CHARADE, le livre de Laurent Loison

* La pénombre enveloppait la pièce. Helena souffrait d’un mal de tête intense… Elle voulut porter la main derrière sa nuque. Rien ne bougea… Était-elle paralysée ? Elle paniqua franchement. Aucun mouvement possible. Ses poignets, ses chevilles étaient solidement ficelés et les entraves l’étreignaient avec la rigidité d’un barbelé.
Elle hurla. Pas un son ne franchit la barrière de ses lèvres. *

(Extrait : CHARADE, Laurent Loison. Édition originale, France Loisirs éditeur, 2015, 432 pages. Version audio : Audible studios éditeur, 2017, durée d’écoute : 10 heures 10 minutes. Narrateur : Sébastien Ossard)

Il laisse derrière lui des cadavres de jeunes femmes atrocement torturées et de mystérieux messages. Ce cruel et terrifiant tueur en série est pourtant traqué par le meilleur flic du 36, le commissaire Florent Bargamont, et une brillante criminologue, Emmanuelle de Quezac.

La fin d’abord
*Personne ne souhaitait accéder aux
exigences du présumé tueur à la
charade. *
(Extrait)

D’abord, si vous comptez lire ce livre, recevez cet avertissement : Il n’est pas pour les âmes sensibles et les insomniaques : *D’abord incrédule, Emmanuelle perdit ses forces lorsqu’elle comprit que l’assassin ait dû tartiner le visage de la victime avec la cervelle de son ami tout juste mort. * (Extrait)

Un commissaire à l’âme tourmenté, Florent Bargamont et une jeune criminologue Emmanuelle de Quézac enquêtent sur des meurtres d’une inimaginable barbarie. Le tueur laisse derrière lui des cadavres de jeunes femmes incroyablement mutilées, désintégrées laissées aux cauchemars des policiers, chacune avec une feuille de papier contenant un bout de charade annonçant la vision d’horreur suivante : *Seul un des deux est utile à mon second * (extrait)

Pour cette sorte de crime qui dépasse l’entendement, Bargamont était considéré comme le meilleur policier de France : *On ne m’appelle que pour les cas sordides et abjects…les usines à cauchemars si vous voulez. * (Extrait)

La tension monte, l’opinion publique s’alarme, l’enquête devient une course contre la montre…le ton est donné dès le début : *Nous traquons des criminels de la pire espèce ici, des malades à en écrire des thèses de plusieurs volumes. Tous les officiers qui travaillent ici ont tous une case en moins ou en plus * (Extrait)

J’ai déjà dévoilé je crois le principal irritant que je rencontre le plus souvent dans l’univers des romans policiers : l’état d’âme des policiers. Dans CHARADE, l’auteur accorde autant d’importance au tueur et à l’enquête qu’à l’âme torturée du policier Bargamont. Mais j’ai compris pourquoi un peu vers la fin du récit. L’auteur n’avait pas le choix tellement le héros était lié à son enquête, un lien viscéral qui est une des surprises générées dans la finale.

Il faut voir qui est Florent Bargamont : un caractériel mufle, grossier, froid, tourmenté, déprimé, cassé et toujours au bord de la destruction. Le seul élément qui l’humanise un peu dans l’histoire est son amourette avec sa psychiatre qui finit par faire un rapport mitigé. Bargamont est un spécialiste de la noirceur de l’âme et c’est lourd à porter.

Avec L’AIGLE DE SANG de Jean-Christophe Chaumette, CHARADE est ce que j’ai lu de plus noir comme roman. * Cette histoire est une démonstration poussée de ce qu’est un pervers narcissique * (extrait) L’écriture est froide et directe. Peu ou pas de longueurs, pas de dentelle. Certains passages sont d’une crudité à faire frémir. Rien ne filtre quant à l’identité du tueur, ce qui prépare le lecteur à une finale énorme avec un coupable tout à fait improbable.

Les deux principaux personnages ont quelque chose d’attachant dans la mesure où on apprend à les comprendre. Bargamont en particulier, appelé Barga par ses proches. L’intrigue tient le coup jusqu’à la toute fin avec en prime plusieurs rebondissements. Je peux vous dire honnêtement que je n’ai pas saisi la charade. Elle est effectivement peu accessible.

Même si elle ouvre la voie sur d’étranges coïncidences que je vous laisse le soin de découvrir, je crois que l’auteur l’a compliquée pour rien. Un mot sur le rythme : effréné. Aussi effréné que le tueur est sadique. Je ne vais pas dévoiler l’intrigue mais vous serez surpris de l’origine de la charade qui repose essentiellement sur la jalousie et la vengeance.

J’ai choisi la version audio de l’histoire. Peut-être n’aurais-je pas dû. La narration de Sébastien Ossard est intéressante mais j’ai eu l’impression que sa signature vocale amplifiait un caractère surfait, caricatural et surréaliste déjà sensiblement présent dans l’histoire. La lecture est vivante et dynamique mais n’arrive pas à donner à l’ensemble un niveau convenable de crédibilité.

Enfin, le récit comporte beaucoup de clichés. Dans le cas de Bargamont, on aurait effectivement le portrait du policier sans peurs et sans reproches mais bourré de problèmes dans la structure de sa personnalité. Toutefois son rôle dans cette enquête, son rôle profond échappe à toutes prévisions du lecteur et ce qui fait toute l’originalité du livre. Au-delà du support utilisé, je recommande CHARADE comme un défi à relever.

Pour ceux qui auront apprécié, je précise que Florent Bargamont est de retour dans le deuxième livre de Loison, CYANURE. La trame est différente quoique toujours aussi glauque et *Barga* est aux prises avec une autre tourmente personnelle.

Suggestion de lecture : JEU DE MORTS, de Jean-Sébastien Pouchard

Né dans le Val d’Oise en 1968, l’auteur réserve une grande part de son temps à l’écriture, sa passion de toujours, rédigeant ainsi plusieurs ouvrages qu’il garde pour ses proches. « Charade » cristallise l’aboutissement d’un travail exigeant dans lequel il a pu insuffler à ses personnages la multitude d’émotions et de sentiments qui animent son imagination bouillonnante et qu’il souhaite aujourd’hui partager. 

Bonne écoute
Bonne lecture
Claude Lambert

 

IMMORTELLE RANDONNÉE (1) Compostelle malgré moi

Commentaire (partie 1) sur le livre de
JEAN-CHRISTOPHE RUFIN

*Le Chemin est une alchimie du temps sur l’âme. C’est
un processus qui ne peut être immédiat ni même rapide.
Le pèlerin qui enchaîne les semaines à pied en fait
l’expérience. *
(Extrait : IMMORTELLE RANDONNÉE, Jean-Christophe Rufin,
Édition de papier, illustrée, Gallimard éditeur, 2013, 240 pages)

La marche de Compostelle a comme but d’atteindre le tombeau de l’apôtre Saint Jacques le Majeur situé dans la crypte de la cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle en Galice (Espagne). Semé de nombreuses démonstrations de ferveur, de pénitence, d’hospitalité, d’art et de culture, le chemin de Compostelle évoque de manière éloquente les racines spirituelles du vieux continent.

La photo montre la cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle, aboutissement ultime du pèlerinage, la plus importante route de pèlerinage au monde. Cet imposant bâtiment est le foyer de la plus profonde dévotion catholique.

APRÈS LE RÉCIT, L’ALBUM DE L’ÉTONNANT VOYAGE D’UN ÉCRIVAIN NOMADE, ASSORTI D’ILLUSTRATIONS DE L’AUTEUR ET DE PHOTOS INÉDITES. Le texte intégral accompagné de 130 photos et dessins. Un mois sur le Camino del Norte, de Bayonne à Santiago, 40 kilomètres de marche par jour : étape après étape, Jean-Christophe Rufin, infecté par le virus de Saint-Jacques, se transforme en clochard céleste, en routard de Compostelle.

