GLACE

Commentaire sur le livre de
CHRISTINE FÉRET-FLEURY

<La grand-mère de Kay se penche et arrache une poignée de pousses ligneuses, d’un jaune sale, dans la caisse de métal rouillé posée sous sa fenêtre. Ma caisse est juste en face, elle est pleine de cailloux que j’ai ramassés en allant au travail ou en revenant. J’essaie de les choisir de formes et de teintes différentes, même si je n’ai jamais plus que quelques secondes pour décider lequel je vais prendre ce jour-là.

Me baisser, ramasser, me relever sans attirer l’attention des drones. Je m’y entraîne depuis longtemps. Depuis que j’ai compris une chose essentielle : pour les yeux luisants, inexpressifs, de ces insectes électroniques, nous nous ressemblons tous. Une seule masse terne qui disparait sous terre le matin pour en sortir à la nuit tombée.

Un long serpent animé de soubresauts et de spasmes, mais qui avance, qui avance toujours. Du moment que la marche se déroule normalement, que les wagonnets chargés de minerai se succèdent au rythme fixé. Ils n’interviennent pas.

Si nous nous arrêtions, ce serait autre chose. >
Extrait : GLACE, Christine Féret-Fleury, Scrineo éditeur, 2021, format numérique, 171 pages.


Depuis que ses parents sont morts et que Kay, son meilleur ami, a été enlevé par les Glacés, Sanna se réfugie dans ses souvenirs pour se protéger du désespoir.  Seule, elle décide alors de partir à la recherche de son ami disparu.  Pour la jeune fille, c’est le début d’un long voyage semé d’embûches et de rencontres, parfois improbables, parfois inquiétantes… Qu’y a-t-il au-delà des montagnes et du bouclier climatique érigé par les Glacés ? Kay se trouve-t-il là-bas, captif de l’incarnation
maléfique des contes qui ont bercé son enfance, l’immortelle Reine des Neiges ?

 

DU CONTE À LA DYSTOPIE

C’est un livre intéressant malgré certaines faiblesses comme le début qui est très lent, le rythme un peu traînard mais surtout, la superficialité de certains personnages, la reine des neiges en particulier. Le livre m’a toutefois apporté passablement de satisfaction parce qu’il est imprégné de l’esprit d’Andersen l’auteur du célèbre conte LA REINE DES NEIGES paru en 1844. Dans GLACE, on trouve des extraits de LA REINE DES NEIGES mais aussi l’empreinte du célèbre conteur et ça, ça m’a plu.

Donc Christine Féret-Fleury revisite le conte et réécrit l’histoire en lui insufflant un sens environnemental et en donnant à la Reine Des Neiges un caractère eugéniste.

Nous sommes dans un futur qui pourrait bien ne pas être si lointain. Un mystérieux nuage toxique sème la mort, la désolation, le froid. Un bout de territoire fait exception, protégé par un bouclier thermique. Plusieurs habitants enlevés y ont été envoyés. Nous suivons Sana, 17 ans, vivant dans des conditions misérables et qui recherche désespérément son ami d’enfance, Kay, 19 ans qui se trouverait sous le bouclier thermique.

Pourquoi? Dans quel but? Qui est la Reine des Neiges et d’où vient-elle? Veut-elle refaire le monde sur d’autres bases ? Les siennes? À vous le plaisir de la découverte, amis lecteurs et amies lectrices.

C’est le lien entre Andersen et le récit qui m’a captivé, lien qu’on pourrait apparenter à un cordon ombilical. Que l’auteure ait donné au récit un caractère dystopique n’était pas pour me déplaire non plus. L’avertissement climatique est aussi assez bien développé…davantage que l’intrigue.

Le récit comporte des éléments démotivants. Par exemple, le premier quart de l’histoire est d’une lenteur désespérante. C’est difficile d’embarquer dans l’histoire et de s’attacher à Sana, le personnage principal au profil psychologique un peu obscur. Et puis, il y a Kay. Il est partout, mais on ne le voit nulle part sauf à la fin. Kay est l’obsession de Sana et il n’est pas facile de trouver pourquoi. C’est un peu frustrant.

Enfin, les motivations de la reine des neiges sont difficiles à saisir. Ce qui se passe sous le bouclier thermique, les objectifs de la reine et le rôle de Kay sont sous-développés. Toutefois, plusieurs éléments intéressants contribuent à faire avancer l’intrigue, quoique lentement. Un ou deux personnages se démarquent.

J’ai tiré du récit suffisamment d’éléments positifs pour en tirer de la satisfaction. Ça pourrait vous plaire, surtout si vous êtes amateur de dystopies. Le récit véhicule aussi certains messages que je qualifierais de crédibles.

Suggestion de lecture : LA MAISON TELLIER et autres contes, de Guy de Maupassant

À lire aussi


L’auteure Christine Féret-Fleury

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 18 octobre 2025

L’ICKABOG, J.K. Rowling

*Et de par le territoire entier, petits garçons et petites filles jouaient à combattre l’Ickabog, tentaient de se faire peur en se racontant l’histoire de l’Ickabog, et même, si le conte devenait trop convaincant, cauchemardaient de l’Ickabog. *

Extrait : L’ICKABOG, de J.K. Rowling. Édition de papier : Gallimard Jeunesse éditeur, 2020, 400 pages. Édition numérique : Gallimard Jeunesse éditeur, 2020, 316 pages. Version audio : Audible studio éditeur 2020, durée d’écoute : 7 heures 50 minutes, narratrice : Aïssa Maïga.

La Cornucopia était un petit royaume heureux. On n’y manquait de rien, le roi portait la plus élégante des moustaches, et le pays était célèbre pour ses mets délicieux : Délice-des-Ducs ou Nacelles-de-Fées, nul ne pouvait goûter ses gâteaux divins sans pleurer de joie !

Mais dans tout le royaume, un monstre rôde : selon la légende, l’Ickabog habitait les Marécages brumeux et froids du nord du pays. On disait de cette créature qu’elle avait de formidables pouvoirs et sortait la nuit pour dévorer les moutons comme les enfants. Des histoires pour les petits et les naïfs ? Parfois, les mythes prennent vie de façon étonnante…

 Un conte de fantaisie et de
petits frissons

L’Ickabog est un conte dystopique, politique et à certains égards, satirique. L’histoire se déroule dans un royaume appelé La Cornucopia où règne le roi Fred Sans-effroi dont on ne connait finalement que la vanité et l’insipidité et qui n’est rien d’autre que la marionnette de son conseiller suprême, Lord Crachinet, avide de pouvoir et de domination.

Crachinet utilise une vieille légende pour s’enrichir et étouffer le peuple : L’ICKABOG, une créature mythique à qui on prêtait la volonté de dévorer les enfants, entre autres. Invention ou réalité? Ce qu’on peut dire est que la vérité transformera le royaume à tout jamais grâce au courage et à l’empathie de deux enfants : Bert et Daisy.

