LES SEPT MORTS D’EVELYN HARDCASTLE

Le tout premier roman de Stuart Turton

PROMETTEUR…

*Rien de tel qu’un masque pour révéler la vraie nature d’une personne. * (Version audio par Lizzie éditeur, 2019. Durée d’écoute : 17 heures 15 minutes. Narrateur : Laurent Natrella. Édition de papier : Sonatine éditeur, 2017, 539 pages, format numérique : Sonatine éditeur, 2019, 467 pages 2383 KB)

Ce soir à 11 heures, Evelyn Hardcastle va être assassinée. Qui, dans cette luxueuse demeure anglaise, a intérêt à la tuer ? Aiden Bishop a quelques heures pour trouver l’identité de l’assassin et empêcher le meurtre. Tant qu’il n’est pas parvenu à ses fins, il est condamné à revivre sans cesse la même journée. Celle de la mort d’Evelyn Hardcastle.

*À quel point faut-il être perdu pour
laisser le diable vous indiquer votre chemin ? *
(Extrait)

C’est un roman complexe qui dénature l’espace-temps au profit d’un système qui ne sera dévoilé qu’à la fin, rien de moins qu’imprévisible, une finale fort intéressante mais qui manque un peu de saveur, ce qui n’est pas le cas du récit dans son ensemble alors que dès que vous croyez mettre la main sur un meurtrier potentiel, une chaîne d’évènements vous ramène à vos devoirs pour la simple raison que tout n’est qu’apparence comme dans SHUTTER ISLAND le livre célèbre de Dennis Lehane qui a entretenu dans son oeuvre une confusion savamment étudiée.

LES SEPT MORTS D’EVELYN HARDCASTLE n’est qu’une longue mystification. Reste pour vous à découvrir sur quoi elle repose. Drogue ? Surnaturel ? Machiavélisme ? Un amalgame peut-être. L’intrigue est profonde et complexe. L’histoire débute d’ailleurs presque sur des chapeaux de roues.

Un soir, à 11 heures très précises, Evelyn Hardcastle sera tuée. C’est Aiden Bishop qui est désignée pour découvrir le meurtrier et il n’a que quelques heures pour le faire. S’il ne réussit pas, il devra revivre la mort d’Evelyn chaque jour, sans arrêt, vivre chaque journée, qui sera toujours la même. Il n’y a qu’une solution pour sortir de ce cauchemar : fournir un nom à celui qu’on pourrait appeler le maître du jeu. Quand ce fut fait, je compris alors les motivations des mystificateurs et c’est là que j’ai consacré finalement l’originalité du roman : plus qu’un jeu, un défi pour l’esprit.

Turton entretient savamment le mystère et l’intrigue grâce à ses personnages bien modelés, travaillés en profondeur. Que ce soit le mystérieux docteur de Peste qui semble un intermédiaire dans cette histoire, ou l’énigmatique Hélene Hardcastle qui fût ma première suspecte officielle mais qui fut supplantée par la suite, ou le docteur Diggy qui semble en savoir très long ou monsieur Bell qui confirme un lien de la drogue avec cette histoire.

Dites-vous bien que, vous explorez un pavé bourré de phrases masquées, de non-dits, de liens obscurs et d’énigmes qui gagnent en épaisseur au fil du récit. Je me demande comment ce serait débrouillé Hercule Poirot, le célèbre détective créé par Agatha Christie dans un casse-tête *mille pièces* comme celui-ci. J’ai beaucoup aimé relever ce défi. Ça m’a bousculé, brassé même. Mais j’y ai pris goût.

Malgré tout, je déplore des longueurs, une grande quantité de personnages qu’il faut se remettre à l’esprit rapidement et une finale un peu molle mais le développement est impeccable. Pour son premier roman, je crois que Stuart Turnton s’est investi à fond. C’est prometteur.  Quant à la version audio, Beau travail du narrateur Laurent Natrella.



Pour en savoir plus sur Stuart Turton (ci-haut), cliquez ici.
Du même genre, commentaire sur BIBLIOCLO : le livre d’Agatha Christie À l’hôtel Bertram

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le dimanche 28 juillet 2024

 

L’ÉNIGME DE LA CHAMBRE 622

Commentaire sur le livre de
JOËL DICKER

*- Vous êtes le diable ! s’écria Macaire.
– Je suis pire que le diable, car moi j’existe. *
Extrait : L’énigme de la chambre 622, de Joël
Dicker, version audio par Audiolib éditeur, 2020
durée d’écoute : 17 heures 20 minutes.
Narrateur : Steve Driesen. Édition de papier:
B. de Fallois éditeur, 2020, 572 pages

Une nuit de décembre, un meurtre a lieu au Palace de Verbier, dans les Alpes suisses. L’enquête de police n’aboutira jamais.

Des années plus tard, au début de l’été 2018, lorsqu’un écrivain se rend dans ce même hôtel pour y passer des vacances, il est loin d’imaginer qu’il va se retrouver plongé dans cette affaire.

Que s’est-il passé dans la chambre 622 du Palace de Verbier ?

 

Retour aux sources helvètes

J’aime autant vous dire d’entrée de jeu que pour lire ce livre, il faut s’armer de patience. Voyons d’abord la trame. De passage dans un hôtel appelé Palace de Verbier, dans les Alpes suisses, un écrivain est intrigué par le fait qu’il n’y a pas de chambre 622. Il découvre dans l’ordre, les chambres 621, 621-bis et 623.

L’écrivain est intrigué au point d’entreprendre des recherches qui lui apprendront finalement qu’il y a eu un meurtre dans la chambre 622. Une sombre affaire qui n’a jamais eu sa conclusion et qui a poussé la direction de l’hôtel à éliminer le chiffre 622. Mais que s’est-il passé exactement dans la chambre 622 ? toute l’histoire repose sur cet évènement. On dirait bien que notre écrivain tient le sujet de son prochain livre.