Une forte aura spirituelle
*Et là, dans ces splendeurs, le chemin m’a confié son secret.
Il m’a glissé sa vérité qui est tout aussitôt devenue la mienne.
Compostelle n’est pas un pèlerinage chrétien mais bien plus,
ou bien moins selon la manière dont on accueille cette
révélation. Il n’appartient en propre à aucun culte et, à vrai
dire, on peut y mettre tout ce que l’on souhaite.
(Extrait)

Comment définir IMMORTELLE RANDONNÉE ? Un carnet de voyage ? Un journal de bord ? Un témoignage ? Une aventure ? Un exercice d’introspection ? Je dirais tout cela à la fois en plus d’adhérer au sentiment de l’auteur : *Le Chemin est une alchimie du temps sur l’âme* (Extrait)

Il y a une personne très proche de moi qui a fait le chemin de Compostelle et qui m’a raconté son périple et les effets qu’il a ressenti. Effectivement, le Chemin de Compostelle transforme et Jean-Christophe Rufin insiste sur ce point : La marche est beaucoup plus qu’un exercice chrétien ou une dévotion catholique, elle transcende la religion. Elle est avant tout une démarche spirituelle…un exercice éprouvant qui amène le pèlerin au dépouillement :

*La clochardisation du marcheur se fait très vite. Si délicat et policé que l’on parte, on ne tarde guère, sous l’effet du Chemin, à perdre sa pudeur, en même temps que sa dignité. Sans devenir tout à fait une bête, on est déjà plus complètement un homme. Ce pourrait être la définition du pèlerin.*  Extrait.

Je précise ici que j’ai été quelque peu surpris du regard critique que jette l’auteur sur le pèlerinage mais je crois son récit authentique, honnête et sincère, mis en perspective par les magnifiques photos de Marc Vachon et même un certain sens de l’humour. Plusieurs passages m’ont en effet arraché un sourire.

Je n’ai pas senti d’emballement dans le récit de Rufin, pas de sensationnalisme mais plutôt l’expression d’un cheminement graduel vers l’humilité. *En une journée, j’avais tout perdu : mes repères géographiques, la stupide dignité que pouvaient me conférer ma position sociale et mes titres. Cette expérience n’était pas la coquetterie d’un week-end mais bien un nouvel état, qui allait durer.* (Extrait)

Même si Jean-Christophe Rufin passe des remarques parfois acerbes sur les *effets Compostelle* j’ai senti dans son récit une fierté du dépouillement dont il était l’objet ce qui m’a procuré un bien être stimulant en cours de lecture et l’impression d’être quelque part en quête de Compostelle aux côtés de l’auteur ou pas loin. J’ai pu ressentir sa fatigue, sa solitude.

À bien des égards, Jean-Christophe Rufin a le ton juste. Il n’essaie pas de convaincre. Ce livre n’est pas un exercice de vente. C’est un témoignage. *Mon propos n’a pas pour but de convaincre mais seulement de décrire ce que fut pour moi ce voyage. Pour le dire d’une formule qui n’est plaisante qu’en apparence : en partant pour Saint-Jacques, je ne cherchais rien et je l’ai trouvé.* (Extrait)

Suggestion de lecture : L’ALCHIMISTE, de Paulo Coelho

Le pèlerinage de Compostelle propose principalement quatre itinéraires majeurs. Le départ le plus au nord est la VOIE DE TOURS, Paris Saint-Jean-Pied-de-Port. 960 kilomètres, 39 jours de marche. Ensuite, un peu plus bas sur la carte, il y a un trajet en deux embranchements : LA VOIE DE VÉZELAY, Saint-Jean-Pied-de-Port 884 kilomètres par Bourges, ou 923 kilomètres par Nevers. 36 jours de marche. 

Toujours plus bas sur la carte, le troisième trajet est LA VOIE DU PUY-EN-VELAY, Saint-Jean-Pied-de-Port. 750 kilomètres, 30 jours de marche. Enfin, le départ le plus au sud est la VOIE D’ARLES, Col du Somport, 740 kilomètres, 30 jours de marche. 

 À suivre… pour lire la deuxième partie de ce dossier, cliquez ici

Bonne lecture
Claude Lambert
le 8  janvier 2023

Le joueur d’échecs de Maelzel, Edgar Allan Poe

Commentaire sur la nouvelle d’
EDGAR ALLAN POE

*Ces bizarres essais d’explication furent suivis par d’autres
non moins bizarres. Dans ces dernières années, toutefois,
un écrivain anonyme…est parvenu à tomber sur une
solution plausible, quoique nous ne pouvions la considérer
comme la seule absolument vraie…*
(Extrait : LE JOUEUR D’ÉCHEC DE MALZEL, Edgar Allan Poe,
Alia éditeur, 2011, 64 pages. Version audio : audiolude éditeur,
2019, durée d’écoute : 1 heures 9 minutes, narrateur : Alain Couchot)

En 1769, un ingénieur à la cour impériale de Vienne assiste à un spectacle de magie en compagnie de l’impératrice d’Autriche. Après le spectacle, l’impératrice demande à von Kempelen de lui expliquer le tour, mais il n’y parvient pas. Vexé, l’ingénieur promet à l’impératrice de mettre au point une invention surpassant la magie de l’illusionniste. Il construit alors un automate, le Turc mécanique, qui semble réellement capable de jouer aux échecs contre un adversaire humain. Le Turc mécanique jouera dans toutes les capitales d’Europe contre de nombreux adversaires. Des contemporains écriront des livres pour tenter d’expliquer les secrets de l’automate.

Cherchez l’homme
*Quand l’automate hésite relativement à un coup,
on voit quelques fois l’exhibiteur se placer très
près de sa droite et poser sa main de temps à
autre, de façon négligente, sur la caisse…*
(Extrait)

Cette nouvelle d’Edgar Poe fait référence à un des plus célèbres canulars du XXVIIIe siècle. En effet, en 1770, Johan Wolfgan Von Kepelen dévoile au grand public une machine capable de battre un humain aux Échecs. Pendant sa tournée en Amérique, le Turc, acquis entre temps par Johan Maelzel, épata le public. C’est lors de son passage à Richmond en Virginie que le Turc fût remarqué par Edgar Allan Poe.

Pour Poe et la plupart de ses contemporains, il était impensable qu’une machine surpasse le cerveau humain. Poe comprit qu’il y avait anguille sous roche quand il apprit qu’un mystérieux mécanisme permettait d’occulter la profondeur réelle du meuble. Cela lui faisait supposer la possibilité d’y glisser un être humain qui, bien que petit de taille, puisse être assez intelligent et stratège pour être champion d’échec.

Alors, le célèbre auteur élabore toute une théorie prouvant la supercherie du Turc et décide de la publier…ce qui donna naissance à la nouvelle LE JOUEUR D’ÉCHECS DE MAELZEL en 1836, considérée comme un essai.

Il est heureux que Poe s’en soit tenu à une nouvelle car le texte est d’un ennui mortel :

*Il suffira d’un peu de réflexion pour convaincre chacun qu’il n’est pas plus difficile, en ce qui regarde le principe des opérations nécessaires, de faire une machine gagnant toutes les parties que d’en faire une qui n’en gagne qu’une seule. Si donc nous regardons le Joueur d’échecs comme une machine, nous devons supposer (ce qui est singulièrement improbable) que l’inventeur a mieux aimé la laisser incomplète que la faire parfaite, – supposition qui apparaît encore plus absurde si nous réfléchissons qu’en la laissant incomplète, il fournissait un argument contre la possibilité supposée d’une pure machine ; – c’est justement l’argument dont nous profitons ici.* (Extrait) Pour comprendre plusieurs passages, il faut creuser.