Il m’a été difficile d’adhérer à cette histoire à cause de ses personnages adultes que je trouvais parfois insignifiants et qui frôlent la carricature. Il y a aussi des passages qui traînent en longueur. Son intrigue est linéaire et métaphorique et tient peu compte des réalités du peuple qui vit sous le joug de Crachinet.

L’écriture est superficielle et oppose de façon peu originale des méchants très méchants aux gentils trop gentils. Rien de neuf. Ça m’a poussé un peu à l’ennui sauf que ce livre comporte des forces qui ont maintenu mon attention. Des petites trouvailles pas mal intéressantes qui enrichissent l’histoire.

Par exemple, la <néance>. C’est un principe Ickabog qui donne à la naissance d’un petit un sens philosophique très profond et qui veut que le nouveau-né adopte la nature des personnes présentes à sa naissance. Cette trouvaille et quelques autres m’ont réconcilié avec l’histoire car elles en disent long sur la connaissance de la nature humaine.

L’ICKABOG est un récit axé sur les dérives du pouvoir. Il repose sur les pires côtés de la nature humaine : pouvoir, domination, manipulation, mensonge, traîtrise, meurtre, soumission, abrutissement et j’en passe.

Je ne comprends donc pas pourquoi ce livre est classé conte pour enfants de sept ans et plus. Personnellement, je ne recommanderai jamais ce livre aux enfants, sauf peut-être sous réserve de la stricte surveillance d’un adulte et encore.

Le personnage le mieux fignolé dans cette histoire est encore celui qui parle le moins : l’Ickabog lui-même. Belle trouvaille de madame Rowling, pas développée comme je l’aurais souhaité mais néanmoins très intéressante.

Le livre nous rappelle que les vrais monstres ne sont pas toujours ceux que l’on croit et est porteur d’une belle réflexion sur les régimes politiques, les abus de pouvoir et la corruption…entre autres.

Ces détails donnent au conte une saveur particulière et c’est la raison pour laquelle je le recommande aux 13 ans et plus. En passant, ne cherchez pas d’analogies ou de ressemblances avec Harry Potter, il n’y en a pas…

Suggestion de lecture, de la même autrice : UNE PLACE À PRENDRE 


L’autrice J.K. Rowling

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert

le samedi 14 juin 2025

LE PETIT PRINCE

Commentaire sur la version audio du livre
D’ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY

*-Aaahh…Petit Prince, j’ai compris peu à peu ainsi, ta petite vie mélancolique. Tu n’avais eu longtemps pour distraction que la douceur des couchers de soleil. J’ai appris ce détail nouveau le quatrième jour au matin quand tu m’as dit : -J’aime bien les couchers de soleil ! Allons voir un coucher de soleil ! *

Extrait : LE PETIT PRINCE, édition anniversaire, livre audio par ADA, Vues et Voix éditeur, 2019. Durée d’écoute : 1 heure 58 minutes, narrateur principal : René Gagnon. Comédiens : Élizabeth Gautier-Pelletier, Catherine Renaud et Tristan Harey.

Suite à une panne de moteur, un aviateur doit poser son appareil en catastrophe dans le désert du Sahara. Cet aviateur, qui tente de réparer son avion est nul autre que Antoine de Saint-Exupéry qui se met lui-même en scène dans cette histoire. Tôt le matin, il est réveillé par une petite voix qui lui demande : « S’il vous plaît… dessine-moi un mouton ! »

 Indémodable

Magnifique adaptation sonore du conte universellement connu : LE PETIT PRINCE. Il a été publié en plus de 500 langues et dialectes à travers le monde. Je ne connais pas d’ouvrages autant traduits à part peut-être la bible. Il y a de bonnes raisons à cela. C’est un conte d’une douceur et d’une fraîcheur infinies.

L’histoire est très simple. Celui qui se raconte est nul autre que l’auteur lui-même, Antoine de Saint-Exupéry, un aviateur qui a dû poser son appareil en catastrophe dans le désert du Sahara.

Le lendemain de ce drame, Antoine est réveillé par une petite voix qui lui demande candidement *S’il-vous-plait…Dessine-moi un mouton*  (Extrait) Jour après jour, alors que l’aviateur tente de réparer son appareil, le Petit Prince lui raconte son histoire à partir du moment où il a décidé de quitter sa minuscule planète mère, l’astéroïde B612 pour explorer les étoiles et se faire des amis.

Je ne peux pas critiquer un chef d’œuvre pareil. On ne peut que se laisser pénétrer par sa chaleur et sa force d’attraction. Le petit Prince nous pousse en effet à retrouver l’enfant en nous, dont la pureté et l’innocence sont demeurés intactes.

Avec une simplicité et une tendresse désarmantes, LE PETIT PRINCE nous amène à redécouvrir le bambin toujours en couvaison dans notre cœur et qui détient une vérité à redécouvrir car elle est le sens de la vie.

Mon passage préféré est le dialogue avec le renard qui tient tant à être apprivoisé. Il met en lumière l’amitié, l’attachement, l’amour, la valeur de la vie.

LE PETIT PRINCE est avant tout une œuvre poétique et philosophique. Très accessible à tous, elle m’a atteint quand j’étais petit, elle m’atteint encore en tant qu’adulte.

Ce n’est pas une œuvre moralisatrice. Elle rassemble, avec l’extraordinaire sincérité du Petit Prince, tout un lot de valeur positives comme l’amitié, l’empathie et particulièrement l’ouverture d’esprit sans oublier le sens de l’émerveillement. LE PETIT PRINCE est aussi porteur d’une réflexion sur la solitude.

La version audio de cette œuvre est un véritable enchantement. La narration est superbe, les comédiens merveilleux. C’est une autre belle occasion d’introduire les enfants à la littérature, tout en douceur. Les parents passeront aussi un bon moment à faire la lecture du conte aux enfants, redécouvrant ainsi une des œuvres les plus marquantes de l’histoire littéraire.

Suggestion de lecture : LE PETIT PRINCE, LE ROMAN DU  FILM, novellisation, adaptation de Vanessa Rubbio-Barreau

Suggestion de lecture : LES CONTES DE NOËL, de Charles Dickens


L’auteur Antoine de Saint-Exupéry

Bonne écoute
Claude Lambert

Le samedi 1er février 2025

LES INFORTUNES DE LA BELLE AU BOIS DORMANT

1- L’INITIATION

Commentaire sur le livre d’
ANNE RICE

*À son entrée dans la chambre, son désir avait été fort et presque douloureux. À présent, il l’aiguillonnait sans merci. -Je vous ai réveillée ma chérie, lui dit-il. Vous avez dormi cent ans…Écoutez. Écoutez ! Vous allez entendre ce château revenir à la vie comme personne avant vous ne l’a jamais entendu. *
(Extrait : LES INFORTUNES DE LA BELLE AU BOIS DORMANT, volet 1 : L’INITIATION. Anne Rice. Robert Laffont éditeur, 1999, format numérique pour la présente, 315 pages.)

