LE SYNDROME «E», livre de FRANCK THILLIEZ

*-Je vais te cramer un peu, jouer avec mes couteaux,
puis j’irai te larguer dans le désert, vivant. Les
hyènes et les vautours te boufferont en quelques
heures. On ne retrouvera jamais ton corps. Il
cogna Sharko en pleine face avec le bidon. Un
craquement, une giclée de sang.*

(Extrait : LE SYNDROME [E], Franck Thilliez, Fleuve Noir,
2010, édition numérique, 420 pages)

Deux évènements dramatiques viennent compliquer la vie de deux policiers, Lucie Hennebelle et Frank Sharko. D’abord, une équipe technique de la voirie découvre par hasard cinq cadavres ensevelis sous deux mètres de terre à Notre-Dame-De-Gravenchon. Fait tout à fait horrible : leur crâne a été scié, ouvert, le cerveau et les yeux prélevés. Parallèlement, un passionné de films anciens devient inexplicablement aveugle après avoir visionné un film qu’il vient d’acquérir…deux affaires différentes mais qui sont pourtant liées. Un nouveau mal fait son apparition : LE SYNDROME [E]. 

Très haute teneur en adrénaline

*Ces lignes de brancards représentent l’attente pour la salle des électrochocs. Les patients les subirent trois fois par jour, durant des programmes de sept à huit semaines. Trois fois par jour, mademoiselle. Des milliers de volts dans l’organisme. Imaginez-vous seulement les dégâts que cela pouvait occasionner aux nerfs, au cœur et au cerveau?* (Extrait : LE SYNDROME [E])

J’ai beaucoup à dire sur ce livre qui joue dur. Pour ma part, c’est une première incursion dans l’univers de Franck Thilliez et d’entrée de jeu, je peux vous dire que ça m’a ébranlé tellement le récit est noir et teinté d’un implacable réalisme.

J’aurais peut-être dû commencer par un des premiers ouvrages de Thilliez comme LA CHAMBRE DES MORTS ou à la rigueur LA FORÊT DES OMBRES, mais quand j’ai découvert le titre SYNDROME E, j’étais trop intrigué pour passer outre.

Mais commençons par le commencement. LE SYNDROME E est le premier volet d’un diptyque qui décortique le phénomène de la violence. Le récit porte sur deux enquêtes policières séparées au départ, devenant graduellement convergentes pour finalement ne faire qu’une.

Au début d’une part, l’ex-ami de l’enquêteuse Lucie Hennebel, un passionné de cinéma et collectionneur de films rares est frappé de cécité après avoir visionné un film rare et non répertorié. Lucie enquête et commence par faire analyser la pellicule.

D’autre part, un enquêteur devenu schizophrène suite au décès soudain de sa femme et de sa fille, Franck Sharko enquête sur la découverte de cinq corps atrocement mutilés.

Au fur et à mesure que l’analyse de la pellicule progresse, les deux enquêtes fusionnent. En fait, tout démarre et tourne autour de ce mystérieux film d’un réalisateur non moins mystérieux, Jacques Lacombe :

*Mais la question qui la turlupinait le plus était de savoir quel lien invisible il pouvait y avoir entre le film anonyme et les cadavres déterrés en Haute Normandie. Cette bobine maléfique était peut-être l’arbre qui cachait la forêt.*(Extrait)

Je vous ai déjà parlé de l’énorme pouvoir du septième art, c’est-à-dire, de cette capacité qu’a le cinéma de façonner les esprits, de créer des tendances, d’influencer les modes de pensées et d’apprentissages. Imaginez tout ce qu’on peut sortir sur le potentiel cinématographique du cinéma. (Voir mon commentaire sur LA CONSPIRATION DES TÉNÈBRES)

Dans LE SYNDROME E, Thilliez va encore plus loin car par des procédés de surimpression, d’insertions subliminales, de découpages obscurs et autres diableries, la pellicule sert ici à cacher un incroyable secret qui dévoile un potentiel extraordinaire et apparemment exploitable du cerveau humain.

Cela va plus loin car cette mystérieuse pellicule camouffle un complot imaginé par des esprits tordus, des scientifiques malades, auteurs d’expériences sur des sujets vivants dont plusieurs comptaient parmi les Orphelins de Duplessis :

*Ce que Lucie Découvrait dépassait l’entendement. Une aliénation de masse, à grand renfort de bulletins médicaux faussés et d’occultes financements* (Extrait)

La dernière citation fait référence au financement par la CIA de certaines expériences sur des cerveaux d’êtres humains vivants. L’enquête amène à l’identification du syndrome E et je vous laisse découvrir par vous-même qu’est-ce que c’est que cette saloperie.

Évidemment, ce roman est une fiction mais quand on y pense, on sait peu de choses sur le cerveau et ça peut laisser un doute dans l’esprit du lecteur. Appelons ça un facteur de stress car l’auteur dévoile les horreurs du film au compte-gouttes et ça n’arrête jamais jusqu’à la dernière page qui là encore dévoile un punch tout à fait imprévisible.

Donc pour résumer, LE SYNDROME E est un thriller d’une fantastique efficacité, fait de corps mutilés, de tortures, de cadavres, de crasse, de fourberie et d’une science qui évoque des bêtes conduites à l’abattoir.

C’est un livre audacieux qui m’a sorti des sentiers battus et qui m’a écorché au passage. Rythme rapide malgré certaines longueurs, lecture aisée, fil conducteur solide.

Dans l’ensemble, le récit est gore et décapant et il est porteur je crois d’une petite réflexion sur la science et l’éthique car je ne suis pas certain que les savants fous et les scientifiques tarés n’appartiennent qu’à la légende et la littérature.

Si vous avez survécu au SYNDROME E, vous êtes mûrs pour la lecture de GATACA, le deuxième volet du dyptique.

Par définition du diptyque, il faut avoir lu LE SYNDROME E pour comprendre GATACA. Je vous le dis tout de suite, l’un est aussi effrayant que l’autre. Un an après l’identification du syndrome E et l’explosion de la vérité, et toujours en vertu d’une quête de la compréhension globale de la violence, l’auteur Franck Thilliez nous entraîne cette fois dans les arcanes obscurs du génome humain.

À nouveaux réunis et prêts à explorer un autre cercle de l’enfer, les policiers Lucie Hennebelle et Franck Sharko remontent cette fois aux origines de la violence, là où le génome humain détermine son avenir : rien de moins que l’extinction. 

Franck Thilliez est un écrivain et ingénieur français né en 1973. En plus d’avoir développé un goût irrésistible pour la lecture, Thilliez a une passion pour le cinéma et pour les Nouvelles technologies. C’est d’ailleurs dans ce dernier domaine qu’il exerce l’ingénierie. Sa carrière d’écrivain a été lancée en pompe dès 2003 avec TRAIN D’ENFER POUR ANGE ROUGE en 2003, nominé au prix SNCF du polar français.

Le succès des livres suivants lui a permis d’abandonner son travail d’informaticien et de s’adonner à l’écriture à temps plein. Ses passions se reflètent dans son écriture. Il aime enduire ses récits d’une atmosphère glauque et comme son imagination est débordante, sa plume produit des romans qui retiennent les lecteurs dans un filet qui évoque la toile d’araignée. 