Le sujet est intéressant, mais l’auteur l’a complexifié inutilement, y a incorporé de petites romances insignifiantes et s’est lui-même mis en scène, ce que j’ai trouvé très ordinaire d’autant que son rôle est très accessoire. Le fait que l’auteur, Joël Dicker se soit attribué le rôle de l’écrivain n’est pas la moindre de mes déceptions. Dans ce livre, il y a tellement de revirements, de dialogues platoniques, de longueurs et de personnages mal définis qu’au bout du compte, les pinceaux s’emmêlent, sans compter les sauts temporels qui ne sont pas de nature à simplifier ce récit qui s’en trouve passablement alourdi.

Les idées géniales, parce qu’il y en a, sont occultées par le caractère fantaisiste de L’ensemble. On dirait une caricature se manifestant suite à une idée de départ mal développée. J’ai été tout de même captivé par un personnage énigmatique : Ternagol, fasciné aussi par une machination qui a échappé à tout le monde pendant quinze ans et qui connait un dénouement surprenant dans le troisième quart du récit.

Je ne peux pas en dire plus sinon que l’idée était excellente, mais gâchée, peut-être par l’idée de trop bien faire…manifestation d’un vieux principe qui dit que trop, c’est comme pas assez. Certains personnages sont carrément ridicules, c’est le cas notamment de Scarlet, une connaissance de l’écrivain, insignifiante à tout point de vue. L’auteur a d’ailleurs établi un lien avec Scarlet Ohara, la miss Scarlet du film Autant en emporte le vent de Victor Flemming. Ça frôle le remplissage.

Pour un lecteur patient, la finale est intéressante et ne manque pas d’imagination mais malheureusement l’ensemble est décevant par la faiblesse de son style, ses tendances à l’errance et ses dialogues vides. Enfin, j’ai trouvé la version audio empreinte d’un dynamisme et d’une qualité qui ont l’avantage de…disons sauver les meubles.

Suggestion de lecture : LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE, de Gaston Leroux


L’auteur Joël Dicker

Bonne lecture
Bonne écoute

Claude Lambert

le samedi 27 juillet 2024

BELLE SAUVAGE

La trilogie de la poussière
livre 1

De PHILIP PULLMAN

<En outre, Lord Nugent se surprit à se demander si ce déluge était entièrement naturel. Ses compagnons gitans et lui avaient le sentiment que l’inondation relevait d’une cause plus étrange que les caprices du ciel car elle avait commencé à provoquer de curieuses illusions et à se comporter de manière inattendue. A un moment donné, ils perdirent totalement de vue la côte ; ils auraient pu tout aussi bien se trouver en pleine mer.>

Extrait LA BELLE SAUVAGE, livre 1 de la TRILOGIE DE LA POUSSIÈRE, Philip Pullman, Gallimard jeunesse 2020 pour la version audio, 544 pages pour l’édition de papier. Audio : durée d’écoute : 12 heures 50 minutes, narrateur : François-Éric Gendron.

Retour au cœur de Lyra, avant les royaumes du Nord… À l’auberge de la Truite, Malcolm, 11 ans, et Alice, 16 ans, aiment écouter les aventures des visiteurs. Certains sont étrangement intéressés par un bébé nommé Lyra et par son daemon Pantalaimon, gardés par les nonnes du prieuré tout proche. Alors que de nombreux dangers menacent l’enfant, les deux adolescents s’enfuient avec lui à bord de la Belle Sauvage, le bien le plus précieux de Malcolm.

Une préquelle de la
CROISÉE DES MONDES

LA BELLE SAUVAGE est le premier roman de la TRILOGIE DE LA POUSSIÈRE de Philip Pullman et aussi la préquelle de À LA CROISÉE DES MONDES dans laquelle l’auteur décrit et explique une enlevante chaîne d’évènements qui conduira la petite Lyra Bellacqua, qui n’a alors que six mois et son daemon, Pantalaimon, à leur installation au Jordan College.

Dans ce récit au rythme élevé et parfois hautement dramatique, nous suivons deux adolescents : Malcom Polstead, onze ans, et son daemon Asta et Alice Parslow, 16 ans, son daemon Ben. Suite à une inondation meurtrière, Malcom et Alice se donnent comme mission de protéger un bébé, activement recherché par le Magisterium car ce bébé, une petite fille nommée Lyra est l’objet d’une prophétie qui mettrait en danger la domination religieuse et sociale imposée par le puissant organisme.

Cette recherche, qui devient une poursuite effrénée, entraînera des morts, des blessés et de lourdes privations pour nos deux jeunes héros. Mais Malcolm et Alice trouveront quelques précieux alliés et bénéficieront de l’aide inespérée d’un érudit : Lord Azriel, le père de Lyra.

J’ai adoré cette histoire qui m’a permis de mieux comprendre les éléments-clés de LA CROISÉE DES MONDES : Les daemons, la poussière, appelée dans le récit le champ de Russakov ouvrant une porte sur un monde parallèle, l’introduction dans l’histoire de madame Coulter dont le rôle sera défini beaucoup plus tard, le magisterium, créature malfaisante, un gouvernement socio-religieux assis sur un pouvoir colossal et bien sûr, l’origine de Lyra et le destin tracé pour elle.

J’ai été subjugué par ce récit en particulier à cause de ses principaux personnages, attachants et ombrageux : Malcolm et Alice. Le roman n’aurait pas eu toute cette force qui le caractérise sans LA BELLE SAUVAGE, un esquif héroïque symbolisant la promesse d’un salut renforcée par la touche personnelle de Lord Azriel. Pour moi, cet élément est sans doute le plus original du récit.

L’écriture est riche, la langue colorée, la version audio est aussi excellente, la narration fort expressive de François-Éric Gendron forçant l’attention. Toutefois, le rythme du récit est parfois tellement effréné qu’on perd de vue les objectifs de la quête des jeunes. Beaucoup de passages sont expédiés, occultant quelque peu l’émerveillement du lecteur et de la lectrice. Cette observation inclut la froideur de Lord Azriel, trop avare à mon goût d’explications. C’est la principale faiblesse du roman. J’ai trouvé aussi que l’auteur a fait grandir le personnage d’Alice dans l’ombre de Malcolm. J’ai trouvé ça très dommage.