Vous connaissez l’histoire de la Belle au bois dormant.

Mais imaginez un instant qu’une fée mutine et joliment perverse se soit subrepticement glissée dans la chambre de la petite princesse, après le départ de ses consœurs, modifiant le sortilège.

La belle enfant sera délivrée de son long sommeil par un Prince, qui l’initiera à l’amour et au plaisir dans la douleur, l’emmènera dans son royaume, où, avec des centaines d’autres jeunes esclaves, elle assouvira les désirs et les fantasmes d’une bien étrange Cour…

 

Détournement de conte
*Vous ne devez point résister, mais bien plutôt prendre possession
 de vos charmes, c’est-à-dire laisser votre esprit habiter votre
corps. Vous êtes nue, sans défense, tous vont jouir de vous
 et qu’y pouvez-vous ? Ainsi donc, il me faut vous avouer que
 vos contorsions ne font que vous rendre plus exquise. *
(Extrait)

C’est sans doute le livre le plus indigeste que j’ai lu jusqu’à maintenant et je suis surpris que cette nullité ait été écrite par l’auteure du best-seller mondial ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE ou encore L’HEURE DE L’ANGE, un livre que j’ai déjà commenté sur ce site et que j’avais trouvé intéressant. Dans L’INITIATION, j’ai commencé a trouvé le temps long à la page 5.

Le titre de la série (parce que c’est une trilogie) est un bel euphémisme si je me fie au premier tome où il n’est question que d’avilissement, de masochisme, d’esclavagisme sexuel et d’un jeu sordide de soumission/domination : *Mais le prince n’était pas totalement satisfait de la manière dont il instruisait la belle. Il lui dit qu’à leur arrivée dans la prochaine ville…il lui arracherait encore un peu de sa dignité, afin de lui rendre les choses plus faciles. * (Extrait) C’est n’importe quoi.

Je suis surpris que les critiques qualifient ce récit d’érotique. L’érotisme implique l’amour sensuel, les plaisirs sexuels consentis et partagés. Dans ce livre, il n’est question que de viols, de torture, de masochisme, d’asservissement, de brutalité, de bestialité. Le tout traité avec une légèreté dérangeante : *…la douleur vous adoucit, vous rend les choses plus aisées. Vous êtes infiniment plus malléable, depuis la fessée que je vous ai donnée à l’auberge…* (Extrait)

Ici, nous avons 230 pages de fesses…des fesses torturées, zébrées, rougies sans compter le sort réservé aux organes génitaux. Au moins, cette violence, qui est physique et aussi fortement psychologique, est exempte de sang. Dans cette histoire, il n’y a pas de bains de sang, même pas une petite coupure ni brulure. Tous les acteurs sont de beaux garçons jeunes et vigoureux et de belles jeunes filles au corps magnifique…évidemment. Je dois l’admettre…c’est bien écrit, très descriptif.

J’ai essayé de donner un sens à cette histoire. Il n’y en a pas. Le prince charmant éveille la Belle au bois dormant, littéralement et sexuellement. Conquis par ses charmes, il fait d’elle une servante d’amour qui va découvrir la tendresse et la cruauté, le plaisir et la douleur. Ça s’arrête là. Ici le prince est tout sauf charmant. Aucune explication sur les origines du prince, ni sur les horribles traditions de la Cour de la reine.

D’où viennent tous ces princes et princesses littéralement humiliés et écrasés par les caprices des grands Seigneurs. C’est quoi ce pays de tarés ? Rien qui donne du sens. Qu’est-ce qui motive tous ces dégénérés, et comment vivent-ils ? Encore si j’en avais une idée. Mes sentiments me rappellent vaguement ceux que j’avais à la lecture de certains livres du Marquis de Sade. Et dire que ce livre est le premier d’une série.

J’ai compris à la finale du premier que les insoumis sont envoyés dans un endroit appelé le village qui évoque pour moi un des cercles de l’enfer. C’est donc là que devrait débuter le deuxième volet de la trilogie. Pour moi, cette expérience de lecture s’arrête là.

Suggestion de lecture : CRASH, de J.G. Ballard

Née en 1941 à La Nouvelle-Orléans, Anne Rice commence à écrire au milieu des années 1970 ce qu’elle pense être « une courte nouvelle sur le thème du vampirisme ». Entretien avec un vampire deviendra un livre culte, le premier volume des « Chroniques des vampires ». Reine du fantastique moderne qu’elle a révolutionné en lui apportant sensualité et démesure, elle passe au roman historique avec La Voix des anges, superbe histoire de castrats à Venise, et à l’érotisme avec Les infortunes de la Belle au bois dormant. Anne Rice a également publié quatre romans érotiques sous le pseudonyme de A. N. Roquelaure et deux romans sous celui de Anne Rampling. 

LA SUITE

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 17 décembre 2023

 

UN VILLAGE EN TROIS DÉS, Fred Pellerin

<Peuple ! Vous comptez votre argent, vous buvez,
vous sacrez, vous vous contraceptionnez…Vous
n’êtes même pas capable de vous z’entendre sur un
défunt à refuntiser…Vous n’êtes qu’une pauvre
accumulation de monde. Vous ne serez jamais z’un
village. Jamais.>
Extrait : UN VILLAGE EN TROIS DÉS, Fred Pellerin,
Sarrazine éditeur,  2019, édition de papier. 180 pages.

Un village en trois dés, c’est une nouvelle incursion de Fred Pellerin dans le dédale de Saint-Élie-de-Caxton. On y retrouve la faune légendaire préservée : Méo le barbier décoiffeur, Toussaint le marchand généreux. Aussi, sur ce sixième voyage conté, on a la chance de faire la rencontre d’Alice, la première postière de l’histoire locale, elle qui savait licher les enveloppes dans les deux sens – tant pour les fermer que pour les ouvrir -, et de connaître un peu mieux le curé neuf, mandaté pour redonner du lustre à la foi ambiante du Caxton d’époque. Un village en trois dés, c’est des histoires qui se tiennent en équilibre sur un petit cube de hasard ou de providence. 

Sept fois la foi
Ils étaient un nombre.
Ils rêvaient d’un monde.
Ils étaient un voyage.
Ils rêvaient d’un village.
Extrait

Encore une fois, je suis entré dans l’univers de Fred Pellerin. Je me suis offert une enrichissante visite spatio-temporelle de Saint-Élie-de-Caxton afin par exemple de mieux comprendre les origines de Saint-Élie : *C’est à ce moment précis que le village de Saint-Élie-de-Caxton a commencé à exister. C’était le 12 avril 1865.
Juste avant l’heure du souper. *
(Extrait) Ce *moment précis* c’est à vous bien sûr de le découvrir amis lecteurs et amies lectrices dans un des plus beaux passages du récit.

