laser porte tant de souvenirs ! TROP de souvenirs. Il ne devrait pas l’accepter. Pas après si longtemps. Ses doigts métalliques touchent la poignée. Elle lui parait aussi légère et familière que la première fois qu’il l’a tenue en main. Ce jour-là, sa vie avait basculé. Il s’était découvert une destinée.

(Extrait : STAR WARS VIII LES DERNIERS JEDIS, novellisation de Michael Kogge d’après le scénario de Rian Johnson. Hachète 2018, édition de papier, 216 pages, la bibliothèque verte.)

Il y a longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine…Le premier ordre règne. Après avoir décimé la pacifique république, le Suprême leader Snoke déploie ses impitoyables légions pour prendre le contrôle militaire de la galaxie. Seule la générale Leia Organa et les chasseurs de la résistance s’opposent à la tyrannie naissante, convaincue que le Maître Jedi Luke Skywalker reviendra pour redonner une étincelle d’espoir au combat. Mais la résistance s’est laissée surprendre tandis que le premier ordre fond sur la base rebelle, les héros tentent une évasion désespérée.

RETOUR SUR LA FORCE
*Maintenant qu’ils sont disparus, les Jedi sont
idéalisés, idolâtrés comme des dieux. Mais
au-delà du mythe, leur héritage n’est qu’échec,
hypocrisie et orgueil. *
(Extrait)

Un bon petit livre, excellent pour les 8-12 ans, les préados contemporains de la troisième génération des Star wars, mais pour les adultes issus de la première génération (UN NOUVEL ESPOIR, L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE, LE RETOUR DU JEDI) il se pourrait bien que beaucoup de lecteurs-lectrices pensent comme moi…que LES DERNIERS JEDI est une histoire réchauffée et redondante et qui laisse supposer un essoufflement du thème général de la guerre des étoiles.

Voyons un peu plus en détail le synopsis en commençant par les personnages. On retrouve d’abord SNOKE, le suprême leader du Premier Ordre, tyrannique et sans scrupules. Le bras droit de SNOKE, KYLO REN, de son vrai nom BEN SOLO, ancien padawan de Luke Skywalker qui a basculé dans le côté obscur. Kylo Ren est le fils de Leïa et Han Solo, issus de la première génération des Star Wars tout comme Chewbacca qui est encore là. Han Solo a été tué par son propre fils.

On retrouve plusieurs personnages de soutien, JAKKU, REY, FINN et les deux principaux personnages de la première trilogie : PINCESSE LEÏA ORGANA, devenue Générale et LUKE SKYWALKER, un des derniers Jedi qui travaille à détruire l’Ordre des Jedi et le faire oublier.

Voilà pour les personnages. Le contexte est déjà plus clair. Dans cet épisode, le huitième de la saga, le Premier ordre règne après avoir annihilé la pacifique république. Il reste toutefois Ies enfants de la rébellion avec Leïa en tête. Mais la rébellion se meure et tous n’ont qu’un espoir, que le maître Jedi Luke Skywalker reprenne du service…

Luke dont le destin va se préciser dans le récit : *Tu m’as demandé la raison de ma présence ici. Je suis venu sur cette île pour mourir, et pour m’assurer que l’Ordre Jedi mourra avec moi. * (Extrait)

Reste à savoir comment se débrouillera la rébellion sans Luke. Un aspect intéressant du récit est à l’effet que les sentiments de Kylo Ren pour Rey se précisent ainsi que ceux envers son père Han Solo. Mais en général, tout le livre est basé sur un espoir impossible. La finale est particulièrement déchirante et met en place des éléments intéressants pour une suite.

Pour moi c’est clair, la série s’essouffle. Elle développe en fait l’éternelle dualité du bien et du mal à grands coups de rayons et de sabres laser, de bombes, de méga-cuirassés et de quadripodes dans un univers hautement technologique. Encore une fois, la Force s’oppose à son pendant obscur, cette force qui octroie des dons très particuliers et puissants à ceux qui la maîtrisent. L’histoire se répète et se répète encore.

Même un des derniers Jedi disparait de la même façon qu’Obiwan Kennoby disparait dans son combat contre Dark Vador pour permettre à Luke Skywalker et ses amis de fuir. Le corps disparait devrais-je dire, ce qui ne l’empêchera pas d’intervenir par la suite.

Sur le plan littéraire, le sujet est élimé. Sur le plan cinématographique, c’est autre chose. Là aussi le sujet tombe en poussière mais comme je suis un amateur d’effets spéciaux, je compte sur les prochains épisodes pour me surprendre.

Mettons de côté un instant ma déception de cette novellisation. En fait j’essaie de me mettre dans la peau des préados. La novellisation des Star Wars leur offre ce que plusieurs d’entre eux recherchent et ici, je ne fais pas référence uniquement au lectorat masculin.

Vous pourriez être surpris. Les histoires se tiennent et leur fil conducteur est relativement efficace. Il y a beaucoup d’action, des revirements, des pouvoirs fantastiques, des combats savamment réglés et bien sûr, ça s’entretue.

Peut-être les jeunes constateront ils un manque d’originalité rendu au huitième épisode parce que les récits se suivent et se ressemblent. Violence, magie, héroïsme et haute technologie avec des personnages auxquels on aime s’identifier…c’est quand même vendeur.

Suggestion de lecture : FAIRE DES SCIENCES AVEC STAR WARS de Roland Lehoucq

Ryan Johnson est un réalisateur, scénariste et producteur américain né en 1973 dans le Maryland. Il se lance dans la réalisation de son premier film en 2005, avec le thriller Brick, qui s’inscrit dans la veine du film noir. Rian Johnson remporte tous les suffrages avec cette œuvre et gagne de nombreux prix. Ce succès permet au réalisateur de faire des débuts remarqués dans le milieu.

Malgré une seconde réalisation passée plus inaperçue, Rian Johnson frappe fort avec son troisième film, LOOPER dans lequel un Joseph Gordon-Levitt, méconnaissable donne cette fois la réplique à Bruce Willis sur fond de voyage dans le temps. Ce film est d’ores et déjà considéré comme « révolutionnaire ».

Johnson s’est ensuite engagé pour mettre en scène le blockbuster STAR WARS LES DERNIERS JEDI, 8ème épisode de la franchise intergalactique.

AU CINÉMA

En haut, le Wookie Chewbacca et un nouveau copain. Extrait de LES DERNIERS JEDI, VIIIe épisode de STARWARS du réalisateur-scénariste Brian Johnson, sorti en 2017. Ci-dessus, Mark *Skywalker* Hamill. Le simple jedi de la première série (à gauche) devient Maître Jedi à droite.

LA SÉRIE NOVELLISÉE
         
         

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le mercredi 23 octobre 2019

 

BILLY-ZE-KICK, le livre de JEAN VAUTRIN

*« Chère Julie-Berthe. Je suis près de toi. Partout et nulle part. Je te regarde dormir. Je suis prêt à t’obéir. Un mot de toi et j’exécuterai tes ordres. Désigne-moi qui tu Veux tuer et tu verras ce sera fait. Ton dévoué Billy-Ze-Kick » * (Extrait, BILLY-ZE-KICK, Jean Vautrin, Éditions Gallimard, Série Noire, 1974, édition numérique et de papier. 145 pages num.)