Bon. Pour résumer, LA BELLE SAUVAGE est un roman fort qui met en place une suite prometteuse. L’histoire est fouillée. On y trouve beaucoup de trouvailles originales et surtout, la plume de Pullman m’a fait développer une empathie naturelle pour les deux héros de l’histoire. Vivement la suite…

Suggestion de lecture : À LA CROISÉE DES MONDES, livre 2, LA TOUR DES ANGES, de Philip Pullman

La suite de LA BELLE SAUVAGE

Le cycle 
de la Croisée des Mondes


L’auteur Philip Pullman

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert

LE CRÉPUSCULE DES DIEUX

Commentaire sur 

Le livre IV de la tétralogie des origines

— Vous savez ce qui se passe, mon cher Albrecht, quand les proches conseillers du roi finissent par diriger l’État à sa place à force de courtisanerie.
— Rappelez-le-moi.
— Dans une dictature, cela provoque un bordel qui vous fait perdre une guerre mondiale. Dans une démocratie, la gouvernance du peuple par le peuple devient un merveilleux trompe-l’œil dissimulant un carcan administratif, une nuée de conseillers, de lobbyistes qui dirigent le système à leur guise. 

 Extrait :  La tétralogie des origines, livre IV, LE CRÉPUSCULE DES DIEUX, Stéphane Przybylki, version audio, Sonobook éditeur, 2016, durée d’écoute : 14 heures 18 minutes. Narrateur : Victor Vestia.

Mai 1942. Reinhard Heydrich se meurt dans un hôpital de Prague. À moins que… Le monde est à feu et à sang, l’humanité se consume dans les affres d’une guerre comme elle n’en a jamais connu. Dans le chaos du conflit qui déchire le monde d’hier s’esquisse déjà celui de demain, mais les véritables enjeux de cette boucherie planétaire se dévoilent enfin – bien plus cruciaux que tout ce qu’il était possible d’imaginer.

Un futur que l’ancien SS Friedrich Saxhäuser refuse, qu’il ne permettra pas. Désormais coule dans ses veines l’impensable puissance révélée au cœur du Kurdistan irakien. Un pouvoir tel qu’il pourrait bien provoquer ce que, dans les secrets méandres du complot, tous redoutent : le crépuscule des dieux…

ET SI LES DIEUX S’EN MÊLAIENT

Voici donc la conclusion de la fameuse tétralogie uchronique des origines. Une série qui aura satisfait finalement l’amateur que je suis de complots, d’intrigues, d’espionnage : mélange explosif dans lequel l’auteur a habilement imbriqué la science-fiction et bien que Przybylski ait retravaillé l’histoire, le récit a assurément un lien avec l’actualité.

Ceux et celles qui ont lu les quatre livres se rappelleront que tout a commencé avec la découverte, par des SS, de preuves irréfutables de la présence extra-terrestre parmi nous. C’est un des liens avec l’actualité. Comme on le sait, ce sujet est devenu une conviction de société.

Par la suite, les extra-terrestres se sont manifestés et c’est ainsi qu’a commencé un jeu sordide de manipulation, de pouvoir, de contrôle allant jusqu’à l’expérimentation sur des sujets humains finissant suppliciés et que de monstrueuses créatures du nazisme et des SS sont devenus des instruments, marionnettes des étrangers tel le démon blond : Reinhard Heydrich. Le quatrième livre est très axé sur les horreurs innommables des SS pendant la deuxième guerre mondiale. Certains passages pourraient heurter les âmes sensibles.

Le lien avec la science-fiction m’a particulièrement captivé. Les motivations des extra-terrestres m’ont rappelé celles des aliens de INDEPENDANCE DAY, film de Rolland Emmerich. Le lien avec l’actualité aussi comme la destruction d’un ovni qui s’est écrasé près de Roswell. Dois-je rappeler que cette affaire est restée jusqu’à nos jours fort énigmatique.

J’ai aimé la progression de cette histoire. Un peu moins sa finale, la progression m’ayant préparé à mieux. L’auteur part de faits avérés sur le plan historique et bâtit une uchronie avec beaucoup d’imagination. La plume est fluide, claire et rien ne permet à l’auditeur et à l’auditrice de perdre le fil conducteur de l’histoire. Donc, c’est facile à suivre.

Avec sa connaissance pointue de l’histoire, l’auteur nous offre avant tout un récit historique, crédible, convaincant et photographique, me donnant l’impression d’être dans l’action, témoin de l’apparition d’un ovni, venu de nulle part. L’auditeur ou le lecteur ne voit plus le temps passer. La faiblesse, si on peut dire est que la tétralogie n’apporte rien de nouveau au genre et emprunte un peu trop au style X FILES mais j’ai consommé, si je puis dire, un sympathique moment d’écoute. Le narrateur a fait un assez bon boulot.

Suggestion de lecture : LA PART DE L’AUTRE, d’Éric-Emmanuel Schmidt. Ce livre développe également une uchronie.

Les trois premiers tomes

Ci-haut, l’auteur de la tétralogie des origines, Stéphane Przybylki , auteur français, malgré son nom imprononçable.

Quant au narrateur, Victor Vestia, je n’ai rien trouvé à part une page Facebook vide. Pas de photo, pas de parcours…peut-être gagne-t-il à être inconnu.  Et pourtant sa performance était bonne.

Pour ce qui est du titre du livre IV de la tétralogie des origines, il faut faire attention car plusieurs livres d’auteurs différents portent le titre LE CRÉPUSCULE DES DIEUX :

-Le crépuscule des dieux de la série Amos d’Aragon par Bryan Perro
-Le crépuscules des dieux par Nicolas Jarry
-Le crépuscule des dieux en bandes dessinées
-Le crépuscule des dieux de Charlotte Key, qui est aussi une série.
-Le crépuscule des dieux est aussi le titre d’un célèbre opéra de Richard Wagner.

Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 20 juillet 2024

 

NUIT NOIRE, ÉTOILES MORTES

Commentaire sur le livre de STEPHEN KING

1922 : un fermier du Nebraska confesse qu’il a assassiné son épouse, avec l’aide de son fils de 14 ans. Grand chauffeur : une femme écrivain, violée et laissée pour morte au bord d’une route, décide de se venger elle-même. Extension claire : un cancéreux en phase terminale passe un pacte avec un vendeur diabolique, afin d’obtenir un supplément de vie. Bon ménage : une femme découvre qu’elle vit depuis vingt ans avec un serial killer.

Quatre nouvelles puissantes et dérangeantes, quatre personnages confrontés à des situations extrêmes qui vont les faire basculer du côté obscur, plus une nouvelle inédite vraiment inquiétante…

*Toutes ces années, elle avait vécu avec un fou, mais comment aurait-elle pu le savoir ? *
(Extrait : NUIT NOIRE, ÉTOILES MORTES, Stephen King, version audio éditée par les studios Audible, 2017, durée d’écoute : 16 heures 31, narrateurs : Mathieu Buscato et Anne-Sophie Nallino) publié à l’origine en 2010, puis vint la version française en 2012, éditée par Albin Michel. 450 pages.

NOIR ET DÉRANGEANT

Ce livre, dans sa version audio, comporte quatre nouvelles et bien que je n’aie pas ressenti mon emballement habituel pour Stephen King, j’ai passé un bon moment d’écoute avec ces quatre nouvelles livrées à ma grande satisfaction par les talentueux narrateurs Mathieu Buscatto et Anne-Sophie Nallino. On dirait que King a changé.

Les nouvelles de ce recueil sont noires, glauques et leur fond est violent mais je n’ai pas ressenti les émotions de frayeur, de stress et d’angoisse que projette habituellement King dans ses récits. J’ai senti comme de la retenue et une psychologie des personnages moins détaillées.

Les nouvelles sont des romans courts et pourtant j’ai senti quelques longueurs, un peu de redondance. Mais là s’arrêtent les petites faiblesses de ce recueil car les nouvelles qui le composent sont, d’après moi d’une grande profondeur. Pas de monstres difformes, pas de spectre, pas de surnaturel. King a utilisé, avec son intelligence et son habileté habituelles, les tares de l’esprit humain: manipulation psychologique, jalousie, vengeance, envie, abus, violence. S’il y a un domaine où King continue d’exceller, c’est bien l’exploitation de la part sombre des êtres humains.

J’ai trouvé la première et la quatrième nouvelle particulièrement originales : 1922, un homme qui manipule psychologiquement son fils adolescent pour qu’il participe au meurtre de sa mère. Ce sujet, développé froidement a heurté ma sensibilité. C’est, à mon avis, la nouvelle la mieux aboutie du recueil. La quatrième nouvelle, BON MÉNAGE, a suscité en moi un questionnement induit par cette capacité de King de nous amener aux portes du cauchemar. Comment une femme peut-elle vivre sans le savoir, depuis 20 ans avec un meurtrier en série. Belle trouvaille.

Les deux autres nouvelles sont très bien écrites mais développent des sujets déjà vus en littérature : l’histoire de l’agresseur agressé et une espèce de pacte avec le diable pour s’assurer un supplément de vie. Impression de déjà-vu oui, mais à la sauce King, grinçant, acide, avec parfois de l’humour noir.

C’est un livre sans trop de surprises, sûrement pas le meilleur de King, du moins, dans le style auquel il nous a habitué. Les narrateurs m’ont fait oublier ce que je n’ai pas trouvé en lui. Ça ne passera pas à l’histoire mais j’ai tout de même apprécié.

Suggestion de lecture : NOUVELLES NOIRES de Renaud Benoit


L’auteur Stephen King

Aussi, à lire ou à écouter…très intéressant

D’autres livres de Stephen King sur ce site :

Pour lire mon commentaire sur 22/11/63, cliquez ici.
Pour mon commentaire sur la TOUR SOMBRE
J’ai commenté aussi FIN DE RONDE, UN VISAGE DANS LA FOULE,  LA PETITE FILLE QUI AIMAIT TOM GORDON, et L’INSTITUT 

Je vous invite aussi à explorer la biographie de Stephen King.

Enfin, une petite visite du site consacré au club de Stephen King pourrait vous intéresser.

BONNE ÉCOUTE
BONNE LECTURE
Claude Lambert
le vendredi 19 juillet 2024

 

BIENVENUE À GOMORRHE

COMMENTAIRE SUR LE LIVRE DE TOM SHATFIELD

<Sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien, mais les biscuits en forme d’os que vous avez semés jusqu’à votre porte permettent de tirer des conclusions logiques. > BIENVENUE À GOMORRHE, Tom Shatfield, format numérique, Hugo thriller éditeur, 2020, 430 pages, 1 531 kb.

 » Gomorrhe. Un nom murmuré dans les recoins les plus sombres des forums les plus tordus. Un endroit que la lie du Darknet rêve de visiter. Tout le monde sait comment on se divertissait à Sodome, mais de quelle nature étaient les moeurs de Gomorrhe pour mériter, elle aussi, d’être détruite par « une pluie de souffre et de feu » ?  Infiltrer des néo-nazis occupés à faire de notre planète un endroit infréquentable suffisait largement à remplir la vie d’Azi Bello, et à lui permettre de faire la démonstration de ses talents d’hacker.

Mais lorsque la mystérieuse Anna s’invite dans l’abri de jardin qui lui sert de bureau, la vie d’Azi prend une toute autre tournure. Car Anna et l’organisation secrète pour laquelle elle travaille en savent suffisamment sur Azi pour qu’il n’ait pas d’autre choix que de leur obéir. Et ceux qu’on lui ordonne de mettre hors d’état de nuire sont considérablement plus dangereux que la meute de suprémacistes qu’il combattait derrière ses écrans.