J’avais aussi le goût de retrouver les vieux de la vieille…Méo le barbier décoiffeur, Lurette la Belle, héroïne du chapitre UNE MALLE POUR UN BIEN. J’ai fait aussi la connaissance d’une p’tite nouvelle : Alice, la première postière de l’histoire locale, elle qui savait licher les enveloppes dans les deux sens – tant pour les fermer que pour les ouvrir – Extrait   

Et puis, j’étais curieux de rencontrer un nouveau ptit curé, un flambant neuf, gracieuseté de Monseigneur L’Évêque, un petit cadeau disons non-désintéressé, l’évêché souhaitant brasser les âmes un p’tit peu et revitaliser la foi. C’est ainsi que j’ai revisité Saint-Élie-De-Caxton, à travers six petites histoires qui, comme le mentionne l’éditeur, se tiennent en équilibre sur un petit cube de hasard et de providence.

Qu’est-ce que les dés ont à voir avec Saint-Élie-de-Caxton? Évidemment, je l’ai découvert en cours de lecture et ce fut pour moi, tout à fait inattendu comme évènement, le tout reposant sur ce que je pourrais appeler le mot-clé et même le fil conducteur du petit recueil : LA FOI. Quelle finale remarquable. J’en ai eu quelques petits frissons d’émotivité. Encore une fois j’ai pu goûter la belle écriture aérienne de Fred Pellerin qui attise les émotions, pousse à la réflexion et nous gratifie d’un petit vent rafraîchissant.

Comme je l’ai ressenti en lisant L’ARRACHEUSE DE TEMPS en 2016, je me suis lové dans la plume de Fred qui est d’une grande richesse, la richesse des mots de chez nous…fantaisies, expressions colorées ou tordues, jeux de mots qui arrachent rire et sourire. La beauté de l’écriture est la garantie d’une lecture riche en émotions et génératrice de réflexion : *La connexion entre êtres humains existe depuis plus longtemps que le Wifi. On nommera cette chose EMPATHIE. * (Extrait)

Le récit laisse-t-il à penser que Saint-Élie-De-Caxton a été créé sur un coup de dés? À vous de le découvrir. UN VILLAGE EN TROIS DÉS est donc une lecture, légère, rafraichissante et agréable que je n’hésite pas à vous recommander. Fred Pellerin manie la langue avec habileté, joue avec les mots et privilégie le langage du Caxton :

*Ils ont bâti une église et se sont commandé un curé. Nous étions alors à cette époque où le curé était chose courante dans le sens de la régularité, comme dans celui de la mobilité. Tu voulais un curé ? Tu appelais l’évêché et il t’en mettait un sur la route, emballé sous vide livré la journée même. * (Extrait)

Dès le départ, vous pourriez être séduit par la première de couverture. Sur l’illustration, un dé tombe du clocher d’une église. À la fin de ma lecture, je me suis dit que c’était superbement imaginé. J’ai adoré. Apprêtez-vous à entrer dans un monde de légendes…

Suggestion de lecture: LA MAISON TELLIER ET AUTRES CONTES, Guy De Maupassant

Les histoires de Fred Pellerin sont celles de son village: Saint-Élie-de-Caxton, petit village québécois de la Mauricie, « où les lutins et les fées s’écrasent dans les pare-brise le soir ». Anecdotes, potins, rumeurs passent à la moulinette de Fred Pellerin pour en ressortir sous forme de contes pour adultes. 

Et la force de ce formidable bonimenteur est, sans être démagogique, de nous raconter des histoires… toujours vraies! Fred Pellerin met des enjoliveurs à la surréaliste banalité, brasse notre mémoire collective par ses acrobaties verbales. Fred Pellerin, figure emblématique du conte au Québec, s’est aussi illustré au-delà de nos frontières. Quarante-trois ans et plus de 4000 représentations professionnelles au sein de la francophonie mondiale.

 

AUTRES LIVRES DE FRED PELLERIN

Bonne lecture
Claude Lambert

Le dimanche 19 novembre 2023

LE FABULEUX MAURICE et ses rongeurs savants

Commentaire sur le livre de
TERRY PRATCHETT

*Les rats ! Ils pourchassaient les chiens et mordaient les chats, ils… Mais il n’y avait pas que ça. Comme le disait le fabuleux Maurice, ce n’était qu’une histoire de rats et d’hommes. Et le plus difficile, c’était de définir qui étaient les hommes et les rats. *
(Extrait : LE FABULEUX MAURICE ET SES RONGEURS SAVANTS, Terry Pratchet, 2001. T.F. : 2004 par Librairie L’Atalante. Format numérique, 188 pages.)

Les déchets magiques de l’Université de l’Invisible ont transformé le chat Maurice et les rats des environs en créatures super intelligentes, dotées de parole et d’une conscience du monde très aiguë. Maurice est devenu le roi de l’arnaque. Avec sa bande de rats (Pur-Porc, le dominant, Pistou, le rat albinos, ou encore Sardines, pro des claquettes), il parcourt les cités qu’il pille joyeusement en simulant des invasions, grâce à un complice benêt, le joueur de flûte. Mais arrivés à Bad Igoince, la petite bande tombe sur un os. Un village sans rats où vivent pourtant des chasseurs de rats, voilà qui est étrange. Voire carrément malsain…

 

Les couleurs de l’imaginaire
*<N’importe qui peut attacher ensemble des queues de rats
s’il en a envie…je suis sûre que je pourrais, moi. –Avec des
rats vivants ? Tu dois d’abord les prendre au piège, ensuite,
tu de débats avec des espèces de bouts de ficelle glissants
qui gigotent sans arrêt pendant que l’autre extrémité des
bestioles continue de te mordre ! Huit rats ? Vingt ? Trente-
deux ? Trente-deux rats enragés ? > *
(Extrait)

J’ai été attiré par le titre bien sûr mais spécialement pas l’image de couverture. Attention toutefois car vous pourriez avoir la même impression que moi. En effet, l’image laisse à penser que Maurice est un chat savant qui fait des tours extraordinaires avec des rats dans un cirque. On est très loin du compte. Je dirais même que Terry Pratchett a tranché par son originalité.

Il a imaginé Maurice, un chat plutôt égocentrique et impudent, d’apparence en tout cas, et une bande de rats, tout ce beau monde ayant séjourné trop longtemps et trop proches d’une haute école de mage. Le résultat est extraordinaire car nos amis parlent maintenant. Ils peuvent penser.