Un fou dégomme au fusil à lunette une mariée à la sortie de l’église… Un horticulteur refuse le bétonnage de ses terres et piège son terrain… Des gosses s’enferment dans les caves des tours et y passent des heures… La banlieue est devenue dangereuse, la mort rôde. Julie-Berthe, dans ce décor, a sept ans, zozotte et est terriblement précoce. Elle adore les zizis et les zézettes. Oui, Julie-Berthe est un ange ! Son père, qui pensait se la couler douce au commissariat en l’absence du chef, se retrouve dépassé. Sa fille, orchestre le chaos. Billy-ze-Kick est son prince charmant : il fera ses quatre volontés… Billy serait un mythe enfantin si le sang qu’il verse n’était pas réel.

UN VRAI TUEUR IMAGINAIRE
*Billy-Ze-Kick ouvrit les yeux…Maintenant venait le temps
de la réflexion. Une sourde angoisse lui nouait l’estomac.
Avec le meurtre de la mariée (il préférait dire le coït), il
avait été totalement imprudent. Il avait obéi à une espèce
d’urgence, à une sorte de soumission inconsciente.*
(Extrait : BILLY-ZE-KICK)

C’est un récit étrange. Un roman très noir qui tourne autour d’une étrange famille : Roger Clovis Chapeau, inspecteur de police très attaché à ses prérogatives et au prestige lié à son titre. Julie Chapeau, sa femme, un peu volage et Julie-Berthe Chapeau, une petite fille à l’esprit perturbé et qui souffre d’un sévère problème langagier : elle *zozotte* :

*Papa dit que si ze développe mon intelligence, zirai loin à condition que les cochons me bouffent pas. Qui mettent pas leurs sales pattes sur mon derrière. C’est comme ça qui l’appelle mon popotin, M. Chapeau, mon papa.* (Extrait)

Clovis a pris l’habitude de raconter à sa fille des histoires policières et de meurtre ayant comme personnage central un garçon susceptible, capricieux et violent : BILLY-ZE-KICK. Or, depuis quelques temps, des meurtres sont commis dans la ville de Clovis… des meurtres calqués sur les histoires que raconte le policier à sa fille :

*Un être qu’il avait fabriqué de toutes pièces. Il venait de lui lâcher la main, de lui faire faire ses premiers pas, BILLY-ZE-KICK venait de débuter dans le monde.* (Extrait)

L’histoire est très glauque et réunit une brochette de personnages égocentriques issus de la cité-dortoir des oiseaux, un *achélème* sordide et invivable dont on développe l’envie irrésistible de sortir. Dans tout ce petit monde à la recherche d’air, il y a BILLY-ZE-KICK, personnage basé sur le légendaire Billy-The-Kid, bête et très méchant. Je vous laisse trouver qui joue le rôle de ce personnage odieux.

Mais une chose est sûre : Julie-Berthe y est très attachée : *Si tu es Billy-Ze-Kick, dit-elle, sois gentil. Tue quelqu’un pour moi veux-tu ?…Si tu es vraiment Billy-Ze-Kick…il faut que tu tues ma maman Zuliette.* (Extrait) Graduellement, la petite fille de 8 ans devient monstrueuse…*Un zour, un zour, il faudra que ze tue quelqu’un pour voir comment ça fait. C’est une sensation que ze veux connaître* (Extrait)

Ce livre a été publié au milieu des années 70 et est très lié au contexte de l’époque. Toutefois il pose une énigme intéressante au lecteur : Qui est Billy-Ze-Kick? Un gangster qui s’en sort toujours mais encore ?

Le livre propose donc un défi au lecteur, un défi particulier d’autant qu’il projette dans l’univers complexe de la maladie mentale et de plus, il m’a poussé à la réflexion ou tout au moins à me poser la question : Est-ce que tout le monde n’a pas dans son imaginaire un billy en dormance ?

Je serais curieux de voir quelle proportion de lecteurs se sont attachés à Billy parce qu’entre autres raisons, il est vulnérable. Pourtant, c’est un personnage odieux et insensible pour qui tuer est virilisant. Le livre a certaines caractéristiques de l’étude de mœurs.

Donc j’ai aimé ce livre, c’est une histoire intéressante mais elle a mis ma patience à l’épreuve à cause de son langage très argotique…un jargon poussé pas à peu près : *À c’t’heure, Chariot Bellanger refoulait du goulot et bobinait du côlon avec enflure du pancréas et tortillon dans le grêle tripou tellement son épicurien dîner s’avérait difficultueux à suc-digestiver.* (Extrait)

Autre difficulté dans la lecture de ce livre : le fil conducteur de l’histoire ne tient pas la route. Le récit prend toutes sortes de direction et occulte l’enquête policière. L’auteur a plutôt misé sur la psychologie de ses personnages, leur mal de vivre leurs mœurs et les interactions entre les acteurs du drame.

Il  ne faut pas oublier aussi bien sûr, au centre,  Julie-Berthe et sa créature : BILLY-ZE-KICK. Enfin je précise que tous les propos de Julie-Berthe sont *zozotés* dans le récit. Ça aussi c’est pas toujours facile à suivre. C’est agaçant mais j’ai pu m’y faire avant la fin.

C’est donc un livre intéressant à lire, mais lourd et centré sur une petite fille laissée à elle-même et dont l’imagination malade donne corps à Billy-Ze-Kick. Le lecteur pénètre dans un univers déjanté où les relations humaines sont mécaniques…intrigantes…curieuses, atypiques…un défi à relever.

Suggestion de lecture : LE CHUCHOTEUR, de Donato Carrisi

Jean Vautrin (1933-2015) de son vrai nom Jean Herman était un écrivain, réalisateur, scénariste et dialoguiste français. Il gagne en notoriété dans les années 1970 avec des œuvres comme BILLY-ZE-KICK et BLODY MARY après avoir commencé à écrire sous son pseudonyme : Jean Vautrin. Autre trouvaille de l’écrivain, en 1987, avec Dan Franck, il créera le fameux personnage du reporter-photographe au grand cœur : Boro dont les aventures seront adaptées à la télévision. En 1989,  Il obtient le prix GONCOURT pour son roman UN GRAND PAS VERS LE BON DIEU. En 1998, il reçoit le prix Louis-Guilloux pour l’ensemble de son œuvre.

BILLY-ZE-KICK AU CINÉMA

BILLY ZE-KICK a été adapté au cinéma par Gérard Mordillat en 1985. Dans la distribution, on retrouve François Perrin dans le rôle de l’inspecteur Chapeau. La jeune Julie-Berthe est jouée par Cérise Bloc. Les amateurs de musique se rappelleront également qu’un groupe a pris le nom de BILLY-ZE-KICK et les gamins en folie. Ce groupe a réalisé un album éponyme sorti en France en 1994. Un groupe de punk rock moins connu a pris le nom de Billy-Ze-Kick. Dans tous les cas, le caractère noir du mystérieux personnage est avéré.

BONNE LECTURE
CLAUDE LAMBERT
Le dimanche 4 août 2019

TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, le classique de VOLTAIRE

*Le mensonge en a trop longtemps imposé aux
hommes. Il est temps qu’on connaisse le peu
de vérités qu’on peut démêler à travers ces
nuages de fables qui couvrent l’histoire romaine,
depuis Tacite et Suétone et qui ont presque
toujours enveloppé les Annales des autres nations
anciennes.*

(Extrait : TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, Voltaire. Publication
originale : 1763. Pour la présente édition : Les Éditions du 38,
réédition en mode numérique, 2015)

LE TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE est une œuvre publiée en 1763, qui vise la réhabilitation de Jean Callas, protestant faussement accusé et exécuté pour avoir assassiné son frère afin d’éviter que ce dernier ne se convertisse au catholicisme. Dans ce texte, Voltaire invite à la tolérance entre les religions et prend pour cible le fanatisme religieux et présente un réquisitoire contre les superstitions véhiculées par les religions.