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 25 février 2018

LES MURAILLES DE FEU, le livre de STEVEN PRESSFIELD

*…-Puis vint la convocation des Trois cents pour
les Thermopyles et j’éprouvai là enfin la
véritable perversité des desseins divins.*
(Extrait : LES MURAILLES DE FEU, Steven Pressfield,
traduit de l’américain par Gérald Messadié, éd.
Doubleday 1998, Archipoche, num. 350 pages)

480 avant J.C. : L’ennemi héréditaire des grecs, le roi Xerxès marche vers Athènes, à la tête de 200,000 perses, écrasant tout sur son passage. Le roi de Sparte, Léonidas rassemble ses hoplites, soit quelques centaines de soldats d’infanterie pesamment armés, pour aller au-devant de l’ennemi. Une bataille extrêmement inégale s’annonce. En effet, comment 300 hommes, fussent-ils braves et aguerris peuvent-ils stopper une armée de centaines de milliers de soldats?  L’affrontement aura lieu dans le défilé des Thermopyles, un étroit passage rocailleux. La bataille, horriblement sanglante, durera 6 jours.  

AVANT-PROPOS :

LA BATAILLE DES THERMOPYLES

La bataille des Thermopyles est une réalité historique. Elle a opposé en août 480 av. J.C. l’empire Perse à l’alliance des Cités grecques. L’armée grecque, comptant environ 7000 fantassins, tenta de retenir la grande armée de Xerxès 1er (qui comptait d’après certaines estimations entre 100,000 et 250,000 guerriers)  à l’entrée du défilé des Thermopyles qui donne accès à la Grèce Centrale le long de la mer Égée.

À la suite d’une désastreuse manœuvre, la plupart des grecs abandonnèrent la bataille, et seul le contingent spartiate commandé par le roi Léonidas 1er décida de combattre jusqu’au sacrifice ultime, inévitable vue leur forte infériorité numérique. Ce geste altruiste devait laisser aux grecs le temps d’organiser leur défense. Le courage et le sacrifice des spartiates sont devenus légendaires. C’est l’un des plus célèbres faits d’armes de l’histoire antique.

Affiche du film LA BATAILLE DES THERMOPYLES réalisé en 1962 par Rudolph Maté et produit par la Twentieth Century-Fox. Très réaliste sur le plan géographique et militaire. Voir à ce sujet la fiche préparée par ALLOCINÉ

UNE DÉFAITE SALVATRICE
*…le mur des cadavres de Mèdes bouchait le
défilé comme un éboulis. Les spartiates
se battaient devant ce mur de cadavres
comme si c’était un rempart de pierres.
L’ennemi déferlait par-dessus…*
(Extrait : LES MURAILLES DE FEU)

Peut-être avez-vous vu le film *300* réalisé en 2006 par Zack Snyder. Ce film m’avait impressionné par sa mise en scène, sa photographie très glauque issue d’une technique d’incrustation qui visait à restituer le mieux possible l’imagerie de la bande dessinée de Frank Miller et surtout par son contexte historique.

Voulant en savoir plus sur la guerre des Thermopyles et n’ayant pu mettre la main sur le roman graphique de Miller et Varley, j’ai porté mon choix de lecture sur LES MURAILLES DE FEU, roman historique de Steven Pressfield.

LES MURAILLES DE FEU est un roman épique. C’est le récit de Xéon, un soldat allié des spartiates retrouvé par hasard, gravement blessé parmi les cadavres, suite à la bataille des Thermopyles. Il a été recueilli et soigné par les officiers de Xerxès afin qu’il livre à sa Majesté le récit complet de son périple.

En fait, intrigué par la force colossale déployée par les 300 aux portes de feu, Xerxès voulait tout savoir des spartiates : leur stratégie militaire et la nature de leur entraînement bien sûr, mais aussi sur leur organisation politique, sociale et familiale, leurs amours, leurs espoirs et j’en passe.

C’est un roman très fort et d’une très grande richesse descriptive. C’est aussi très dur et très violent. Dans de nombreux passages consacrés à la vie sociale et culturelle des spartiates, Xéon décrit une société militariste intransigeante, rompue à une discipline cruelle qui ne tolère aucun manquement…

une société où les petits garçons sont introduits à l’art de la guerre, souvent au prix de leur vie ou de leur intégrité physique. *Le fouet à Sparte fait partie de l’entrainement des garçons, non parce qu’ils auraient volé de la nourriture, exploit auquel on les encourageait pour développer leur débrouillardise dans la guerre, mais parce qu’ils y avaient été surpris.* (Extrait : LES MURAILLES DE FEU)

Ce livre m’a surpris au-delà de mes espérances. Malgré son style très direct et l’implacable potentiel descriptif de la plume de Pressfield, il se dégage de ce récit une remarquable finesse. Ça peut paraître paradoxal, mais dans la lecture du récit de Xéon, J’ai ressenti beaucoup d’émotions, parfois contradictoires, mais généralement positives. C’est tout le récit qui m’a absorbé.

Aussi, j’ai fait quelques recherches qui ont conforté l’idée que je me suis faite de la crédibilité du livre de Pressfield. Là encore, c’est positif. L’ensemble est bien documenté et à cela s’ajoute un évident souci du détail. La description de Léonidas, roi des spartiates est particulièrement intéressante.

LES MURAILLES DE FEU est un roman très fort qui met en perspective la valeur de la vie. Il est développé avec intelligence et sensibilité. Il est difficile d’en interrompre la lecture. Je vous le recommande sans hésiter.

Steven Pressfield est un écrivain et scénariste américain né en 1943. Après des débuts difficiles, la publication de son roman LA LÉGENDE DE BAGGER VANCE marque le début de sa carrière d’auteur à plein temps. À ce jour, il a écrit une dizaine de livres et a scénarisé trois films. LA LÉGENDE DE BAGGER VANCE a été porté à l’écran en 2000 par Robert Redford. Je signale aussi FREEJACK et NICO. Il est toujours resté très proche de la culture grecque. Il est d’ailleurs citoyen d’honneur de la ville de Sparte.

LES 300

L’adaptation cinématographique la plus récente de la guerre des Thermopyles est *300*, une production américano-britannique coécrite et réalisée en 2006 par Zack Snyder d’après le roman graphique *300* de Frank Miller et Lynn Varley. Plusieurs se rappelleront qu’à proximité de sa sortie, le film avait soulevé une controverse sur l’image qu’il projetait des Perses dans le contexte international des tensions entre les États-Unis et l’Iran (anciennement la Perse). Malgré tout, le film a connu un succès impressionnant.

*300* a connu une suite : 300 : LA NAISSANCE D’UN EMPIRE réalisé en 2014 par Noam Murro.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 21 janvier 2018

 

L’IROQUOIS, le livre de PASCAL MILLET

*Pierrot a effleuré le sein et Sabrina a tiré. Elle a tiré en l’air, vidé tout le révolver avant
de le reposer sur le front de Pierrot et de tirer encore, à vide. –Tu ne regarderas plus
jamais une fille de la même manière…*
(Extrait : L’IROQUOIS, Pascal Millet, XYZ Éditeur,
collection Romanichels, 2006, édition de papier, 110 pages)

Deux jeunes : Pierrot et Julien, découvrent le cadavre de leur mère, pendue au portemanteau. Sa langue était sortie de sa bouche, toute bleue. Pierrot s’est mis à fouiller dans les affaires de sa mère, pour trouver n’importe quoi d’utile, de l’argent surtout, car il voulait partir…gagner l’Amérique. Julien lui,  préférait rester. Finalement, l’occasion se présente. L’idée que Pierrot et Julien se faisait de l’Amérique était passablement exotique : la qualité de vie, les grands espaces et…les indiens…Pour les garçons, ce qui s’annonçait comme une odyssée devient un cauchemar et même pire.