En fait Poe s’est mis dans la peau d’un ingénieur ou d’un architecte et entraîne son lecteur ou son auditeur dans des explications labyrinthiques sur le fonctionnement de cet appareil et la supercherie qui s’y cache comme s’il expliquait à des non-initiés des dessins ou des plans techniques compliqués et livre théories et détails sur détails…ça ne finit pas de finir.

Plusieurs ouvrages démontreront beaucoup plus tard qu’ Edgar Poe s’est trompé à plusieurs égards. Mais la question n’est pas là. Le fait est que Edgar Allan Poe nous a habitué à beaucoup plus et beaucoup mieux que cela. J’ai toujours admiré Poe et je l’admire encore pour LE CORBEAU, POUR LES NOUVELLES EXTRAORDINAIRES et pour le formidable héritage littéraire qu’il nous a laissé.

Poe est un Maître du fantastique et de l’épouvante qui a aussi versé dans les tendances policières-investigation. Il a laissé une marque indélébile dans la littérature américaine et mondiale. Mais LE JOUEUR D’ÉCHECS DE MAELZEL m’a déçu.

Il est vrai que je ne joue pas aux échecs et que ce sport intellectuel ne m’intéresse pas. Mais qu’à cela ne tienne, c’est Poe qui m’intéressait et finalement, je me suis rendu compte qu’il n’y a pas de partie d’échecs dans son histoire. Seulement des explications interminables sur une machine compartimentée et au fonctionnement douteux.

J’eus souhaité qu’il y ait eu description d’une partie d’échecs. L’ensemble serait devenu peut-être plus clair, plus intéressant, moins aride. Pour la version audio, je ne peux pas dire  que le narrateur a contribué à rendre le texte attrayant. Alain Couchot a une voix superbe, il n’y a pas de doute mais sa narration m’a semblé déclamée, un peu théâtrale.

Enfin, même si j’ai saisi le sens de la démarche de Poe, je n’ai pas réussi à m’accrocher au texte. Simple déception de passage. Je demeure un inconditionnel d’Edgar Allan Poe.

Suggestion de lecture : LE HUIT, de Catherine Neville

Edgar Allan Poe est né le 19 janvier 1809, à Boston dans le Massachusetts, dans une famille de trois enfants et d’un couple de comédiens au théâtre. À l’âge de 1 an, son père qui était alcoolique meurt de la tuberculose et un an plus tard, soit en 1811 c’est au tour de sa mère de mourir aussi de la tuberculose. Il devient donc orphelin et est adopté par une bonne famille de Richmond, les Allan.

Le couple adoptif s’installe en Angleterre pour le travail et ce pays marquera beaucoup l’enfance du petit Edgar. Au collège classique de Virginie (aux États-Unis), il suit des cours de littérature et arrivé à l’Université il tombe dans l’enfer des paris et du jeu et contracte des dettes. Son père adoptif, déçu, refuse de les payer et rompt toutes liaisons avec Edgar. Laissé à lui-même, il gagnera un prix au « Saturday Visitor of Baltimore » en 1834 avec son récit : MANUSCRIT TROUVÉ DANS UBE BOUTEILLE.

En 1836, il se marie avec sa cousine de treize ans, Virginia Clemm et plonge dans une dépression totale en s’adonnant à  l’alcool et aux drogues diverses. Dix ans plus tard, le public est bouleversé par la publication du poème « Le Corbeau », cette sortie lui fera connaître une courte période de succès, mais la mort de sa femme en 1847 lui fera reprendre son goût pour l’alcool et le jeu, ce qui, le fait retomber dans la déchéance. Il meurt le 7 octobre 1849 à l’hôpital de Baltimore de congestion cérébrale suite à un coma de quatre jours. Il avait été trouvé une nuit sur un trottoir totalement hébété.


L’automate turc…un des secrets les mieux gardés

Bonne lecture

Claude Lambert

IL N’EST SI LONGUE NUIT, de Béatrice Nicodème

*Au fond, Sophie et Ingrid ne s’intéressent pas vraiment à ce qui se passe à l’étranger. Elles pensent juste qu’il est plus agréable d’être du côté des vainqueurs, que c’est une preuve indubitable de supériorité. <Le succès est le seul juge ici-bas de ce qui est bon et mauvais>, a écrit le Füreur dans MEIN KAMPF. * (Extrait : IL N’EST SI LONGUE NUIT, Béatrice Nicodème, éditeur à l’origine : Gulf Stream, 2018, 392 pages. Numérique et papier)

Sophie, Hugo, Magda, Jonas, Otto, Franz… Ils sont jeunes, ils aiment la vie, ils ont le cœur plein de rêves. Le rêve d’Adolf Hitler est de créer un empire qui dominera le monde pendant mille ans et dans lequel les hommes seront forts et inflexibles, les femmes soumises et fertiles. Un monde dans lequel il n’y aura ni Juifs, ni communistes, ni homosexuels, ni malades. Ceux qui n’ont pas leur place dans ce Reich millénaire seront éliminés un par un jusqu’au dernier. Dans le Berlin de 1940 ces jeunes doivent eux aussi choisir leur camp, hantés par ces questions que tous se posent :  » Ai-je raison d’agir ainsi ? « ,  » La lumière reviendra-t-elle un jour ? « 

UN OPPRESSANT CROISEMENT DE DESTIN
*Inutile de préciser que je me refuse à rencontrer ce
tordu. Rien que l’idée qu’il va harceler les juifs alors
qu’il y en a parmi ses ancêtres…-Ile le fera même s’il
n’entre pas dans la SS. -Peu importe. Son hypocrisie
me répugne. Je ne sais pas de quoi je serais capable
si je me trouvais en face de lui
(extrait)

IL N’EST SI LONGUE NUIT est une fiction mais on sait très bien qu’elle représente la sombre réalité d’une grande quantité de jeunes allemands qui furent témoins dans les années 30, de la montée d’Adolph Hitler, de sa prise du pouvoir et de la deuxième guerre mondiale avec son train d’horreurs comprenant le harcèlement, la torture et le génocide des juifs.

Béatrice Nicodène fait témoigner six jeunes allemands et débute leur histoire en 1940 : Magda, Jonas, Sophie, Hugo, Franz et Otto. Certains résisteront à la folie d’Hitler comme Jonas et Hugo, Otto lui affiche une totale loyauté. Prise au piège par la Gestapo, Magda commettra l’irréparable. Et Franz lui, a les idées ailleurs, emporté par sa passion pour la musique et son piano.

Donc chaque adolescent doit se positionner face à la situation explosive qui secoue l’Allemagne et finira par faire trembler le monde et chaque option est exprimée en alternance et en crescendo dans des chapitres très courts. C’est ce qu’on appelle un roman-chorale. Les effets diviseurs et dévastateurs du régime Nazi sur la jeunesse allemande ont été peu développés en littérature.

Ainsi le réalisme et la crédibilité consacrent l’originalité de l’œuvre. J’ai compris que l’influence nazie sur la jeunesse allemande fut un véritable gâchis surtout à cause de l’effet diviseur du régime. Comment exiger des jeunes un tel positionnement alors que la vie ne fait que commencer pour eux ?

J’ai été très touché par ce livre. L’ensemble des personnages, attachants et profondément humains fait toute la richesse de la jeunesse et je ne parle même pas de frontières. Bien sûr, certains ont fait le mauvais choix, l’influence sur eux étant peut-être trop forte. Il y en a même un qui ne fera pas de choix du tout. Mais au-delà des motivations, tous ces personnages sont attachants, humains autant que victimes et pantins involontaires.