À la suite de l’exécution de Jean Calas, qui plaide son innocence jusqu’à sa mort, le procès est rejugé à Paris et, le 9 mars 1765, la famille Calas est réhabilitée. Il faut dire que la famille protestante avait été mise aux fers et le père avait été condamné à mort malgré l’absence de preuves. Le contexte historique est encore une fois fortement marqué par les guerres de religions des siècles précédents.

BRÛLANT D’ACTUALITÉ
MÊME APRÈS 250 ANS
*La querelle s’échauffa ; le jacobin et le jésuite se prirent aux
cheveux. Le mandarin, informé du scandale, les envoya tous
deux en prison. Un sous-mandarin dit au juge : «Combien de
temps Votre Excellence veut-elle qu’ils soient aux arrêts?»
«Jusqu’à ce qu’ils soient d’accord.» «Ah!…ils seront donc en
prison toute leur vie.» «Hé bien! Dit le juge, jusqu’à ce qu’ils
se pardonnent.» «Ils ne se pardonneront jamais…je les connais.»
«Hé bien donc! Dit le mandarin, jusqu’à ce qu’ils fassent
semblant de se pardonner.»
(extrait)

Vous savez que je n’échappe pas à un appétit occasionnel pour les classiques. Cette fois, j’avais envie de plonger dans un livre du grand Voltaire. En consultant son extraordinaire bibliographie, j’ai été tenté d’abord par CANDIDE, sa meilleure œuvre romanesque, publiée en 1759 mais finalement j’ai opté pour TRAITÉ SUR L’INTOLÉRANCE parce que le livre développe un thème qui m’est cher même si son appel du cœur condamnant l’intolérance se fait sentir dans l’ensemble de son œuvre.

Première observation, Voltaire a toujours été un infatigable défenseur de la tolérance et de la liberté individuelle. Deux vertus pas très compatibles avec son époque. Il écrivait fort…il parlait fort…peut-être trop au goût de ses contemporains.

Frappé par la censure, Voltaire continuait son combat mais ses écrits devinrent clandestins. Il n’est donc pas étonnant que j’aie senti une certaine retenue dans son TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE. J’ai trouvé ça un peu désolant eu égard à sa rectitude d’esprit et à son insatiable soif d’équité, de justice, de raison et de liberté. Toutefois, je peux comprendre cette retenue. Voyons le contexte.

Le fils de Jean Callas est retrouvé mort, supposément par suicide. Le peuple ne voit pas cette mort du même œil. Il se trouve que le fils Callas s’était converti au catholicisme. Son père étant Huguenot, donc protestant.

Vous devinez sans doute que Jean Callas ferait une belle proie pour une justice douteuse et expédiée par 13 juges question de calmer un peu le peuple qui évoque, pour moi en tout cas, un cheptel de moutons. Effectivement, le 10 mars 1762, Jean Callas est arrêté et condamné à mort à l’issu d’un procès qui ne tenait compte finalement que de la direction du vent.

Et la demande populaire (le vent) n’étant pas favorable à la famille, celle-ci fut mise aux fers. Aucune preuve sérieuse n’est apportée. Encore une fois la justice a été ballotée par l’histoire qui est comme on le sait riche en guerres de religions

*Il est donc dans l’intérêt du genre humain d’examiner si la religion doit être charitable ou barbare* (Extrait) Il faudra attendre jusqu’en 1765 avant que l’appel soit accepté et que la famille soit réhabilitée…un peu tard. Et ça n’a pas ressuscité Jean.

Vous voyez où je veux en venir. Voltaire marchait sur des œufs. Son traité sur la tolérance visait avant tout le renversement du jugement et la réhabilitation de la famille Callas. Il devait éviter tout emportement et rester à l’intérieur des limites de la diplomatie face à la royauté et à l’Église Catholique. Il a dû souffrir le pauvre. Je ressens sa frustration à travers sa plume : *On dirait qu’on a fait vœu de haïr ses frères; car nous avons assez de religion pour haïr et persécuter, nous n’en avons pas assez pour aimer et secourir*. (Extrait)

Le TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE est un long appel de Voltaire à la raison. Son argumentaire est sérieux et très éclairant à mon avis. Peut-être cet appel a-t-il été entendu au fil des ans, mais aujourd’hui, 257 ans après la publication du TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, j’observe que les choses n’ont pas changé. Je pense aux dirigeants qui posent des actes qu’ils ne tolèrent pas eux-mêmes en vertu de la loi, sans parler de l’antisémitisme, du racisme, du Djihad, de l’inquisition et j’en passe.

Est-ce que l’intolérance serait atavique ? Génétique ? Jamais un livre n’aura gardé autant son actualité au fil des siècles. Il aurait pu être publié cette semaine, Voltaire n’aurait probablement pas changé un mot. Car il était et il est toujours impensable que les croyances excusent la folie, que la Foi justifie la violence, la haine et les guerres soi-disant saintes.

Beaucoup de chose m’ont plu dans le TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE. J’ai déjà parlé de l’argumentaire, j’ajouterai la force de sa conviction menant à une dénonciation de la bêtise humaine, corollaire de l’intolérance, son côté mordant et parfois cynique, Voltaire aime grafigner. Je suis aussi émerveillé par l’érudition de Voltaire et l’audace avec laquelle il brasse la Chrétienté et l’Église catholique entre autre, cette dernière parvenant difficilement à évoluer.

Malgré toute la philosophie et le*bon pain* qui se dégage de ce texte, j’observe que Voltaire est un combattant engagé. Il dénonce l’intolérance mais oublie souvent de prôner la tolérance. Il dénonce, mais sans guider son lectorat vers de meilleures dispositions. C’est la principale faiblesse de son traité, si je fais abstraction de ses phrases très longues et cassantes et d’une grammaire compliquée.

Une chose est sûre, l’intolérance mène à la tyrannie. Ce n’est pas un droit, c’est une plaie purulente qui entache l’histoire de l’humanité. Le point de vue de Voltaire mérite d’être exploré. LE TRAITÉ SUR L’INTOLÉRANCE est une belle œuvre. Tout le monde devrait lire ce livre au moins une fois.

 Pour connaître la bibliographie de Voltaire, Cliquez ici

Suggestion de lecture : LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY, d’Oscar Wilde

François-Marie Arouet, dit Voltaire, né le 21 novembre 1694 à Paris est un écrivain et philosophe français qui a marqué le XVIIIe siècle et qui occupe une place particulière dans la mémoire collective française et internationale. Figure emblématique de la philosophie des lumières, son nom reste attaché à un combat farouche contre le fanatisme religieux et pour la tolérance et la liberté de pensée. Intellectuel engagé au service de la vérité et de la justice, il prend, seul et en se servant de son immense notoriété, la défense des victimes de l’intolérance religieuse et de l’arbitraire dans des affaires qui l’ont rendu célèbre comme l’affaire Jean Callas.

Pour consulter la biographie de Voltaire, cliquez ici.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 26 mai 2019

L’APPÂT, enquête de Kelly McDade, livre de SYLVIE G.

*-Maman, quelqu’un doit arrêter ces fous et je pense que je peux le faire.* (Extrait : L’APPÂT, Les enquêtes de Kelly, McDade, Sylvie G., Boomerang éditeur, jeunesse, 2015, numérique, 324 pages.)