UN MONDE POURRI
*Il s’est mis à ramper, le revolver à la main. Il avançait
sur ses coudes…se retournait pour vérifier si j’étais
toujours au milieu des ronces, avec des épines dans le
cul…Il y avait un grand parking, la maison de l’ogre, et,
plus haut, le ciel bleu avec, en dessous, un bleu que
jamais je n’avais vu. «On est arrivés, j’ai murmuré.
C’est la mer.»*
(Extrait : L’IROQUOIS)

Il y a longtemps que je n’avais lu un drame psychologique. Ce genre littéraire a toujours représenté un défi pour moi car il appelle à la compréhension de l’Esprit humain en mettant l’emphase sur la psychologie des personnages, donc les drames qui marquent leur vie et par la bande, leurs motivations, états d’âme et enfin leurs résolutions et leur destinée.

Après le suicide de leur mère, Julien Henry, 11 ans et son frère, Pierrot, 14 ans décident de quitter la ville et de partir à la recherche de la mer et du navire qui les mènera en Amérique du nord, le pays selon les apparences riche en promesse, là où se trouvent la liberté, le bonheur et le pays des Iroquois. Cet idéal bien justifiable est celui de Pierrot.

Julien lui, est beaucoup plus jeune et se contente de suivre. Une chose est sûre, les deux garçons sont à la recherche d’un bonheur qui ne viendra jamais.

Donc L’IROQUOIS est l’histoire d’une quête du bonheur pour deux jeunes garçons appelés à devenir adultes beaucoup trop vite et pour qui la désillusion sera d’une cruauté horrifiante car s’ils s’attendaient à trouver le bonheur, ils n’auront trouvé finalement qu’’un monde totalement pourri qui se décompose dans la violence, le vice et l’hypocrisie.

Alors que son rêve lui échappe, Pierrot devient graduellement l’IROQUOIS, ce personnage de légende, symbole de force et de liberté qu’il souhaitait tant rencontrer :

*Il a fini par ressembler à un indien, surtout après s’être appliqué tous les produits de beauté d’Alex sur la gueule. Mascara, rouge à lèvre et fond de teint, il a tracé des ronds et des éclairs, des trucs qui donnaient la frousse et cassaient les angles de son visage. Je savais aussi qu’en étant indien, il allait redevenir méchant, se mettre à danser, à tourner et à crier comme un fou. Que dans sa tête ça s’embrouillerait un peu plus et que jamais plus, on ne pourrait écrire, en gros et dans sa marge, que la vie c’était pas comme au cinéma.* (Extrait)

Pascal Millet signe un roman très dur et violent, mais la plume est aussi belle que puissante, juste ce qu’il faut pour raconter un monde cruel, instable et égoïste à travers les yeux et le cœur d’un enfant de 11 ans : Julien, le narrateur de l’histoire, un peu victime de sa pureté, de sa naïveté.

On ne peut que s’attacher à cet enfant et avoir du chagrin de le sentir évoluer dans la violence au quotidien et on peut comprendre pourquoi il n’arrive pas à saisir ce qui se passe dans la tête de son frère qui n’est rien d’autre qu’une victime malheureuse de sa désillusion.

L’auteur donne le ton dès le début du roman : *En vrai, ça a commencé en rentrant de l’école, quand on a trouvé maman dans le couloir. Elle était blanche et pendue au porte-manteau…* (Extrait) et par la suite, c’est une errance de Julien et Pierrot qui connaîtra une fin dramatique, ce dernier ne portant que la haine dans son cœur, alors qu’il criera pour une ultime fois : *Je suis un IROQUOIS*.

Telle est cette histoire de Pascal Millet, une quête du bonheur qui devient rapidement une errance sur une route qui finit en cul-de-sac et qui est marquée par le désespoir. C’est un roman noir mais fort, émouvant et sensible et surtout très bien écrit qui suit deux âmes en peine qui ne verront jamais le pays des Iroquois.

Pascal Millet est né en France et a vécu plus de douze ans au Québec. Après avoir été guide aux baleines dans la région de Tadoussac, il a étudié à l’Université de Montréal et a travaillé comme rédacteur scientifique pour le Centre Saint-Laurent (Environnement Canada).

Auteur de nouvelles, de romans noirs et de livres pour la jeunesse, il vit présentement en Bretagne où il anime des ateliers d’écriture dans des établissements scolaires et pénitentiaires. Plusieurs de ses nouvelles ont été traduites en anglais et en espagnol.

Bonne lecture
Jailu/Claude Lambert
Le dimanche 10 décembre 2017

LE TUEUR DU DIMANCHE, de JOSÉ GIOVANNI

*Une seule question : pourquoi est-ce que vous
descendez une femme par dimanche? Merde,
qu’est-ce qu’on lui racontait là? À cette seconde,
il sentit le canon d’une arme qui lui entrait dans
la bouche jusqu’au gosier en lui donnant envie
de vomir.*
(Extrait : LE TUEUR DU DIMANCHE, José Giovanni,
Éditions Gallimard, 1985, numérique, 126 pages.)

À Genève, un tueur en série assassine des femmes à coups de couteau à raison d’une par dimanche matin. Un point en commun chez les victimes : elles sont riches. L’enquête a été confiée au commissaire Kramer mais le policier éprouve beaucoup de difficulté à établir un profil précis du tueur qui n’a apparemment pas de mobile. Pourquoi seulement des femmes, et pourquoi seulement le dimanche? Alors qu’un vent de panique gagne la ville de Genève, le commissaire Kramer va recevoir l’aide inattendue de Rufus, un ouvrier de fonderie qui se trouverait mêlé tout à fait par hasard à ces crimes. 

Des dimanches mortels
*Des petits chocs heurtèrent la poitrine de
léopold. Ça ne faisait pas mal. Comme si
on l’avait touché du doigt. Mais il étouffa,
ouvrit sa bouche, très grande, sentit la
rambarde contre son dos et ne vit même
pas que la neige rougissait.*
(Extrait : LE TUEUR DU DIMANCHE)

LE TUEUR DU DIMANCHE est un roman policier tout à fait typique de la SÉRIE NOIRE de Gallimard qui propose une forme particulière de littérature policière évoquant le côté obscur de la Société. C’est une de mes rares incursions dans la SÉRIE NOIRE et je dois dire que le TUEUR DU DIMANCHE m’a gardé en haleine du début à la fin.

D’abord, c’est un roman assez bref, 125 pages. Pas de longueurs, pas d’errance. Giovanni ne tourne pas autour du pot et plonge dans le vif du sujet dès le départ : un meurtre à la page 1. Puis tout s’enchaîne rapidement. Le policier Kramer et ses acolytes, d’abord tournés en bourriques vont d’indice en indice puis tout finit par se préciser.

Et pour ajouter à la tension du lecteur, tout porte à croire qu’on a coincé puis abattu le meurtrier…surprise imprévisible pour le lecteur coincé lui aussi dans une intrigue puissamment ficelée, ce n’était pas le bon…

C’est un roman très violent dans lequel les meurtres s’accumulent. Mais ce qui m’a surtout sauté aux yeux, c’est la violence du langage et ça va bien au-delà du langage populaire. L’écriture est très argotique, glauque, froide, directe et d’une crudité pour le moins implacable : *On t’aura, espèce de fumier!…on te plombera!…cent kilos de plomb dans tes tripes de pourceau! (Extrait)  

Le traducteur s’est donné libre cours comme on voit. *Le sang noyait les cartilages brisés et le truand vomissait déjà le reste de ses dents. Sur le trottoir noyé de bave on ne le voyait pas. Mais dans la bouche de leur propriétaire, ça faisait un sacré vide. (Extrait) Il serait intéressant de voir ce que ça donnerait en jargon québécois. Quoiqu’il en soit, prendre autant de liberté dans une traduction peut-être parfois agaçant.