Cela fait toute la richesse du livre. Mon personnage préféré a été Franz. D’une nature sensible et généreuse, le musicien a pris position pour la musique mais son idée sur Hitler était bien arrêtée : *Pour lui, Hitler n’est qu’un pantin qui vocifère en faisant des gestes d’épileptique. La Hitlerjugen* et la BDM* l’horripilent. Comment peut-on être jeune et marcher au pas en uniforme. Le salut nazi le révulse. En 1936, à l’inauguration des jeux olympiques, il a probablement été le seul de la foule à ne pas lever le bras en hurlant* (Extrait. HITLERJUGEN : les jeunes hitlériennes, BDM : ligue pour les jeunes filles allemandes.)

Tout dans ce livre a capté mon attention, outre la qualité et la psychologie des personnages et poussé en avant par la fluidité et la clarté de la plume, j’ai été happé par les interactions entre les témoins et c’est là que réside le crescendo dont je parlais plus haut, le suspense, l’atmosphère sociale de Berlin en effervescence et tout ce qui peut se dégager du texte et du non-dit. Béatrice Nicodème s’est véritablement appuyée sur le vécu de jeunes. 

Ça donne à l’œuvre un réalisme bouleversant qui illustre toute la tragédie du nazisme. Ce livre m’a ébranlé et m’a fait comprendre les motivations profondes d’une jeunesse déchirée.

J’ai passé par toute une gamme d’émotions. J’ai éprouvé de la peur, de la colère, de l’empathie, de la compassion. Ce livre a conservé son actualité car même en dehors des cadres de la guerre, il est une parfaite illustration des motivations profondes de la jeunesse. C’est une performance d’écriture que je ne suis pas près d’oublier.

Suggestion de lecture : LA CHANCE DU DIABLE, d’Ian Kershaw


Béatrice NICODÈME a décidé il y a vingt ans de consacrer tout son temps à l’écriture. Elle a une prédilection pour les intrigues sombres, pleines de secrets à découvrir. Passionnée par la psychologie, elle tente de saisir la diversité et la complexité de l’être humain à travers ses personnages.

Ses romans laissent aussi une grande place à l’Histoire avec un grand H. Chez Gulf stream éditeur elle a publié la série Futékati, L’Anneau de Claddagh et plusieurs titres de la collection  » Courants noirs « . Elle tourne aujourd’hui son regard vers l’Allemagne, au cœur de la longue nuit nazie.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 17 décembre 2022

 

LE GRAND SECRET, le livre de René Barjavel

version audio

*Pour un indien, la mort n’est pas un évènement
important ni déplorable. Ni celle des autres, ni la
sienne. La mort est seulement la fin d’une des
étapes successives du long voyage des
réincarnations. * 
(Extrait : LE GRAND SECRET, René
Barjavel, Pocket éditeur, 1974, version audio : éditions
Thélème, 2017. Durée d’écoute : 9 heures 42 minutes,
narrateur : Sylvère Santin)

Un couple séparé par un extraordinaire événement, est réuni dans des circonstances extraordinaires. C’est aussi l’histoire d’un mystère qui, depuis 1955, a réuni, par-dessus les oppositions des idéologies et des impérialismes, les chefs des plus grandes nations. C’est ce « grand secret » qui a mis fin à la guerre froide, qui a causé l’assassinat de Kennedy, qui a rendu indispensables les voyages de Nixon à Moscou et à Pékin. C’est le secret de la plus grande peur et du plus grand espoir du monde.

Le virus de Pandore
*Bahamba avait tué et incinéré les souris immunisées et
détruit à l’acide toutes les souches du JL3. Il avait écrit
à ses correspondants leur demandant de détruire par le
feu ou par l’acide le contenu de l’ampoule qu’il leur avait
envoyée ainsi que les animaux sur lesquels son contenu
avait déjà été expérimenté, cette souche virale s’étant
révélée excessivement dangereuse.*
(Extrait)

LE GRAND SECRET est un petit chef d’œuvre d’anticipation, un roman uchronique issu de l’imaginaire de Barjavel. Je ne dévoilerai rien du GRAND SECRET évidemment, mais au risque de surmonter un ou deux irritants, je crois que vous ne serez pas déçu. Le récit commence très simplement.

Jeanne aime Roland d’un amour fou. Un jour Roland disparaît sans laisser de trace. Armée de son courage, Jeanne enquête…une longue investigation qui durera 17 ans et qui l’exposera à des risques énormes et des dangers de mort. Elle finira par apprendre que Roland fait partie d’un grand secret, isolé sur un îlot américain dont rien ne peut s’échapper, au risque d’étouffer la planète…

Ce grand secret pourrait expliquer le sort de John F Kennedy, l’urgence de la conquête spatiale, le rapprochement des États-Unis avec la Chine sous Nixon et j’en passe. Après avoir dépenser l’énergie du désespoir, Jeanne se voit accorder l’accès à l’île, un lieu paradisiaque dont elle ne pourra sortir.

Elle fera partie d’un petit peuple de près de 2000 personnes, victimes ou bénéficiaires du GRAND SECRET selon le point de vue de l’auditeur et de l’auditrice, car ce grand secret est à la fois l’expression du cauchemar et de l’une des plus grandes espérances de l’être humain. Intrigant n’est-ce pas? Moi je penche pour le cauchemar, heureux que le récit ne soit finalement qu’une fiction.

Il fallait Barjavel pour imaginer que les chefs d’état mettent de côté leur idéologie politique afin de s’entendre sur la protection obsessionnelle du grand secret. Donc nous avons ici une histoire en trois volets : premièrement, l’introduction de Jeanne et Roland unis par une passion amoureuse. Deuxièmement, la disparition de Roland et l’enquête de Jeanne, le dévoilement graduel du contenu du grand secret.

Troisièmement, la vie sur la fameuse île et l’incroyable technologie mise au point pour empêcher toutes fuites, humaine, animale ou végétale. Dans cet endroit isolé, il n’y avait pas de règles, pas de lois. On faisait ce qu’on voulait quand on le voulait. La vie coulait…longue…très longue :

Dans la lumière bleue de la nuit, Annoa couchée pieds nus sur l’herbe, gémissait et criait. Et Han, debout près d’elle, appelait au secours, appelait tout le monde. De tous les points de l’ile, les garçons et les filles, nus, accouraient vers le cri. Il s’agenouilla au côté d’Annoa, et lui prit son pied..-C’est notre enfant qui vient ! dit Han. Elle, maintenant, elle savait et elle était prête.  (Extrait)  

L’île deviendra l’objet d’une très forte inquiétude mondiale et d’une réflexion sur la possibilité d’une annihilation totale du grand secret. J’ai trouvé cette histoire brillante, bien imaginée et bien développée. J’ai toutefois été gêné par certains irritants. Par exemple, les personnages ne sont pas vraiment bien travaillés.

La principale héroïne, Jeanne est certes courageuse, mais je n’ai jamais vraiment réussi à m’y attacher. En général, les personnages sont fades. J’ai été déçu aussi par la finale. Sans dire qu’elle est bâclée, disons qu’elle m’a laissé sur mon appétit.

Enfin, il y a la narration de cette histoire que j’ai trouvé un peu froide et dépourvue d’émotion. Mais qu’à cela ne tienne, je terminerai avec ce qui m’a semblé la plus grande réussite de l’auteur, celle d’avoir remanié des faits historiques avérés pour les lier au GRAND SECRET, faisant du roman une uchronie géniale. Malgré la faiblesse narrative, j’ai passé un beau moment d’écoute. Alors faites comme moi…osez..

Suggestion de lecture : LA CHANCE DU DIABLE, d’Ian Kershaw

René Barjavel (1911-1985) était  un écrivain et journaliste français principalement connu pour ses romans d’anticipation où science-fiction et fantastique expriment l’angoisse ressentie devant une technologie que l’homme ne maîtrise plus. Il sait aussi bien raconter les histoires d’amour que la fin du monde, et fait prendre conscience au lecteur de l’univers qui l’entoure au travers d’histoires passionnantes. (Source : Evene) Barjavel a publié plus de soixante livres.