L’APPÂT raconte l’histoire de Kelly Mc Dade, une adolescente de 17 ans. Kelly prévoyait une rentrée scolaire excitante mais son année sera bien différente de celle qu’elle avait imaginée. En tentant de comprendre ce qui se cache derrière l’étrange métamorphose de son amie Jasmine, elle se retrouvera impliquée dans une enquête criminelle et devra faire face à des cyberprédateurs. Heureusement, elle sera secondée par un bel enquêteur…Au départ Kelly découvre que Jasmine vit très péniblement sa séparation avec son petit ami. Elle semble changée. Ajoutons à cela la directrice adjointe qui semble bien avoir disparu et d’autres bizarreries vont se rajoutées. Kelly veut en avoir le cœur net. Voici donc la première enquête de Kelly McDade. 

LE NET PAS NET

*«David est un type que j’ai connu sur internet. J’ai discuté
longtemps avec lui sans jamais avoir l’occasion de le
rencontrer. Malgré tout, nos conversations ont pris une
direction un peu inattendue. Pour moi,  en tout cas, ce
l’était. Je voulais le voir, mais il remettait constamment
notre rendez-vous. Pour des raisons que je comprends
maintenant.*
(Extrait : L’APPÂT)

C’est un livre qui pourrait plaire aux jeunes en fin d’adolescence et aux jeunes adultes. Dans L’APPÂT, Sylvie G. introduit un sympathique personnage dans un genre relativement nouveau en littérature : le *policier-jeunesse* : il s’agit de Kelly McDade, une jeune fille de 17 ans qui ressemble à beaucoup de jeunes filles de son âge, énergique, enjouée, sensible à sa famille et elle accorde une grande importance à l’amitié. C’est un point fort du roman, les jeunes vont se reconnaître.

Le fil conducteur du récit est à la fois solide et simple : une de ses meilleures amies, Jasmine subit une transformation. Kelly veut tout savoir sur cette bizarre métamorphose et enquête au moins pour savoir comment aider son ami. Il se trouve que la mère de Kelly est officier-inspecteur de police et parmi ses employés, il y a Derek, un adonis de 22 ans qui fait la connaissance de Kelly…les deux ont le coup de foudre.

Il y a des éléments que je trouve surréalistes dans ce récit, par exemple, la maturité de Derek qui est un peu poussée pour son âge. Ensuite, il y a l’omniprésence de Kelly, elle est partout et souvent comme par hasard. Je trouve aussi surréaliste qu’une jeune fille de 17 ans serve d’appât et objet d’infiltration en se mettant en danger de mort malgré les précautions prises.

Ce qui m’a le plus irrité dans L’APPÂT c’est la relation entre Derek et Kelly qui prend presque toute la place dans les deux premiers tiers du livre. Ce bouquet romantique met l’enquête dans l’ombre un peu trop à mon goût.

J’ose croire que Sylvie G. prend bien son temps pour exposer le profil psychologique et sentimental de ses personnages étant donné que L’APPÂT inaugure une série sous le titre LES ENQUÊTES DE KELLY McDADE. Je peux espérer donc que cet aspect sera réduit sans être nécessairement occulté du moment que l’intrigue n’est pas noyée.

Malgré tout, dans mon rapport de forces et de faiblesses, L’APPÂT se positionne très bien. Il y a beaucoup de points forts : Les personnages sont attachants, je pense entre autres à Jason, un collègue de Derek, un petit comique qui apporte un bel équilibre à l’ensemble, à part peut-être les nombreux tête-à-tête entre Kelly et Derek, il n’y a pas de longueurs. La plume est fluide, c’est agréable à lire.

Le troisième tiers du livre est venu m’accrocher, comme quoi il vaut la peine d’être patient. L’épisode où Kelly sert d’appât est particulièrement bien fignolé. Si je suis devenu presque aussi nerveux que Kelly, c’est que l’auteure a provoqué l’émotion en maintenant pendant un long moment une évidente intensité dramatique.

Enfin, dans L’APPÂT, sans être moralisatrice, l’auteure introduit un sérieux objet de réflexion. Il s’agit de la cyberprédation, ce cercle infernal dans lequel Jasmine est prise. Ça fait réfléchir car c’est un cercle qui se referme sur la victime comme un étau.

La cyberprédation a de redoutables corolaires : trafic humain, prostitution, drogue, violence. Rencontres virtuelles égalent danger. Le récit met en perspective la fragilité de l’adolescence et Jasmine en est le plus bel exemple.

C’est l’aspect le plus positif du livre : le message qu’il passe et la façon dont il passe. Là-dessus je pense que Sylvie G. a réussi son coup. Je déplore un peu le côté fleur bleue agaçant qui caractérise le récit dans les deux premiers tiers. Mais il y a suffisamment de points positifs pour faire de ce livre un succès en librairie.

Sylvie G. est une auteure québécoise. Depuis longtemps, elle met sur papier tout ce qui lui passe par la tête…prélude à sa passion pour l’écriture. Sylvie G. est intervenante auprès des jeunes en difficulté.

C’est en grande partie ce qui lui a donné l’idée d’écrire. Passionnée de psychologie et armée de son expérience en relation d’aide avec les jeunes, elle a créé des personnages attachants dont Kelly McDade, une adolescente sympathique qui aime aller au fonds des choses et qui a une âme d’investigatrice.

Sylvie G développe donc des romans à saveur préventive, c’est-à-dire qui visent à outiller les jeunes pour les aider à faire des choix éclairés. Dans l’appât, il est question de cyberprédation, dans ses prochains romans, elle développera entre autres, la drogue, le viol, l’intimidation. Sylvie G. a du pain sur la planche et Kelly aussi…

BONNE LECTURE
CLAUDE LAMBERT
JANVIER 2018

FRANKENSTEIN, le classique de MARY SHELLEY

*Sa stature gigantesque, la difformité de son aspect, trop hideux pour appartenir à l’humanité, m’apprirent sur-le-champ que c’était le misérable, l’épouvantable démon à qui j’avais donné la vie.* (Extrait FRANKENSTEIN, Mary Shelly, édition originale : 1818,
pour la présente réédition, Les Éditions du 38, 2015, édition numérique, 200 pages num.)

   

FRANKENSTEIN OU LE PROMÉTHÉE MODERNE raconte l’histoire de Victor Frankenstein, un jeune savant suisse passionné de physique et fasciné par les effets de la foudre.

Un jour, Frankenstein décide d’actualiser ses connaissances scientifiques jugées par ses tuteurs scientifiques faussées et faibles. Il va même les propulser vers l’avenir en utilisant l’énergie fantastique de la foudre et son esprit devenu un peu torturé pour créer, à partir de chairs mortes, un être vivant.

Ça fonctionne, mais l’être qu’il crée, quoique doué d’intelligence est affreusement hideux au point que Frankenstein l’abandonne et disparaît. Furieux d’avoir été rejeté par son créateur et persécuté par la société, la créature traquera son père. Victor Frankenstein sera finalement recueilli sur la banquise par un navire faisant route vers le pôle nord. Un face à face semble inévitable…

ANIMÉ PAR LE FEU DU CIEL
*Mes machinations criminelles ont donc eu
 raison de ton existence, mon cher Henry!
 J’ai déjà détruit deux êtres humains. D’autres
 victimes vont encore succomber!*
(Extrait)

Mon exploration de la littérature classique se poursuit cette fois avec Frankenstein de Mary Shelly, un livre qui a beaucoup frappé l’imaginaire depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours car le thème central tourne autour du pouvoir de donner la vie et la mort.

Je n’ai pas été déçu mais j’ai été surpris, étonné de constater à quel point l’œuvre de Mary Shelly a été galvaudée et mal comprise. Je me réfère ici aux très nombreuses adaptations de Frankenstein pour le cinéma et la télévision.