Avec ce magnifique nouveau don d’intelligence, Maurice et les rats décident de parcourir les campagnes environnantes et d’arnaquer les habitants en simulant des invasions de rats et chargeant un complice humain, Keith de faire semblant de dératiser avec une flute. Mais, dans un village au bout de la route, la petite troupe trouvera chaussure pour chaque petit pied.

Cette façon qu’a Pratchett de faire fondre la nature des humains dans celle des rats est très spéciale et donnera lieu à des moments très drôles spécialement en mettant à la jonction des deux dimensions un chat : qui n’a jamais voulu être fabuleux et qui n’aime pas spécialement les rats. Il est aussi spécial que tout ce petit monde mette à profit ce don soudain d’intelligence en volant et en trompant.

Enfin On est humain ou on l’est pas et puis, tant qu’à penser…*-Ho, tu penses aussi hein ? fit Pur-Porc. Tout le monde pense ces temps-ci. Je pense que ça pense beaucoup trop, voilà ce que moi je pense. On ne pensait pas à penser. Quand j’étais jeune…* (Extrait) Ça donnera lieu à des moments parfois très émouvants, mais aussi cocasses voir drôles.

J’ai trouvé les dialogues avec les humains savoureux d’autant que ce sont des rats qui ont reçu l’intelligence et comme on le sait, le rat n’est pas spécialement le meilleur ami de l’homme. Le récit n’est pas seulement drôle, il est sensible, coloré, léger. C’est un livre-jeunesse mais j’ai eu beaucoup de plaisir à le lire.

La dimension humoristique du récit a été bien pensée en commençant par les noms donnés aux rats, suffisamment drôles pour changer un simple rictus en fou rire : Pure-porc, Pistou, Nutritionnelle, sardines, grosseremise, datlimite, saumure, pêches, offrespéciale, noir-mat et j’en passe.

Tout ce beau monde est dirigé, c’est une façon de parler, par celui qui a un nom bien humain, MAURICE, le fabuleux Maurice, le gentleman arnaqueur qui va entraîner le lecteur et la lectrice d’une péripétie à l’autre avec, au programme rater, dératiser, et encaisser.

*« On va leur en mettre plein la vue, conclut Maurice. Des rats ? Ils s’imaginent avoir connu des rats dans leur ville ? Après notre passage à nous, ils en feront des romans ! » (Extrait) Il y a dans ce livre un peu les caractéristiques d’un conte ce qui n’est pas sans rappeler les frères Grimm.

Il y a aussi un aspect légende, entre autres les rois des rats, attachés par la queue et à qui on prête des pouvoirs surnaturels. Je veux noter au passage les belles illustrations de David Whyatt. Elles sont trop discrètes à mon goût mais elles rehaussent le récit avec l’omniprésence de monsieur Lapinou qui rappelle Wish et les mangas des années 90.

Tout ceci donne à l’ensemble une richesse extraordinaire même si ça s’est déjà vu. Rappelez-vous LE JOUEUR DE FLUTE DE HAMELIN. Le livre de Pratchett en est la parodie.

Enfin, vous avez en présence un chat, des rats et des hommes. La violence est inévitable et il y a en a. Même Maurice meure dans cette histoire mais heureusement, il lui reste des vies dans son lot de 9. Il y a aussi dans le récit des longueurs. Quelques dialogues qui se ressemblent sensiblement.

Il faut surtout ne pas perdre de vue que la parole ne suffit pas nécessairement à prouver l’intelligence d’une part et que si les rats ont reçu le don de parole et de pensées, ils demeurent des rats avec des mœurs de rat. C’est un aspect du récit qui ne plaira pas à tout le monde. C’est un livre-jeunesse oui, mais avec certaines limites.

Dans l’ensemble, c’est un livre bien écrit, bien imaginé et surtout bien documenté. Pratchett n’a pas lésiné sur la recherche. Le tout est crédible.

Suggestion de lecture : CHRONIQUE POST-APOCALYPTIQUE D’UNE ENFANT SAGE, d’Annie Bacon

AVANT-PROPOS
Le Disque-monde est un univers imaginaire de fantasy burlesque développé à partir de 1983 par l’écrivain britannique Terry Pratchett dans la suite de romans Les Annales du Disque-monde et adapté depuis sur divers supports. La série de romans du Disque-monde comporte quarante-et-un volumes (trente-cinq annales et six romans dédiés à un public jeune), tous traduits en français. Il existe également un certain nombre d’ouvrages « hors-série ». La série a été adaptée en téléfilms, film d’animation, jeux vidéos et même en jeux de société.

 

Terry Pratchett est né en 1948 dans le Buckinghamshire. Voilà un écrivain dont l’humour donnera du fil à retordre à ses biographes ! Sa vocation fut précoce : il publia sa première nouvelle en 1963 et son premier roman en 1971. D’emblée, il s’affirma comme un grand parodiste : La Face obscure du soleil (1976) tourne en dérision L’Univers connu de Larry Niven ; Strata (1981) ridiculise une fois de plus la hard S.-F. en partant de l’idée que la Terre est effectivement plate.

Mais le grand tournant est pris en 1983. Pratchett publia alors le premier roman de la série du Disque-Monde, brillant pastiche héroï-comique de Tolkien et de ses imitateurs.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 12 novembre 2022

JACK ET LA GRANDE AVENTURE DU COCHON DE NOËL

 

UNE HISTOIRE DE J.K. RAWLING

<…Il essaya d’en sortir mais il se trouvait entre deux cadeaux gigantesques dont les flancs n’offraient aucune prise. -Où es-tu ? Murmura le cochon de Noël. Une seconde plus tard cependant, lui aussi avait glissé au bas du paquet enveloppé de papier doré et il atterrit sur Jack. Oh non ! Se lamenta celui-ci.

Tandis qu’ils entendaient Toby le chien se ruer vers le sapin.  -Tu fais trop de bruit avec tes billes en plastique. -Où se trouve la cuisine ? S’écria le cochon de Noël alors que les grognements du chien se rapprochaient … -je ne sais pas! Répondit Jack d’un ton désespéré. -Je suis perdu !

Extrait : JACK ET LA GRANDE AVENTURE DU COCHON DE NOËL, de J.K Rowling, Gallimard jeunesse 2021. Illustré, 352 pages. Version audio : Audible studios éditeur, 2021. Durée d’écoute : 6 heures 8 minutes.

Narrateur(s): Lola NaymarkCharlotte HennequinAlexis TomassianPierre-Henri Prunel, Ariane BrousseAudrey SourdiveBenoît AllemaneCamille DondaChantal BaroinColette MarieErwan ZamorFrédéric SouterelleJade Phan GiaPierre RochefortVictorien Robert

Jack est très attaché à son cochon en peluche de petit garçon. Ils ont tout vécu ensemble, les bons comme les mauvais moments. Jusqu’à cette veille de Noël où arrive la catastrophe : le cochon est perdu ! Mais la nuit de Noël n’est pas une nuit comme les autres. C’est la nuit des miracles et des causes désespérées, le moment où même les jouets peuvent prendre vie. Alors, Jack et le cochon de Noël – une peluche de substitution – embarquent pour une aventure magique et périlleuse au pays des choses perdues. Jusqu’où iront-ils pour sauver le meilleur ami que Jack ait jamais eu ?