L’auteur est plus nuancé quand il décrit la mort des victimes du TUEUR DU DIMANCHE, de quoi entretenir les émotions déjà fortes du lecteur : *Mme Risler se sentit touchée à la poitrine…elle heurta la terre battue…le regard gris-bleu qui avait chauffé les tempes de plus d’un homme se révulsa. Sa vie n’était plus qu’un énorme tampon d’ouate qui l’étouffait et, elle eût, pour finir, la sensation qu’on lui maintenait la tête dans une piscine remplie de lait. Et ce fut tout.*(extrait)

Quand on lit ce genre de polar noir pour la première fois, ça donne un coup, tellement l’écriture est descriptive, et la trame violente. Même si l’écriture est teintée d’argots, je la trouve supérieure à beaucoup de polars que j’ai lus comme la série San Antonio dont j’ai déjà parlé sur ce site.

Bref, ce livre m’a remué. Il est assez court. Il se lit vite et bien. Les personnages ne sont pas particulièrement attachants mais l’auteur a fait preuve de beaucoup d’imagination et en ce qui me concerne en tout cas, il a su m’agripper dès le départ. Rythme rapide et sans retenue caractérisent ce polar très noir.

C’est cette lecture qui m’avait donné l’idée d’en savoir plus sur la SÉRIE NOIRE de GALLIMARD. Cette impressionnante collection fait l’objet d’un commentaire sur ce site. Cliquez ici .

Suggestion e lecture : À L’OMBRE DE LA MONTAGNE, de Kathleen Brassard

José Giovanni est un auteur, réalisateur et scénariste français né à Paris en 1923. Condamné à mort en 1948 pour complicité dans une affaire de meurtre, Joseph Giovanni échappera finalement de peu à la guillotine, sa peine étant commuée par l’état en 20 ans de travaux forcés. Il est libéré en 1956. Mais c’est dans le Couloir de la Mort qu’il s’oriente vers l’écriture.

Son premier récit relatant sa tentative d’évasion de la prison de la santé, LE TROU est publié chez Gallimard en 1957. Une vingtaine de romans suivront dont plusieurs chefs d’œuvres du roman noir, une quinzaine de scénarios et 20 films dont LE CLAN DES SICILIENS.  En fait, c’est l’écriture qui a rescapé José Giovanni. Il a œuvré avec passion jusqu’à sa mort en 2004.

LE TUEUR DU DIMANCHE a été adapté pour la télévision, réalisé par l’auteur lui-même, José Giovanni en 1985. On retrouve dans la distribution George Wod dans le rôle du commissaire Kramer et Rufus (photo) dans le rôle de Léopold.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
le dimanche 13 août 2017

L’ORANGE MÉCANIQUE, livre d’ANTHONY BURGESS

*…Alors on l’a croché aux pattes, si bien qu’il s’est
étalé à plat, raide lourd, et qu’un plein baquet de
vomi biéreux lui est sorti swoouuush d’un coup.
C’était si dégoûtant qu’on lui a shooté dedans, un
coup chacun, et alors, à la place de chanson et de
vomi, c’est du sang qui est sorti de sa vieille rote
dégueulasse. Et puis on a continué notre chemin.*
(Extrait : L’ORANGE MÉCANIQUE, Anthony Burgess,
Éditions Robert Laffont, 1972, 2010 pour la traduction
française. Édition de papier, 290 pages)

 Alex, un jeune voyou à la fois charmeur et dépravé décide de régner par la violence et la terreur. À la tête d’une bande d’ados, il frappe, viole, torture, sème la peur et manifeste sa haine de la société. Après une série de meurtres, ce monstre froid et cynique est arrêté et soumis à une forme de lavage de cerveau  basée sur la projection de films violents en continu sur fond de musique classique. Cette thérapie a rendu Alex pacifique au point que toute action violente lui soulève le cœur. En lui retirant son libre arbitre, la méthode a rendu Alex doux et timorée : une orange mécanique. mais son  passé l’a rattrapé…

Maltchick, malchickicaïd et malinfrat
(jeunes, durs et voyous)
*Regarde-le, ce beau spécimen de notre jeunesse lâche
et brutale, critchait-il. Oui, là, au milieu de nous, et à
notre merci. Ses amis et lui m’ont battu, roué de
coups de poing et de pied. Ils m’ont déshabillé,
arraché les dents. Ils ont ri de mon sang et de mes
plaintes. Ils m’ont renvoyé chez moi à coups de
botte, à moitié assommé et nu.*
(Extrait : L’ORANGE MÉCANIQUE)

L’ORANGE MÉCANIQUE, publié en 1972, est un livre qui ne vieillit pas à cause du thème que son auteur développe avec une remarquable justesse : la violence, terme générique utilisé dans son plus large spectre : intimidation, harcèlement, agression et brutalité sur les plans physique, psychologique, sexuel et social.

Le fil conducteur est simple à suivre. Alex, un jeune ado dépravé sème violence et terreur partout où il passe. Un jour, il va beaucoup trop loin et sa victime meurt. Il est arrêté et va en prison où on lui propose de participer à un programme susceptible de le réhabiliter et de le remettre en liberté.

Sans réfléchir, Alex accepte et tombe dans le filet du programme Ludovico qui le rendra doux comme un agneau. En effet, la seule idée de la violence le rendra malade et faible. C’est alors que son passé le rattrape et que tout se retourne contre lui. Alex devient victime de ses victimes.

C’est un roman bien sûr, mais on pourrait très bien l’interpréter comme un essai sur la violence, une sérieuse réflexion philosophique et sociale davantage évidente dans le livre que dans le film qui évoque plutôt une apologie. Ici Burgess ne fait pas dans la dentelle. Son livre m’a non seulement accroché, mais il m’a interpellé et même brassé un peu.

Les questions qu’il pose sont toujours d’une brûlante actualité et nous poussent à la réflexion : Est-ce qu’on nait avec la violence en nous ou ces pulsions s’acquièrent dès le plus jeune âge? La violence engendre-t-elle forcément la violence? Et qu’est-ce qu’on peut faire pour diminuer la violence voire l’enrayer? Ce qui me semble impossible.

Ce qui m’a le plus fasciné dans ce livre à saveur fortement philosophique est le programme LUDOVICO et ses conséquences sur Alex dont toutes les idées de violence ont sombré dans la velléité. On l’a forcé à être bon.

C’est là où le génie de Burgess nous pousse à l’introspection : quelle société n’a pas songé tôt ou tard à utiliser des moyens tordus pour enrayer la violence. Est-ce qu’il n’y a pas un réel danger de déshumanisation si on enlève à l’être humain son libre arbitre? *L’intention profonde, voilà le vrai péché. Quiconque est incapable de choisir cesse d’être un homme.* (extrait)

La principale difficulté que j’ai eue avec ce livre est d’ordre lexical. En effet, Burgess a créé pour son jeune narrateur Alex et ses semblables un langage qui ressemble à un code qui fait que les jeunes se reconnaissent entre eux. C’est un langage complètement inventé qui fait qu’au début, j’étais complètement perdu.

C’est ainsi qu’une jeune fille est une *dévotchka*, un prisonnier est un *plenni*, ce qui est fou est *bezoumni* et ainsi de suite… un vocabulaire de près de 250 mots qui saturent le texte d’un bout à l’autre. *Oh ça j’ai dit, c’est ce qu’on appelle entre nous parler NADSAT. Tous les moins de vingt ans parlent comme ça m’sieu.* (Extrait)

Cette étiquette linguistique m’a désorienté. Je me disais que c’était trop, que ça dilue l’attention et que ça pourrait décourager bien des lecteurs sans compter le fait que traduire ce livre a dû être tout un défi pour les traducteurs Georges Belmont et Hortense Chabrier. Mais finalement, plus vite que je l’aurais cru au départ, j’ai réussi à comprendre la signification des mots en les plaçant dans le contexte de la phrase.

Tout est devenu limpide pour mois. Alors, vers la fin du premier quart du livre, j’ai recommencé…retour à la page 1 et croyez-moi, je ne l’ai pas regretté car j’ai pu pénétrer dans l’esprit de Burgess et comprendre son point de vue et le prendre pour ce qu’il est : visionnaire.

Toutes les qualités d’un bon livre sont réunies ici. Je l’ai savouré. Peut-être à cause de son petit côté métaphysique. On ne peut tout simplement pas passer outre à la réflexion que propose ce livre sur la violence du monde moderne. Je recommande fortement la lecture de ce livre. En passant, je préfère le livre au film car je considère que le réalisateur Stanley Kubrik en a trop fait, donnant plus d’importance à l’exhibition du mal qu’à la pensée profonde de Burgess.

Suggestion de lecture : DÉSAXÉ, de Lars Kepler

Anthony Burgess (1917-1993) était un écrivain romancier, critique littéraire, compositeur natif de Manchester. Son tout premier roman A VISION OF BATTLEMENT sera publié en 1965, soit 16 ans après avoir été écrit. Burgess était un auteur prolifique et aussi un grand compositeur. Il a composé des œuvres musicales bien avant d’écrire des livres.  Toutefois, Anthony Burgess restera surtout connu comme étant l’auteur de L’ORANGE MÉCANIQUE, œuvre majeure d’anticipation sur la violence.

L’ORANGE MÉCANIQUE AU CINÉMA

L’adaptation cinématographique de L’ORANGE MÉCANIQUE est sortie en avril 1972, Réalisé par Stanley Kubrick, le film réunit à l’écran Malcolm McDowell dans le rôle d’Alex, Patrick Macgee, Michael Bates, Philip Stone et Steven Berkoff.Dès sa sortie, le film a été controversé, considéré comme le plus violent de tous les temps. On l’accusait de banaliser la violence…violence beaucoup plus présente dans le film que dans le livre à mon avis. Avec le temps, ce film, récipiendaire de plusieurs prix, est devenu une œuvre majeure du cinéma.


À propos de L’ORANGE MÉCANIQUE, je vous invite à lire le commentaire de MLLambert. Cliquez ici.

 BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
le dimanche 23 juillet 2017 

PERDITION 1 : LES GLORIEUX ET LES RÉPROUVÉS

 Commentaire sur le livre d’
ALEXANDRE VÉZINA

*Comme tu es lamentable…je n’arrive pas à
comprendre…comment peux-tu résister à
ce nectar délicieux qu’est le sang humain?
C’est si exquis…*

(Extrait : PERDITION, Alexandre Vézina, Éditions
AdA, Tome 1, édition de papier, 745 pages)

Après cinq siècle d’errance et de solitude, Kendra n’aurait pu concevoir que sa rencontre avec un humain lui aurait redonné le goût de vivre.  Pas plus qu’elle n’aurait été en mesure de se figurer tomber amoureuse. Mais aimer dans le monde qui était le sien venait avec son lot de bouleversements et un lourd tribut à payer. Elle ignorait complètement tout ce qui l’attendait. Ces créatures obscures à ses trousses. Ces brigues du dieu infernal à son sujet. Ce pouvoir s’éveillant en elle. Tant de choses dont elle n’avait pas la moindre idée. Tout comme des ténèbres qui engloutiraient le monde et elle-même si jamais cet amour venait à s’éteindre. À 511 ans, la vie de Kendra va basculer…

À 511 ANS, SA VIE VA BASCULER
*En avisant la dépouille saigneuse de son
frère frondeur, quelque chose s’était
Irrévocablement éteint, et bien que ce
dernier ait repris vie, cette lueur
atténuée ne se raviverait jamais.*
(Extrait : PERDITION, tome 1)

Voici un livre très intéressant écrit par un jeune auteur très prometteur. Alors qu’il n’avait que quinze ans, Alexandre Vézina, un jeune homme de lévis, commençait l’écriture de ce qui deviendra une quadralogie : LES GLORIEUX ET LES RÉPROUVÉS.

À peine 18 ans et les deux premiers tomes sont déjà publiés : PERDITION et ÉLÉVATION. Je salue la ténacité et l’acharnement au travail de ce jeune écrivain émergent. Je vous parle aujourd’hui du premier tome : PERDITION.

C’est avant tout une histoire de vampires, de loup garous, de sorcières et autres créatures issues des enfers. C’est une histoire qui évoque l’éternelle dualité entre le bien et le mal. C’est aussi une histoire qui brise les vieux mythes de l’univers des vampires, un peu comme l’a fait la série télévisuelle TWILIGHT.

PERDITION, c’est surtout une longue introspection doublée d’une histoire d’amour : celle de Kendra Mary Ayleward, une vampire de 500 ans et Charles Branden, un humain. Or cet amour est impossible parce que totalement interdit par le maître suprême des enfers : Lucifer lui-même. Vous vous doutez peut-être que l’amour sera plus fort, ce qui entraînera Kendra dans une guerre sans pitié avec Lucifer. Mais lentement, graduellement, un énorme pouvoir s’éveille chez kendra…

PERDITION est un long pavé de 740 pages. Malgré les longueurs, il est facile à suivre, le fil conducteur nous ramenant toujours à l’essentiel. L’histoire est solide. L’auteur a doté son personnage principal, Kendra, d’un caractère bien trempé. Kendra et Charles sont des personnages attachants et il est intéressant de les voir évoluer dans l’histoire d’autant que cet amour est contre-nature pour Kendra.

En effet, un vampire qui aime un humain est condamné au néant. Cet amour vient briser un mythe majeur…dans les années 60, en littérature et au cinéma, les vampires n’aimaient les humains que pour leur sang. Cet amour vient consacrer le caractère original de l’ouvrage.

Suite à ma lecture de PERDITION, je note une faiblesse et un irritant. La faiblesse du récit réside dans sa structure qui est déficiente. J’avais l’impression que l’histoire s’écrivait au fur et à mesure, comme improvisée. Une écriture non-planifiée ouvre souvent la porte aux longueurs et aux redondances.

C’est le cas ici. Je pense à ce pauvre Charles qui ne l’aura pas facile et qui revient sur ses pieds 2 ou 3 fois. C’est répétitif et ça grossit le récit inutilement. Je suis sûr que, l’expérience aidant, cette situation va s’améliorer, c’est peut-être déjà fait d’ailleurs dans le tome 2 que je n’ai pas encore lu.

La seule chose qui m’a irrité dans ce récit est une surexploitation des adjectifs qualificatifs épithètes et attributs. Il y en a partout. Beaucoup sont inutiles ou inappropriés, la plupart n’ont qu’une application littéraire.

Je pense que dans son désir de bien faire, le jeune auteur en a trop mis et le tape-à-l’œil qui en résulte m’a obligé à garder un dictionnaire à côté de moi : Un baiser languide…imagination inexhaustible…résonnaient itérativement… mon visage vénuste…situation climatérique…le son lénitif…un mal de tête térébrant…et j’en passe beaucoup.

J’aurais préféré un peu plus de simplicité. Je l’ai déjà dit, l’histoire est solide. Ça ne lui aurait pas enlevé de valeur. Pourquoi pas difficile au lieu de difficultueux, déplaisant au lieu de malplaisant, vrai au lieu de vérace, mortel au lieu de mortifère, à pied au lieu de pédestrement…etc, etc.

Il semble aussi que l’auteur ait adopté des termes fétiches, des mots, qualificatifs pour la plupart et qui reviennent très souvent dans le récit : néronien, marmoréen, cyclopéen, méphistophélique et autres termes répétés à outrance…

je crois qu’en réaménageant le récit pour diminuer les répétitions, redondances, longueurs et mots inutiles, on aurait pu limiter le livre à 600 pages avec une plume plus directe et un style autant coloré mais un peu plus simple.

L’histoire m’a beaucoup plu, son décor post-apocalyptique retient l’attention du lecteur. Je n’hésite pas à vous recommander le premier tome de LES GLORIEUX ET LES RÉPROUVÉS : PERDITION.

Pour le premier pavé d’un auteur émergent qui n’a que 18 ans, je crois que c’est un succès. Les lecteurs peuvent poursuivre leur exploration avec le tome 2 : ÉLÉVATION. Alexandre Vézina est définitivement un auteur à surveiller. Un plus pour l’univers littéraire québécois.

Suggestion de lecture : LES CHRONIQUES DE LA FAUCHEUSE, de Mickaël Druart

 Alexandre Vézina est un auteur québécois né le 30 octobre 1998. À 18 ans, il avait déjà deux romans à son actif. En effet en 2016, il a publié les deux premiers tomes d’une série prometteuse à caractère fantastique pour jeunes adultes et travaillait au troisième tome de cette série intitulée LES GLORIEUX ET LES RÉPROUVÉS. Du plus loin qu’il peut s’en souvenir, Alexandre aime écrire des histoires car elles sont un moyen pour lui de s’évader. Pour suivre Alexandre Vézina sur Facebook, cliquez ici. (photo: www.journaldelevis.com)

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
le dimanche 21 mai 2017

CANADA, le livre de RICHARD FORD, récit

*Sur le moment, je n’ai pas fait le
rapprochement. Mais plus tard, si.
C’était quelque chose qui l’avait
toujours tenté. Il y a des gens qui
rêvent de devenir directeurs de
banque, d’autres, braqueurs de
banque.*
(Extrait : CANADA, Richard Ford, Éditions
de l’Olivier, 2012, éd. Num. 460 pages)

Great Falls, Montana 1960. Dell Parsons vit avec ses parents et sa sœur Berner. Les jumeaux ont 15 ans. Après quantités d’emplois instables et douteux, les parents de Dell et Berner, pressés par un créancier menaçant, commettent un hold-up. Mais celui-ci échoue et les parents se retrouvent en prison. Pour éviter l’orphelinat, Berner fugue à San-Francisco et Dell décide de suivre une idée de sa mère : passer la frontière du Canada en Saskatchewan et retrouver un certain Remlinger, organisateur de chasses. Dell devient son apprenti. CANADA raconte son apprentissage au milieu d’une nature extraordinaire mais parmi des hommes violents. 

Les rejetons de l’insouciance

*Quand vous nous appréciez, on se met à douter que
ce soit pour de bonnes raisons. Ça doit être tout à
fait différent aux États-Unis. J’ai dans l’idée que
tout le monde s’en fiche là-bas. Faire les choses
pour de bonnes raisons, c’est l’esprit du Canada.
-Ça me plait-, j’ai dit.*
(Extrait de CANADA de Richard Ford)

C’est une belle histoire. Celle de Dell Parson et de sa jumelle, Berner. À l’âge de 15 ans, leur vie va basculer complètement après l’arrestation de leurs parents pour un hold-up complètement raté. Le choix des jumeaux est simple et rapide : la fugue pour échapper aux services sociaux.

Berner s’enfuira à San Francisco, pour Dell, ce sera le Canada, plus précisément la Saskatchewan où il fera la connaissance d’un personnage énigmatique, secret, au passé lourd : Arthur Remlingler. Remlinger prend Dell en charge. Le récit se concentre surtout sur Dell qui devient le narrateur et raconte son dur apprentissage dans une nature saisissante parmi des hommes violents.

Bien qu’elles ne soient pas clairement identifiées, il y a trois parties distinctes dans ce livre : d’abord une chronique de la vie familiale dans laquelle j’ai pu me familiariser avec le quotidien et la psychologie des personnages : Dell, que j’ai trouvé particulièrement attachant, Berner la rebelle, et leurs parents un peu étranges, lui,  militaire désœuvré impliqué dans toutes sortes d’activités douteuses, elle, distante, incapable de s’adapter à son environnement.

La deuxième partie est celle du hold-up (perpétré avec une incroyable incompétence), l’arrestation et la période d’incertitude et d’insécurité qui suit pour les jumeaux et la troisième partie est celle de la fugue et se concentre sur la fuite de Dell au Canada et la dure réalité dans laquelle il devra plonger en Saskatchewan.

C’est un roman fort, tout à fait conforme au style intense, descriptif et sensiblement philosophique de Richard Ford. La description de la nature au Canada est magnifique et l’auteur nous saisit d’une remarquable toile de la nature humaine, d’une haute précision. Sans être moralisateur, ce beau roman est porteur d’une profonde réflexion sur le sens de la vie, et surtout, la définition du bonheur.

En fait, Ford amène le lecteur à se demander comment rebâtir une vie quand celle-ci a basculé complètement. Comment se reconstruire quand sa vie tourne au désastre? Il faut dire que l’auteur a donné à son personnage principal Dell, une très bonne nature. Dans l’histoire, il se dit lui-même satisfait de la tournure des évènements au Canada et ça l’a aidé à avancer.

Dans CANADA, il n’y a pas beaucoup d’action ni de rebondissements. Le rythme est lent. Le style descriptif de Ford a parfois mis ma patience à l’épreuve. C’est l’émotion que j’ai ressentie qui m’a gardé dans le coup, ainsi que le courage et l’abnégation de Dell dont j’ai partagé finalement les tribulations.

Je précise enfin que l’épisode qui précède le départ de Dell pour Winnipeg est particulièrement violent et sa dernière rencontre avec sa sœur Berner, juste avant la mort de celle-ci, est particulièrement émouvante.

Ce fût pour moi, un très beau moment de lecture où je me suis vu moi-même comme un adolescent cherchant le meilleur chemin pour atteindre la joie de vivre et le bonheur. Je recommande CANADA sans hésiter.

Suggestion de lecture : 1630 LA VENGEANCE DE RICHELIEU, de Jean-Michel Riou

Richard Ford est un écrivain américain né le 16 février 1944 à Jackson, Mississipi. Son roman le plus connu est INDEPENDANCE publié en 1996 et pour lequel il a obtenu le prix Pulitzer ainsi que le PEN/Faulkner award. INDEPENDANCE est la suite du roman UN WEEK-END DANS LE MICHIGAN. Son livre CANADA, publié en 2013 lui a également valu un prix prestigieux : le prix FÉMINA ÉTRANGER 2013. Ford est maintenant professeur dans le Maine.

BONNE LECTURE
JAILU/Clade Lambert
le 9 avril 2017

MEURTRES POUR RÉDEMPTION, Karine Giébel

*Le poison continua son étrange cheminement.
Ouvrant au hasard les tiroirs de son cerveau.
Elle bascula brusquement dans le passé. Là où
elle n’aurait pas aimé retourner…l’angoisse lui
paralyse le cerveau et les muscles. Elle a peur.
Son ventre se tord…*
(Extrait de MEURTRES POUR RÉDEMPTION, Karine
Giébel, réédition :  Fleuve Noir, 2010, 765 pages, num.)

Marianne de Gréville, 20 ans est emprisonnée à vie pour de multiples meurtres. À cause de son caractère orageux, instable et violent, elle est détestée par ses codétenues et harcelée par ses gardiennes qui veulent la *casser* en la torturant et l’humiliant, ce qui est fort mal connaître la nature meurtrière et vengeresse de cette furie. Toutefois, un homme la remarque et tombe sous le charme de la sauvagesse. Alors que l’espoir et l’amour se pointent et que se développe lentement  le désir de se racheter, Marianne se retrouve devant un horrible choix : tuer encore et gagner sa liberté ou se laisser dompter et gagner par l’espoir…

Au fond des bas-fonds
*Si je te faisais bouffer cette merde,
hein De Gréville?
Tu crèverais non?
-Vas-y, essaye!
Nouveau coup de matraque.
Nouveau hurlement.*
(extrait de MEURTRES POUR RÉDEMPTION)

C’est une histoire très longue…près de 800 pages…une brique de violence et d’actions désespérées et l’auteure Karine Giébel ne fait pas dans la dentelle, propulsant le lecteur dans un effroyable dédale de violence, de cruauté et de sadisme.

Il faut être préparé pour lire un tel livre car la plume de Giébel est incroyablement efficace. J’ai pensé que pour mettre en perspective toute la noirceur de cette histoire, l’idéal est encore de rassembler des extraits forts évocateurs…et j’avais un choix pratiquement illimité :

*Trente jours. Dans ce trou infâme, pestilentiel. Sept cent vingt heures de solitude. Quarante-trois mille deux cents minutes d’une lente déchéance…Deux millions cinq cent quatre-vingt-douze mille secondes de désespoir…*

*Je vais lui faire du mal! Gémit Marianne. J’vais lui faire du mal! Je sais faire que ça! Je suis mauvaise, pourrie jusqu’à l’os.*

*Après la douleur, ce fût la peur qui explosa en elle.*

*Comment pouvait-elle héberger tant de cruauté? Quel mal la rongeait pour la rendre aussi insensible? Aussi monstrueuse?*

*Pariotti semblait avoir perdu tout contrôle. Elle se vengeait de la terre entière, se vautrait dans la barbarie avec une frénésie sanguinaire. Marianne encaissa encore plusieurs chocs…*

*Il lui écrasait le dos avec sa chaussure. Avec ses cent quarante kilos de cholestérol pur. Elle criait de douleur…*

*Une nouvelle bestiole à mille pattes rampa sur son pieds, elle secoua la jambe en gémissant.*

*…Parce que sa vie se résumait à des maux sans fin. Parce qu’elle était Marianne. Qu’elle n’avait toujours connu que le malheur, l’horreur. La noirceur d’une vie sordide.*

Dans MEURTRES pour rédemption, pas de soleil…pas d’espoir et surtout, pas de répit pour le lecteur. Je trouve extraordinaire que Giébel ait réussi à insérer une histoire d’amour crédible dans ce drame infernal…et encore, je ne peux pas dire que cette histoire soit imbibée d’eau de rose.

C’est un livre à l’écriture puissante quoique j’ai pensé que 100 ou  200 pages en moins de cruauté, de torture, de haine et de trahison auraient tout de même fait l’affaire. Il y a des longueurs et c’est sans compter les petits retours en arrière qui sont parfois agaçants.

Malgré tout, il y a de très grandes forces dans ce livre qui vient nous rappeler que s’il y a quelque chose de pourri dans les basses fosses que sont les prisons européennes pour meurtriers et récidivistes irrécupérables, on trouve aussi de la pourriture dans les hautes sphères de la société qui elles, s’en tirent à bon compte.

Quant au personnage principal. Marianne, classée comme un monstre, elle a un petit quelque chose d’attachant qui appelle la compréhension circonstancielle du lecteur.

Elle a une forte personnalité teintée de rudesse mais sans être foncièrement mauvaise. Voici une autre citation qui illustre mon propos :*Oh oui! Et tu es encore plus jolie à l’intérieur. Malgré tout ce que tu as commis…Malgré tout ce que tu as subi aussi…Tu restes capable du meilleur.*

Comment décrire ainsi une machine à tuer et est-ce plausible? C’est au lecteur de le découvrir. Ce livre ne m’a laissé aucun répit. Il est d’une noirceur opaque et pousse continuellement le lecteur à se demander comment les choses peuvent dégénérer à ce point. C’est un livre d’une violence parfois insoutenable, même la rédemption dont il est question dans le titre est dramatique.

Mais l’écriture est magistrale et d’une efficacité qui fige le lecteur dès le début et le garde sur le qui-vive d’un rebondissement à l’autre. Notez que je parle ici de la narration car les dialogues sont sans doute la principale faiblesse du livre.

Une dernière petite remarque peut-être…j’ai trouvé cocasse que l’auteure cite Dostoïesvki dans son livre…*Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons.* Dostoïesvski  Voilà qui en dit long sur ce qu’on appelle la civilisation.

Je recommande ce livre aux âmes pas trop sensibles mais gardez-vous du temps, car il est très long et l’incroyable magnétisme de la plume de Giébel risque de vous retenir…prisonnier…

Suggestion de lecture : MEURTRES EN SOUTANE, de Phyllis Dorothy James

Karine Giébel est une auteure française née en 1971. Pendant ses études de droit, elle a développé un goût prononcé pour l’écriture  et  complète en 2004 un premier polar salué par la critique : TERMINUS ELICIUS qui reçoit en 2005 le grand prix marseillais du polar. MEURTRES POUR RÉDEMPTION est son deuxième roman, publié en 2006 et nominé pour le prix Polar Cognac. Suivront deux autres volumes primés : LES MORSURES DE L’OMBRE en 2009 et JUSTE UNE OMBRE en 2012. Son œuvre est rehaussée par une impressionnante collection de prix littéraires.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
NOVEMBRE 2015

L’ANGE, le livre de MICHEL RIETSCH

*Les quelques dents qui pendaient encore aux
gencives furent éjectées par un ultime hoquet
de douleur…il était mort en catastrophe, trop
vite en tout cas pour que ses terreurs puissent
être convenablement créditées.*
(Extrait : L’ANGE, Michel Riestsch, Éditions Black-ebook,
octobre 2013, version num. 220 pages)

Dans les Vosges (France région Lorraine) un dangereux psychopathe, tueur en série, monstre sans pitié s’évade d’un hôpital où il était suivi par le docteur Sonnenfeld, un psychiatre au professionnalisme douteux. En liberté, Wilfried devient comme un fauve et s’adonne avec délectation à son activité préférée : tuer, massacrer. Parallèlement aux forces policières, Sonnenfeld décide de traquer sans relâche le tueur. Cette quête amènera le psychiatre aux sommets de l’horreur, aux limites de l’imaginable. C’est une traque contre la montre et le temps fait défaut.

Terrifiant. Rien de moins
*…la barre effectua un arc de cercle de golfeur
et arriva à toute vitesse en plein sur la
bouche qui éclata en une gerbe de sang.
Sous le choc, la tête heurta violemment le
mur arrière et l’homme perdit
connaissance.
Déjà dans les pommes? Petite nature va!
(Extrait : L’ANGE)

C’est un livre étrange, un récit noir, glauque, développé dans une écriture typique de Rietsch qui agrippe le lecteur sans lui laisser de répit ou très peu. Il est très difficile de résumer un tel livre, car dévoiler ne serait-ce qu’une bribe amènerait rapidement le lecteur à la conclusion.

Il faut le lire et se laisser aller dans ce récit aux développements imprévisibles, récit qui est aussi un voyage dans les méandres visqueux d’un esprit torturé qui ne tire jouissance que dans le meurtre et la torture autant physique que psychologique. Bref, l’esprit d’un monstre.

