GORE STORY, le livre de GILLES BERGAL

*Le commandant était dans un piteux état…
-Commandant ! Je vous croyais à l’agonie.
-Eh bien, tu t’es trompée, et c’est à ton tour
de crever, comme tous ceux que tu as
rassemblés ici… elle chercha une issue, mais
il n’y en avait pas…*
(Extrait : GORE STORY, Gilbert Gallerne, Édition
Objectif Noir, 2015. Édition numérique 115 pages
numériques)

C’est dur de tuer un personnage de roman. Surtout quand le personnage en question est une…tueuse. Fabien Chevriez, auteur de la série BLOODY MARY en fait l’expérience quand, après 37 épisodes sanglants, il décide de se débarrasser de ce personnage et de passer à autre chose. C’est alors qu’un mystérieux fanatique commence à tuer des personnes proches de Chevriez en copiant les manières de BLOODY MARY. Chevriez l’a compris mais il a la tête dure. L’étau se resserre. Avec de l’aide, Fabien tente de résoudre l’énigme pendant que les assassinats s’enchaînent.

Avant-propos

Avant de commenter GORE STORY je veux juste préciser la différence entre deux genres littéraires cousins. D’abord le GORE : d’après l’internaute, le gore est un genre qui privilégie les scènes dans lesquelles le sang coule. Le gore est issu de l’horreur.

À ce sujet, Wikipédia est beaucoup plus direct et inspiré en disant que le gore est un sous-genre caractérisé par des scènes extrêmement sanglantes et très explicites dont l’objectif est d’inspirer au spectateur le dégoût, la peur, le divertissement ou le rire.

Le genre TRASH est différent. TRASH est un terme familier emprunté à l’anglais qui désigne quelque chose de sale, similaire à un déchet ou une ordure. Par extension, une histoire trash est plus que médiocre, de très mauvaise qualité ou vulgaire. D’après Wikipédia, une action, une œuvre, voire une personne, sale, répugnante ou moralement malsaine. Je vous ai déjà parlé de la littérature neurasthénique du Marquis de Sade.

Son livre LES 120 JOURNÉES DE SODOME est un excellent exemple d’œuvre TRASH, tout comme 18 MEURTRES PORNO DANS UN SUPERMARCHÉ de Philippe Bertrand, ou encore comme le nullissime BAISE MOI au cinéma, le désormais célèbre navet de Virginie Despentes et Coralie Thrin Thi.

GORE STORY est un livre du genre GORE comme LE RÉVEIL DES MORTS VIVANTS de John Russo, ou HERBERT WEST RÉANIMATEUR du grand HP Lovecraft… encore étonnant qu’à l’origine, GORE STORY ait été édité aux éditions TRASH.

UN AUTEUR TUE SA TUEUSE
*-Hier un type est venu me reprocher davoir
fait mourir mon personnage. Il m
a menacé,
Noémie est intervenue, ils se sont disputés,
et il a fini par se mutiler avant de disparaître.*
(Extrait : GORE STORY)

Je n’ai jamais été un amateur de gore et ce n’est pas le livre de Bergal qui m’a réconcilié avec le genre. Je trouve toutefois intéressant de voir évoluer une histoire dans laquelle un romancier tue son personnage principal, Bloody Mary, après lui avoir fait couler le sang aux gallons sur 37 livres. Je m’attendais à une touche d’originalité, je n’en ai pas trouvé. J’y ai noté toutefois certaines qualités qui plaisent dans les circonstances.

Par exemple l’humour…il sera soit noir soit coquin, mais on en trouve beaucoup dans GORE STORY : *…Marguerite voyait tout et son cerveau fonctionnait à merveille. Il y avait longtemps qu’elle avait repéré la complicité entre l’auteur et l’attachée de presse et elle avait eu vite fait d’additionner deux et deux pour trouver soixante-neuf.* (Extrait)

Dans ce livre l’humour noir arrache des sourires et peut aussi générer des frissons : *En deux ou trois coups, la tête partit vivre sa vie de son côté tandis que le reste du corps demeurait allongé façon Louis XVI sur la table LOUIS XV.* (Extrait)

Intéressante aussi est la façon dont Bergal insère l’humour en tournant les phrases de façon rythmique à grand renfort de jeux de mots : *La nuit noyait les lieux comme une nappe de néant où n’entrait nul néon mais quelques noctambules noctambulaient néanmoins nonobstant la noirceur nocturne…* (Extrait) Autant de tournures de phrases qui sont rythmiques en effet mais qui ne veulent pas dire grand-chose.

En général, les livres du genre GORE ne sont pas très longs et sont extrêmement violents, le sang coulant à flot. Dans Gore story, ne manquerait qu’un vampire pour tout nettoyer (si je veux prendre mon tour de faire une blague douteuse).

L’auteur aurait pu innover tout en restant dans le genre. Malheureusement, ce n’est pas le cas, sur le plan littéraire Gore story présente beaucoup de lacunes comme d’ailleurs les autres histoires gore que j’ai lues dans les dernières années. L’aspect policier/enquête est sous-développé. D’ailleurs la trame en général est sous-développée.

Une fois qu’un meurtre est commis, on dirait que l’auteur expédie sa petite cuisine pour passer plus vite au meurtre suivant. À partir des trois quarts du livre, on sent l’essoufflement de l’auteur jusqu’à la finale qui est carrément catapultée sans oublier l’écrivain Fabien Chevriez qui fait copain-copain avec la commandant de police. C’est d’un kitch absolu.

Enfin, il n’y a pas d’émotion dans cette histoire comme dans Jason ou Freddy au cinéma. Dans GORE STORY, Fabien Chevriez perd ses amis un par un avec un détachement choquant. Je ne crois pas vraiment que le gore soit hermétique au changement. C’est l’auteur qui en décide. GORE STORY est saturé de rouge et ça s’arrête là. Heureux de passer à autre chose.

Suggestion de lecture : DREAMWALKERS, d’Alain Lafond

Gilles Bergal est un Pseudonyme de Gilbert Gallerne. Il est né en 1954, est un écrivain français de roman policier, lauréat du Prix du Quai des Orfèvres 2010. Banquier de profession, il a été critique littéraire et a traduit plusieurs best-sellers américains. Le fantastique est son genre littéraire préféré. Sous son pseudonyme, il a publié plusieurs nouvelles, des romans d’horreur et sous le nom de Milan, il a publié le cycle ANTICIPATION. Il publie maintenant sous son vrai nom chez Fleuve Noir. Il collabore régulièrement à une revue consacrée à l’écriture. Dans sa chronique intitulée ÉCRIRE, il donne de judicieux conseils aux jeunes auteurs émergents.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 14 décembre 2019

 

FISSURES NOIRES, le livre de JESS KAAN

<Dylan Coudrelier s’était effondré face contre
terre, provoquant l’hilarité de ses amis, un rire
de gosses habitués à se souler et tomber ivres
morts. Mais la marrade avait vite cessé quand
la tête de Max…avait explosé et souillé le
carrelage de l’entrée de sang, d’os et de
cervelle.>
(Extrait de la nouvelle UN HABITANT, UNE BALLE, du
recueil FISSURES NOIRES de Jess Kaan, Éditions Le
Héron d’argent, 2014, édition numérique et de papier,
336 pages)

Les élèves d’un car scolaire meurent dans des circonstances mystérieuses, un étrange cocon rouge serait en cause… 1916, sur le front allemand, un mystérieux tableau garderait il ouvertes les portes de l’enfer ? Pendant une amicale, un sniper frappe. Les morts s’accumulent. La peur ajoute au ravage. Qui survivra pour raconter. À Locquières, un chômeur profanant la tombe de son patron s’apprête à réveiller d’inquiétantes forces obscures. Vous vous préparez à lire des nouvelles inquiétantes dans lesquelles l’univers familier se délite et laisse place à l’Ailleurs. Et si notre réalité commençait à se fissurer…

Les titres du recueil étant assez évocateurs, j’en reproduit ici la liste :

KÉVIN, CHUTE D’UNE DAMNÉE, RUSTBELT, ÉPIÉS, UN HABITANT UNE BALLE, SHROMAZDISTE, L’INTRIGUE, LE SYNDROME DE MIDAS, LES CHATS, 59, TOUTE LA PEINE DU MONDE, 915, PAUPÉRISATION, LE RESTOROUTE, APRÈS LE NEKKER, FANTASY IMPROMPTUE, CRUEL HIVER, LA GUILDE DES AVALEURS D’ASPHALTE, LES HERBES HAUTES, FENÊTRE OUVERTE SUR…, MACHINE À BROYER LA JEUNESSE.