LES RÉALITÉS DE L’ENFANCE

Voici l’histoire de Jack, un petit garçon très attaché à son toutou qui est en fait un cochon en peluche. Notre ami est heureux jusqu’à la veille de Noël où un drame vint obscurcir son bonheur. Alors que la famille roulait sur l’autoroute, la demi-sœur de Jack, Holly, prit le cochon de Jack et le jeta par une fenêtre de la voiture. Le toutou était perdu. Holly avait agi par pure méchanceté.

Plus tard, Holly, prise de remords, trouva pour Jack un cochon de remplacement. Mais il n’était pas pareil. Il était même plutôt énervant. Aussi, Jack entreprit une périlleuse aventure : se rendre au pays des choses perdues, quitte à affronter le cruel maître des lieux, le grand PERDEUR. Pour réussir son entreprise, sauver et récupérer son toutou, Jack devra se faire de précieux alliés.

Si vous lisez JACK ET LA GRANDE AVENTURE DU COCHON DE NOËL avec des yeux d’adulte, vous risquez de trouver le conte simpliste et banal. Mais même en me mettant dans la peau d’un enfant, j’ai très vite observé un paradoxe dans ce petit livre : le thème qui y est développé est l’attachement au toutou, un fétiche en peluche, lapin, ourson, canard ou autres, auquel les enfants sont attachés jusqu’à l’âge de 7 ou 8 ans.

Donc pour l’intérêt de la lecture, on doit considérer que le livre s’adresse aux premiers lecteurs mais les sous-thèmes développés dans ce livre vont, d’après moi, sensiblement au-delà de la compréhension des jeunes lecteurs : l’espérance, la persévérance, l’esprit d’équipe, le bonheur et même l’ambition.

Ça reste un très bon petit livre plein de trouvailles intéressantes. La version papier est magnifiquement illustrée. La version audio est exécutée par une équipe de comédiens expressifs et talentueux.

La présentation de ce livre est une réussite. Heureusement car je crois que l’œuvre est bien en deçà du talent de J.K. Rawling. J’en demande peut-être trop. Il est difficile d’oublier tout ce que l’auteure a déployé d’imagination dans HARRY POTTER.

L’histoire accuse des longueurs, du remplissage, manque un peu d’originalité. Il me semble avoir perçu du déjà-vu. C’est peut-être la notoriété de J.K. Rawling qui m’a rendu plus exigeant. C’est pourquoi j’ai précisé plus haut que ça reste un bon livre mais je n’ai été malheureusement ni impressionné ni emballé. 

Suggestion de lecture : LE CALENDRIER DE L’AVENT, de Catherine Dutigny


L’auteure J.K. Rowling

JOYEUSES FÊTES À TOUS

Bonne écoute
Bonne lecture
Claude Lambert

 

LES CONTES INTERDITS, coup d’œil sur la série

BLANCHE NEIGE

Commentaire sur le livre de
L.P. SICARD

Et la série
LES CONTES INTERDITS

*Et curieusement, lorsque cette fenêtre
fut verrouillée, le sentiment de m’avoir
fait prisonnière m’assaillit de plein
fouet. Éteindre la noirceur. Traquer
l’obscurité. Cela devint ma toute
priorité. Il me fallait allumer chacune
des bougies de ce manoir, m’entourer
de clarté.>

(Extrait : BLANCHE NEIGE de la série LES
CONTES INTERDITS, L.P. Sicard, Éditions
AdA, 2017, édition de papier, 200 pages)

AVERTISSEMENT : ce livre contient certains
passages au contenu
explicite.

*Cette sombre réécriture du conte
classique BLANCHE-NEIGE ET LES SEPT
NAINS est un plongeon dans les eaux
noires et visqueuses de la démence…
(4e de couverture)

LA SÉRIE

COMMENTAIRE Partie 1Ce n’était pas nécessairement dans les intentions de l’éditeur, mais cette série des contes interdits vient réactualiser le côté obscur des frères Grimm, développé et mis en perspective dans de nombreux dossiers et articles littéraires. On en trouve abondamment sur internet. Un de ces dossiers m’a particulièrement intéressé, celui publié par le site Bibliobs.nouvelobs.com On y voit par exemple la reine meurtrière assurer le spectacle lors des noces de Blanche-Neige, obligée de danser jusqu’à la mort dans des souliers de fer chauffé à blanc ; les demi-sœurs de Cendrillon se mutilent les pieds…

On affirme, dans ces dossiers que la version originelle des contes de Grimm est beaucoup plus violente et atroce que leur version contemporaine. Il ne faut pas oublier qu’en plus d’être philologues, les frères Jacob et Wilhelm Grimm étaient collecteurs de légendes et de contes. Il est donc dans la logique des faits que les frères Grimm aient adapté des contes qui n’étaient pas du tout prévu pour les enfants pour en faire les douces et tendres histoires qui ont bercé la petite enfance de tellement de générations.

La série des contes interdits vient détruire cette magie bâtie par les frères Grimm…magie blanche amplifiée et encadrée pour les enfants par des personnages célèbres comme Walt Disney. Les Contes interdits, c’est l’envers de la médaille…c’est plus que le côté B, c’est le côté obscur et glauque de la réalité. Ce sont les petits contes tendres et ouatés qui nous endormaient étant petits qui sont complètement chamboulés, marqués au fer rouge, adaptés en version contemporaine horrifique.

Des contes revisités qui mettent en exergue la vision la plus glauque de l’esprit humain. Nous avons maintenant des récits qui inspirent le dégoût et l’horreur dans les thèmes typiques du genre : pédophilie, gore, voyeurisme, drogue, prostitution et même cannibalisme…j’en passe. La sensibilité de beaucoup de lecteurs risque d’être carrément violée.

Ce sera à vous amis lecteurs et amies lectrices de juger si cette série dépasse les limites du bon goût. Personnellement, j’avais mis ce critère de côté au départ car j’étais trop curieux de savoir comment cette série était bâtie et comment les auteurs travaillaient leurs personnages. J’ai misé au départ sur la qualité de l’écriture et l’imagination déployée pour transformer des textes roses bonbon en récits brutalement gores. Je n’ai pas été déçu. La curiosité m’a fait avancer.

Suggestion de lecture : LES CONTES DU WHISKY, de Jean Ray

Pour vous permettre d’avoir une autre vision du contenu, j’ai découvert un site internet axé sur l’actualité littéraire qui propose un tableau récapitulatif des principales forces et faiblesses des quatre premier volumes (Les 3 p’tits cochons, Hansel et Gretel, Peter Pan et Blanche Neige) ainsi que des émotions ressenties.

Le site propose aussi une critique détaillée de chacun des volumes. Pour visiter le site, cliquez ici. Voilà pour la série. Dans mon prochain article, je parlerai d’un des volumes de cette série plus spécifiquement : BLANCHE NEIGE de L.P. Sicard version CONTES INTERDITS ÉVIDEMMENT.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 28 février 2021

LES CONTES DE NOËL, de CHARLES DICKENS

*Le fantôme approchait d’un pas lent, grave et silencieux.
Quand il fut arrivé près de Scrooge, celui-ci fléchit le genou,
car cet esprit semblait répandre autour de lui, dans l’air qu’il
traversait, une terreur sombre et mystérieuse.*
(Référence : Folio éditeur, 2012, version audio : Audible
Studios éditeur, 2014. Durée d’écoute : 3 heures 27,
narrateur : Mathieu Barrabès)

C’est la veille de Noël et tous s’affairent aux préparatifs. Préférant la solitude à ces fêtes joyeuses, Ebenezer Scrooge refuse les invitations. Pour ce vieux grincheux que tous prennent soin d’éviter, Noël se résume à un simple mot : « Sottise ! »  jamais il ne s’associera à cette vaste fumisterie. Mais ce soir-là, les esprits de Noël en décident autrement. Plongé malgré lui entre passé, présent et futur, le vieux grippe-sou reçoit une leçon de vie..

LA MAGIE DE DICKENS
*L’oncle Scrooge s’était laissé peu à peu si bien gagné
par l’hilarité générale, il se sentait le cœur si léger qu’il
qu’il aurait fait raison à la compagnie quoiqu’elle ne
s’aperçut pas de sa présence, et prononçait un discours
de remerciement que personne n’eut entendu si le
spectre lui en avait laissé le temps. *
 (Extrait)

Je ne me suis jamais vraiment demandé ce qui fait qu’un livre devient fétiche. Pourquoi on aime y revenir sans se lasser. Pourtant, c’est une question intéressante à creuser. Dans ma bibliothèque, des fétiches, il n’y en a pas beaucoup. J’ai réuni mes quelques titres avec, comme point de départ, les contes de Dickens. Certains livres induisent une attraction, une attirance difficile à expliquer.

Le principal point commun de ces livres, c’est l’émotion qu’ils me font vivre. Pour faire passer les émotions, Dickens est passé maître. Il me fait vibrer. C’est comme ça. Et ça va plus loin. Je pourrais parler pendant des heures de son chef d’œuvre DAVID COPPERFIELD. J’ai réalisé que les CONTES DE NOËL me poussent à l’introspection.

Le célèbre Ebenezer Scrooge, un homme égoïste, pingre, méchant, froid et insensible est entrepris par trois fantômes qui lui font revivre son passé et l’obligent à regarder le mal qu’il a fait, à regarder son prochain avec des yeux différents. Une revitalisation du cœur s’opère graduellement au fur et à mesure que Scrooge se rapproche du moment où on lui dévoilera son futur. Voilà pour l’objectif du récit…le fil conducteur.

Vous avez droit à un profil complet du personnage au début de l’œuvre et il est loin d’être tendre : *… Le vieux pêcheur était un avare qui savait saisir fortement, arracher, tordre, pressurer, gratter, ne point lâcher surtout. Dur et tranchant comme une pierre à fusil dont jamais l’acier n’a fait jaillir une étincelle généreuse…Le froid qui était au-dedans de lui gelait son vieux visage, pinçait son nez pointu, ridait sa joue, rendait sa démarche raide et ses yeux rouges, bleuissait ses lèvres minces et se manifestait au dehors par le son aigre de sa voix

Ce n’est qu’un extrait mais le profil complet laisse à penser qu’il serait pratiquement impossible de faire copain-copain avec un tel personnage. Il faut voir aussi comment va s’opérer la transformation.

Donc l’attraction est issue de l’émotion qui se dégage de la plume combinée aux élans de bonté, de générosité, d’altruisme et de don de soi induits par la fête de la Nativité. C’est ce qu’on appelle la magie de Noël. Dans le cas de la version audio, je dois dire que le narrateur peine à transmettre l’émotion mais la signature vocale a un certain charme.

Les contes de Noël ont évidemment un caractère fantastique dominant et sont porteurs d’un message social qui appelle au partage et à la tolérance. Dickens est un magicien des mots. Sa plume est envoûtante car elle m’a propulsé dans mon enfance. Il y a dans ces contes quelque chose d’onirique qui appelle aux changements pour une société plus juste. Un seul petit point négatif : l’ensemble est sensiblement moralisateur.

Pour plusieurs, ça peut être irritant. C’est le cas aussi de la narration qui s’accorde plus ou moins bien avec l’esprit du texte. Enfin, il y a l’entrée en matière qui est très longue avec des passages peu pertinents. Mais dans l’ensemble, l’oeuvre est une fresque. La lire, c’est y revenir.

Un petit détail en terminant. Cette œuvre de Dickens est une lecture pour adulte. On y trouve effectivement beaucoup de notions abstraites pour les enfants. Rien n’empêche toutefois d’en faire une lecture adaptée pour les premiers lecteurs en mettant l’accent par exemple sur des vertus comme la générosité, l’entraide, le don de soi.

Suggestion de lecture : JACK ET LA GRANDE AVENTURE DU COCHON DE NOËL, de J.K. Rawling

Charles John Huffam Dickens est un écrivain  anglais né le 7 février 1812 et mort le 9 juin 1870. Son style littéraire est inspiré de sa jeunesse, dure étant donné que son père a fait de la prison et que lui a dû travailler jeune. Ses histoires sont donc presque toutes sur le thème d’enfants aux parents difficiles, d’enfants orphelins. 

Il s’est surtout fait connaître par ses lectures publiques. Dès ses premiers écrits, il est devenu immensément célèbre, sa popularité ne cessant d’augmenter au fil de ses publications dont plusieurs sont devenues très célèbres comme OLIVER TWIST et DAVID COPPERFIELD.  et bien sûr d’Ebenezer Scrooge. Pour consulter l’impressionnante bibliographie de Charles Dickens, cliquez ici.