Azi va découvrir que le monde réel est infiniment plus dangereux que le virtuel. Et que d’un monde à l’autre, Gomorrhe se nourrit avec la même avidité de l’argent des uns et de l’idéologie des autres pour étendre son règne de terreur.

LA FOSSE D’INTERNET


C’est un livre au contenu technique plutôt lourd mais je l’ai tout de même trouvé très intrigant. C’est un thriller fort qui développe un thème qui a quelque chose de dérangeant puisqu’il développe le sujet du Darknet : le sous-sol d’internet, le <côté obscur> de la technologie dans lequel on trouve des services et des produits qui échappent au contrôle des lois et de la morale.

Et dans son livre, Tom Shatfield va encore plus loin en imaginant GOMORRHE, la basse fosse du darknet, sécurisé au-delà de tout entendement et qui facilite les trafics de toutes sortes, meurtres, complots, armements et par-dessus tout, facilite le terrorisme et va jusqu’à encourager le néonazisme. Gomorrhe masque l’identité de l’utilisateur et ceux avec qui il partage <toute cette désinformation pornographico-islamo-complotisto-nazie> (Extrait)


Afin de mettre hors d’état de nuire le site maudit, on fait appel à Azzi Belo, peut-être le hackeur le plus brillant au monde, <un fantôme dans la machine> (Extrait)

Quoique difficile à suivre tellement son esprit est bouillonnant, Azzi n’a pas fini de vous remuer. Ce thriller m’a captivé et m’a laissé jusqu’à la fin sur mon questionnement : comment venir à bout d’une poudrière aussi intouchable.

Le dernier quart du récit m’a laissé sur un revirement de situation que je n’ai jamais pu prévoir. Gomorrhe cache autre chose…une inimaginable machination, et c’est pas joli.

C’est une histoire solide, haletante, bien écrite et son personnage central est bien travaillé. L’auteur l’a rendu attachant ce qui fait du bien dans un techno-thriller. Azzi est humain, connait des défaites, des déceptions, frôle la mort devant la plus colossale et meurtrière machine issue du darknet.

Il faut prendre ce livre pour ce qu’il est aux dires de l’auteur : <Une œuvre de fiction qui joue délibérément avec la réalité – mélange de plausible et de fantastique, de faits historiques > Extrait. Pour moi, c’est une œuvre d’une grande crédibilité qui n’est pas sans faire réfléchir sur l’incroyable pouvoir que peut procurer internet à des êtres malveillants et sur la nécessité d’en contrôler l’éthique. Un livre dense, rythmé, addictif, un auteur à surveiller.

Suggestion de lecture : PANDEMIA, de Frank Thilliez

l’auteur Tom Shatfield. Son livre a remporté le prix
Douglas Kennedy 2020 du meilleur thriller étranger.

 

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 23 juin 2024

LA FILLE DU TRAIN

Commentaire sur le livre de
PAULA HAWKINS

*Nous sommes tous des voyeurs. Les gens qui prennent le train tous les jours pour se rendre au travail sont les mêmes partout dans le monde : chaque matin et chaque soir, nous sommes installés sur notre siège, à lire le journal ou écouter de la musique ; nous observons d’un œil absent les mêmes rues, les mêmes maisons et, de temps à autre, nous apercevons un éclair de la vie d’un inconnu. Alors, on se tord le cou pour mieux voir. *

(Extrait : LA FILLE DU TRAIN, de Paula Hawkins, Pocket, Sonatine éditeur, 2015, papier, 455 pages)

Entre la banlieue où elle habite et Londres, Rachel prend le train deux fois par jour : le 8 h 04 le matin, le 17 h 56 le soir. Chaque jour elle est assise à la même place et observe, lors d’un arrêt, une jolie maison en contrebas de la voie ferrée. Cette maison, elle la connaît par coeur, elle a même donné un nom à ses occupants, qu’elle voit derrière la vitre. Pour elle, ils sont Jason et Jess. Un couple qu’elle imagine heureux, comme Rachel et son mari ont pu l’être par le passé, avant qu’il la trompe, avant qu’il la quitte. Rien d’exceptionnel, non, juste un couple qui s’aime. Jusqu’à ce matin où Rachel voit Jess dans son jardin avec un autre homme que Jason.

Que se passe-t-il ? Jess tromperait-elle son mari ? Rachel, bouleversée de voir ainsi son couple modèle risquer de se désintégrer comme le sien, décide d’en savoir plus sur Jess et Jason. Quelques jours plus tard, c’est avec stupeur qu’elle découvre la photo de Jess à la une des journaux. La jeune femme, de son vrai nom Megan Hipwell, a mystérieusement disparu…

Un long fleuve agité
*temps normal, je simulerais la politesse, mais ce
matin, je me sens authentique, je me sens moi-
même, je suis exaltée, comme si j’étais défoncée,
et, même, si j’en avais envie, je serais incapable de
feindre la gentillesse. *
(Extrait)

C’est un polar psychologique glauque, triste et obsessif. La fille du train, c’est Rachel, une femme déchirée, alcoolique et dépressive. Elle prend le train quotidiennement. Pratique pour faire croire à sa colocataire qu’elle travaille et qu’elle paiera le loyer. Elle prend aussi le train pour faire déraper ses pensées et suivre un couple qu’elle s’est inventé, Jess et Jason, qu’elle croit voir par les fenêtres du train.

Elle imagine bientôt le couple s’enliser dans un cercle d’infidélité jusqu’à ce que Jess disparaisse de la circulation. Le mystère s’intensifie avec la disparition, réelle celle-là d’une jeune femme nommée Mégan.