LA RÉALITÉ QUI BASCULE
*Aux survivants, nous offrirons la beauté absolue
et l’éternité. Mais ils pourront toujours renoncer
à ces dons en se suicidant. Si vous voulez survivre,
il vous faudra renoncer à la technologie et à
toute forme artistique…*
(Extrait de la nouvelle «59» du recueil FISSURES
NOIRES de Jess Kaan.)

C’est un recueil intéressant qui se caractérise par une belle variété de styles et d’influences. J’y ai savouré du bout de la langue un peu de Guy De Maupassant, EDGAR ALLAN POE et même THÉOPHILE GAUTHIER car il faut bien préciser ici la différence entre le *fantasy* et le *fantastique*. Dans le recueil de Kaan, il n’y a pas de sorcière, de dragons ou d’elfes.

Dans FISSURES NOIRES, on trouve plutôt des personnages qui tentent de se tenir la tête hors de l’eau dans leur fleuve de misère. Je ne vous cacherai pas que les nouvelles dans l’ensemble sont plutôt noires et mettent lez nez de la Société sur les misères qu’elle a créé elle-même…

Un aspect extrêmement intéressant de ces nouvelles, c’est que dans l’ensemble, elles commencent par la réalité. Le décor est planté dans un ordinaire très noir, puis, bascule peu à peu dans une distorsion de la réalité. L’auteur crée alors une brèche, une fissure donnant accès à une dimension surnaturelle. Sa façon de le faire est remarquable. C’est la grande force du recueil.

L’auteur est très habile et manie parfaitement l’art de la nouvelle. Par ses nouvelles, il présente un portrait peu flatteur de la société. Dans chaque nouvelle, il y a un petit quelque chose de sombre, de malsain même qui va crescendo.

Chaque nouvelle laisse un petit goût amer, mais aussi, développe le goût onirique de faire un ménage dans la société, un ménage qui commence d’abord par soi-même : voyons quelques extraits :

*Afin de prouver que je ne suis pas fou et que les mutilations que je vais m’infliger ne résultent pas d’une maladie mentale, voici quelques détails me concernant : je m’appelle Arnaud Ribauval* (Extrait : LES HERBES HAUTES)

ou encore cet extrait de ma nouvelle préférée : 59 qui pourrait faire l’objet d’un roman complet comme beaucoup d’autres des nouvelles de ce recueil d’ailleurs, à cause de l’originalité des sujets. Chaque nouvelle constitue une petite fresque de la société dans ce qu’elle a de pire, ce qui n’est pas pour me déplaire.

*Nous sommes les gardiens d’Agven. Écoutez-nous humains, car il en va de votre vie. Dans huit jours exactement et à cette heure, il ne restera plus sur terre que 59% d’entre vous que nous stériliserons. Les autres, nous les aurons éliminés, car nous en avons décidé ainsi* (Extrait : 59)

Ces mystérieuses voix qui viennent d’une fissure laissent le choix aux épaves entre l’alpha et l’oméga : *Aux survivants, nous offrirons la beauté absolue et l’éternité. Mais ils pourront toujours renoncer à ces dons en se suicidant* (Extrait : 59) langage direct sur la crasse que camoufle habilement la Société.

Vous comprenez sans doute mieux maintenant la signification du titre. Ces fissures altèrent la réalité des hommes pour les placer face à eux-mêmes. Ça ne fait pas très sympathique mais l’écriture est d’une remarquable beauté et va bien au-delà d’une simple histoire. Il y a des leçons à tirer et tant qu’à tirer, on peut supposer qu’il y a de l’espoir.

J’ai beaucoup aimé ce recueil. Tout est sombre c’est vrai. Mais le livre a deux forces qui tranchent : Les brèches dans la réalité, ces fissures qui nous font verser dans le fantastique mettent notre société face à elle-même avec ce qu’elle a de plus tordu, mais c’est écrit, imaginé avec une finesse qui m’a fasciné, voilà pour la première force et il y a, je l’ai déjà dit, la beauté de l’écriture et une parfaite maîtrise des sujets.

L’écriture est aussi fluide et le propos très direct…pas de temps mort, aucune déviation. Les décors sont savamment plantés. Lisez les titres plus haut, regardez bien la page couverture au début de cet article…tout est en place pour nous amener dans un ailleurs, mais en douceur…

J’en ai déjà parlé sur ce site, écrire une nouvelle est souvent difficile. C’est un art. Il faut couper court et jongler entre le raisonnement cartésien et la fluidité de l’écriture de façon à figer le lecteur et finalement l’engloutir et le pousser à l’empathie pour plusieurs personnages.

Il y a dans l’ensemble un petit aspect philosophique, une observation méthodique des travers de la société. Pas d’erreur, FISSURES NOIRES est une réussite. Je vous recommande ce livre sans hésiter.

Suggestion de lecture : NOUVELLES NOIRES, recueil de Renaud Benoit

Né sur les bords de la mer noire, Jess Kaan est un auteur éclectique puisque ses écrits couvrent les champs de la science-fiction et de la fantasy humoristique et surtout du fantastique. Ses récits, ayant souvent comme toile de fond le nord du Pas de Calais, naissent d’anecdotes vécues ou entendues.

L’auteur s’est donné comme objectif de pousser le lecteur à éprouver de l’empathie pour ses personnages et de les confronter ainsi à la déglingue de la réalité. Il a reçu en 2003 le prix Merlin pour sa nouvelle L’AFFAIRE DES ELFES VÉROLÉS et en 2005 le prix de l’armée des douze singes. Un de ses scénarios écrits en 2012 a été adapté pour un court métrage.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 8 décembre 2019

TAG, le livre de GHISLAIN TASCHEREAU

*Il vous est garanti que le corps de la cible
disparaîtra et ne sera jamais retrouvé…
puisque je n’ai rien contre le bénévolat,
sachez que… UN DÉFAUT DE PAIEMENT
VOUS SERAIT FATAL.*
(Extrait : TAG, Ghislain Taschereau,  Les Éditions
Goélette, édition de papier, 265 pages)

Tag est un tueur à gages. Il a deux problèmes principalement : il méprise l’humanité en général et l’être humain en particulier et souffre d’un énorme sentiment de frustration. Le tueur à gages serait-il devenu sensible ? Pas nécessairement. Tag ne sait pas encore si tous les humains méritent la mort ou si on peut en sauver quelques-uns. Il ne va pas tarder à le découvrir grâce à une expérience étonnante qu’il prépare avec un soin méticuleux et exécute avec un exceptionnel souci du détail. Cette expérience en est une de déconditionnement. Tag est-il un fou dangereux ou encore un justicier irréaliste ?