D’abord résumons. Ce livre raconte l’histoire de Victor Frankenstein qui, émerveillé par la puissance de la foudre et obsédé par une théorie scientifique, réussit à créer, à partir de chairs mortes, un être vivant. Victor ne lui a pas donné de nom. On parlera de lui comme étant le monstre de Frankenstein. Monstre parce que l’être que Victor a créé est immense, difforme, laid, hideux.

Victor rejette sa créature qui, elle, ne l’accepte pas. Le monstre demande à son créateur de créer une créature femelle à son image en échange de quoi il disparaîtra complètement de sa vie. Frankenstein refuse. Alors la créature se vengera sur tous les proches que Frankenstein aime.

C’est tout. L’histoire n’explique pas comment a été créé le monstre, comment et où le docteur allait chercher les organes, les parties de corps. L’histoire n’explique pas non plus, ou très peu comment le monstre exerçait sa vengeance sur les proches de Frankenstein.

L’histoire commence alors que le docteur pense entrevoir sa créature et bâtit secrètement des plans pour l’éliminer. Quant à la finale, elle est loin d’être aussi spectaculaire que ce à quoi le septième art nous a habitué.

En fait, ce livre repose essentiellement sur la honte et les regrets du bon docteur Frankenstein ainsi que sur une singulière haine que se vouent mutuellement la créature et son créateur. Voici un exemple, extrait d’un plaidoyer de la créature à son créateur. Il fait plus que dire son mépris, il crache sa haine :

*Tout ce qui concerne mes origines maudites y est consigné. Chaque détail de cette chaîne de faits horribles est mis en relief. Et y est donnée aussi la description précise de mon odieuse et repoussante personne, en des termes qui accusent ta propre horreur et qui rendent la mienne indélébile. J’étais dégouté en lisant cela. «Maudit soit le jour de ma naissance ! » m’écriai-je.* (Extrait)

Au-delà d’un récit au rythme lent et très redondant à mon avis, le livre véhicule un beau schéma de pensée sur la vie, la mort, l’amertume de la vengeance et, dans un cadre plus moderne, les risques d’une recherche scientifique non encadrée et la mise en perspective de l’éthique.

Il y a un élément en particulier qui m’a agacé : de la création du monstre jusqu’à la conclusion du livre, il s’écoule trois années. Or, lors d’une longue histoire que la créature raconte à son créateur, je me suis aperçu très vite que le monstre s’exclamait dans un français haut de gamme et faisait preuve d’une érudition qu’il faudrait une vie entière pour atteindre. Cette histoire était en fait une supplique.

Le monstre insistait pour que Frankenstein crée une réplique féminine. Comment une créature qui ne sait ni lire ni écrire peut déclamer à ce point dans un français aussi impeccable. Pour moi, c’est une incohérence.

Je crois que c’est le cinéma qui a fait la notoriété du livre il ne s’est pas encombré des lamentations du docteur ni du français haut perché de sa créature.

Les performances de Boris Karloff en particulier et les investissements de la Hammer ont frappé de plein fouet l’imaginaire collectif et ont dénaturé l’œuvre de Mary Shelly, faisant du monstre de Frankenstein l’œuvre la plus adapté au cinéma avec Dracula et Tarzan.

Sans être un chef d’œuvre, Frankenstein demeure pour moi un classique de la littérature. Ne vous attendez pas à de l’action, il n’y en a pas…pas plus que des scènes d’horreur et des bains de sang. Ce livre est d’abord l’histoire d’un homme qui s’accuse et c’est surtout sa teneur philosophique qui m’a intéressé.

Mary Godwin (1797-1851) est une écrivaine britannique née à Londres. En 1816, Mary épouse le poète Percy Shelley. La même année, Mary se met à l’écriture et entreprend son roman FRANKENSTEIN qui sera publié en 1818. Après la mort de son mari, Mary Shelley se consacre entièrement à sa carrière d’écrivaine et fait publier ses œuvres ainsi que celles de son mari. Des œuvres qui seront sensiblement mises dans l’ombre par son célèbre FRANKENSTEIN qui deviendra aussi un des leviers ouvrant la voie à la science-fiction moderne. Mary Shelly est morte en 1851 à l’âge de 53 ans.

FRANKENSTEIN AU CINÉMA

                  
1931                                           1957                                          1970

Boris Karloff a été le premier à interpréter Frankenstein dans l’adaptation cinématographique de 1931 produite par Universal. Sa prestation influencera toutes les incarnations futures du monstre. Les productions télé de 1973 et long métrage de 1994 sont beaucoup plus proche du roman. Quant à Boris Karloff, on peut dire qu’il aura marqué l’imaginaire collectif.

Nous verrons dans d’autres adaptations de FRANKENSTEIN des contemporains de Karloff briller à l’écran : Christopher Lee (Frankenstein s’est échappé), Peter Cushing jouant le docteur dans les productions de la Hammer films, Lon Chaney jr (Le fantôme de Frankenstein) et bien sûr Bela Lugosi (Frankenstein rencontre le loup-garou)

  

                       1935                                                    2015

La production de 1935 remet en scène Boris Karloff. Il faut rappeler que dans l’œuvre de Mary Shelley, le docteur Frankenstein avait effectivement une fiancée.  Quant à la production de 2015, elle nous donne l’occasion de revoir Daniel Radcliffe qui joue autre chose qu’Harry Potter.

BONNE LECTURE
Jailu
Le dimanche 24 février 2019

LE COMTE DE MONTE-CRISTO, Alexandre Dumas

*Et maintenant, adieu bonté, humanité, reconnaissance… Adieu tous les sentiments qui épanouissent le cœur!… Je me suis substitué à la Providence pour récompenser
les bons…Que le Dieu vengeur me cède la place pour punir les méchants!*
(Extrait : LE COMTE DE MONTE-CRISTO, Alexandre Dumas, Flammarion 1998, édition revue en 2007 et réunissant les deux tomes parus en 1998 en un seul volume. Papier, 420 pages)

Voici l’histoire d’Edmond Dantès, capitaine en second sur le navire Marchand LE PHARAON. En février 1815, Dantès est promu capitaine par son armateur. Jaloux de cette promotion, le comptable de bord, Danglar fomente, avec l’aide de complices, un complot qui vise à éliminer Dantès qui se retrouve au cachot dans le château d’If. Il devient ami avec un codétenu, détenteur du secret de l’existence d’un fabuleux trésor sur l’île de Monte-Cristo. Dantès s’échappe du Château d’If, réussit à se rendre dans l’île et à prendre possession du trésor. Alors, il devient le Comte de Monte-Cristo et jure d’exercer une implacable vengeance. 

UNE VENGEANCE EN FINESSE
*«Camarade…je vous adjure d’avoir pitié de moi
et de me répondre. Je suis le capitaine Dantès,
bon et loyal français, quoique accusé de je ne
sais quelle trahison : où me menez-vous? Dites-
le, et, foi de marin, je me rangerai à mon devoir
et me résignerai à mon sort.»*
(Extrait : LE COMTE DE MONTE-CRISTO)

Encore une fois, j’avais une envie irrésistible de me tourner vers les classiques de la littérature. Je voulais un roman à large spectre comprenant plusieurs éléments : action, trahison, espionnage, machination, romantisme, vengeance et autres *tags* appropriés.

J’ai consulté la liste des best-sellers à vie et j’ai finalement choisi un livre que j’ai déjà lu il y a plus de 40 ans. Je vous parle du grand classique d’Alexandre Dumas : LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Alors que j’étais dans la jeune vingtaine, je me rappelle très bien avoir été séduit par la beauté de l’écriture du Père Dumas et de son style exotique et alerte.