On ne peut pas vraiment résumer une telle descente dans l’horreur mais je peux mettre le lecteur sur le sentier en dévoilant, très partiellement, comment l’auteur dévoile la nature de Wilfried : *…car ses méfaits étaient soutenus et organisés par une intelligence structurée su service d’une perversité démoniaque.*

Ou plus habile encore : *Mais avant d’avoir été véritablement en contact avec la vie, … la beauté de la mort l’habitait déjà. Qu’y pouvait-il? C’est une des raisons qui l’avait décidé à opter pour une distraction un peu différente de l’idée qu’on s’en faisait habituellement : tuer. Un loisir qui en vaut un autre.* (Extraits)

Je pourrais aussi mettre le lecteur sur le sentier d’une compréhension partielle en disant que le titre du livre est justifié : *Les anges n’ont pas de sexe mais ils ont de l’imagination.* (Extrait) …il y a là une petite saveur de surnaturel, de fantastique et aussi de recherche sur le plan psychologique.

C’est un thriller efficace, une course contre la montre qui entraîne malgré lui le lecteur qui ne peut absolument pas imaginer la suite des évènements. L’intensité de l’écriture et le rythme parfois effréné bousculent le lecteur mais le *laisse difficilement s’échapper*.

Quant aux versions du livre : censurée et non censurée, préférant ne pas trop penser qu’on puisse me prendre pour une poire, je vous dirai que ça ne change pas grand-chose, car si vous avez l’âme sensible, je vous déconseille tout simplement la lecture de ce livre que ce soit en version censurée ou pas. Vous éviterez ainsi de tomber dans le petit piège d’une banale opération de marketing.

En conclusion, je suis bien conscient que je n’ai pas dévoilé grand-chose de l’intrigue, mais si vous êtes d’attaque et pas trop sensible, je vous recommande la lecture de ce livre qui n’est pas très long. Laissez-vous simplement guider par l’auteur dans une atmosphère opaque, bizarre, teintée d’un humour pour lequel je serais tenté d’utiliser les mêmes qualificatifs.

…un livre fort avec, au programme humour noir et mort blanche…

Suggestion de lecture : L’HEURE DE L’ANGE, d’Anne Rice

Michel Rietsch est un auteur français né à Strasbourg en Alsace (est de la France) en 1956. Dès son adolescence, il s’intéresse aux livres et aux auteurs susceptibles d’exacerber ses rêves de voyage et de liberté. C’est pendant cette période qu’il apprendra son métier de cuisinier. Par la suite il réalisera ses rêves de voyage qui l’amèneront d’aventure en aventure avant qu’il se réinstalle en Alsace, 17 ans plus tard, pour y exercer son métier de cuisinier et…pour écrire… dans différentes maisons d’édition.

Il a publié entre autres LA NOTATION, bien sûr L’ANGE en deux versions, censurée et non-censurée, parues chez Black-Ebook en 2013, je cite aussi DU SEL ET DES HOMMES qui relate la grande aventure qui a marqué l’histoire et l’économie de l’Alsace. Rietsch réside dans les Vosges en Lorraine.

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
AOÛT 2015

SEVENTEEN, le livre de KENZABURÔ Ôé

*Voilà un gauchiste qui tape à côté de la cible!
dit ma sœur sur un ton moqueur. Ça m’a mis
hors de moi. En hurlant, je lui donné un coup
de pied en plein dans le front. Elle est tombée
à la renverse…son visage aux traits ingrats a
blêmi de manière effrayante…*
(extrait de SEVENTEEN de Kenzaburô Ôé, 1961,
traduit en français chez Gallimard en 2005, éd. Num.
rééd. 2011, Folio)

SEVENTEEN est une nouvelle extraite de FASTE DES MORTS de Kenzaburô Ôé. C’est le récit d’un adolescent japonais de 17 ans perturbé et accablé par l’indifférence et le laxisme de son père, les moqueries de ses camarades, obnubilé par son physique et ses désirs sexuels. Un jour, il est recruté par le Parti de droite. Sa vie va basculer dès son enrôlement dans cette organisation politique utilisant la violence et la perturbation sociale pour parvenir à ses fins. L’ado à l’esprit torturé y voit enfin la possibilité de devenir QUELQU’UN. Cette nouvelle évoque la recrudescence de l’ultranationalisme  du parti impérial japonais dans les années 60.

JEUNE CONSCIENCE À LA DÉRIVE
*L’uniforme de l’Action Impériale imitait
celui des S.S. Lorsque je marchais dans
les rues ainsi vêtu, j’éprouvais là-aussi
une vive sensation de bonheur…j’avais
la certitude que les autres ne voyaient
plus ce qu’il y avait en moi de mou, de
faible, de vulnérable, de disgracieux
et je me sentais au paradis.*
(extrait de SEVENTEEN)

Seventeen est le dur récit d’un adolescent japonais frappé de plein fouet par les travers impitoyables de l’adolescence dans un contexte culturel complexe et évolutif, et où pour beaucoup de jeunes japonais, atteindre le bonheur consiste à vivre à l’américaine. Le jeune narrateur est perturbé, son estime de soi est à peu près nulle, aussi nulle que l’attention que lui accorde son père, aussi nulle que ses relations avec ses pairs…

C’est un récit d’une grande violence empreint de rancœur, de tristesse et d’une recherche désespérée d’amour et de reconnaissance.

Ôé raconte comment l’extrême fragilité de cet adolescent à l’esprit torturé l’amènera à adhérer à un système politique mû par l’absolutisme impérial et qui utilise largement la violence pour arriver à ses fins. Notre jeune *seventeen* y voit une occasion unique d’être reconnu par les siens, d’être respecté, bref, d’être quelqu’un.

Avec une plume dramatique, Ôé décrit de façon détaillée la détresse psychologique d’un ado déjà pris dans un étau social car il faut comprendre le contexte du début des années 60 au Japon pour saisir cette détresse. Les jeunes japonais étaient piégés entre l’impérialisme, le socialisme, le communisme,  les factions de droite et le libéralisme à l’américaine. Ce sont les extrémistes qui ont eu raison de la fragilité de *seventeen*.

Ce contexte politique et social est peu développé dans le récit. Je peux comprendre car SEVENTEEN est une nouvelle. Mais comme l’auteur décrit avec un luxe de détails les pulsions sexuelles du garçon, il aurait pu je crois, sacrifier un peu cet aspect au profit d’une description plus complète du contexte social des années 60 au Japon. Le récit commence même par la croustillante description d’une séance d’onanisme qui n’apporte pas grand-chose à l’ensemble.

Tout de même, le récit est bref, il se lit vite et bien et surtout, il propose une profonde réflexion sur la fragilité de l’adolescence et les nombreuses façons dont elle peut être influencée dans une société en déséquilibre.

Suggestion de lecture : MENVATTS IMMORTEL, de Dominic Bellavance

Kenzaburô Ôé est un écrivain japonais né dans l’île Shikoku au Japon en 1935. Ses premiers textes sont publiés dans les années 50. En 1958, il reçoit le prix AKUTAGAWA, l’équivalent du prix GONCOURT français, pour GIBIER D’ÉLEVAGE adapté au cinéma par Nagisa Oshima sous le titre UNE BÊTE À NOURRIR. En 1964, la naissance de son fils, anormal, bouleverse sa vie tout comme son univers littéraire. Il écrit un livre déchirant s’inspirant de ce drame : UNE AFFAIRE PERSONNELLE.  Écrivain original, Kenzaburô Ôé  reçoit le prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre en 1961.

BONNE LECTURE
JAILU
AOÛT 2015