Mes meilleurs souhaits pour un joyeux Noël, une bonne et heureuse année 2020

Claude Lambert

Le dimanche 22 décembre 2019

LES CONTES DES 1001 NUITS partie 1 du recueil

LES CONTES DES 1001 NUITS

Commentaire sur le recueil anonyme
de contes populaires
(Partie 1)


*«mais ne vous trompez pas, vizir», reprit le
sultan : «demain, en vous remettant
Sheherazade entre les mains, je prétends
que vous lui ôtiez la vie. Si vous y manquez,
je vous jure que je vous ferez mourir vous-
même.»*
(Extrait : LES CONTES DES 1001 NUITS, anonyme,
recueil de contes populaires d’origine persane et
indienne, édition numérique réunissant les trois
tomes : 1 800 pages)

Le sultan Shahryar, déçu par l’infidélité de son épouse, la condamne à mort et, afin de ne pas être à nouveau trompé, il décide de faire exécuter chaque matin la femme qu’il aura épousé la veille. Shéhérazade, la fille du grand vizir, est désignée pour épouser le sultan. Aidée de sa sœur, elle raconte chaque nuit au sultan une histoire dont la suite est reportée au lendemain. Le sultan reporte l’exécution de jour en jour afin de connaître la suite du récit commencé la veille. Peu à peu, elle  gagne la confiance de son mari, et, au bout de mille et une nuits, il renonce à la faire exécuter.

UNE LECTURE ENVOÛTANTE
*-Ma maîtresse, repartit l’oiseau, faites ce que je dis et ne vous inquiétez pas de ce qui en arrivera ; il n’en arrivera que du bien. Quant aux perles, allez demain de bon matin au pied du premier arbre de votre parc, à main droite, et faites-y fouir, vous en trouverez plus que vous en avez besoin. »
(Extrait du conte HISTOIRE DE DEUX SŒURS JALOUSES DE LEUR CADETTE, CONTES DES 1001 NUITS)
1                                                                  2

              

LE LIVRE DES MILLE ET UNE NUITS est un recueil anonyme de contes populaires en arabe, d’origine persane et indienne. Il est constitué de nombreux contes enchâssés et de personnages mis en miroir les uns par rapport aux autres. Autrement dit, on trouve de nombreuses histoires qui sont intégrées dans une seule et même histoire, en devenant des parties intégrantes. En littérature, c’est ce que l’on appelle la *Mise en abîme*.

Dans le synopsis un peu plus haut, on a vu que la princesse Shéhérazade, avec l’aide de sa sœur, raconte chaque nuit au sultan une histoire dont la suite est reportée au lendemain. Autant de fois l’exécution de Shéhérazade est reportée. La sœur, Dynarzade, pratique la tactique du récit interrompu.

Peu à peu la princesse gagne la confiance de son mari et au bout de mille et une nuits, le sultan renonce à la faire exécuter. En fait, Shéhérazade est l’héroïne du récit car elle est un puits sans fond d’histoires, de merveilles, de magie et d’imagination. C’est pour elle une source de vie.
                                                                         3

Mon choix était de lire l’intégrale des CONTES DES MILLE ET UNE NUITS, réunissant donc les trois grands tomes. J’ai pris la traduction la plus accessible, c’est-à-dire celle d’Antoine Galland. Les CONTES DES 1001 NUITS ont été publiés en 1704 sans auteur officiellement reconnu. Ils sont bien sûr libres de droit. J’ai donc lu l’intégrale, soit 1 800 pages. Évidemment, c’est très long. J’ai pris bien mon temps et j’ai intégré les contes à mes lectures courantes. Je ne crois pas qu’on puisse critiquer une œuvre aussi considérable. Moi j’ai été charmé.

      
4                                                                    5

Il n’y a qu’un seul irritant. À chaque nuit, Shéhérazade doit déployer beaucoup d’imagination pour rester en vie. Elle a l’aide de sa sœur Dynarzade qui la réveille à chaque nuit et la pris de poursuivre l’histoire laissée en plan la veille. Cette routine force la redondance. Heureusement, ce petit protocole n’est pas bien long. Il est juste répétitif. Je m’y suis fait. En dehors de ce détail, j’ai été charmé.

Je me suis laissé emporter dans le temps et dans l’univers oriental avec ses génies, ses fées, ses sorciers, des lois étranges, des traditions bizarres au service des sultans et de leurs caprices. Un monde où il y a parfois fort à faire pour sauver sa vie. Les 1001 nuits constituent aussi un monde de conteurs. En tête, Shéhérazade qui, avec sa sœur Dynarzade, entretient le sultan dans l’intrigue de ses histoires, pour se maintenir en vie.

Shéhérazade est le pilier des contes. Le fil conducteur. La référence. Avec elle, tout se tient. C’est grâce à ce fil conducteur, une trouvaille à mon avis, que je suis resté en haleine, que j’ai gardé mon intérêt jusqu’à la fin. Le nombre de page n’avait plus d’importance. Et puis, je l’ai déjà dit, il ne faut pas se laisser impressionner par l’épaisseur d’un volume.

Autre élément intéressant : la traduction. Antoine Galland s’est évidemment servi du français de son époque et a été confronté aux particularités et aux étrangetés du langage oriental. Par exemple *Vous allez le voir* devient *vous l’allez voir*. Je trouve que le langage qui en résulte est d’une magnifique beauté. Non seulement on se fait aux caprices linguistiques, on vient à les aimer et à les rechercher.

Cette lecture a été pour moi un enchantement car je devenais moi-même le sultan Shahriar, soucieux de revenir à ma lecture le plus vite possible afin de connaître la suite des aventures si bien racontées par la belle Shéhérazade. Plusieurs seront découragés sans doute par la récurrence des thèmes. Moi, je me suis accroché à la beauté du langage, poussant parfois à la poésie et suffisante pour déclencher le rêve.

Je vous invite donc à entrer dans un monde à part de la littérature avec les CONTES DES MILLE ET UNE NUITS. Rien ne vous oblige à lire l’intégrale. Faites-en l’essai. Vous verrez bien où ça va vous mener. Faites comme moi…laissez-vous aller.

LES PHOTOS

1)       Ali Baba (1909) Maxfield Parrish  oriental art (sur Pinterest)
2)       Aladin dans le jardin magique, illustration de Max Liebert, 1912 (Wikipedia)
3)       Image du film LE SEPTIÈME VOYAGE DE SINBAD, de Nathan Juran, sorti en
1958 avec les célèbres effets spéciaux de Ray Harryhausen
4)       Le conte du cheval d’ébène, illustration de John Dickson Batten, 1895 (Wikipédia)
5)       Shéhérazade et le sultan Schariar (1880) œuvre de Ferdinand Keller
(1842-1922)    Shéhérazade est le personnage central des 1001 nuits.

Mon prochain article sera consacré à des thèmes relatifs aux contes des 1001 nuits : des ouvrages d’analyse, sur l’iconographie, les décorations sous les thèmes des 1001 nuits et même la cuisine. Je vous invite à lire ce complément sur jailu.mllambert.com.

Suggestion de lecture : LES CONTES DES 1001 NUITS, partie 2

BONNE LECTURE

CLAUDE LAMBERT

 Le lundi 21 octobre 2019