Le narrateur Sylvère Santin

 

Le Grand Secret a été adapté en une mini-série, coproduction française-allemande-espagnole-canadienne réalisée par Jacques Trébouta sur un scénario d’André Cayatte, d’après le roman éponyme de René Barjavel, et diffusée en 1989 sur Antenne 2. Reproduit par la suite en cassette VHS.

Bonne écoute
Claude Lambert
le dimanche 11 décembre 2022

IL NE FAUT PAS PARLER DANS L’ASCENSEUR

Commentaire sur le livre de
MARTIN MICHAUD

*Lorsque les yeux aspirent la mort,
ils ne reflètent que le vide. Je ne
peux me représenter un tel vacuum.*
(Extrait : IL NE FAUT PAS PARLER
DANS L’ASCENSEUR, Martin Michaud,
Coup d’œil éditeur, 2017, 400 pages.
Version audio : Audible Studios éditeur,
2018, durée d’écoute : 9 heures 57.
Narrateur : Louis-Karl Tremblay.)

Après vingt-quatre heures dans le coma, une jeune femme se lance à la recherche d’un homme qui, contre toute attente, ne semble pas exister. Alors que la police de Montréal se concentre sur une étonnante affaire de meurtres dont les victimes sont retrouvées dans des conditions similaires et déroutantes, un chasseur sans merci a choisi d’appliquer sa propre justice, celle où chacun doit payer chèrement pour ses fautes.
Une recherche de la vérité qui révélera trois vies aux destins inattendus et entremêlés. Suivez Victor Lessard, un enquêteur de la police de Montréal tourmenté et rebelle, dans une affaire aux rebondissements troublants

Une vérité pour trois vies
*J’ai inscrit à la hâte sur le bout de papier
les cinq mots qui me carbonisaient l’esprit :
<naturel> <asile> <moi> <mur> <roi>*
(extrait)

Quelle lecture ! Je n’ai jamais vu le temps passer et pour cause…IL NE FAUT PAS PARLER DANS L’ASCENSEUR est un polar nerveux, rythmé et intrigant dans lequel l’auteur a même ajouté une petite touche paranormale. Je vais y revenir. Autre point intéressant. Ce livre est le premier qui met en scène l’inspecteur Victor Lessard d’autres suivront. Je n’ai pas lu les livres dans l’ordre. C’est pourquoi je retrouve, et avec plaisir ce fougueux personnage.

L’intrigue est complexe mais son développement est doté d’un fil conducteur solide qui rend sa lecture confortable et passionnante : un tueur sans pitié décide d’exécuter trois personnes, essentiellement pour appliquer le vieux principe qui veux que chaque personne doit payer pour ses fautes. Les deux premières personnes sont tuées mais dans le cas de Simone Fortin, les choses ne se passent pas comme prévues pour le tueur.

Simone Fortin est happée par la voiture du tueur. Elle passera 24 heures dans le coma et deviendra inatteignable jusqu’à la finale où là encore les choses ne se passeront pas comme prévues pour le chasseur. Celui-ci abandonnera sa voiture avec un cadavre dans le coffre. Cette voiture sera volée par nul autre que le fils de l’inspecteur Victor Lessard, Martin qui fait partie d’un réseau de vols d’autos.

Pour quelles fautes les victimes doivent-elles payer? Victor et ses collègues feront des découvertes étonnantes au cours de l’enquête dont un secret profondément enfoui dans l’esprit de Simone Fortin qui incidemment, fera une expérience de décorporation pendant son coma et développera un sentiment pour un homme appelé Miles, lui aussi dans le coma.

Une rencontre de deux esprits, pas vraiment intimement liée à l’enquête, mais ça ajoute au mystère et ça fait partie d’un lot de surprises et de curiosités comme l’implication de Martin Lessard dans les évènements. Toute l’histoire reposera sur deux éléments:  le mystère entourant le passé de Simone Fortin qui échappe au modus operandi du tueur. et la force de caractère du personnage principal : Victor Lessard.

Victor Lessard est un caractériel, flic jusqu’au bout des ongles, alcoolique abstinent qui se bat contre d’interminables brûlements d’estomac qui le poussent à boire le Pepto-Bismol au goulot. Pratiquement toujours en chicane avec sa hiérarchie, Lessard est souvent victime de son caractère. Il est spontané, parfois brutal. Les qualités du personnage s’imbriquent dans ses défauts. Il a parfois le comportement d’une âme frustrée, privée de sa compagne de vie décédée.

Lessard est capable d’être un parfait mufle et devenir, le temps de se retourner, un gentil nounours gauche et tendre. Il y a des moments dans le récit où il m’a enragé et beaucoup de moments où il m’a fait rire. Mais en tout temps, ce personnage, pépère en apparence, est un opiniâtre, tenace, perspicace…un sympathique têtu. Comment ne pas le trouver attachant.

C’est une excellente histoire. La plume est directe et efficace et la palette de personnage extrêmement intéressante. Ces personnages sont intelligemment développés avec des profils individuels complets. Une toute petite ombre : le lien avec le titre du livre est flou et peu recherché. Il est exposé à deux reprises dans le texte, ce sera à vous de juger.

L’intrigue a un petit caractère déroutant. Elle est entretenue de façon à dévoiler au grand jour l’identité du tueur dans les toutes dernières pages. Le texte donne l’impression de plusieurs récits qui s’imbriquent mais l’auteur a bien soigné la cohérence de l’ensemble et j’ai trouvé le tout crédible. Ajoutons à cela une très bonne narration de Louis-Karl Tremblay.

Un polar comprenant du rythme, de l’action, des rebondissements et même une petite touche de surnaturel…je le recommande sans hésiter.

Suggestion de lecture : LE MYSTÈRE DES JONQUILLES, d’Edgar Wallace

Né à Québec en 1970, Martin Michaud est avocat, musicien, scénariste et écrivain. Lauréat du prix Arthur-Ellis 2012 et du Prix Saint-Pacôme du roman policier 2011, il est qualifié par la critique de « maître du thriller québécois ».

Pour lire mon commentaire sur LA CHORALE DU DIABLE de Martin Michaud, cliquez ici.

Pour lire mon commentaire sur VIOLENCE À L’ORIGINE de Martin Michaud, cliquez ici

VICTOR LESSARD À LA TÉLÉVISION

Victor Lessard est une série télévisée québécoise créée par Martin Michaud d’après ses romans Je me souviens et Violence à l’origine, et mise en ligne depuis le 14 mars 2017 sur le Club Illico, puis à la télévision à partir du 31 janvier 2018 sur addikTV . Patrice Robitaille incarne Victor Lessard. (photo)

Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 10 décembre 2022

DUNE, livre premier et second, de Frank Herbert

*Dans les ténèbres, Paul gardait les yeux mi-clos… Il
voyait les yeux de la vieille femme, larges et brillants
comme ceux d’un oiseau de nuit. De plus en plus larges…
de plus en plus brillants, semblait-il…-Dors bien rusé
petit démon ! Demain, tu auras besoin de tous tes moyens
pour affronter mon ghôm jabba ! *

Extrait : DUNE, livre 1,
Pocket éditeur, 1998, à l’origine, v.f. : Robert Lafont 1970. Version
audio : Lizzie éditeur, duré d’écoute : 18  heures. Narrateur :
Benjamin Jungers

Il n’y a pas, dans tout l’Empire, de planètes plus inhospitalières que Dune. Partout des sables à perte de vue. Une seule richesse : l’épice de longue vie, née du désert, et que tout l’univers convoite. Quand Leto Atréides reçoit Dune en fief, il flaire le piège. Il aura besoin des guerriers Fremen qui se sont adaptés à une vie très dure en préservant leur liberté, leurs coutumes et leur foi. Ils rêvent du prophète qui proclamera la guerre sainte et changera le cours de l’Histoire.

Cependant les Révérendes Mères du Bene Gesserit poursuivent leur programme millénaire de sélection génétique : elles veulent créer un homme qui réunira tous les dons latents de l’espèce. Le Messie  Fremen est-il déjà né dans l’Empire ?

L’émergence de Paul Atréïde
*Je ne connais pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort
qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai
de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai
mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus
rien. Rien que moi. * 
(Extrait DUNE, livre 1 litanie contre la peur du rituel Benegesserit)

C’est un chef d’œuvre mais il est amputé. C’est peut-être un peu gros comme entrée en matière, mais ça évoque ma seule déception relativement à cette œuvre. Elle est incomplète. Il manque le livre troisième qui fait l’objet d’une narration à part chez Audible. Je n’ai pas compris ce choix de l’éditeur et je ne vous le cache pas, ça m’a irrité.

Sinon, nous avons affaire ici à une œuvre culte de la science-fiction, un des romans les plus vendus dans le monde. Voyons d’abord les principaux éléments que les premiers livres mettent en place en vue de la longue saga DUNE .

L’empereur Padisha Shadam IV confie au duc Leto la gestion de la planète Dune, une planète de sable occupée par les framens et qui produit l’épice, un mélange addictif convoité dans tout l’univers et pour lequel on tue, on guerroie, on complote sans compter l’obligation d’affronter des vers énormes qui peuvent atteindre 400 à 600 mètres de longueur et qui dévastent tout sur leur passage y compris les usines d’extraction d’épice.

Pour la protection du système, Leto a besoin des Framens qui ne rêvent que de l’arrivée du prophète…l’élu qui changera le cours de l’histoire. Or, les Révérendes Mères du Bene Gesserit poursuivent un programme millénaire de sélection génétique qui concrétisera tous les dons latents de l’espèce. Toutefois, les risques de dérapages sont sérieux.

C’est ici qu’entre en scène Paul Atréïde, le fils de Leto, qui, par des dons très spéciaux qui commencent à se manifester, donne à penser qu’il pourrait être l’élu. Suite à une trahison, Leto meurt. Paul Atrïde, baptisé Muad’Dib par les Framens, hérite d’un univers dont il prendra le contrôle avec un redoutable savoir-faire ouvrant ainsi la voie au trône impérial.

Évidemment, c’est résumé succinctement, mais au final, DUNE raconte un colossal Jihad qui bouleversera une galaxie entière. En écoutant l’excellente narration de Benjamin Jungers, je n’ai pu faire autrement que de revivre presque scène par scène la surprenante adaptation cinématographique signée David Lynch en 1984. Le travail du narrateur a mis en valeur le caractère immersif du roman.

Ce livre est un chef d’œuvre, un immortel. Son pouvoir descriptif atteint par moment la poésie. Il a aussi un petit côté environnemental qui n’est pas sans rejoindre les préoccupations humaines actuelles. L’oeuvre nous amène aussi à découvrir le mysticisme qui confirme la nature initiatique du récit.

*Je ne connais pas la peur, car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon oeil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi* (Extrait : DUNE,  Litanie contre la Peur du rituel Bene Gesserit)

L’écoute de ce classique m’a fait vibrer car non seulement le livre comporte-t-il une vision du futur où il faudra forcément croire à l’immatériel mais il comporte une vision de la vie. Dune pourrait être une quête du sens de la vie.

Ce n’est pas toujours simple car le fil conducteur de l’histoire est parfois instable et prend plusieurs directions. Mais quand on y regarde de près, l’histoire évolue dans un monde grisant, fascinant avec quelque chose qui nous ressemble…parfois un peu…parfois beaucoup. Cette version audio de DUNE fut pour moi un enchantement.

Suggestion de lecture : STAR WARS, LES DERNIERS JEDI, de Brian Johnson

Frank Patrick Herbert (1920-1986) est un écrivain de science-fiction américain. Ses œuvres connurent un succès commercial et furent acclamées par la critique. Il doit principalement sa célébrité à sa série de romans Dune qui aborde des thèmes tels que la survie de la race humaine et son évolution, l’écologie, ou encore les interactions entre la religion, la politique et le pouvoir. (Wikiquote)

DUNE AU CINÉMA

Il y a plusieurs adaptations de Dune à la télévision et au cinéma. Le meilleur film qu’il m’a été donné de voir est celui qui introduit la série, le premier film sorti en 1984 et réalisé par David Lynch : DUNE

À gauche sur l’affiche, on reconnait (personnage du bas) le célèbre auteur-compositeur-interprète Britannique STING de son vrai nom Gordon Mathew Thomas Somner. À droite, Kyle Mclachlan incarne Paul Atréïde et Siân Phillips incarne la révérende mère Gaius Helen Mohiam.

À propos de la série audio

La série audio DUNE de Frank Herbert comprend sept opus, tous édités par Lizzie et narrés par Benjamin Jungers : DUNE 1.1 livre premier et livre second, DUNE 1.2 livre troisième, DUNE 2 LE MESSIE DE DUNE, DUNE 3  LES ENFANTS DE DUNE, DUNE 4 L’EMPEREUR-DIEU DE DUNE, DUNE 5 LES HÉRÉTIQUES DE DUNE et DUNE 6 LA MAISON DES MÈRES.

Je ne reproduis pas ici les premières de couverture car elles sont passablement identiques. Pour plus de détails, rendez-vous sur le site d’audiolib.


BONNE ÉCOUTE
CLAUDE LAMBERT
Le samedi 29 octobre 2022

 

EXODUS, le célèbre livre de LEON URIS

*<À vous de jouer Sir, répéta le commandant.>
<Que tes ennemis périssent, Israël…>
murmura Sutherland. <Je vous demande
pardon Sir ?>*
(Extrait : EXODUS, Leon Uris,
Les Éditions Goélettes, 1999. Édition de papier,
565 pages)

1946. Alors que l’humanité tente d’oublier les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, des milliers de Juifs ont l’espoir de s’installer en Palestine pour y créer un État qui leur est propre. Les survivants des camps de concentration s’entasseront par centaines sur un vieux rafiot, l’Exodus, pour voguer loin du blocus qui les garde captifs, vers une terre d’ indépendance et de bonheur. Ce récit matérialise le désir de liberté de tout un peuple à travers les destins entrecroisés de ses personnages. Entre le passé et le présent d’une jeune fille et d’un jeune garçon ayant échappé à l’Holocauste, de Palestiniens ardemment convaincus par la cause, d’un militaire, d’un journaliste et d’une infirmière américaine, Leon Uris dessine une véritable fresque historique.

La terre promise
*…les juifs, eux, se montraient plus réalistes. Leur futur état
avait maintenant une parfaite base légale. Mais, si après
l’évacuation de la Palestine par les anglais, ils voulaient
proclamer leur indépendance, leurs cinq cent mille habitants
mal équipés devaient faire face, seuls à cinquante millions
d’arabes fanatisés.*
(Extrait)

EXODUS raconte, de façon romancée, la chaîne d’évènements la plus fascinante qui m’a été donnée d’explorer sur le plan littéraire, car je dois l’avouer ce sujet m’a toujours passionné.

Trois mille ans après avoir été affranchis de l’esclavage des égyptiens, des dizaines de milliers de juifs auront été rescapés des camps de la mort nazis, plus chanceux que six millions de leurs coreligionnaires gazés ou assassinés de toutes sortes de façons au nom d’une épuration ordonnée par un cinglé que les allemands suivaient comme un mouton.

Leon Uris raconte donc, en insérant des éléments fictifs, les évènements qui ont conduit à l’évacuation des juifs d’Allemagne en commençant par l’appareillage d’un bateau célèbre baptisé EXODUS, parti de Sète en 1947 à destination de la Palestine. Ce navire, qui n’était déjà qu’une casserole flottante, fût refoulé et malmené par la répression britannique.

C’est une grève de la faim très avancée qui a finalement ému l’univers médiatique et qui fut le prélude à une chaîne d’évènements ayant provoqué des milliers de morts mais qui ont finalement conduit à la naissance de Tel-Aviv et surtout, à la naissance de l’état d’Israël en 1948.

Ainsi, non seulement les rescapés de la guerre, mais aussi des juifs provenant de plus de 74 pays ont pu gagner une terre bien à eux, bien qu’elle ait été acquise dans le sang et les larmes. (D’après les recherches que j’ai faites, l’aventure de l’EXODUS tel que décrite par Uris ne correspond pas tout à fait à la réalité même si le résultat final est le même).

Ce livre évoque le courage, l’imagination, la ténacité et l’abnégation du peuple le plus opprimé dans l’histoire de l’humanité. *Le seul fait de notre existence constitue un miracle.  Nous avons survécu aux romains, aux grecs, même à Hitler. Nous survivrons encore à l’empire britannique. Le voilà notre miracle. * (Extrait)

Je suis loin d’être le seul qui a été ému par cette véritable fresque historique. Ce livre a été publié en 1958 et est devenu un des plus grands best-sellers américains du XXe siècle, traduit partout dans le monde et adapté à l’écran, ce qui nous a valu une des plus belles prestations en carrière de l’acteur Paul Newman.

À travers les évènements meurtriers et dramatiques qui ont conduit à la création d’Israël, l’auteur fait évoluer des personnages forts : Ari, un agent senior du Mossad, Kitty, une infirmière américaine, Jordana, la sœur d’Ari et plusieurs autres, sans oublier le plus attachant : Dov, enfant du ghetto de Varsovie, déporté à Auschwitz, rescapé in-extrémis mais seul survivant de sa famille. Au-delà de l’amour, rien n’est plus fort pour un juif que la raison d’un état à bâtir :

*Aujourd’hui, nous proclamons solennellement la renaissance de l’État juif en Palestine, État qui s’appellera ISRAËL. Ouvert aux juifs du monde entier, notre état œuvrera pour la promotion de tous ses habitants, selon les principes de liberté, de paix, de justice énoncés par les prophètes, dans l’égalité de tous, sans distinction de race ni de religion, et dans le respect loyal de la charte des Nations-Unies.* (Extrait, Tel-Aviv, 14 mai 1948)

Je vous recommande la lecture de ce livre, ne serait-ce que pour comprendre les mécanismes de cette poudrière que sont les relations actuelles entre Israël et les contrées arabes voisines.

Il y a tout de même certains irritants dans ce livre, entre autres, son caractère *prosioniste* assez marqué, par moment aux limites du misérabilisme. Il y a un manque au niveau de l’équilibre genre *le bon contre l’horrible méchant*, j’ai trouvé ça dérangeant, agaçant. Le récit est bien documenté, instructif même, mais par rapport à ce que j’ai découvert dans mes recherches, il y a des imprécisions sur le plan historique. EXODUS demeure malgré tout un moment fort de la littérature. Le récit est palpitant et prenant. C’est un bon roman.

Suggestions de lecture :
LA CRÉATION DE L’ÉTAT D’ISRAËL d’André Chouraki
je vous invite à lire aussi le dossier très détaillé sur Israël publié par Wikipédia.

Aussi, LE SIÈCLE, la trilogie de Ken Follet

EXODUS AU CINÉMA

Ce grand classique du cinéma américain est sorti en 1960 et a été restauré en 2016. Ce film réalisé par Otto Preminger a été lauréat et nominé pour plusieurs Oscars. Dans la distribution, nous retrouvons entre autres, Paul Newman dans le rôle d’Ari’Ben Canaan, Eve Marie Saint dans le rôle Kitty Fremont, Sal Mineo dans le rôle de Dov Landau et Jill Haworth dans le rôle de Karen Hansen Clement.

Leon Marcus Uris, (1924- 2003), romancier américain connu pour ses œuvres panoramiques comme la guerre mondiale Roman Battle Cry (1953) et Exodus (1958). Son premier roman, Battle Cry, est basé sur ses expériences de la guerre. L’adaptation du film parut en 1955. Cette année-là également, son deuxième roman, The Angry Hills, un compte rendu de la brigade juive de Palestine qui s’est battue avec l’armée britannique en Grèce, a été publié. Uris a ensuite écrit de nombreux livres et scénarios..

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 6 novembre 2022

LE GRAVEUR, livre de Pierre Bergeron

*L’intrus lève son arme et juste avant de presser
la détente, il voit Soucy lever les yeux vers
l’escalier derrière lui, il presse la détente deux
fois. Deux petits bruits secs résonnent avant que
Soucy tombe à la renverse sur la table à café
dans un grand fracas. *
(Extrait : LE GRAVEUR, Pierre Bergeron, ADA
éditions, collection Corbeau, 2019, 400 pages)

Un avocat opposé au crime organisé, un directeur de la protection de la jeunesse et un pédophile sont abattus dans diverses régions du Québec. Rien ne les relie, mis à part la signature sur leurs cadavres: les lettres T et C ont été gravées dans la chair de leurs fronts. Que signifient ces lettres? Qui peut bien se cacher derrière ces homicides?

La liste de suspects potentiels est tellement longue que les enquêteurs de la Sûreté du Québec et de la police de Longueuil doivent travailler ensemble pour résoudre ces  meurtres sordides.

Un graveur grave
*Méthodiquement et sans s’énerver, il observe les
signes vitaux de sa victime tout en surveillant
cette rue encore déserte. Le décès confirmé, il
sort un couteau tactique Walther P99 d’une poche
avant. Il déplie la lame et se penche sur le corps
avec un frisson de plaisir comme s’il goûtait à
l’avance ce qu’il est sur le point de faire. *
(Extrait)

C’est un roman intéressant, bien développé, avec en général tout ce qu’il faut pour capter l’attention. C’est un thriller fort, malgré certaines faiblesses. Mais voyons d’abord le contenu.

Les policiers de la Sûreté du Québec et du service de police de Longueuil doivent unir leurs forces pour résoudre des meurtres crapuleux qui n’ont en fait qu’un seul point en commun : Les lettres T et C gravées sur le front des victimes. C’est ainsi que le meurtrier devient LE GRAVEUR L’auteur frappe dès le départ avec un meurtre puis un autre, un double…

Entrée en scène des policiers qui seront présent tout le long du récit : de la sq, Marie Loup Berger à la beauté parfois dérangeante. Louis Biron, plus ou moins stable psychologiquement car il se croit l’auteur d’une gaffe policière qui a amené une mort d’homme. De la police de Longueuil, Benoit Lassonde qui a eu dans le passé une vie conjugale pénible.

Beaucoup d’autres personnages vont grossir la galerie en cours de récit. Une enquête aussi minutieuse qu’ardue se développe très lentement.

LE GRAVEUR est un polar minutieux et crédible sur le plan policier. C’est la minutie de l’enquête imaginée par Pierre Bergeron qui amène les policiers à croire qu’il y a peut-être plus qu’un point en commun entre les victimes. Le roman devrait plaire je crois aux amateurs de polars et aussi aux geeks car ce qui a permis au graveur de se rendre si loin est sa maîtrise dans nouvelles technologies et l’utilisation du DARK WEBB, le côté obscur du réseau internet, de plus en plus évoqué en littérature. 

*On y retrouve : des trafiquants d’armes, de drogues ou d’esclaves, ainsi que nombre de pédophiles. Dans cette partie de la toile, tout est accessible par le biais de forums de discussions où vendeurs et acheteurs se rencontrent anonymement à l’abri des organismes qui espionnent l’Internet. Le seul préalable, c’est d’être capable d’y surfer incognito pour assurer sa sécurité en regard des pirates qui y foisonnent. *  (Extrait)

Grâce à cette compétence particulière, LE GRAVEUR se joue des policiers et évolue dans ce qui rappelle le jeu du chat et de la souris. C’est habilement construit et bien imaginé.