La trame est très simple mais le développement est surprenant : le 24 février 1815, jour où Napoléon quitte l’île d’Elbe, Edmond Dantès débarque à Marseille pour s’y fiancer avec Catalane Mercédès. Edmond est un jeune marin de 19 ans, second du navire LE PHARAON et pressenti pour remplacer le capitaine.

Trahi par ses propres amis jaloux, Edmond est dénoncé comme conspirateur bonapartiste, enfermé au Château d’If sur une île au large de Marseille. Il y restera pendant 14 ans et y fera la connaissance de l’abbé Faria qui dévoile à Edmond le secret de l’emplacement d’un trésor sur l’Île de Monte- Cristo.

Avec difficulté et non sans d’énormes risques, Edmond s’échappe de sa prison et réussit à gagner l’île de Monte-Cristo, trouve le trésor, s’en empare et enfin concocte sa vengeance contre ceux qui l’ont accusé et emprisonné injustement.

J’ai trouvé remarquable la façon dont l’auteur a réintégré Dantès dans son milieu. Il le fait passer pour divers personnages dont le comte de Monte-Cristo. J’ai aussi beaucoup apprécié la finesse avec laquelle Dantès exerce sa vengeance.

En adhérant à cette vengeance que je jugeais fort légitime, je devenais accro du livre, de la magie de son écriture et du petit caractère fantastique que j’ai perçu dans le développement du récit tout à fait dans la tradition littéraire du XIXe siècle.

Et un petit plus : une vengeance méthodique sans violence abusive, une garantie de bonheur et de liberté pour ceux qui lui sont restés fidèles le tout enrobé d’émotions et d’un style qui je crois allait ouvrir la voie à une nouvelle forme romanesque en littérature et aux fameuses histoires de cap et d’épée au cinéma.

J’ai noté toutefois quelques faiblesses, mais c’est en comptant avec mon raisonnement de lecteur du 21e siècle. Le livre accuse des longueurs et des redondances. Devrais-je me compter chanceux? L’édition originale de l’œuvre compte 1 500 pages dans le genre roman feuilleton. Dumas adorait s’étendre longtemps sur des passages précis de ses œuvres et parfois, ça ne finissait pas de finir.

L’édition que j’ai lue a un peu plus de 400 pages et j’observe encore des longueurs. Il y a aussi plusieurs passages déclamés aux formes plus théâtrales que littéraires. Certains passages rappellent la complainte d’autres contes. J’ai été aussi un peu déçu de la finale, le sort de Morel traînant à mon avis inutilement en longueur.

Et puis j’ai trouvé l’aspect romanesque légèrement sous-développé. Enfin, il y a deux parties à ce roman : Edmond Dantès avant sa rencontre avec Fariah et le Comte de Monte-Cristo après sa rencontre avec Fariah alors qu’il est devenu un peu plus froid et calculateur jusqu’au machiavélisme, une situation plus difficile à inscrire dans un contexte romanesque.

Mais ce sont des détails. La perfection n’existe nulle part y compris en littérature. Encore une fois, 40 après, j’ai été enchanté de revisiter Alexandre Dumas dont l’influence est encore marquante dans la littérature moderne. Je vous invite donc à entreprendre la lecture du livre le plus lu d’Alexandre Dumas et une des œuvres les plus adaptées à l’écran : LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

Alexandre Dumas Père (1802-1870) est un écrivain français. Ne pas confondre avec Alexandre Dumas fils (1824-1895) à qui on doit entres autres LA DAME AUX CAMÉLIAS. Le Père, à 13 ans, est engagé comme coursier dans une étude de notaire. Il se lie avec Adolphe de Leuven qui l’initie à la poésie moderne.

Ils écrivent ensemble des vaudevilles qui connaîtront des succès flatteurs. Suite à la publication et au succès de LES TROIS MOUSQUETAIRES en 1844 et LE COMTE DE MONTE- CRISTO en 1846, il lance en 1853 LE MOUSQUETAIRE, un quotidien, suivi en 1857 du MONTE-CRISTO, un hebdomadaire. Parallèlement, il écrit LA REINE MARGOT en 1845, LE COLLIER DE LA REINE et plusieurs autres…

LE COMTE DE MONTE-CRISTO AU CINÉMA
Ils ont incarné Monte-Cristo au fil du temps

          
Jean Dangelo (1929)                             Robert Donat (1934)

    

                                 Louis Jourdan 1961               Richard Chamberlain 1975

Jim Caviezel, 2002

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 18 novembre 2018

MÊME PAS PEUR, le livre de LUC VENOT

*Des verres se cassent, des assiettes aussi.
L’homme sursaute et embrasse la scène :
tous ces ados, son fils qui pleure…il n’est
pas tout à fait sûr de lui…*
(Extrait : MÊME PAS PEUR, Luc Venot, version
intégrale révisée, 2015, Éditions Humanis, num.
200 pages)

Deux policiers enquêtent sur des meurtres sordides précédés de torture. Toutes les pistes amènent les deux limiers à enquêter dans un foyer qui héberge à la fois des adultes en réadaptation sociale et des ados en difficulté. Les policiers n’ont pas le choix de s’immiscer dans la vie de ce lieu hautement improbable pour de telles atrocités. L’auteur plonge graduellement et inexorablement le lecteur dans l’univers sordide de la maltraitance envers des enfants en s’attardant  sur la vie de quatre personnages du centre : un adulte et trois adolescents.

CRU, DÉCAPANT ET EFFICACE
*Écoute-moi bien gros fils de pute. Ton enfant,
ta chair, a mon numéro de téléphone. Si tu le
touches, ne serait-ce qu’une seule fois, je vous
tue, toi et ta grosse. Cappice? Je ne te menace
pas, je te promets. Tu fais la différence?*
(Extrait : MÊME PAS PEUR)

C’est une histoire très dure, mais c’est une belle histoire. Au centre du drame : un quatuor qui évolue dans un foyer d’accueil où se côtoient des adultes et des adolescents. Pour apprécier toute la richesse du récit, il faut bien saisir la nature et la profondeur des interactions entre les principaux personnages de l’histoire .

Il y a d’abord Antoine, 15 ans, garçon attachant, meurtri par la vie et qui cherche maintenant une vie normale incluant l’aide et la présence d’un père. Rio, un petit voyou sympathique, 11 ans, enfant de la rue, sous la protection d’Antoine qui le considère comme son petit frère, Émilie, 15 ans, à la recherche de l’équilibre et de l’exploration sexuelle et qui a un sentiment pour Antoine.

Et puis il y a Michel, l’adulte du quatuor, dans la quarantaine, divorcé, ayant un fils du même âge qu’Antoine. Dans le groupe, Michel est un instrument d’équilibre. Lui-même soucieux de remettre sa vie sur une voie positive, il exerce une influence positive sur les autres.

Ne soyez pas surpris, on connait l’auteur des meurtres dès le début de l’histoire. Le cœur du drame est dans le ressenti des jeunes et des atrocités subies. Quoique d’une forte intensité dramatique, cette histoire en est une d’amitié avant tout, et même d’amour. Même s’il est parsemé de passages crus et violents, le récit est épuré de tout sensationnalisme. L’auteur a su éviter ce piège pour s’attarder à la profondeur des liens et aux blessures du cœur.

Bien que j’ai beaucoup aimé ce livre, je soulignerai tout de même deux petites faiblesses : d’abord pour enquêter sur les assassinats, Vennot a créé trois personnages peu sympathiques et vraiment pas attachants : le commissaire Hercule Mapèch et ses adjoints Fabulous Fab et Biggy.

Quand je lisais les passages sur l’enquête, j’avais l’impression de pénétrer dans un autre monde tellement les personnages sont agaçants, teigneux et insignifiants. J’ai noté aussi un changement drastique dans les niveaux de langage. Au strict niveau policier, j’aurais souhaité une approche différente.

Le deuxième point faible n’est qu’une question de perception. Elle concerne la finale. Elle est extrêmement dramatique et déchirante, ça, ça va, mais j’ai trouvé sa mise en scène peu vraisemblable et même quelque peu démesurée.

Enfin, puisque le cœur du problème est de punir (dans ce cas-ci des batteurs et des violeurs d’enfants) par une mort atroce, Venot nous amène à réfléchir sur la loi du Talion. Jusqu’où peut-on vraiment s’engager dans la haine et le besoin de faire justice soi-même. MÊME PAS PEUR est un récit sensible, profond et touchant. L’écriture, forte et efficace, est venue me chercher rapidement.

Luc Venot est un écrivain français de l’ère numérique. MÊME PAS PEUR est son premier roman. Il a déjà connu un succès fulgurant dès les premiers mois de sa parution en édition numérique…considéré comme un livre-phénomène à saveur autobiographique. 

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 21 octobre 2018

LE CYCLE DU GRAAL, l’octalogie de JEAN MARKALE

1)    La naissance du roi Arthur
2)    Les chevaliers de la Table Ronde
3)    Lancelot du Lac
4)    La fée Morgane
5)    Gauvain et les chemins d’Avalon
6)    Perceval le Gallois
7)    Galaad et le roi Pêcheur
8)    La mort du roi Arthur

*…et tous deux s’affrontèrent de toute la force de leurs
chevaux. Bientôt, Gauvain fit vider les étriers à son
adversaire, et sautant à bas de sa monture, il le
poursuivit l’épée à la  main. Il y mit toute sa rage, car
le tort et l’insulte qu’il venait de recevoir excitaient sa
haine…*

————————————————

*…et Lancelot se mit à genoux et, tout heureux de
savoir qu’il verrait bientôt Galaad, conjura
ardemment Dieu de le conduire, et de lui
permettre…d’approcher les grands mystères du
Saint Graal.*
(Premier extrait : LE CYCLE DU GRAAL, tome 2, LES
CHEVALIERS DE LA TABLE RONDE, deuxième extrait :
LE CYCLE DU GRAAL, tome 7, GALAAD ET LE ROI
PÊCHEUR.
LE CYCLE DU GRAAL, Jean Markale, Éditions Pygmalion,
Gérard Watelet à Paris.
1992 à 1996, 2230 pages, édition numérique)

Mettant de côté les traductions et adaptations des textes médiévaux, Jean Markale s’est octroyé une mission à la fois difficile et fantastique : réécrire dans un style moderne les grandes légendes arthuriennes apparaissant dans les manuscrits du XIe au XVe siècle, autant les textes les plus connus que ceux demeurés dans l’ombre pour des raisons qui se perdent dans la nuit des temps.

Markale s’est fait fort de garder l’esprit de la légende pour rapporter dans un langage contemporain toute la beauté des récits de la Table Ronde. Ce travail colossal a donné LE CYCLE DU GRAAL en huit tomes…une œuvre gigantesque dont le but est simple : *redire avec le langage d’aujourd’hui ce qui constitue le plus merveilleux et le plus essentiel de la tradition européenne dans ses sources vives* (Extrait : introduction au CYCLE DU GRAAL, Poul Fétan, 1992)

Les légendes arthuriennes
au goût du jour
*Ah! Dit Arthur, Excalibur, ma bonne, ma précieuse
épée…tu vas perdre ton maître! …Puis il dit à
Girflet –Monte sur cette colline qui est derrière
nous. D’en haut, tu apercevras un lac. Va
jusque-là et jettes-y mon épée, car je ne veux
pas qu’elle demeure en ce royaume*
(Extrait : LE CYCLE DU GRAAL, Tome 8
LA MORT DU ROI ARTHUR)

Au milieu des années 70, je me rappelle avoir entrepris la lecture des LÉGENDES ARTHURIENNES…toute une série de vieux textes écrits en prose française du 13e siècle à partir de récits médiévaux traduits de l’anglais, du gallois, de l’islandais et de l’allemand entre autres.

La plume étant d’une lourdeur pénible, essentiellement compréhensible et accessible pour des spécialistes, j’ai abandonné la lecture (pour une des rares fois de ma vie). Je me suis promis d’y revenir plus tard sans grande sincérité.

Ce *plus tard* est venu au début des années 90 alors que Jean Markale, un spécialiste de l’histoire celtique entreprit la publication de son octalogie LE CYCLE DU GRAAL sur laquelle il a travaillé pendant presque toute sa vie active d’écrivain, soit près de 40 ans. Je me demandais si la vieille expression consacrée *plus ça change plus c’est pareil* s’appliquait. Aussi, j’entrepris une petite recherche.

J’ai vite compris l’objectif de Markale. Il ne s’agissait pas de livrer une nouvelle traduction des textes, mais plutôt de faire une réécriture de ces textes dans un français contemporain fluide, accessible et rassemblés dans une suite logique de récits qui se lisent un peu comme un roman, tout en respectant l’esprit des Légendes Arthuriennes.

Il y a plus. Les récits mettent en perspective les aspects romanesques du Moyen Âge en général et de l’histoire celtique en particulier. C’est ainsi que dans les années 90, je fis la lecture complète de l’octalogie et plus récemment, en 2016, je fis une relecture de l’œuvre afin de vous en parler ici. Je me suis tout simplement régalé.

Tout y est : chevalerie, enchantement, mystère, magie, érotisme, violence, religion et bien sûr les personnages qui ont, tôt ou tard marqué notre adolescence et ou notre enfance, ne serait-ce que par les multiples adaptations télévisuelles et cinématographiques réalisées à ce jour : Le roi Arthur, Lancelot-du-Lac, Merlin, la Fée Morgane, la Dame du Lac, Perceval, Galaad…

Il faut prendre chaque tome de l’octalogie pour ce qu’il est : une suite de récits…mais une suite cohérente, logique, écrite dans un français d’une remarquable limpidité. La tâche de Markale a été colossale : rien de moins que livrer aux amateurs de légendes et de récits fantastiques une des plus belles fresques de la littérature.

Est-ce que Jean Markale a été d’une rigueur parfaite dans l’écriture du CYCLE DU GRAAL eu égard aux textes originaux? Je ne peux pas vraiment l’affirmer car je n’ai pas de comparatifs. Je sais que les critiques sont assez mitigées. Mais, moi, j’ai vu dans la progression de l’œuvre une logique sans faille et éclairante sur la quête du graal, quête sur laquelle l’humanité s’interroge toujours d’ailleurs…

En ce qui me concerne, LE CYCLE DU GRAAL, c’est plus de 2200 pages de pur régal…une grande épopée racontée simplement dans un style littéraire accessible, confinant parfois à la poésie. C’est avec enthousiasme que je recommande LE CYCLE DU GRAAL de Jean Markale.

Quelques symboles clés du Cycle :

LA TABLE RONDE fut dressée à Camelot, la cour du roi Arthur, après que Merlin l’enchanteur eut révélé son souhait, voire la nécessité de réunir les Chevaliers les plus courageux pour entreprendre la quête du graal. Cette quête ne prendrait fin que lorsque le Graal, la coupe sacrée sera définitivement installée sur la Table Ronde. Ainsi, les Chevaliers de la légendaire Table Ronde devaient jurer fidélité et à leur roi, et au Graal. C’est le fils de Lancelot, Galaad qui remportera cette quête sacrée.