Les trois femmes au cœur de cette histoire plutôt noire prennent la parole à tour de rôle. Une triple narration qui permet d’explorer en alternance le point de vue de chacune et la façon dont elles sont entraînées dans un cercle de violence et de mal-être. Il y a aussi des hommes dans cette histoire. Deux principalement : Scott et Tom, ce dernier est dépeint d’une façon peu engageante : <La vie entière de Tom était bâtie sur des mensonges, des malhonnêtetés et des semi-vérités censées le faire passer pour quelqu’un de supérieur, de plus fort et de plus intéressant qu’il ne l’était…>

Ce dernier extrait vient préciser l’atmosphère du récit, le non-dit caché entre les lignes qui prend le lecteur au cœur. C’est un récit très riche, un peu lourd, pas toujours facile à suivre mais qui se dévoile sur des chapeaux de roues dans le dernier quart du livre. Il faut être attentif pour bien saisir la vraie nature des personnages et l’enchaînement des rebondissements, exacerbé par la triple narration.

C’est un bon thriller, mais il est complexe et accuse des longueurs. C’est un récit noir dans lequel la seule réalité des personnages est la folie qui les guette. La plume est bien maîtrisée malgré une certaine dérive. On sait que Paula Hawkins veut nous entraîner quelque part, mais impossible d’imaginer la finale.

La nature convergente de la triple narration en alternance m’a plu et je me suis laissé entraîné par l’intensité du récit. Attendez-vous à explorer l’attitude de personnages complexes face à leurs démons. On est loin du genre <C’est beau la vie> . C’est une lecture qui laisse des marques.

Suggestion de lecture : DANS LA TOILE, de Vincent Hauuy

Paula Hawkins a vécu au Zimbabwe, en France et en Belgique et réside maintenant à Londres. Elle a été journaliste pendant quinze ans avant de se consacrer à la fiction. LA FILLE DU TRAIN, son premier roman a été vendu à 18 millions d’exemplaires dans le monde. Dreamworks en a acquis les droits d’adaptation cinématographique, et le film est sorti en 2016. Son deuxième roman, AU FOND DE L’EAU a paru en 2017 chez Sonatine.

De la même auteure

Bonne lecture
Claude Lambert

LE TEMPS DES SEIGNEURS

Commentaire sur le livre de
DAN BIGRAS

 * Mon père me bat, mais il m’aime. Il me montre souvent de l’affection pis de la tendresse. Il est une bombe à retardement. Il me fait peur…  Il m’enseigne la jungle. Fait que je suis en état de survie 24/7, mais j’ai de l’amour aussi… C’est pas mal mélangeant. *

Extrait : LE TEMPS DES SEIGNEURS, Dan Bigras. Édition de papier et format numérique: Québec Amérique éditeur, 2017, 336 pages, 3935 KB. Version audio : Audible studios éditeur, 2019, durée d’écoute : 10 heures 45 minutes, narrateur : Dan Bigras.

«Je cours, paniqué. J’ai encore été piégé par ma mère. À moins d’un miracle, mon père va me tuer à soir… J’ai beau courir, l’horizon s’éloigne et l’enfer approche à grandes claques, avec un verre de vin dans une main. Ma mère est en colère tout le temps. Contre le mauvais temps, contre les hommes en général, quoique « les hommes en général » ont l’air de ressembler beaucoup à son papa à elle et au mien… Elle est en colère contre beaucoup de choses, mais surtout contre moi. Je n’ai jamais vraiment su pourquoi.

C’est évidemment de ma faute, ça se peut pas autrement. Je suis très mauvais à l’école. Comme le trouble de déficit de l’attention (TDA) n’existe pas encore, ma mère croit que j’essaie de la rendre folle et honnêtement, quelquefois, c’est ce que je croirais à sa place.»

Avec LE TEMPS DES SEIGNEURS, Dan Bigras offre le récit cru, touchant et passionnant de ces vues sur le monde qui ont fait de lui le porte-parole des oubliés, des brisés. Dans la violence et la douleur, mais aussi dans l’amour, c’est avec tendresse qu’il retrace le fil de son long chemin vers la réconciliation.

La poésie de l’introspection
*Ça va être ma job de faire du sens de notre histoire,
de comprendre mes parents, mes Bigras, de ma
société pour trouver une paix…une vraie paix dans
le torrent de mes guerres…*
(Extrait)

J’avais l’impression d’être assis à une table avec Dan Bigras, devant une tasse de café fumant, sagesse oblige. J’écoutais le rocker québécois raconter son histoire sur un ton de connivence, chaleureux, intimiste. C’est ce que je retiens de cette écoute, que Dan Bigras se confiait à moi personnellement. LE TEMPS DES SEIGNEURS est l’autobiographie d’un homme au passé agité, malmené avec des hauts très élevés et des bas dramatiques.

Comment ne pas être attentif et concentré devant un tel dénuement. L’auteur se confie mais aussi se défoule dans un exercice qui a un petit caractère thérapeutique. Pour moi c’est important car cela donne le récit d’un homme authentique qui a un parcours de vie parfois tordu mais tellement riche d’enseignement.

Dan m’a fait oublier le temps qui passe avec, entre autres, beaucoup de passages porteurs d’émotions….des émotions qui m’ont brassé pas mal, en particulier la mort de son frère, ses relations familiales, sa rencontre avec Gerry Boulet qui fut d’abord une collaboration et par la suite une amitié cimentée, sa passion pour les arts martiaux, son déficit d’attention, ses nombreuses petites allusions aux seigneurs, c’est-à-dire les manipulateurs, exploiteurs, profiteurs, ambitieux et grands patrons cupides.

J’ai beaucoup aimé les passages où Dan Bigras évoque les moments de sa vie, nombreux, où il se sentait en étau entre le *gros Dan* et le *Petit Daniel* et les moments qui ont suivi la décision définitive de son abstinence, sans oublier son dévouement pour LE REFUGE.

Je n’ai que deux petits reproches et encore là, je ne peux pas vraiment reprocher à Dan d’avoir été lui-même mais j’aurais quand-même souhaité un petit peu moins de crudité dans son langage et un peu moins de sacres. Je ne suis pas puritain mais un peu moins de rudesse dans le langage n’aurait nui ni à l’oeuvre ni à l’identité de l’auteur. Je regrette aussi de ne pas en avoir su davantage dans la relation entre Dan Bigras et son fils. Il en parle peu et ne fait qu’effleurer la question.