La faiblesse du récit est dans sa finale. Pour ce qui est de connaître et comprendre les motivations du tueur, le lecteur et la lectrice sont laissés sur une voie de garage tout le long du récit. Bien sûr, le tueur parle et laisse des indices sur ce qui pourrait être par exemple une vengeance, mais pourquoi exactement ?

La réponse à cette question explose en quelques pages à la fin du récit. Personnellement j’aurais aimé que l’auteur me mette dans le coup plus tôt dans le récit, m’amène à tirer mes conclusions et les comparer à la fin comme si je voulais me donner une note. J’ai eu l’impression que la finale accordait plus d’importance aux États d’âme de Louis Biron qu’aux motivations du tueur.

Il y a dans la finale ce qui ressemble à un déséquilibre. Bien sûr, j’ai fini par savoir ce que signifient les lettres T et C et personnellement, j’ai trouvé ça plutôt simpliste. C’est évidemment une question de perception, sachant à la fin ce qui motive le GRAVEUR et l’entraîne dans un tel déploiement de haine et de violence.

Donc j’ai déchanté un peu à la finale mais je n’irais pas jusqu’à dire qu’elle manque d’intérêt. La force du récit réside dans sa construction. Je pense aux étapes de l’enquête, aux subtilités conduisant aux déductions.

Je me suis senti dans les coulisses d’un vrai service de police, ce qui consacre la crédibilité de l’histoire si je tiens compte des 25 années d’expérience de l’auteur dans les enquêtes criminelles. Pour toutes ces raisons, je recommande sans hésiter LE GRAVEUR de Pierre Bergeron.

Suggestion de lecture : DARK WEBB, de Dean Koontz

Pierre Bergeron est né à Longueuil en 1951. C’est à la suite de l’enlèvement de monsieur Pierre Laporte, alors ministre du travail, qu’il a décidé de devenir enquêteur. Après 32 années d’expérience, dont 25 consacrées aux enquêtes criminelles. Il a écrit son premier livre NÉ POUR ENQUÊTER en 2016. LE GRAVEUR est son deuxième roman.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 5 novembre 2022

ÉTÉ ROUGE, le livre de Daniel Quiros

*…en entendant l’identité de la morte, j’avais senti Comme un coup au creux de l’estomac…le corps était étendu è plat ventre sur le sable et la marée, que Faustino avait évalué à mi-flux, faisait osciller lentement la chevelure de la morte…*
(Extrait : ÉTÉ ROUGE, Daniel Quiros, 2010. Traduction française : Édition de l’UBW, 2014, NUMÉRIQUE. 210p.)

Côte du Pacifique, Costa Rica. Un Éden où les pinèdes sont massacrées afin de permettre la construction de villas luxueuses pour des investisseurs étrangers… et des caïds de la drogue. Un Éden où il fait terriblement chaud. C’est là, dans un tranquille village de pêcheurs, qu’est découvert sur la plage le cadavre d’une femme, surnommée l’Argentine. Don Chepe, ancien guérillero qui a lutté aux côtés des sandinistes, décide de retrouver l’assassin de son amie. Une enquête qui le conduit à découvrir les liens obscurs entre passé et présent, utopie et désenchantement… et à revisiter l’histoire de son pays.

 

Le révolutionnaire enquêteur
*<Ce que vous devez faire, c’est la chose suivante :
À 14 heures, cet après-midi, soyez assis au restaurant
La Caracola, à une des tables sur la terrasse qui donne
sur la mer. Vous y recevrez ma réponse là-bas.
Maintenant, je vais vous remercier pour votre visite.
Peut-être des forces majeures décideront elles de nous
réunir à nouveau à quelque occasion.>*
(Extrait)

Pour apprécier ce roman à sa juste valeur, il faut comprendre la nature du conflit qui opposa au début des années 1980, les sandinistes nicaraguayens, arrivés au pouvoir après avoir renversé la dictature de Somoza, qui tenait le pays sous le joug depuis plusieurs décennies, aux Contras, les contre-révolutionnaires soutenus, encadrés et armés par les États-Unis qui utilisaient largement son maître des basses-œuvres, la CIA.

Cette région de l’Amérique centrale était une véritable poudrière. En cours de lecture, j’ai dû faire une pause pour entreprendre une recherche afin d’être plus à l’aise pour une meilleure compréhension d’un pan sombre de l’histoire sud-américaine qui a toujours été pour moi fort labyrinthique.

Je n’ai pas regretté cette recherche. Rien ne vous oblige à le faire, mais si vous ne saisissez pas bien les enjeux politiques et militaires de cette époque, vous risquez de trouver le récit erratique et inintéressant. Le roman chevauche les genres policier, drame d’espionnage et thriller politique.

Ce roman suit Don Chepe, un ex-révolutionnaire revenu au Costa-Rica désenchanté par ce qu’il considère comme échec la révolution sandiniste du Nicaragua à laquelle il avait participé. Pour trouver la quiétude, Don Chepe s’installe dans une petite station balnéaire tranquille appelée Tamarindo.

Un jour, une amie de Don Chepe, Ilana Echeverri, appelée l’Argentine, tenancière du Café de Tamarindo, est assassinée. Don Chepe voulut savoir pourquoi et décida d’enquêter. Étrangement, l’Argentine avait prévu sa mort : *Si l’argentine voulait me faire comprendre ce qui avait entraîné sa mort, elle ne me facilitait pas les choses. Tant de mystères, aucun nom donné, une série de pistes menant elles-mêmes à d’autres pistes…* (Extrait)

Cette enquête va entraîner le lecteur dans une sombre réalité historique, l’attentat à la bombe de La Penca, qui a coûté la vie, en 1984 à sept personnes parmi lesquelles des journalistes chargés de couvrir le conflit entre les sandinistes et la Contra.

Donc, Don Chepe mène de front deux enquêtes qui amène surtout le lecteur dans les évènements entourant l’attentat de La Cruz :  *ÉTÉ ROUGE utilise toute cette information historique comme base et contexte. Le roman fait, je l’espère, de ce matériel <authentique> un moyen d’exploration des effets de l’histoire sur le présent, en estompant la frontière entre la réalité et la fiction. * (Note de l’auteur)

Là encore, ma recherche m’a été utile, car l’auteur approfondit très bien le contexte géopolitique de l’Amérique Centrale des années 1980. Le terme *labyrinthique* utilisé plus haut n’est pas, je crois, exagéré. Les personnages évoluent entre le passé et le présent, ce qui nécessite une bonne concentration de la part des lecteurs.

Je n’ai pas trouvé les personnages spécialement attachants mais j’ai pu toutefois constater et admiré l’opiniâtreté de Don Chepe. Son enquête rappelle un peu un jeu de piste avec des indices essentiellement fournis par l’argentine (une fois morte).

Imbriquer la réalité et la fiction dans un roman comporte toujours des risques sur le plan littéraire. Les irritants sont souvent inévitables. Ainsi, ÉTÉ ROUGE souffre de remplissage. Je crois que le roman est bien construit mais il y a beaucoup de longueurs, de détails pas toujours utiles, un peu d’errance et bien sûr le caractère géopolitique du récit est sous-développé.

Très évocateur de la complexité historique de l’Amérique Centrale, ÉTÉ ROUGE a un petit côté noir qui ne m’a pas déplu. Mais avant de lire ce roman, disons qu’il faut s’équiper raisonnablement pour en saisir toute la portée.

Suggestion de lecture : HIVER ROUGE, de Dan Smith

Daniel Quiros est un écrivain costa-ricain né en 1979. Il enseigne la littérature espagnole à l’Université Lafayette en Pennsylvanie aux États-Unis. ÉTÉ ROUGE est son quatrième livre.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 30 octobre 2022