EXCALIBUR est l’épée magique légendaire du roi Arthur. Plusieurs versions des légendes arthuriennes disent que l’épée du rocher et Excalibur sont deux épées distinctes. Mais ce qui est sûr, c’est qu’Arthur fut le seul à pouvoir retirer l’épée du roc, prouvant ainsi son lignage. Il fut  ainsi sacré Roi et présida ensuite à l’édification de la Table Ronde.

LE GRAAL est le but ultime de la quête des Chevaliers de la Table Ronde. Il s’agit de la Coupe utilisée par Jésus-Christ et ses apôtres lors de la dernière Cène. La Coupe Sacrée revient aussi dans de nombreuses autres époques. Selon la légende, c’est Joseph d’Arimathie qui aurait introduit la précieuse Coupe en Grande Bretagne. Dans les légendes arthuriennes, la recherche du Graal donnera lieu à de nombreuses prouesses jusqu’au triomphe de Galaad qui clôturera les temps aventureux.
Peinture de William Morris réalisée en 1890 représentant Bohort, Perceval et Galaad découvrant le Graal.
(Source : Wikipédia)

Jean Markale (1928-2008) était un écrivain, conteur, poète et conférencier français. Dès son enfance, il a développé une véritable passion pour la culture celtique. Il commence sa carrière comme professeur et parallèlement, il entreprend d’étudier le cycle arthurien et de le raconter. Il a fini par quitter l’enseignement pour se vouer entièrement à son œuvre, se spécialisant ainsi dans l’histoire celtique et la culture bretonne.

Ses premiers ouvrages étaient destinés aux érudits, mais il a vite compris que pour élargir l’auditoire, il fallait vulgariser la mythologie, ce qu’il a fait entre autres avec les légendes arthuriennes devenues LE CYCLE DU GRAAL.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 5 août 2018

FAIMS, le livre de PATRICK SÉNÉCAL

*Vous avez une vie en apparence comblée, vous
êtes l’image de l’homme honorable, mais une
étrange faim s’est installée en vous… À
tel point que parfois, vous êtes littéralement
affamé. Parce que cette faim ne se contente plus
de repas discrets et équilibrés.*
(Extrait : FAIMS, Patrick Sénécal, Éditions Alire, 2015,
édition numérique, 545 pages)

Ville de Kadpidi, 20,000 habitants. Par une journée magnifique, une étrange caravane entre en ville et s’y installe. C’est le cirque ambulant HUMANUS CIRCUS. Alors la bucolique tranquillité de Kadpidi se dégrade vite: les attitudes et les comportements changent, des meurtres se succèdent. Plusieurs citoyens habituellement tranquilles se laissent aller à satisfaire leurs pulsions : une faim ressentie au quotidien mais refoulée avec le temps, malsaine. Après le premier spectacle, d’une singulière étrangeté, Joël sera entraîné dans une enquête troublante…

LE COMMENCEMENT DE LA FAIM
*-Pis y parait qu’la femme a pas juste pété les
meubles dans toute sa maison, mais aussi
son char! Pis est allée au bureau où a
travaille, pis a tout cassé là aussi! À coup
de masse! Criss de folle, hein?
(Extrait : FAIMS)

Encore du grand Sénécal mais dans un style un peu différent. Il nous sort complètement de l’univers de Malphas qui a un registre très à part dans l’œuvre de Sénécal mais FAIMS diffère aussi de ses autres livres même si en cours de lecture, j’ai fait souvent le rapprochement avec LE VIDE.

Finalement, j’ai compris que l’auteur avait à peu près le même modus operandi. Dans FAIMS je n’ai pas vraiment ressenti l’horreur, mais plutôt une pression psychologique très forte qui caractérise beaucoup de thrillers. Ça ne change rien, ce livre m’a secoué. Il m’a accroché dès les premières pages…par curiosité d’abord et puis rapidement, je fus pris d’une *faim* de tout comprendre, de tout savoir.

Imaginez qu’un petit cirque ambulant qui s’installe dans un petit patelin chamboule complètement le quotidien des gens, modifie attitudes et comportements, provoque bagarres et querelles, alimente des idées de haine, de violence, de meurtres. Le ton est donné dès le départ.

Le cirque est bizarre, ses membres sont étranges, marginaux. Leur spectacle est pour adulte seulement. Il est d’une singulière intensité, extrêmement violent en plus d’être sexuellement explicite et hautement suggestif pour des esprits qui ont…*faim*.

Alors qu’un premier meurtre suit de près l’arrivée du cirque, le médecin du patelin, Stéphane, dont la faim est appelée à se réveiller y va de sa petite appréciation du spectacle : *C’est innovateur, c’est baveux, ça brasse la cage et ça fait du bien.* (extrait)

voilà qui annonce un changement dans l’esprit du médecin qui finira par dire tout haut ce que tout le monde pense sous l’influence du HUMANUS CIRCUS : *Personne va bien! Tout le monde est tanné, tout le monde est déprimé, tout le monde est frustré! Mais moi, je suis juste écœuré de faire semblant, de me mettre un gros sourire dans face pis de faire ah-ah-ah, pis de raconter n’importe quoi. * (Extrait)

Vous avez compris que cette faim n’a rien à voir avec la nourriture mais symbolise plutôt des pulsions latentes de violence et d’agressivité qui caractérisent l’être humain. La façon dont le thème est développé nous amène à voir la Société sous un jour très différent.

Je considère ce récit comme un thriller, extrêmement noir, puissant et dont il se dégage une atmosphère pesante. La violence y est décrite sans retenue et certains passages sont d’une crudité à faire frémir. L’intrigue est très bien ficelée et j’ai trouvé la finale géniale…totalement imprévisible en ce qui me concerne.

Je signale au passage que Sénécal a inclus dans sa distribution un de ses personnages fétiches : Michelle Beaulieu (5150 RUE DES ORMES, REINE ROUGE, ALISS). Je vous laisse aussi découvrir quel personnage de FAIMS a été pourvoyeur dans HELL.COM du même auteur…ce sont des petits entrecroisements à la Stephen King qui me plaisent beaucoup.

Les chapitres sont entrecoupés par un profil complet de chacun des personnages du Humanus Circus : Markitos, Laurus, Sarratou, Régina, Wulf et Wefa…les saltimbanques étranges à l’histoire tordue qui m’ont fait passé par une gamme d’émotions plutôt fortes.

Au cœur de l’histoire, il y a aussi la famille Leblanc, Joël, policier de la SQ qui mène l’enquête sur les meurtres et qui n’est pas au bout de ses surprises, sa femme Martine, vétérinaire et leurs ados Nicholas et Émilie dont les rôles pourraient vous surprendre.

Encore un Sénécal dont il est très difficile d’interrompre la lecture… Un nouveau voyage dans les recoins les plus obscurs de l’esprit… Écriture fluide, ventilée, un rythme d’enfer….une écriture qui n’a pas peur des mots…

VOIR AUSSI MES COMMENTAIRES SUR LE VIDE ET CONTRE DIEU DU MÊME AUTEUR.

Patrick Sénécal né en 1967, est un écrivain québécois spécialisé dans le roman *noir*. Il est aussi scénariste et réalisateur. Il publie son premier roman en 1994 : 5150 rue des Ormes, adapté au cinéma en 2009. Il est détenteur  de plusieurs prix littéraires importants dont le prix Boréal du meilleur roman en 2001 (Aliss) et le prix Masterton en 2006 en plus des distinctions dans les salons  du livre.  

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 29 avril 2018