HUMAINE DÉMENCE
*Il fit vite coulisser la portière de la fourgonnette
et prit la tête du juge dans un étau. Dizcoti glapit
tandis que TAG le halait à l’intérieur du véhicule.
Sa mauvaise forme physique fit en sorte qu’il
s’éteignit facilement et rapidement…*

(Extrait : TAG)

Ghislain Taschereau nous livre cette fois l’histoire de Loïc L’Heureux appelé TAG, un tueur à gage misanthrope et froid qui n’a qu’un rêve, et il s’en fait même un objectif : détruire l’humanité : *Il faut que je parvienne à la grande extinction. Je ne veux plus avoir mal à mon espèce. * (extrait)

D’ailleurs Tag ne tue pas. Il *éteint*. Dans sa mentalité, ce n’est pas du tout la même chose. Vous aurez compris que TAG voue une haine profonde pour l’humanité : *Je hais les humains. Ces ordures me font regretter de faire partie de leur sale race. Je les hais tous profondément et avec attention. * (Extrait)

Dans l’évolution du récit, TAG consacre son temps principalement à trois activités : remplir des contrats *d’extinction*, déconditionner des humains, c’est-à-dire les remettre sur la bonne voie selon les critères de TAG et enfin, travailler à son grand projet d’extinction de l’humanité.

Première chose importante : Taschereau a vraiment bien travaillé son personnage. Malgré toute la haine qu’il peut cracher, la psychologie du personnage ne m’a pas repoussé. Je veux en dévoiler le moins possible parce que lire TAG, c’est aller de découverte en découverte. Devant l’impossibilité de réaliser son rêve, TAG devient un expérimentateur.

Sa haine est manifeste mais sa recherche du bon m’a semblé évidente. En fait Taschereau nous décrit un esprit à la dérive un peu comme s’il prenait un pot à la santé de la connerie humaine. TAG est un personnage recherché et profond. Sa psychologie est complexe mais ses motivations sont limpides.

Dans une entrevue accordée au Journal de Montréal en 2014, Ghislain Taschereau expliquait à la journaliste Marie-France Bornais qu’en créant TAG, personnage habité par la haine et la violence, il voulait provoquer une prise de conscience de la bêtise humaine.

Il a donc donné à son personnage les moyens, la rigueur et la froideur pour y parvenir. Autre force majeure du livre, son auteur a su entretenir l’intrigue jusqu’à la finale probablement parce que le personnage lui-même EST une intrigue.

Malgré tout, l’auteur l’a mis en position d’être compris à certains égards par le lectorat. En effet, qui n’a pas rêvé tôt ou tard de débarrasser l’humanité de sa mauvaise graine : meurtriers, violeurs, pédophiles, dictateurs sanguinaires et autres… loin de moi l’idée d’excuser le personnage mais je suis sûr que les lecteurs et lectrices vont trouver dans le récit un petit quelque chose qui va venir s’ajuster à leur philosophie sociétale.

Enfin un dernier point à signaler : l’auteur fait preuve d’un certain humour dans son livre et je ne me limite pas au fait que c’est toute la société qui est tournée en dérision mais sa façon de s’exprimer, surtout dans ses comparatifs m’a arraché quelques sourires :

*Quand TAG s’enquit de l’endroit où se trouvaient les *internets* rapides, une vieille serveuse, maquillée comme un clown qui se serait voulu sexy lui désigna trois petites portes…* (Extrait)

J’ai toujours aimé cette façon de mettre de l’humour dans un texte, aussi dramatique puisse-t-il être. Quant à la finale, je dirai que dans le dernier quart, le récit prend toutes sortes de directions et perd de sa spontanéité. Le personnage principal se cherche, allant d’idée en idée. Toutefois, Les trouvailles qu’on y fait, issues d’un esprit qui dérape complètement garde le lecteur dans le coup jusqu’au puissant et dramatique point final.

J’ai aimé ce livre et je le recommande. Je n’ai pas vu le temps passer. Il se lit très vite. Il est accrochant, à la rigueur troublant. L’histoire est assortie, peut-être même enrichie d’une vision ironique, voir acide que l’auteur se fait de la Société. J’ai trouvé l’ensemble original…à lire.

Suggestion de lecture : CHARADE, de Laurent Loison

Ghislain Taschereau est un comédien, humoriste, réalisateur et auteur québécois né en 1962. Sa carrière d’humoriste est extrêmement substantielle. Elle a commencé en 1989 comme scripteur à l’émission 100 LIMITES, un bulletin de nouvelles plutôt mordant qui était diffusé à TQS. Fort de cette première aventure, Taschereau a enchaîné avec Bob Binette, les Bleus poudre et j’en passe.

Sur le plan littéraire Ghislain Taschereau a connu un succès flatteur avec un personnage qu’il a créé, L’INSPECTEUR SECTEUR qui a ceci de particulier, que pour être le meilleur inspecteur de police de la planète pendant toute sa vie il a invoqué Satan involontairement et lui a vendu son âme sans à peine s’en apercevoir. Cette création a valu quatre best-sellers à Taschereau.

BONNE LECTURE
Claude Lambert

Le dimanche premier décembre 2019

H+ : Tome 1 TRANSMUTATION, de CÉLIA IBANEZ

*Moi je fais partie des H N A : les humains non améliorés, de la région la plus sinistre d’Allantys. Des bouges incapables de <Googleiser> une information à partir de leur cerveau…des sombres crétins tolérés par le gouvernement sans avenir…* (Extrait : H+ , tome 1, TRANSMUTATION, Célia Ibanez, À l’origine, éditeur Green Light, 2017, version audio : Audio livre-14, narration : Emmanuelle Lemée, 2018 duré d’écoute : 7h5m , captation : Audible)

Vénus est une H.N.A. – humaine non-améliorée – qui rêve de quitter sa banlieue défavorisée pour vivre à Solon, la capitale d’Allantys, à la pointe de la modernité. Mais comment trouver un emploi et envisager l’avenir sans moteur de recherche greffé dans le cerveau et sans puce d’identification ? Comment devenir riche et célèbre quand on est née en marge du système ? Quand elle apprend qu’elle est la grande gagnante d’un concours national sur plus de vingt mille candidats, son rêve prend forme : en acceptant les termes du contrat, elle aura la chance de devenir un humain de huitième génération. Mais ira-t-elle au bout des conditions ?

AU-DELÀ DE LA TRANS HUMANITÉ
*C’est vraiment la chose la plus bizarre que j’ai jamais
vue. À Solhan, la mode est aux B M V…les bijoux
mutants vivants. Ils sont créés en laboratoire, dressés
pour nous servir…je croyais que c’était une légende
urbaine…*
(Extrait)

L’histoire se déroule dans une société futuriste à caractère dystopique sur une planète fortement abimée par une absence totale de conscience environnementale. Le prolétariat, le petit peuple est composé de HNA, c’est-à-dire les humains non améliorés.

Selon sa position, ses moyens, ses relations, sa chance et autres facteurs, un HNA peut atteindre des grades supérieurs allant de HA1 à HA8. Le HA8 est presque complètement bionique, immortel, pas besoin de dormir, accès illimité à Internet par le cerveau et j’en passe. C’est le summum du transhumanisme…le rêve ultime.

TRANSMUTATION raconte l’histoire de Vénus Myr Garcia, une jeune femme issue du *boyau*, un quartier misérable de Sorgem. Un jour, Vénus reçoit une lettre du président Atlas qui lui confirme qu’elle a gagné le grand prix d’un concours national auquel ont participé pas moins de 20,000 personnes. Ce grand prix n’est rien de moins qu’une transformation en HA de huitième génération…le top…aux limites de la perfection.

Toutefois, le processus qui mène aux premières phases de la transformation est perturbé par *Les anges de la liberté*,  un groupe rebelle hostile à la trans humanité . Une chaîne d’évènements amène Vénus à faire la connaissance d’un ange illustre : Harry Dum Lunel, beau, sexy, charmant, magnétique… Vénus développe un sentiment tellement fort qu’elle aura à faire un choix entre réaliser son rêve ou devenir une icône de la révolution. 

C’est un livre fascinant. Une histoire originale qui plonge le lecteur dans les arcanes de la trans humanité, un processus à la fine pointe de la science et de la technologie qui amène l’homme et la femme à s’améliorer, devenir énergique, performant, endurant, cérébral. Le récit fait l’étalage de subtilités scientifiques, de technologies complexes et présente de façon détaillée la trans humanité avec ses tenants et aboutissants.

J’ai été fasciné à plusieurs égards : d’abord, l’idée même des stades de perfectionnement de l’être humain, l’univers même créé par Célia Ibanez qui a fait preuve d’une imagination presque sans limite avançant par exemple l’idée que le cerveau humain soit doté d’un moteur de recherche. Je frémis à l’idée d’avoir Google dans ma tête avec un forfait internet illimité. C’est une trouvaille.

L’auteure décrit avec un remarquable souci du détail Solon, la capitale d’Allantys dotée d’incroyables gadgets technologiques. Ibanez décrit aussi avec un luxe de détails tout le rituel social et le train de mondanités qui caractérisent chaque stade d’amélioration. Je vous laisse imaginer tout le <pourléchage>  qui entoure la transformation en H8.

C’est un livre qui nous amène de découverte en découverte, de trouvaille en trouvaille et qui aboutit sur un déchirement qui annonce un tome 2 fort intéressant. Vénus est attachante. La plume est fluide, légère et extrêmement généreuse, ce qui compense pour la narration d’Emmanuelle Lemée qui est plutôt hésitante avec tendance à s’enfarger sur les mots compliqués. Elle a une belle voix, mais sa prononciation a tout juste la note de passage.

Donc Vénus est sur le point de se laisser aller dans l’ultime processus d’hybridation. Ira-t-elle au bout? C’est ce que nous dira le tome 2. Entre temps, je vous recommande ce livre qui a été pour moi un excellent divertissement en plus d’être un puits de réflexion sur l’avenir de l’humanité et le futur de l’intégrité de l’homme.

Suggestion de lecture : LA FANTASTIQUE ODYSSÉE : Chérif Arbouz

Célia Ibanez est née en 1982 à Marseille. Elle est aujourd’hui conférencière dans le domaine de l’ésotérisme, et spécialisée dans l’étude des sociétés secrètes. Ses différents voyages l’ont amenée à consacrer une part croissante de son attention aux religions et traditions spirituelles, ainsi qu’aux évènements de l’actualité, qui constituent la principale source d’ inspiration du Cinquième Monde, sa première série de romans. Célia Ibanez accompagne des enfants ayant des troubles de comportement.

 

La narratrice française Emmanuelle Lemée : 120 livres audio en 8 ans.

LA SUITE :

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 16 novembre 2019

LÉDO, un roman sombre de PIERRE CUSSON

<Tu vas voir, salaud, lequel des deux est le plus fou…Le triangle enflammé n’est plus qu’à vingt mètres. Le moment est arrivé…> (Extrait : LÉDO, Pierre Cusson, Éditions Pratiko/ Polar presse, édition numérique, 375 pages)

La petite ville de Ste-Jasmine et l’inspecteur Réginald Simard sont aux prises avec une série de meurtres tous aussi horribles que mystérieux. Un dangereux criminel court les rues et semble insaisissable. Il s’acharne à narguer Simard en le ridiculisant par des notes laissées sur les lieux de ses méfaits. La clé de l’énigme est confinée dans les dossiers de l’éminent policier.

De nombreux rebondissements viennent compliquer l’enquête et au moment où le mystère Lédo semble résolu, surgit alors l’impensable…*Un être aussi abject, d’une perversité aussi extrême, ne peut continuer à faire partie intégrante d’une société* Extrait

PSYCHOPATHE ET PIRE…
*Recouvert d’une mince couche de frimas, le corps
de Rita Donovan gît tout au fond, sur un lit de
petits paquets de viande et de boîtes de produits
de toutes sortes.. À ses pieds l’accompagne son
caniche…*
(Extrait : LÉDO)

Comme la plupart des livres de Pierre Cusson, Lédo est un roman policier très sombre. Pour vous placer le mieux possible dans le contexte, je pourrais comparer le style de Cusson à celui de Martin Michaud (voir la chorale du diable) ou encore à celui de Chrystine Brouillet. Ces auteurs ont une capacité de montrer jusqu’où peut descendre la bêtise humaine.

Dans LÉDO, la petite ville de Sainte-Jasmine est le théâtre de meurtres aussi horribles que mystérieux. Des meurtres qui laissent supposer que les victimes ont subi une innommable torture. Un criminel dégénéré court les rues, insaisissable et pousse la provocation jusqu’à laisser des messages à l’inspecteur Réginald Simard qui enquête sur ces meurtres :

*«Que fais-tu Simard? Tu arrives trop tard. Il ne te reste plus qu’à ramasser les ordures. Comme d’habitude. Tu es un incompétent et jamais tu ne pourras m’attraper. Mais comme je suis généreux, tu auras encore ta chance. Ce petit salaud n’est pas le dernier. Alors à bientôt, Réginald. xxx.»* (Extrait)

J’ai plongé dans cette lecture et je n’ai jamais vu le temps passer. Intrigue, mystère, énigmes et beaucoup de questionnements. Il semble que plusieurs victimes étaient loin d’être des enfants de chœur. Mon attention était déjà soutenue jusqu’au milieu du récit où j’ai eu droit à un véritable coup de théâtre, l’histoire a fait un extraordinaire virage sans nuire en quoi que ce soit au fil conducteur.

N’ayant aucune idée du nombre de pages restantes, je croyais que l’histoire était terminée. Mais non. J’étais au milieu. La deuxième partie m’a catapulté dans une forte addiction qui m’amenait de surprise en surprise.

Pierre Cusson a fort bien soigné la psychologie de ses personnages et a orchestré une histoire noire dont certains passages sont à soulever le cœur et poussent le lecteur et la lectrice à se demander s’il est possible que l’homme puisse descendre aussi bas. Je vous fais grâce des détails mais en dehors des exactions humaines heureusement décrites avec une certaine retenue, nous avons ici un excellent roman policier, très bien écrit.

Le style de Cusson est très direct et le caractère haletant de l’histoire ne ménage pas le lecteur. Bavures, errance policière, traîtrise… La plume est forte. Il n’y a pas de longueurs, pas de temps morts. Le coup de théâtre au milieu du récit m’a pris par surprise et j’ai trouvé la finale fort imaginative et qui n’est pas sans laisser le lecteur avec de la matière à réflexion.

En fait, le principal questionnement ici est le fait de se faire justice soi-même. *«Se faire justice soi-même est un grave délit. Laisser errer un meurtrier parmi les innocents, c’est de la folie pure et simple», Ce sont ces phrases que Réginald Simard avait criées à Marcel Vincelette alors que ce dernier quittait sa chambre à l’hôpital de Sainte-Jasmine.* (Extrait)

Est-ce qu’on est en droit de dire que quelqu’un ne mérite pas de vivre? Que la seule façon d’empêcher une récidive de la part d’un meurtrier est de l’abattre ? Est-ce qu’on peut se substituer à la justice ?

Qui n’a pas été tenté de le faire ? La loi est claire. Il y a la justice qui est là pour ça. Elle est lente. À beaucoup, elle donne l’impression d’être détraquée. La justice est aveugle comme le dit l’expression consacrée, mais c’est la justice. Le livre pose ou peut-être devrais-je dire *expose* une question : Est-il possible qu’il se présente des circonstances qui ne donnent pas le choix ?

Plusieurs personnages ne sont pas tous ce qu’ils prétendent être. C’est un beau défi de lecture car on va de rebondissement en rebondissement et l’énigme s’épaissit au fur et à mesure de la progression de l’histoire et la première conclusion tirée au milieu de l’ouvrage est surprenante. Pour ceux et celles qui aiment les lectures *hard* et *gore* pour utiliser un langage exceptionnellement familier, LÉDO est pour vous.

Suggestion de lecture : DANS L’OMBRE DE CLARISSE, de Madeleine Robitaille

Au moment d’écrire ces lignes, les notes biographiques sur Pierre Cusson étaient à peu près inexistantes. Je sais que Pierre Cusson est né en 1951 en Montérégie au Québec et que toute son enfance a été imprégnée des histoires d’Hergé, de Jules Verne et d’Henri Verne et plusieurs autres auteurs et qui ont contribué au développement de l’imagination déjà fertile de Pierre Cusson. Pour suivre cet auteur, cliquez ici.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 9 novembre 2019

LE CHIFFREUR, livre de CHRISTINE BENOIT

*…Il resta immobile face au spectacle abominable
qui se jouait dans le salon. Ses jambes vacillèrent
sous l’effet d’une profonde répulsion. Il sentit son
cœur se fendre dans le gémissement qu’il poussa.*
(Extrait : LE CHIFFREUR, Christine Benoit, Les Éditions de
Mortagne, 2007, édition de papier, 480 pages)

Dans une ville provinciale de France, plusieurs meurtres sont commis plongeant la ville dans une psychose générale. À priori, il n’existe aucun dénominateur commun entre les victimes. Le tueur, perfectionniste, utilise un mode opératoire différent pour chaque victime. Seule sa signature prouve le lien entre les meurtres : un nombre tracé au feutre rouge dans la main gauche de chaque cadavre. Dans cette course contre la montre, le capitaine Nichas devra faire appel à une éminente criminologue pour dresser le profil psychologique de ce tueur aux méthodes surprenantes. Quelles sont ses motivations…?

LE TUEUR AU FEUTRE  ROUGE
*Un quart d’heure plus tard, Pierre Belcourt téléphonait
au capitaine Nichas pour lui annoncer qu’il venait de découvrir
…le cadavre de Cyril Lachaume, handicapé mental, trente-trois Ans, égorgé, puis découpé en quatorze morceaux, pièces
manquantes : Viscères et verge. Meurtrier droitier, pas
d’empreintes ni de traces du suspect. Chiffre 2 écrit au feutre
rouge dans la main gauche.*

Cette histoire développe et analyse une folie meurtrière. J’aurais été tenté de dire, l’histoire d’un homme qui se prenait pour Dieu et alors c’eut été une variation sur un thème connu : *Quant à lui, il accédait à l’autorisation merveilleuse d’enlever la vie à celui qui ne la méritait pas. *  (Extrait) mais ce n’est pas aussi simple. Donc les meurtres s’accumulent dans une petite ville de France.

Ces meurtres semblent disparates à une exception près : un chiffre écrit au feutre rouge sur la paume de la main gauche. L’inspecteur Nichas s’enligne pour une cruelle chute de cheveux tellement la pression est forte sur ses épaules : *En cet instant, il ne pouvait que constater l’avance que le meurtrier prenait sur lui…il redoutait l’accélération de sa folie meurtrière*. (Extrait)

Toute la compréhension de cette histoire repose sur la nature des chiffres inscrits au feutre rouge sur une main des victimes. Et les policiers sont très longs à décoller sur cette piste, ce que je n’ai pas très bien compris : *Son seul regret : la police pataugeait. Il regrettait la stupidité des inspecteurs. À tort, il avait pensé qu’en leur laissant des messages chiffrés les flics comprendraient son but.* (Extrait)

Au début, j’ai vraiment cru que les chiffres sur les mains représentaient un ordre chronologique des meurtres. Je me suis vite rendu compte qu’il s’agissait d’une toute autre chose. En fait, le meurtrier avait détourné à des fins personnelles la valeur symbolique universelle des chiffres.

Les policiers ont fini par comprendre, et moi aussi qu’il n’y avait qu’une façon de résoudre ces meurtres, c’est en passant par la symbolique des nombres, la kabbale et l’alchimie. C’est là que j’ai commencé à m’ennuyer un peu.

Le chiffreur est un parfait illuminé qui croit manifester la volonté céleste. Pour comprendre le récit, à la kabbale et à l’alchimie s’ajoute la compréhension d’une psychologie très complexe qui dépasse de loin l’explication classique de l’enfance difficile.

Là où je veux en venir, c’est qu’à partir du moment où les policiers s’accrochent à la piste ésotérique, vous avez au moins deux spécialistes de la question qui viennent nous faire un cours sur la symbolique des nombres, sujet très complexe pour les non-initiés et qui fait que l’ouvrage accuse une lourdeur inadmissible.

Le tarot, la voyance, l’occultisme, la symbolique, l’alchimie…tous ces sujets ultra spécialisés éloignent le lecteur du sujet, diluent l’intrigue et ont provoqué chez moi une baisse d’intérêt. Le sujet demeure original mais je crois que l’auteure aurait pu couper court ou tout au moins alléger le sujet et garder solide le fil conducteur du récit.

*Une vengeance dans un esprit simple fonctionnait sur le registre œil pour œil, dent pour dent, et ne s’encombrait pas de tout ce folklore hermétique. Un intellectuel dépressif pouvait tout à fait cacher ses actions monstrueuses sous un fatras mystico-philosophique.* (extrait)  Pas de quoi écrire un volume à l’intérieur d’un volume et distraire ainsi le lecteur qui ne sait plus où donner de la tête.

En dehors du fait que le livre est un peu trop didactique à mon goût, LE CHIFFREUR est un bon drame policier. Sa trame est lourde mais elle est tout de même originale. Les personnages ont été très bien travaillés.

L’auteure, Christine Benoit leur a donné une dimension humaine intéressante un peu comme Nora Roberts le fait dans ses drames policiers avec des détails qui prennent souvent par surprise mais qui consacrent la crédibilité des personnages. En général, c’est bien ficelé.

Je crois toutefois important de rappeler que lorsque vous arriverez dans la partie du récit qui explore à fond la piste ésotérique, il faudra jouer le jeu de la patience et essayer de vous mettre dans l’esprit du chiffreur. Revoyez les extraits de cet article pour vous mettre en piste. Moi je ne l’ai pas trop regretté car je dois admettre que l’auteure nous a ménagé une finale intéressante.

L’exploration intéressante d’un esprit tordu… à lire si vous êtes patient…

Suggestion de lecture : SI JE TE RETROUVAIS, de Nora Roberts

Christine Benoit a enseigné l’économie et le droit du travail pendant 10 ans. Depuis 1991, elle dirige une clinique médicale et occupe les fonctions de gestionnaire dans une entreprise de restauration collective ainsi qu’au sein d’une entreprise agroalimentaire, qu’elle a respectivement créées en 1993 et 1996. Jonglant d’une main de maître avec un horaire chargé, elle réussit le tour de force de prendre la plume pour publier son deuxième thriller : LE CHIFFREUR.

BONNE LECTURE
Claude Lambert

le dimanche 22 septembre 2019

35 MM, le livre de CHRISTOPHE COLLINS

*-Excusez-moi…mais je suis un peu
sur les nerfs…et je sais que les
apparences ne sont pas en ma
faveur. Je ne connais pas ce type
étendu dans la chambre froide.
Mais c’est bien dans mon
restaurant qu’il est venu mourir.*
(Extrait: 35 MM, Christophe Collins,
Lune-Ecarlate éditions, numérique,
310 pages)

Birdies’fall, un village sans histoire est ébranlé quand un restaurateur découvre un cadavre dans sa chambre froide. Selon un officier de police, ce n’est qu’un clochard qui s’est soulé et s’est accidentellement enfermé dans la chambre froide et est mort gelé…banal…et puis Il ne faut surtout pas nuire à l’évènement annuel tant attendu dans la région : le grand tournoi international de golf. Jack Sherwood décide de pousser l’enquête malgré l’avis de son chef. Son intuition lui fait craindre le pire et effectivement, un meurtre s’ajoute…

UN TUEUR ÉTRANGE
*Le livreur entra dans la maison et referma
calmement la porte derrière lui. Il se pencha
vers Maxwell, un étrange sourire figé sur les
traits. « Fin de l’acte 1, siffla-t-il en décochant
un violent coup de matraque sur la tempe du
shérif*
(Extrait : 35 mm)

35 mm est un thriller qui ne réinvente pas le genre mais qui comporte des forces et quelques originalités. Voyons d’abord le contenu : l’histoire se déroule à Birdie’s Fall, un petit village tranquille avec une criminalité à peu près nulle et qui serait un parfait *nowhere* si ce n’était d’un évènement annuel qui accueille le gratin d’un peu partout dans le monde.

En effet, Chefs d’état, artistes, diplomates etc.,  s’y donnaient rendez-vous pour L’OPEN ANNUEL DE GOLF. Un jour, la paix apparente du village est rompue quand un cadavre est retrouvé dans la chambre réfrigérée d’un restaurant.

L’enquête est confiée à Jack Sherwood qui ne croit pas la version dite officielle du soulard qui s’est enfermé par erreur dans un réfrigérateur et qui est mort gelé. D’autres cadavres s’ajoutent : *Des notables liés entre eux par le secret…Qui finissent tués lors de mises en scène macabres…* (Extrait)

Les politiques et les chefs de police font tout ce qu’ils peuvent pour ralentir l’enquête de Sherwood pour ne pas nuire à la réputation du village et de son évènement annuel, la vache à lait du patelin : l’Open de golf. Mais cette obstination cache quelque chose de beaucoup plus lourd.

Ça peut paraître bizarre de s’exprimer de cette façon, mais le meurtrier dans cette histoire, de toute évidence très intelligent, fait preuve d’une rare originalité. Par exemple, le fait de coudre les pattes d’une tarentule (préalablement endormie) sur la poitrine de sa victime (qui est bien réveillée) et d’enduire les crochets de l’animal d’un poison. Ça fait, au bout du compte, un cadavre assez impressionnant.

Voilà qui traduit une force très importante du récit : l’originalité du tueur qui va jusqu’à donner des indices aux policiers pour les narguer, des indices qui sont en lien avec des films célèbres. Ça explique le titre et ça en dit très long sur la psychologie du tueur qui nous est dévoilée très graduellement par l’auteur :

*Du fard de couleur bleue. Histoire de donner au cadavre l’apparence d’un mort de froid…telle que la croyance populaire se l’imagine. Cela dénote d’une réflexion, d’un crime qui va au-delà de la simple pulsion .* (Extrait) .

L’intrigue elle, est assez bien menée mais elle accuse des faiblesses, un certain piétinement dans le fil conducteur de l’histoire et, au départ, un prologue très étrange, écrit au temps présent et qui représente à peu près l’idée que je me fais d’un faux départ. Il m’a donc fallu un certain temps pour être entraîné dans l’histoire mais ma patience a été récompensée comme ça se produit souvent en lecture.

C’est la crédibilité et la psychologie des personnages qui m’ont remis sur les rails. Une petite exception toutefois : Sherwood, le flic désabusé venu s’installer au milieu de nulle part pour enterrer un passé douloureux et qui se retrouve sur la piste d’un tueur en série. Cet aspect du flic instable dans une enquête est plus que réchauffé…il est brûlé.

Cette faiblesse s’endure à mon avis car si vous persévérez dans votre lecture, dites-vous que vous vous dirigez vers une finale impensable, un dénouement tout à fait imprévisible qui vous donne l’impression d’avoir été mené en bateau par un auteur habile et dont vous avez été incapable de percer le secret.

Alors il ne vous reste qu’à dire à l’auteur : Mission accomplie, et vous voilà sur la liste des lecteurs ou lectrices satisfaits… Enfin, notons des chapitres relativement courts et une plume fluide. 35 mm est un thriller original qui est allé au-delà de mes attentes. Les références cinématographiques sont particulièrement intrigantes. Bref, j’ai passé un très bon moment de lecture et je n’hésite pas à recommander ce thriller de Christophe Collins.

Suggestion de lecture : APOCALYPSE SUR COMMANDE, de Ken Follett

Né en 1970, Christophe Collins a publié plusieurs romans fantastiques, d’aventures et d’action à la fin des années 90. Il a également touché au théâtre, au seul-en-scène, à la radio, à la télévision, à la critique littéraire et à la poésie.

Sous le nom de Christophe Corthouts, il a travaillé pendant plus dix ans avec Henri Vernes sur les aventures de Bob Morane. En 2011, il publie L’ÉTOILE DE L’EST, la première enquête du commissaire Sam Chappelle de la police de Liège. En 2012, L’ÉQUERRE ET LA CROIX, la seconde enquête de Chappelle est dans les librairies. Avec 35 MM, il publie son premier thriller.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 9 juin 2019

L’APPÂT, enquête de Kelly McDade, livre de SYLVIE G.

*-Maman, quelqu’un doit arrêter ces fous et je pense que je peux le faire.* (Extrait : L’APPÂT, Les enquêtes de Kelly, McDade, Sylvie G., Boomerang éditeur, jeunesse, 2015, numérique, 324 pages.)


L’APPÂT raconte l’histoire de Kelly Mc Dade, une adolescente de 17 ans. Kelly prévoyait une rentrée scolaire excitante mais son année sera bien différente de celle qu’elle avait imaginée. En tentant de comprendre ce qui se cache derrière l’étrange métamorphose de son amie Jasmine, elle se retrouvera impliquée dans une enquête criminelle et devra faire face à des cyberprédateurs. Heureusement, elle sera secondée par un bel enquêteur…Au départ Kelly découvre que Jasmine vit très péniblement sa séparation avec son petit ami. Elle semble changée. Ajoutons à cela la directrice adjointe qui semble bien avoir disparu et d’autres bizarreries vont se rajoutées. Kelly veut en avoir le cœur net. Voici donc la première enquête de Kelly McDade. 

LE NET PAS NET

*«David est un type que j’ai connu sur internet. J’ai discuté
longtemps avec lui sans jamais avoir l’occasion de le
rencontrer. Malgré tout, nos conversations ont pris une
direction un peu inattendue. Pour moi,  en tout cas, ce
l’était. Je voulais le voir, mais il remettait constamment
notre rendez-vous. Pour des raisons que je comprends
maintenant.*
(Extrait : L’APPÂT)

C’est un livre qui pourrait plaire aux jeunes en fin d’adolescence et aux jeunes adultes. Dans L’APPÂT, Sylvie G. introduit un sympathique personnage dans un genre relativement nouveau en littérature : le *policier-jeunesse* : il s’agit de Kelly McDade, une jeune fille de 17 ans qui ressemble à beaucoup de jeunes filles de son âge, énergique, enjouée, sensible à sa famille et elle accorde une grande importance à l’amitié. C’est un point fort du roman, les jeunes vont se reconnaître.

Le fil conducteur du récit est à la fois solide et simple : une de ses meilleures amies, Jasmine subit une transformation. Kelly veut tout savoir sur cette bizarre métamorphose et enquête au moins pour savoir comment aider son ami. Il se trouve que la mère de Kelly est officier-inspecteur de police et parmi ses employés, il y a Derek, un adonis de 22 ans qui fait la connaissance de Kelly…les deux ont le coup de foudre.

Il y a des éléments que je trouve surréalistes dans ce récit, par exemple, la maturité de Derek qui est un peu poussée pour son âge. Ensuite, il y a l’omniprésence de Kelly, elle est partout et souvent comme par hasard. Je trouve aussi surréaliste qu’une jeune fille de 17 ans serve d’appât et objet d’infiltration en se mettant en danger de mort malgré les précautions prises.

Ce qui m’a le plus irrité dans L’APPÂT c’est la relation entre Derek et Kelly qui prend presque toute la place dans les deux premiers tiers du livre. Ce bouquet romantique met l’enquête dans l’ombre un peu trop à mon goût.

J’ose croire que Sylvie G. prend bien son temps pour exposer le profil psychologique et sentimental de ses personnages étant donné que L’APPÂT inaugure une série sous le titre LES ENQUÊTES DE KELLY McDADE. Je peux espérer donc que cet aspect sera réduit sans être nécessairement occulté du moment que l’intrigue n’est pas noyée.

Malgré tout, dans mon rapport de forces et de faiblesses, L’APPÂT se positionne très bien. Il y a beaucoup de points forts : Les personnages sont attachants, je pense entre autres à Jason, un collègue de Derek, un petit comique qui apporte un bel équilibre à l’ensemble, à part peut-être les nombreux tête-à-tête entre Kelly et Derek, il n’y a pas de longueurs. La plume est fluide, c’est agréable à lire.

Le troisième tiers du livre est venu m’accrocher, comme quoi il vaut la peine d’être patient. L’épisode où Kelly sert d’appât est particulièrement bien fignolé. Si je suis devenu presque aussi nerveux que Kelly, c’est que l’auteure a provoqué l’émotion en maintenant pendant un long moment une évidente intensité dramatique.

Enfin, dans L’APPÂT, sans être moralisatrice, l’auteure introduit un sérieux objet de réflexion. Il s’agit de la cyberprédation, ce cercle infernal dans lequel Jasmine est prise. Ça fait réfléchir car c’est un cercle qui se referme sur la victime comme un étau.

La cyberprédation a de redoutables corolaires : trafic humain, prostitution, drogue, violence. Rencontres virtuelles égalent danger. Le récit met en perspective la fragilité de l’adolescence et Jasmine en est le plus bel exemple.

C’est l’aspect le plus positif du livre : le message qu’il passe et la façon dont il passe. Là-dessus je pense que Sylvie G. a réussi son coup. Je déplore un peu le côté fleur bleue agaçant qui caractérise le récit dans les deux premiers tiers. Mais il y a suffisamment de points positifs pour faire de ce livre un succès en librairie.

Sylvie G. est une auteure québécoise. Depuis longtemps, elle met sur papier tout ce qui lui passe par la tête…prélude à sa passion pour l’écriture. Sylvie G. est intervenante auprès des jeunes en difficulté.

C’est en grande partie ce qui lui a donné l’idée d’écrire. Passionnée de psychologie et armée de son expérience en relation d’aide avec les jeunes, elle a créé des personnages attachants dont Kelly McDade, une adolescente sympathique qui aime aller au fonds des choses et qui a une âme d’investigatrice.

Sylvie G développe donc des romans à saveur préventive, c’est-à-dire qui visent à outiller les jeunes pour les aider à faire des choix éclairés. Dans l’appât, il est question de cyberprédation, dans ses prochains romans, elle développera entre autres, la drogue, le viol, l’intimidation. Sylvie G. a du pain sur la planche et Kelly aussi…

BONNE LECTURE
CLAUDE LAMBERT
JANVIER 2018

INDÉSIRABLES, le livre de CHRYSTINE BROUILLET

*Benoît avait levé sa main droite dans les airs,
Joss et Mathieu fondaient sur Pascal et son
cousin, leur arrachaient leurs masques en
poussant des cris de joie féroces. Maxime vit
la terreur déformer le visage de Pascal juste
avant que Mathieu lui enfonce une cagoule
noire sur la tête et la serre à sa gorge.
*
(Extrait : INDÉSIRABLES, Chrystine Brouillet, Les
Éditions de la Courte Échelle, 2003, num. 315pages)

Un homme sans scrupule tente de convaincre une jeune fille de tuer sa femme à sa place. Il avait souvent repensé au tueur qu’il avait engagé pour violer et assassiner Hélène, mais il ne se décidait pas à employer la même méthode pour être libéré de sa femme. Et il ne pourrait peut-être pas engager un tueur professionnel aussi aisément que la première fois et l’abattre après qu’il eut accompli son contrat sans être inquiété. L’adolescente accepte le contrat mais tente à son tour de manipuler un enfant pour qu’il accepte de commettre le meurtre

MANIPULATION MEURTRIÈRE
*Est-ce que tu pourrais nous préparer un
philtre royal? On le boirait ensemble…
Oublie ça. Reprit Betty. On n’en pas
besoin. Tu es le king et je suis ta queen.
On va se venger de tout le monde.

(Extrait : INDÉSIRABLES)

Je n’ai jamais été déçu par Chrystine Brouillet, y compris du temps où elle écrivait pour la jeunesse. Encore une fois, cette québécoise nous livre ce que j’appelle un roman *tricoté serré* : INDÉSIRABLES développe en convergence deux éléments.

D’abord, une enquête minutieuse sur la mort de Mario Breton qui coïncide avec des agissements bizarres du policier Armand Marsolais puis, l’histoire raconte le drame de Pascal, 12 ans, nouveau dans sa classe, petit, un peu chétif, très timide, introverti. Il devient vite la tête de turc de sa classe : intimidé, agressé, insulté, rejeté.

Maintenant, si je mets les deux éléments en convergence, ça nous donne le but de l’histoire que je résume rapidement ici. Marsolais, homme fourbe et sans scrupules veut profiter seul de l’énorme fortune de sa femme et décide de s’en débarrasser mais pas lui-même.

Il tente de convaincre Betty, une ado livrée à elle-même, égocentrique, violente et manipulatrice, de tuer sa femme à sa place. Betty qui veut se venger du petit ami qui l’a laissé tomber manipule à son tour le pauvre Pascal dont l’estime de soi est au plus bas, pour qu’il passe à l’acte et prenne à lui seul la culpabilité du crime.

J’ai été comme rivé à ce roman, inquiet pour Pascal, soucieux de savoir s’il va se sortir d’un fossé aussi profond sans accessoire. On appelle ça *entrer dans un livre*, plonger dans le récit et devenir prisonnier de sa trame.

Comme j’ai pu l’observer dans LE COLLECTIONNEUR, le roman INDÉSIRABLES est d’une extrême minutie, l’intrigue est extrêmement bien ficelée. J’ai bien aimé ma lecture même si l’édition électronique que j’ai utilisée était très mal ventilée. Les chapitres étant déjà assez longs, c’était un peu pénible, mais vue l’addiction développée pour cette histoire, je trouvais ça pardonnable.

Et puis j’ai retrouvé avec plaisir deux personnages sympathiques et attachants qui deviennent récurrents dans l’œuvre de Chrystine Brouillet : Maxime (SOINS INTENSIFS) qui vit maintenant avec Maud pendant la semaine et Grégoire (LE COLLECTIONNEUR) qui est devenu aide-cuisinier dans un prestigieux restaurant. En passant, Maud se fait toujours appeler BISCUIT.

Les deux garçons apportent à l’histoire une belle fraîcheur en plus d’être très utiles, à leur façon. Surtout que c’est Grégoire qui va enclencher sans le savoir le processus de conclusion de l’histoire.

En plus d’être d’une grande densité sur le plan littéraire, INDÉSIRABLES nous parle, nous aborde directement. Il y a un brassage d’émotions parce que le sort de Pascal a occupé mon esprit pendant toute ma lecture. Je me suis senti interpelé sur des problèmes rencontrés partout dans le monde et qui sont difficiles à résoudre parce qu’ils sont occultés, passés sous silence jusqu’à l’éclatement du drame.

Je parle de l’intimidation, du harcèlement, du taxage, de la violence verbale, psychologique et physique dans les écoles et de la manipulation. Tout ce qu’a vécu Pascal finalement, sans que personne n’intervienne. Pascal s’est isolé dans sa souffrance et sa solitude jusqu’à l’éclatement final car Betty est vraiment allée au bout de sa méchanceté.

Mais il n’y a rien de moralisateur ou d’accusateur entre les lignes d’INDÉSIRABLES bien au contraire. J’ai admiré le doigté et la sensibilité de l’auteure quant à la façon d’aborder ces problèmes sociaux criants. Je vous recommande donc INDÉSIRABLE et je dirai en terminant que le livre a une belle valeur pédagogique. On devrait en suggérer ou en imposer la lecture à l’école dès le premier secondaire. Une profonde compréhension du texte serait bénéfique à tout le monde.

Chrystine Brouillet est une auteure et chroniqueuse québécoise née le 15 février 1958 à Loretteville. Elle décroche le prix Robert Cliche dès le tout début de sa carrière avec CHÈRE VOISINE publié en 1982. De 1992 à 2002, elle publie près d’une douzaine de romans pour la jeunesse, surtout à la Courte Échelle. Cette période de sa carrière a été marquée par de nombreux prix prestigieux.

Mais ce qui fait que Chrystine Brouillet est passée au rang des auteurs les plus lus au Québec, tient d’un personnage qu’elle a créé, une femme inspecteur de police, héroïne d’une série policière de 1987 à 2013 : MAUD GRAHAM. La carrière de Chrystine Brouillet est gratifiée d’une prestigieuse reconnaissance littéraire dont l’Ordre de la Pléiade et en 1995, le grand prix littéraire Archambault.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le vendredi 15 mars 2019

 

CHRONIQUE D’UN MEURTRE ANNONCÉ, de DAVID GRANN

*Un complot, a écrit Don DeLillo, est tout ce que la vie quotidienne n’est pas. C’est un jeu pour initiés auquel on joue froidement…Nous sommes des innocents, à l’intelligence défectueuse qui nous efforçons de trouver un sens approximatif au chaos quotidien.* (Extrait : CHRONIQUE D’UN MEURTRE ANNONCÉ, David Grann,
t.f. Éditions Allia, Paris, 2013, édition numérique.)

Lorsqu’en 2008, le juge Castresansa s’empare de l’affaire du meurtre de Rodrigo Rosenberg, avocat guatémaltèque estimé, il ne sait pas qu’il va ouvrir une boîte de Pandore. Dans un pays où le complot est de règle et la corruption une éthique, la suspicion règne. Car cette enquête retrace aussi l’histoire d’un pays. Par une minutieuse reconstitution des faits, Grann montre que le crime s’accommode autant de vrais mensonges que de fausses vérités.

Le moteur du récit : de multiples retournements de situation. D’autant que David Grann parle par la voix de la victime. Voix d’autant plus gênante que l’homme est mort. La vidéo devient alors l’outil de la confession, en l’occurrence publique puisqu’elle est diffusée sur YouTube et fera évidemment le tour du monde. Ce livre est aussi la chronique d’une véritable crise politique.

LES RÈGLES DE L’IMPUNITÉ
*Le gang s’était forgé son propre langage codé :
les «verts» désignaient l’argent, «soulever
quelqu’un», c’était le kidnapper; et «canarder
une voiture» voulait dire assassiner quelqu’un.
Plus elle écoutait, plus l’agente comprenait que
«faire tomber un gros morceau», c’était tuer
quelqu’un de haut placé.*
(Extrait : chronique d’un meurtre annoncé)

J’ai été attiré par le titre, je n’ai pas été déçu par le livre même si j’ai trouvé l’édition numérique moins qu’ordinaire : pas de ventilation, pas de paragraphe, un texte en paquet de la page 1 à la page 100. L’éditeur aurait pu rendre le texte beaucoup plus présentable car le livre en vaut la peine.

Sa trame est complexe toutefois car l’auteur évoque l’affaire Rosenberg de 2009 qui avait secoué les milieux politiques guatémaltèques et par ricochet l’ensemble de la Société du Guatemala, un des pays les plus corrompus au monde.

Rodrigo Rosenberg, avocat célèbre enquêtait sur la mort violente de Khalil Musa, ami et homme d’affaire connu et de Marjorie, sa fille qu’il fréquentait secrètement. Un mois plus tard, le 10 mai 2009, Rosenberg est assassiné près de son domicile.

Il faut être très attentif à ce récit car il y a deux questions que le lecteur devra se poser jusqu’à la fin : À qui profite le crime ? Et quelles étaient les motivations profondes de Rosenberg. La réponse à cette deuxième question m’a donné une véritable gifle. Je ne peux rien dévoiler, mais le raisonnement fataliste de Rosenberg a de quoi surprendre.

Peu importe la façon dont Rosenberg est mort, on peut supposer qu’il en savait trop. Pour enquêter sur ce crime à saveur très politique, il fallait un incorruptible, denrée très rare au Guatemala. C’est un espagnol qui est désigné : Castresana, personnage froid, tranchant et agressif.

Castrasena ira au fond des choses et finira par comprendre comment est mort Rosenberg. Mais qu’est-ce que ça donnera dans un pays dont la corruption est devenue d’une navrante banalité ? : *Les contrefaçons de la réalité les plus efficaces sont celles qui représentent ce que seuls les comploteurs semblent capables de créer : une trame parfaitement cohérente. * (Extrait)

La trame qui met en évidence l’arrière-boutique de la politique, est très complexe. L’auteur évoque même dans son récit la possibilité d’un complot à l’intérieur du complot.

Ce n’est pas simple mais l’auteur David Grann qui est journaliste apporte un magnifique éclairage sur les intrigues complexes des coulisses du pouvoir et des arrière-cours de la politique où se précise et s’entretient tout le drame du peuple guatémaltèque. Avec sa plume froide et directe et en un peu plus d’une centaine de pages, en résumant l’affaire Rosenberg, Grann plante tout le décor d’une politique tentaculaire et corrompue.

Ce petit livre est plus que le résultat d’une enquête. En effet, en résumant l’affaire Rosemberg, David Grann a créé un véritable suspense qui place le lecteur dans l’attente de ce qui va se passer créant ainsi une certaine addiction. Je ne sais pas si c’était dans ses intentions mais c’est raconté avec intelligence et fougue et ça met en perspective les cadres d’une cruelle réalité :

*Le gouvernement guatémaltèque aurait dissimulé sa propre corruption. La prolifération des fausses réalités a souligné combien il était difficile de s’assurer de la vérité dans un pays où cette dernière a si peu d’arbitre* (Extrait)

Cet extrait n’est pas sans me rappeler le film *Z* coécrit et réalisé par Costa Gavras en 1969 et qui raconte que dans un pays du bassin méditerranéen, un député progressiste fut assassiné. Pendant son enquête, le juge d’instruction met en évidence le rôle du gouvernement, de l’armée et de la police dans cet assassinat. Voyez le film si vous le pouvez, le petit juge sort énormément de saletés.

C’est un récit un peu trop bref à mon goût, mais je dois l’admettre, il est très bien construit et donne à penser que les historiques petites coutumes douteuses des coulisses politiques guatémaltèques mettent dans l’ombre les résultats de l’enquête.

C’est un grand défi de résumer en si peu de pages une enquête aussi complexe que celle sur l’affaire Rosenberg. Grann a brillamment réussi. Retenez donc bien ce titre qui colle avec la réalité du récit et c’est en lisant que vous allez comprendre : CHRONIQUE D’UN MEURTRE ANNONCÉ, un pas intéressant dans la lutte contre l’impunité.

Note : ce récit de David Grann est issu d’un article publié dans le New-Yorker du 4 avril 2011. Il a été publié en français dans le magazine Feuilleton de janvier 2012. Enfin le journaliste a accepté l’offre des Éditions Allia de l’éditer en février 2013 dans un format à mi-chemin entre le documentaire et le polar.

David Grann est un écrivain et journaliste américain né à New-York en 1967. Ancien rédacteur en chef pour les journaux The New republic et The Hill, il a collaboré avec plusieurs prestigieux journaux dont le Washington post, le Wall street journal, le Times de New-York. Grann a aussi écrit LA CITÉ PERDUE DE Z et deux courts polars.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 3 février 2019