Je n’ai lu aucun commentaire là-dessus mais ça m’a manqué. Donc j’ai beaucoup aimé ce récit, sa spontanéité, son authenticité, son ton de confidence et son humour aussi. En effet, Dan Bigras ne manque pas d’humour, un peu pince sans rire avec le genre qui, souvent, pointe du doigt. À l’écoute de ce récit, j’ai ressenti un mélange de joie et de tristesse et aussi de l’admiration et je me suis laissé enveloppé par les nombreux poèmes *semés à tout vent* dans le récit. Un très beau moment d’écoute, attractif et chaleureux.

Suggestion de lecture : LE MONDE DE BARNEY, de Mordecai Richler

Né le 23 décembre 1957 à Montréal, Dans Bigras est chanteur, auteur-compositeur, acteur, musicien et réalisateur. Son livre LE TEMPS DES SEIGNEURS est une nouvelle corde à son arc.

Quelques faits marquants : Il est fondateur de la maison de production Disques de l’Ange Animal, crée en 1994.  En 2008, l’année du 400e anniversaire de Québec, il est l’auteur et le lecteur de la dictée des Amériques. En 2017, il publie une autobiographie qui retrace sa vie. En 2018, lors de son spectacle Le show du refuge, il interprète avec succès la chanson Bring Me to Life du groupe américain Evanescence avec Étienne Cousineau.

 

Bonne écoute
Bonne écoute
Claude Lambert
le vendredi 21 juin 2024

LES RAISINS DE LA COLÈRE

COMMENTAIRE SUR LE LIVRE DE
JONH STEINBECK

*Un homme peut garder sa terre tant qu’il a de quoi manger et payer ses impôts ; c’est une chose qui peut se faire. Oui, il peut le faire jusqu’au jour où sa récolte lui fait défaut, alors il lui faut emprunter de l’argent à la banque. Bien sûr… seulement, vous comprenez, une banque ou une compagnie ne peut pas faire ça, parce que ce ne sont pas des créatures qui respirent de l’air, qui mangent de la viande. Elles respirent des bénéfices ; elles mangent l’intérêt de l’argent. Si elles n’en ont pas, elles meurent, tout comme vous mourriez sans air, sans viande. C’est très triste, mais c’est comme ça. On n’y peut rien. *

Extrait : LES RAISINS DE LA COLÈRE, John Steinbeck, version numérique, Gallimard éditeur 2012. Publié pour la première fois en 1939, 64 pages -poche-

Oklahoma dans les années 1930 : tout juste sorti de prison, Tom Joad rejoint sa famille. Surprise, la famille se prépare à partir. En effet, suite à une série de tempêtes de sable qui ont détruit toutes les cultures, la famille est contrainte d’abandonner la ferme. Attirés par des prospectus qui promettent travail et prospérité en Californie, ils investissent toutes leurs économies dans ce long voyage, empruntant la légendaire route 66 vers l’ouest. Bien qu’enfreignant les conditions de sa mise en liberté, Tom décide de partir avec eux.

Une œuvre Pulitzer

Une de mes meilleures lectures à vie

Nous sommes dans les années 1930, dans la grande dépression économique provoquée par le krach boursier de 1929 qui a semé misère, désolation, faillites et chaos. Nous suivons la famille Joad : Tom, le personnage central du roman, libéré sur parole, Pa le patriarche, Ma la matriarche, Al, le cadet de la famille et John, frère de Pa donc oncle de Tom et Al. Puis Noah, les enfants Rudy et Winfield, enfin Grandpa et Grandma, les aînés Joad qui meurent sur la route d’une espérance illusoire… Ajoutons à cela quelques personnages qui gravitent autour de la famille.

Les banques ayant repris toutes les terres déficitaires de l’Oklahoma, les Joad empruntent la légendaire route 66 pour gagner la Californie où, parait-il, il y a de l’embauche. Cruelle déception à leur arrivée : une énorme quantité de travailleurs pousse les salaires déjà scandaleux à la baisse, favorisant ainsi l’enrichissement éhonté des grands propriétaires terriens. Les grands rêves des Joad sont cruellement brisés et remplacés par une unique nécessité : survivre. La famille, en marge de l’éclatement sera rudement mise à l’épreuve.

LES RAISINS DE LA COLÈRE est un drame social d’une grande intensité, enveloppant et profondément humain. J’ai été ébranlé, touché, ému par la profondeur des personnages, comme je le fus pour la lecture d’un autre chef d’œuvre de Steinbeck : LES SOURIS ET LES HOMMES. Les Joad auraient pu être mes frères, sœurs, amis, collègues. J’ai souffert pour eux, tantôt triste, tantôt volontaire et insufflé de l’incroyable courage de Ma Joad.

Tels sont les effets qu’ont sur moi des personnages aussi attachants et authentiques. Pour utiliser un cliché aussi clair qu’explicite, j’ai été pris aux tripes par la sensibilité de la plume, la conscience sociale de l’auteur et le regard critique qu’il pose sur la société. Tout en douceur, Steinbeck insère dans son récit une philosophie qui colle à une réalité triste et encore très actuelle en commençant par sa définition de l’homme :

<…la faim dans une seule âme, faim de joie et d’une certaine sécurité, multipliée par un million ; muscles et cerveau souffrant du désir de grandir, de travailler, de créer, multipliés par un million. La dernière fonction de l’homme, claire et bien définie… muscles souffrant du désir de travailler, cerveau souffrant du désir de créer au-delà des nécessités individuelles… voilà ce qu’est l’homme. > Extrait

Le récit est porteur d’une profonde réflexion sur la faim qui fait encore souffrir de nos jours : <… et la colère commence à luire dans les yeux de ceux qui ont faim. Dans l’âme des gens, les raisins de la colère se gonflent et mûrissent annonçant les vendanges prochaines. > Extrait. Les raisins symbolisent la dignité par le travail, un cri du corps et du cœur. Ce livre de Steinbeck est un chef d’œuvre immense qui n’a jamais vieilli.

Très léger bémol : j’ai trouvé la finale un peu étrange. Comme si l’auteur mettait son récit en suspension, laissant à penser que l’histoire des Joad est une réalité qui perdure partout dans le monde. J’aurais aussi aimé être fixé sur le destin de Tom, personnage central de l’histoire qui disparait presque discrètement vers la fin.

C’est un livre magnifique, une véritable prose qui m’a fait ressentir de la tristesse, de la colère, bref toute une gamme d’émotions sans compter la nécessité d’une introspection et le goût d’un retour à la terre. C’est aussi un roman porteur de réflexion entre autres sur la famille. Le livre illustre dramatiquement sa fragilité.

Mon avis est qu’il faut lire absolument LES RAISINS DE LA COLÈRE, une œuvre qui ne laisse pas indifférente et qui analyse froidement une situation sociale préoccupante. Même si le livre a été publié pour la première fois en 1939, vous pouvez me croire quand je vous dis qu’il a conservé toute son actualité. J’ai adoré cette lecture. Elle m’a beaucoup touché.

 

En haut à gauche, l’auteur John Steinbeck. En haut à droite, une scène du film adapté du livre LES RAISINS DE LA COLÈRE sorti en 1940 et réalisé par John Ford avec Henry Fonda, Jane Darwell, Doris Bowdon et Charley Grapewin. Ci-contre, l’affiche du film.
En bas, couverture du livre qui a précédé de deux ans LES RAISINS DE LA COLÈRE et qui fut aussi un best-seller : DES SOURIS ET DES HOMMES. Ce livre a fait l’objet d’un commentaire sur ce site. Pour le lire,
cliquez ici.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 16 juin 2016

 

L’ÉTRANGER, Albert Camus

*Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile :  » Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués.  » Cela ne vaut rien dire. C’était peut-être hier. * Extrait : L’ÉTRANGER, d’Albert Camus, version audio, Frémeaux et associé éditeur, 2020, lu par l’auteur, durée d’écoute : 2 heures 51 minutes. Note : L’ÉTRANGER a été publié pour la première fois en 1942 chez Gallimard.

Le sens de la vie selon Camus

C’est le personnage principal qui raconte lui-même son histoire dans ce roman un peu bizarre mais qui suit une philosophie et un schéma de pensée bien précis, à la Camus quoi ! Meursault est un homme introverti, taciturne, passif et pusillanime. La vie lui coule sur le dos comme flot d’indifférence, les sentiments, l’empathie et l’altruisme lui faisant cruellement défaut.

Sa singulière histoire se déroule en deux parties. Au début, la mère de Meursault meurt dans son asile. Le fils vivra brièvement son deuil avec plus d’indifférence que de tristesse et cela est à retenir car cette indifférence, doublée d’une apparence d’ennui va se retourner contre lui dans la deuxième partie.

Nonobstant quelque idylle de nature plus sexuelle que sentimentale, une chaîne d’évènements amènera Meursault à commettre un meurtre lui aussi marqué par l’absurde et l’indifférence. Un procès s’ensuit, à mon avis, LE véritable plat de résistance du roman.

Même si Meursault vit son procès avec détachement et ennui, il était prévisible que l’indifférence affichée lors de la mort de sa mère soit au cœur de l’argumentaire du procureur. Reconnu coupable et condamné, Meursault se lance dans une introspection laissant à penser qu’il mourra comme il a vécu.

C’est un roman étrange, singulier et original qui n’est pas sans nous questionner sur le sens de la vie et surtout sur la nature humaine. Est-il possible qu’un être humain soit doté d’une nature que rien ne gêne, n’ébranle ou ne touche ? Et si c’est le cas, cet être humain a-t-il une âme ? Question mise en évidence dans le plaidoyer du procureur. Je vais plus loin en suggérant que par le biais de tous ses questionnements, Albert Camus jette sur la Société un regard sévère, critique. Ce roman m’a ébranlé car il met en perspective une carence sociale : l’indifférence.

J’ai écouté la version audio de L’ÉTRANGER, lue par l’auteur en personne Albert Camus. Je l’ai trouvée aussi étrange que l’histoire. Autant dire que cette lecture d’un autre temps est caractérisée par la nonchalance et le détachement, est parfaitement ajustée au sujet.

Ajoutons à cela un peu d’atonie et de légèreté qui m’ont donné un peu l’impression, par moment, de donner au récit une empreinte caricaturale. Je n’ai pas vraiment été emballé par la narration, mais le roman est tellement fort, pointant du doigt l’irrationnalité et la bêtise, que j’ai été subjugué…tout simplement.

L’ÉTRANGER comporte de la sérieuse matière à réflexion. Le roman est court, frappe et va droit au but. Ça me rappelle une chanson célèbre dont les paroles sont de Maurice Vidalin, interprétée par Gilbert Bécaud, écrite en 1977 : L’INDIFFÉRENCE.

Dans ce chef d’œuvre *le chanteur français met en exergue…l’émotion qui consiste à ne pas ressentir, il s’agit de l’indifférence. Le chanteur diabolise, maudit et blâme ce trait de caractère. Il l’aperçoit comme l’une des pires caractéristiques que l’humain peut acquérir, au fil des paroles, on comprend pourquoi ! * (greatsong.net)

L’indifférence, elle fait ses petits dans la boue
L’indifférence, y a plus de haine y a plus d’amour
Y a plus grand chose
L’indifférence, avant qu’on en soit tous crevés
D’indifférence, je voudrais la voir crucifiée
L’indifférence, qu’elle serait belle écartelée


ALBERT CAMUS  (1913-1960)

Suggestion de lecture : Déjà paru sur ce site : mon commentaire sur un autre grand classique d’Albert Camus : LA PESTE

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert