QUI MENT ? Le livre de Karen M. McMANUS

VERSION AUDIO

*Merde ! hurlait-il en donnant un coup de poing par terre.
-Tu le portes sur toi ? Simon Simon. Les yeux de Simon se
révulsent tendis que Nate fouille ses poches dont il ne sort
qu’un vieux mouchoir. Des sirènes se mettent à retentir au
loin au moment où monsieur Avery entre en courant… On
ne trouve pas son épipène. *
(Extrait : QUI MENT, Karen M. McManus, Édition originale : Nathan
2018, 465 pages. Version audio : Audible studio, 2018, durée d’écoute :
10 heures 3 minutes, narratrice : Leïla Bellisa.)

Une intello, un sportif, un délinquant, une reine de beauté… un meurtrier. Qui allez-vous croire ?  Dans un lycée américain, cinq adolescents sont collés : Bronwyn (l’élève parfaite), Addy (la fille populaire), Nate (le délinquant), Cooper (la star du baseball) et Simon (le gossip boy du lycée). Mais Simon ne ressortira jamais vivant de cette heure de colle… Pour les enquêteurs, sa mort n’est pas accidentelle. Dès lors qu’un article écrit par Simon contenant des révélations sur chacun d’eux est découvert, Bronwyn, Addy, Nate et Cooper deviennent les principaux suspects du meurtre. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont tous quelque chose à cacher…

Quatre fois au mauvais endroit
au mauvais moment
*Celui-ci affirme que la personne qui a tué Simon
se trouvait dans la salle quand il a eu sa réaction
allergique. Autrement dit, que c’est l’un d’entre
nous. *
(Extrait)

   

Karen McMannus livre une marchandise à laquelle je ne m’attendais pas du tout mais qui m’a ravi dans son ensemble et particulièrement dans la finale, disons les deux dernières heures d’écoute. Voyons voir le décor : dans un lycée, cinq jeunes de 17 ans se voient imposer une heure de colle après les cours parce qu’ils ont été pris avec un portable dans leur sac.

On y retrouve donc ADDY, soucieuse de sa popularité et de ce qu’on pense d’elle, COOPER, le sportif, NATHANIEL, appelé NATE, un petit *bum* sympathique, un peu macho, BRONWIN, la perfection faite fille et SIMON, le gossip boy de L’école, c’est-à-dire un rapporteur de ragots, indiscrétions et méchancetés qu’il publie sur Internet et qui visent directement ses pairs du lycée.

Les *cinq* ne seront plus que quatre à la fin de la retenue. Des cinq, un sortira les pieds devant : Simon, victime d’une foudroyante et fatale attaque allergique. Étrangement, on n’a pas trouvé d’Epipen sur Simon. bien sûr, on a couru à l’infirmerie de l’école pour se rendre compte avec horreur que tous les stylos d’Epipen avaient disparu. Il semble qu’il y avait un petit film d’huile d’arachide dans le gobelet que Simon a utiliser pour boire de l’eau. Automatiquement, Brownvin, Addy, Cooper et Nate sont soupçonnés de meurtre.

Karen McManus a donné à son histoire une direction un peu spéciale. Un développement particulier loin d’être inintéressant. L’enquête policière sur la mort de Simon passe de loin au second plan. L’histoire est développée un peu comme une chronique du quotidien de jeunes de 17 ans : potinage, sorties, fardeau scolaire et bien sûr attraction et expériences sexuelles. Il y a cependant quelque chose qui se démarque : des jeux d’alliance entre les jeunes, des questionnements sur la mort de Simon, de l’investigation.

J’ai eu simplement l’impression que les jeunes raisonnaient à la place de la police. Ça m’a plu. D’ailleurs c’est un aspect de la littérature policière qui plait beaucoup aux jeunes. Autre élément intéressant : personne ne semble ému de la mort de Simon. La raison n’est pas justifiée mais elle est simple à comprendre.

Simon était un garçon venimeux, frustré, profondément méchant, sans doute très malheureux. Il n’hésitait pas à nuire aux réputations ou les détruire. Il avait créé une application pour y publier des posts dans lesquels il lançait des rumeurs accusatrices, des propos empoisonnés, des révélations choquantes qui visaient tous les élèves et qui malheureusement, étaient vraies dans à peu près tous les cas.

Morale de l’histoire, tout le monde a quelque chose à cacher et un peu d’hypocrisie s’imposait : *Personne ne pouvait blairer ce mec et aujourd’hui, ils sont tous là avec leurs petites bougies comme si on parlait d’une espèce de martyr et pas d’un connard qui bavait sur tout le monde. * (Extrait)

C’est tout le récit qui repose sur le profil de Simon une graine de malfaisance dont les méchancetés publiées sur internet laissaient pantois : *Bon ! En théorie, je suis pour la désorganisation des lycées par la violence.

OK ce gars a fait ce qu’il avait à faire mais de manière tellement commune. Tout ça manquait cruellement d’imagination. On a déjà vu ça cent fois…Un jeune tire sur tout le monde au lycée et se tire dessus ensuite.

Restez avec nous après le film pour le débat. Élevez le niveau quoi… un peu de créativité. Prenez une grenade par exemple des sabres de samouraï mais étonnez-moi quand vous descendez une poignée de ces moutons…* (Extrait) Commentaire étonnant et plutôt noir sur un massacre dans un lycée.

Dans ce roman, j’ai été un peu surpris de la discrétion policière mais agréablement surpris de l’évolution du raisonnement des jeunes. C’est eux qui ont la clé et j’ai dû les prendre au sérieux. Je me suis fait bien sûr une idée du coupable, j’étais même certain de son identité. J’étais dans le champ, alors là vous n’avez pas idée.

La finale m’a fait presque décrocher les mâchoires. C’est un bon roman que les jeunes lecteurs vont beaucoup aimer entre autres parce qu’ils vont se reconnaître.

Le récit fait un peu *sitcom*, on y trouve beaucoup de personnages *clichés* et dont l’évolution se fait un peu en dents de scie. Il y a quelques longueurs et l’auteure m’a semblé erré par moment. Heureusement, ça n’enlève rien au caractère intrigant et captivant du récit…une lecture surprenante que j’ai dévorée.

Avant de terminer, quelques mots sur la narratrice Leïla Bellisa qui a été plutôt décriée par la critique pour sa narration de QUI MENT ? Certains l’ont même qualifié d’insupportable. Moi je n’irai pas jusque-là.

À mon avis, madame Bellisa a trouvé le ton juste pour les personnages les plus importants mais quelques personnages sont affublés d’une voix carrément ridicule. Cette inégalité dans la qualité des signatures vocales jette un discrédit sensible à l’œuvre audio. Mais ça ne change rien à l’opinion que j’ai du livre.

Suggestion de lecture : LE SERMENT DES LIMBES, de Jean-Christophe Grangé

Karen M. McManus a une licence de littérature et une maîtrise de journaliste. Lorsqu’elle ne travaille pas à Cambridge, dans le Massachusetts, elle adore voyager avec son fils. « Qui ment ? » est son premier roman. 

Bonne écoute
Claude Lambert
janvier2020

LE MYSTÈRE DES JONQUILLES d’Edgar Wallace

*<Je parle à un homme dont la vie toute entière est un
reproche à son titre d’homme !… un homme qui n’est
sincère en rien, qui vit de l’intelligence et de la
réputation de son père ; de l’argent gagné par le dur
labeur d’hommes qui valent mieux que lui.>*
(Extrait : LE MYSTÈRE DES JONQUILLES, Edgar Wallace.
Format numérique, 1439 kb, papier : 294 pages. Ebooks 2016)

Après quelques minutes de conférence, Jack Tarling, le détective fraîchement arrivé de Shanghai avec son second Ling Chu, se rend compte que l’enquête que lui propose le milliardaire Thornton Lyne ne consiste qu’à piéger Odette Rider, l’employée qui a refusé les avances de son patron. Il refuse et pense n’entendre plus parler de cette affaire. Mais deux jours plus tard, le cadavre de Lyne est retrouvé dans Hyde Park, recouvert de jonquilles, avec un billet en chinois dans sa poche évoquant un châtiment. Vu ses compétences, Scotland Yard charge Tarling de résoudre ce « Mystère des jonquilles ».

On découvre très vite que des liens existent avec Odette Rider… Est-elle l’assassin ? Quel rapport y a-t-il avec la danseuse que Lyne avait molestée lors de son dernier séjour à Shanghai ? Ou faut-il soupçonner l’obséquieux Milburgh, le second de Lyne qui puisait dans la caisse depuis des années ?

Il y a encore Sam Stay, qui adorait Lyne et lui avait promis à sa sortie de prison de punir Odette : quelle vengeance va-t-il exercer sur la jeune fille à laquelle Tarling s’intéresse plus qu’il ne le voudrait ?

Des fleurs pour un cadavre
*Réveillez les femmes qui sont dans la maison,
dit Tarling à voix basse,
Mme Rider a été assassinée. *
(Extrait)

Voici une histoire simple avec un fil conducteur rectiligne : Thornton Lyne, richissime, s’amourache d’une jolie fille qui travaille chez lui. Il est habitué à ce qu’on cède à tous ses caprices. La jeune fille repousse ses avances et son humiliation lui fait immédiatement concevoir pour elle une haine féroce. Lyne était un menteur accompli. On le retrouve bientôt assassiné, le cadavre couvert de jonquilles.

Avec LE MYSTÈRE DES JONQUILLES, on voit du premier coup d’œil l’évolution qui s’est opérée avec le temps dans la littérature policière. Publié à l’origine en 1931, ce livre a eu suffisamment de succès pour être réédité quelques fois.

On a ici un format fidèle au style littéraire policier du début du XXe siècle : dépouillé, un peu naïf, avec une galerie de personnages très restreinte, presqu’un vase clos. L’ensemble est peu crédible…l’inspecteur Tarling qui tombe amoureux d’Odette Rider, soupçonnée de meurtre. Ce même Tarling qui, apprend-on au milieu du texte est le seul héritier de celui qui a été tué, le milliardaire Thornton Lyne.

Subitement, monsieur Tarling est devenu un lointain parent de monsieur Lyne. C’est un peu facile. Et puis le bon serviteur Ling Chu qui parle subitement anglais. Aussi, certains détails du récit n’ont jamais été éclaircis comme ceux entourant le meurtre de la mère d’Odette Rider. Quant aux jonquilles, elles sont évoquées dans la première partie parce qu’elles recouvrent le cadavre de Lyne mais elles sont accessoires.

Il n’y a que six personnages actifs dans ce roman : Thornton Lyne, et encore, il est assassiné dans le premier cinquième du livre, l’inspecteur Tarling, frais arrivé de Chine, l’inspecteur Whiteside de Scotland Yard, Ling Chu, serviteur de Tarling et fin limier, Milburg, qui gère les magasins de Lyne et Odette Ryder *pâle fantôme qui passait et repassait dans cette tragédie sans en faire vraiment partie…* (Extrait)

Ryder a eu l’audace de refuser les avances de monsieur Lyne et Sam Stay, un tordu qui adule Thornton Lyne.  Un petit complot ourdi par Lyne pour se venger se retourne contre lui. Ce ne fut pas compliqué pour moi de deviner qui est le coupable. Même si le mystère s’épaissit quelque peu au milieu du récit.

L’histoire demeure dépouillée et prévisible. J’ai été un peu déçu, me rappelant que cette époque a quand même produit d’excellents écrivains comme Arthur Conan Doyle qui publiait LE CHIEN DES BASKERVILLE, 40 ans avant le mystère des Jonquilles. Pourtant, le style littéraire était fidèle à l’époque mais le sens de l’intrigue et du mystère de Conan Doyle était infiniment supérieur.

J’ai lu un article publié après la sortie de l’adaptation cinématographique sortie en 2014 qui dit que le film redresse certains torts du livre. C’est donc à essayer. Sur le plan littéraire, j’aurai plutôt tendance à me rabattre vers des valeurs plus sûres comme Émile Gaboriau, Gaston Leroux, Agatha Christie ou ce bon vieil Arthur Conan Doyle.

Suggestion de lecture : CYANURE, de Camilla Läckberg

Edgar Wallace, intégralement Richard Horatio Edgar Wallace (1875 – 1932)  était romancier, dramaturge et journaliste britannique. Il a pratiquement inventé le moderne « thriller »; ses œuvres ont des intrigues complexes mais clairement développées et sont connues pour leurs climats passionnants.

Sa production littéraire – 175 livres, 15 pièces de théâtre et d’innombrables articles et esquisses de critiques – était prodigieuse ainsi que sa cadence de production. Ses œuvres incluent Sanders of the River (1911), The Crimson Circle (1922), et The Terror (1930). Son dernier travail était en partie le scénario de King Kong, qui a été achevé peu de temps avant sa mort.  (Encyclopaedia Britannica)

 

Le mystère des jonquilles
au cinéma

LE MYSTÈRE DES JONQUILLES est un film français réalisé par Jean-Pierre Mocky et sorti en 2014. Le réalisateur fait partie de la distribution et joue le rôle de Tarling. On retrouve aussi Gérard Bohringer, Denis Lavant et Isabelle Nanty.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 26 février 2022

 

L’INQUISITEUR, le livre d’HENRI GOUGAUD

*Je sais, dit l’évêque Gui, qu’une centaine de juifs
ont été massacrés, ce matin, par cette bande de
bergers normands que la reine de France nous
envoie, puisqu’il paraît qu’elle les a bénis…*
(Extrait :
L’INQUISITEUR, Henri Gougaud, Éditions du Seuil 1984,
Format numérique, 217 pages.)


À travers la Garonne médiévale, une troupe de paysans massacre les populations juives en invoquant Dieu. À leur tête : Jean le Hongre, dont l’influence sur les foules est grandissante. Prié par la papauté d’agir, le très intraitable Inquisiteur, Jacques Novelli, entend bien rétablir son autorité. Il décide d’enfermer la belle Stéphanie, la sœur de son ennemi. Mais voilà qu’il s’éprend d’elle…

 

 

Quelque chose qui change tout
*Mais ce morveux n’a pas plus de cervelle que de pitié. Je te le dis : Il
est perdu. Sais-tu ce qu’il a fait ? –Il a tué le curé de Castelsarrasin,
répondit Jacques en grimaçant douloureusement. Et sans doute aussi
le viguier. –Tout juste mon bon. Il les a égorgés lui-même en deux
coups d’épée. Ce fut, paraît-il, très horrible. Il dit cela avec un dégoût
de mauvais comédien qui scandalisa Novelli.
* (Extrait)

Ce n’est pas tout à fait le livre auquel je m’attendais. En fait, l’histoire, imaginée par Henri Gougaud développe davantage le profil de l’homme que celui de l’inquisiteur. Quoique le récit soit plus lourd à cause de la psychologie complexe du personnage principal, je l’ai trouvé tout de même très intéressant.

Le rôle d’inquisiteur est donc secondaire…pas de bûcher, pas de cruauté, pas de procès expédiés, pas de violence. L’homme quant à lui devient, après la mort de son oncle cardinal, profondément confus dans ses sentiments. Voyons l’aperçu. Nous sommes à Toulouse en 1321 dans une France où l’Église régente tout et opère une chasse sans merci à l’hérésie.

Un dominicain, Jacques Novelli, inquisiteur réputé intraitable, est chargé par le pape de capturer, juger et exécuter Jean Le Hongre, un meurtrier à la tête d’une bande qui massacre les juifs au nom de Dieu. Au tout début de sa mission, Novelli subit une transformation intérieure avec l’arrivée dans le décor de la belle Stéphanie.

L’inquisiteur devient mou. L’homme devient fragile et ses ambitions s’aplatissent. Son âme s’attendrit, confus devant ce qu’il ressent pour Stéphanie d’autant que Stéphanie est la sœur de Jean Le Hongre.

Il développe l’idée d’abandonner sa charge d’inquisiteur, de faire vœux  de pauvreté en devenant moine errant et mendiant et surtout convertir à la foi catholique un juif coriace dont il s’est pris d’amitié : Salomon d’Ondes. C’est surtout ce dernier aspect de l’histoire qui m’a tenu captif car il s’agit de la confrontation pacifique de deux hommes de caractère sur la base de puissants argumentaires.

Cela s’est traduit par des dialogues savoureux teintés de foi, de sincérité et de conviction mais souvent obscurcis par l’incompréhension et la certitude acquise par chacun d’avoir raison :

*Si donc je dois venir un jour dans votre Église, je n’y serai pas poussé par un enseignement en bonne et claire langue, mais par cette douceur de brise, par ce vent de miracle que l’on sent, parfois, entre deux élans de paroles.

Pour l’heure je vous l’ai dit, nous nous efforçons l’un et l’autre contre un mur qui nous empêche de nous joindre. –Un mur maître Salomon ? Quel est-il ? Désignez-le sans crainte, je l’abattrai, répondit Novelli* (Extrait)

Ce qui précède est un exemple de la qualité des dialogues. Gougaud a inséré dans son roman, un élément qui consacre toute l’originalité du récit : l’ouverture d’esprit qui a toujours cruellement manqué à l’Église. L’INQUISITEUR est donc la description du virage extraordinaire du destin d’un homme de foi.

La force du récit est principalement dans sa richesse descriptive. Je parle surtout de la transformation de Jacques Novelli en insistant sur la différence entre un homme d’Église et un homme de foi. Bien sûr ce type de développement ouvre la voie aux longueurs et à la redondance.

Certains passages sont lourds. C’est la principale faiblesse de l’œuvre. Elle est compensée par la force des personnages, y compris le serviteur et ange gardien de Novelli, le valeureux Frère Bernard qui vient nous rappeler que les hommes d’Église sont d’abord des hommes. Ce détail a échappé à beaucoup de monde dans l’histoire de l’humanité. C’est précisément une étincelle d’humanité qui donne toute sa valeur au récit de Gougaud.

J’ai apprécié l’optimisme qui se dégage du récit, son atmosphère médiévale, sa conclusion brillante et certains éléments de réflexion qui viennent nous rappeler qu’on a encore fort à faire pour sortir de l’obscurantisme religieux. Un bon livre mais attention, le titre est un peu trompeur.

Suggestion de lecture : LES SORCIÈRES DE SALEM, de Millie Sydenier

Considéré comme notre plus grand conteur, Henri Gougaud est l’auteur d’une œuvre impressionnante avec des romans, des recueils de contes et des paroles de chansons pour notamment Juliette Gréco et Jean Ferrat. Il a publié chez Albin Michel L’enfant de la neige (plus de 26 000 exemplaires vendus), Le livre des chemins (plus de 25 000 exemplaires vendus) et bien d’autres tel Le secret de l’Aigle avec Luis Ansa.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 20 février 2022

LE CID EN 4e B, la bande dessinée de VÉROPÉE

De nos jours, pas évident de lire Le Cid, de Corneille, quand on a treize ans ! Et pourtant, malgré les 382 ans qui les séparent, Chimène, Rodrigue et Don Diègue ne sont pas si éloignés de Naomy, Sarah-Lou, Brandon, Amine et de leurs acolytes ! Bienvenue dans le huis clos de la salle de classe de 4 e B. Entre frictions, moments de grâce, inepties et traits d’esprit, les élèves vont peu à peu apprivoiser la pièce et son langage suranné, à l’image de Lou qui s’exclame désormais « M’dame, quel outrage infâme, on m’a pris mon quatre couleurs ! »

 

DU FRANÇAIS TRÈS VIVANT

(Extrait : LE CID EN 4e B, par Véropée, scénariste et dessinatrice, La Boîte à bulles éditeurs, 100 pages, format numérique : 39,3 Mo. Publication : 14 mai 2019)

Pour comprendre cette adorable petite bande dessinée de Véropée, il faut connaître LE CID. Il s’agit bien sûr de la célèbre pièce de théâtre tragi-comique de Pierre Corneille crée en 1637. Dès le départ, cette pièce en cinq actes, en vers rimés deux à deux et en Alexandrins est devenue un classique immortel du théâtre et de la littérature. J’ai dû bien sûr faire un sérieux exercice de mémoire et faire un bond en arrière. En fait, j’ai dû refaire mes devoirs et relire cette œuvre patrimoniale. J’en propose ici le résumé rédigé par superprof.fr.

Don Diègue et le comte de Gomès ont décidé d’unir leurs enfants Rodrigue et Chimène qui s’aiment. Mais le comte, jaloux de se voir préférer le vieux don Diègue pour le poste de précepteur du prince, offense ce dernier en lui donnant un soufflet. Don Diègue, affaibli par l’âge et trop vieux pour se venger par lui-même, remet sa vengeance entre les mains de son fils Rodrigue qui, déchiré entre son amour et son devoir, finit par écouter la voix du sang et tue le père de Chimène en duel. Chimène essaie de renier son amour et le cache au roi, à qui elle demande la tête de Rodrigue.

Mais l’attaque du royaume par les Maures donne à Rodrigue l’occasion de prouver sa valeur et d’obtenir le pardon du roi. Plus que jamais amoureuse de Rodrigue devenu un héros national, Chimène reste sur sa position et obtient du roi un duel entre don Sanche qui l’aime aussi et Rodrigue. Elle promet d’épouser le vainqueur. Rodrigue victorieux reçoit du roi la main de Chimène : le mariage sera célébré dans un délai d’un an.

Au départ, je me suis demandé pourquoi avoir imposé un tel sujet à des jeunes de 4e. J’aurais préféré une piève introductive ou préparatoire à un manifeste linguistique aussi pointu dont la profondeur est difficile à saisir pour des jeunes de 12 ans. La prof m’a sensiblement donné raison d’ailleurs.

Dans le récit dessiné, les jeunes sont en perpétuel questionnement. Ils sont excités, bavards, curieux et surtout intrigués…car ils apprennent la notion de dilemme et connaissent maintenant l’origine du terme dilemme cornélien car dans LE CID, si Rodrigue obéit à son devoir, il doit tuer le père de sa promise en perdant son amour ; s’il refuse la vengeance au profit de l’amour, il manque à son devoir et portera toute sa vie la marque de la lâcheté.

C’est un choix très difficile car il oppose la raison aux sentiments. C’est un peu lourd pour des enfants de cet âge. Et puis LE CID est une pièce de théâtre. Il eût été probablement plus intéressant de la jouer que la lire même si la prof semble s’appuyer sur l’audio-visuel.

Mais j’ai aimé cette bande dessinée. Elle m’a rappelé des souvenirs bien sûr. Mais j’ai aussi apprécié l’aplomb des enfants, leur spontanéité, leur personnalité attachante, leurs incessants questionnements et l’infinie patience de la prof qu’on ne voit jamais.

Le dernier quart du livre propose de larges extraits du CID…longs et ennuyeux, mais Ça m’a fait réaliser la qualité de la vulgarisation et de l’approche pédagogique dans la bande dessinée de Véropée.

Les enfants ont été dirigés dans cette expérience de raisonnement et de compréhension avec un magnifique savoir-faire d’autant qu’ils ont rejoint sans le savoir l’opinion de la haute-Société de l’époque de Corneille qui avait plus ou moins bien accueilli LE CID à sa sortie. Pour les enfants, la question se pose : comment une tragédie peut être comique et finalement, comme à l’époque les jeunes ont été un peu choqués par la finale.

C’est une petite BD très sympathique et rafraîchissante. On ne peut faire autrement que d’en rire. Je pense entre autres au fait que les jeunes de quatrième étant à l’âge du réveil hormonal ont parfois des petites remarques à caractère sexuel. C’est drôle et dénote, de la part de l’auteure une juste connaissance des jeunes. Prenez une petite heure pour lire cette BD. Je crois que vous serez charmés.

Suggestion de lecture : LES CHRONIQUES D’UNE MÈRE INDIGNE, de Caroline Allard

Véropée fait partie de ces auteurs fantômes qui ne publie pas de photos sur internet. Ça m’a toujours irrité mais heureusement ça n’enlève rien au talent de cette femme à la fois auteure et scénariste.

 

Après des études d’arts plastiques puis de lettres, Véronique devient prof de français en 2005. Enseignante le plus souvent en REP en banlieue parisienne, elle est mutée à Tours en 2013. Elle renoue, avec le dessin et crée un blog dessiné, Raoul en Milieu Naturel, et est repérée par une maison d’édition. L’album sort en 2017. Inspirée par les mots farfelus de ses élèves et l’envie de partager, elle se lance dans la réalisation d’une nouvelle Bande dessinée : Le Cid en 4eB.

BONNE LECTURE

Claude Lambert
le dimanche février 2022

LA NOBLE MAISON, le livre de JAMES CLAVEL

*C’était nos bureaux de Taipei. LASTIN CLOUD
a coulé corps et bien au large de Formose…*
(Extrait : LA NOBLE MAISON, James Clavel, 1982,
Presses de la Cité, réédition : France Loisirs,
Édition de papier, 815 pages. Tome un de la série.)

À Hong Kong, dans les années 1960, surgissent deux américains avides de se tailler une part de ce marché fantastique que représente l’Asie, mais parfaitement ignorants des règles non écrites qui régissent la colonie Britannique. Leur ambition va provoquer une lutte sans merci entre deux grands Taï pan (les grand patrons) : Ian Dunross de la maison Struan-La noble maison- et Quillan Gornt de la maison Rothwell-Gornt. Un véritable combat au couteau dont l’enjeu est plus que la richesse : Le pouvoir. Au programme : Enlèvements, assassinats, escroqueries de tous ordres et double jeu permanent.

La furie de l’ambition
*Il repensa à ses ancêtres et une bouffée de haine le submergea :
Sir Morgan Brock, brisé par les Struan; Gronth Brock, assassiné par
Dirk Struan; Tyler Brock, trahi par sa fille, Hag Struan. Il renouvela
le serment qu’il avait fait à son père et que son père avait fait au
sien : Venger les Brock, détruire la Noble Maison.* 
(extrait)

Je me doutais bien que le créateur de SHOGUN allait m’offrir beaucoup plus qu’une guerre de pouvoir, d’argent et de concurrence, loyale ou pas. Les affaires ne sont qu’un prétexte. Alors voyons d’abord le prétexte : Deux américains désireux de s’implanter en Asie débarquent à Hong Kong à une époque où l’île est encore une colonie britannique.

À l’idée de toucher une part d’un marché fantastique, Linc Bartlett et Casey Tcholok, en prenant le pouls de Hong Kong provoqueront une guerre sans merci entre deux grands TAÏ PAN : Quillan Gornt, de la maison Rothwell-Gornt et Ian Dunross de la maison Struan, appelée LA NOBLE MAISON.

Le TAÏ PAN est le grand patron d’une maison. Il a tous les pouvoirs selon la tradition asiatique, une tradition mal comprise par les américains. L’enjeu de cette guerre entre Gornt et Struan va bien au-delà de la richesse. On parle ici d’encore plus de pouvoir.

LA NOBLE MAISON est un long pavé de 820 pages dont l’action se déroule sur 8 jours. On a vu le prétexte voyons maintenant l’histoire qui a comme principale essence, le cadre principal, c’est-à-dire Hong Kong, une île de 80 kilomètres carrés situé dans le sud-est de la Chine.

À travers ses personnages et les activités frénétiques de la haute société, Clavel raconte l’histoire de Hong Kong sous la tutelle britannique, les rapports complexes entre les administrateurs britanniques et les Chinois qui tournent à leur avantage la méconnaissance que manifestent les anglais à l’égard des asiatiques. C’est cette méconnaissance qui créera l’intrigue avec l’arrivée des américains dans ce milieu haut en couleur.

Le rythme du livre est élevé mais ça ne m’a pas empêché de découvrir toute la singularité de chaque classe de hongkongais en plus évidemment des coups bas que se font les TAÏ PAN : enlèvements, assassinats, escroqueries sans compter une impitoyable manipulation des marchés financiers qui peuvent provoquer jusqu’à la faillite.

C’est du grand Clavell. Il a encore une fois réussi à me faire oublier rapidement l’épaisseur du livre. J’ai appris beaucoup de choses sur Hong Kong et la mentalité chinoise, les traditions, le fonctionnement politique, social, policier et judiciaire de l’île alors que les hongkongais attendent patiemment 1999, année où l’île reviendra dans le giron chinois.

Clavel a vraiment une plume extraordinaire qui amalgame l’exotique avec une petite aura de mystère en plus d’être expressive et efficacement descriptive. Une telle intensité oblige l’auteur à s’étendre. À travers les intrigues et les coups bas s’immiscent l’amour, le sexe bien sûr et une concurrence souvent douteuse.

Les TAÏ PAN sont tout-puissants et impitoyables mais le dernier quart du livre met en scène des évènements qui ramènent un peu à l’humilité. La finale en particulier brasse les émotions. Il y a plus fort qu’un TAÏ PAN. Il y a la nature et elle n’a pas dit son dernier mot.

LA NOBLE MAISON est une belle histoire et l’auteur prend son temps et manipule avec art la magie des mots. C’est un roman fort. Une histoire aboutie. LA NOBLE MAISON constitue un univers à elle seule.

Je me suis intéressé à James Clavel au début des années 70 après avoir visionné un film extraordinaire : LA GRANDE ÉVASION avec Steeve McQueen et dont Clavel était coscénariste. Depuis, j’ai lu LE CAÏD, SHOGUN et bien sûr LA NOBLE MAISON que je vous recommande chaleureusement.

Suggestion de lecture : L’EMPIRE DU SCORPION, de Sylvain Meunier

James Clavell (1924-1994)  était écrivain et producteur de cinéma et de télévision. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il était un soldat britannique et un prisonnier japonais à Java et à Singapour, ce qui lui a valu un grand intérêt pour les choses est-asiatiques et japonaises, ainsi que pour l’expérience des prisonniers de guerre. Clavell est très connu en particulier pour « The Great Escape » (1963), « To Sir, with Love » (1967), « Tai-Pan » (1986), « Nobel House » (1988) et surtout « Shogun » (1980) Golden Globe Award de la meilleure série télévisée et Emmy Award .

LA SÉRIE

Affiche de la série télé réalisée par Gary Nelson en 1988.  Avec Pierce Brosnan, Debohra Raffin,  et Ben Masters.
Production américaine.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 12 février 2022

ALIEN-LA MER DES DÉSOLATIONS, multicast

Commentaire sur le livre audio de
DIRK MAGGS et JAMES A. MOORE

*Ils tentent de fuir…cachés sous leur peau artificielle
Ils courent en direction de la couveuse, dans
l’épave du vaisseau, exactement là où nous
voulions qu’ils aillent. Pour eux…la grotte est sombre.*
(Extrait : ALIEN-LA MER DES DÉSOLATIONS, 3e titre de la
série, Audibles studios éditeur, 2018, durée d’écoute, 5 heures
et 7 minutes : narrateurs : Bruno Meyer, Catherine Davenier
et 33 autres comédiens)

300 ans après les événements d’Alien – La Sortie des Profondeurs et Alien – Le Fleuve des Souffrances, Alien – La Mer des Désolations retrace la redécouverte des Xénomorphes (Aliens) en état de sommeil dans les mines abandonnées de LV-178, le planétoïde d’Alien – La Sortie des Profondeurs, désormais transformé et renommé New Galveston.

La Weyland-Yutani Corporation, réformée après l’effondrement de l’armée du système des Nations Unies, poursuit ses efforts incessants pour armer les créatures, obtenant l’aide d’Alan Decker, forcé de se joindre à une équipe de mercenaires envoyés pour enquêter sur une ancienne excavation qui se cache sous le désert toxique de la planète, baptisée la Mer des Douleurs.

Quelque part dans ces fouilles depuis bien longtemps oubliées se trouve ce que la compagnie désire à tout prix – un Xénomorphe vivant. Decker ne comprend pas pourquoi l’entreprise a besoin de lui, jusqu’à ce que son patrimoine génétique revienne le hanter.

Il y a des siècles, l’un de ses ancêtres a combattu les Aliens, lançant une vendetta sanglante encore inassouvie. C’est à ce moment-là que les créatures ont juré de se venger de son aïeule, « la Destructrice », Ellen Ripley… et de tous ses descendants.

L’HORREUR SANS L’IMAGE
*-Toute la mine pourrait s’effondrer sur nous ! –Pas seulement !
Je sens les Aliens en mouvement. Ce qui a causé ces
tremblements, ça a secoué la ruche en même temps. –Oh merde !
-Bon…vous savez ce qu’on dit ? Quoi? – T’es pas parano quand
quelque chose essaie vraiment de te tuer…*

Encore une fois, j’ai eu droit à une excellente présentation omnisonore. Technique au point, effets sonores efficaces, musique de circonstance, rythme élevé sans longueur ni temps morts. La logique même de cette histoire vous permet de l’écouter sans au préalable avoir écouté ALIEN-LA SORTIE DES PROFONDEURS et ALIEN-LE FLEUVE DES SOUFFRANCES.

L’histoire est facile à suivre en fait parce que beaucoup d’éléments nous ramènent au film qui a lancé la créature xénomorphe sur le sentier de la gloire : ALIEN LE HUITIÈME PASSAGER. L’ensemble est immersif mais l’histoire comme telle sent le réchauffé, le déjà vu et donne la forte impression d’un essoufflement.

Le fil conducteur de toute la saga n’a pas changé: 

*Ma mission, conformément à l’ordre spécial 9 3 7 de la compagnie Weyland-Utany consiste à ramener un spécimen vivant de la créature qui a attaqué et tué la totalité de l’équipage du NOSTROMO. Ripley est la seule survivante.* (Extrait : ALIEN LA SORTIE DES PROFONDEURS, propos de Ash, qui était officier scientifique du NOSTROMO et dont la conscience a été transférée dans une machine :

*Ash au rapport…je ne dispose plus d’un corps physique, ma voix a changé mais j’existe, mon programme ayant transféré mon intelligence artificielle dans l’ordinateur de bord de la navette. * (Extrait : ALIEN LA SORTIE DES PROFONDEURS)

C’est ce qui est sensé garder l’auditeur et l’auditrice sur le qui-vive : ramener la créature sur terre selon les vœux de la Weyland-Utany tout en sachant que les scientifiques en perdraient le contrôle.

On se doute bien d’une part que les intentions de la Weyland-Utany sont de nature militaire et d’autre part, on a une bonne idée des dégâts que créerait sur terre une telle créature. Dans la MER DES DÉSOLATIONS, le but, les intentions, les objectifs sont toujours les mêmes. On en est là. Je ne peux en dire plus mais tout est en place évidemment pour une suite.

Il y a, je l’admets, quelques rebondissements intéressants concernant par exemple l’agente supérieure Rollins de la Weyland-Utany ou le héros de l’histoire, Decker qui ressent les mouvements Aliens grâce son don de perception extra-sensorielle. Il y a de bonnes idées. Le dernier quart de l’oeuvre m’a particulièrement figé sur place.

Malheureusement, je n’ai pas ressenti le même engouement que pour les autres opus. Il y a comme une faiblesse dans l’évolution de l’histoire. Elle fait du *sur place*, elle stagne, elle est prévisible. C’est peut-être, sur le plan littéraire, l’épisode le moins abouti de la saga. Ici on ne renouvelle pas de genre.

J’aurais souhaité plus d’originalité, de nouveautés et une moins forte tendance à traîner les choses en longueur. Heureusement, la qualité audio est excellente et a réussi à me submerger. Simplement, le scénario m’a laissé un arrière-goût d’inachevé.

Je recommande LA MER DES DÉSOLATIONS pour le caractère immersif de sa prestation. On a l’impression d’être dans un vrai film et proche des acteurs. Je vais sûrement me risquer à écouter la suite en espérant du neuf.

Pour lire mon commentaire sur ALIEN-LA SORTIE DES PROFONDEURS, cliquez ici. Aussi pour tout savoir sur l’historique d’Alien, AUDIBLE propose une chronologie complète de la saga. Si ça vous intéresse, cliquez ici.

Comme vous le verrez, la gentille bête est devenue une institution qui me laisse fraîche en mémoire la première production cinématographie d’Alien, LE HUITIÈME PASSAGER réalisée par Ridley Scott. Monsieur Scott a donc ouvert, en 1979, un grand bal.

Suggestion de lecture : ARMADA, d’Ernest Cline

James Arthur Moore (à gauche) est un auteur américain né en 1965 à Atlanta, Georgie. Spécialisé dans l’horreur et la Fantasy, il a été nominé deux fois pour le prix Bram Stoker: en 2003, pour « Serenity Falls » et, en 2006, pour « Bloodstained Oz », coécrit avec Christopher Golden.

Dirk Maggs, (à droite) est un écrivain et réalisateur indépendant travaillant sur tous les médias. Il est principalement connu pour son travail à la radio, où il a transformé le drame radiophonique en « Audio Movies », une approche quasi visuelle combinant des scripts, des effets sonores superposés, une musique cinématographique et des technologies de pointe.

Bonne écoute
Claude Lambert
Le dimanche 6 février 2022

Rue Principale, été 1966, de ROSETTE LABERGE

TOME 1 version audio

*Certains prétendent que son statut de veuve bien nantie
l’a rendu sûre d’elle au point qu’elle s’adresse parfois aux
gens, particulièrement à ses proches, comme une
souveraine à ses sujets. Résultat : dix ans de veuvage plus
tard, elle est encore plus désagréable.*

(Extrait : RUE PRINCIPALE
tome 1, ÉTÉ 1966, Rosette Laberge, Les éditeurs réunis, 2019,
300 pages. Version audio : Vues et voix éditeur, 2019, durée
d’écoute : 10 heures 24 minutes. Narratrice : Émilie Lévesque.)

L’été 1966 restera bien ancré dans la mémoire des Thibault. À cause, certes, des nombreuses journées passées en famille à la plage de Shipshaw et des pêches miraculeuses de Pascal, le père, sur la rivière Sainte-Marguerite. Mais, surtout, à cause de l’annonce du divorce de Rémi, son jeune frère. Depuis que leur mère a appris la mauvaise nouvelle, non seulement elle ne parle que de ça, mais elle a continuellement la larme à l’œil.

De plus, voilà qu’elle débarque chez Simone, Pascal et leurs cinq filles plusieurs fois par semaine, ce qui commence à être lourd à porter pour tout le monde. Même pour son fils, qui se réfugie de plus en plus souvent dans son cabinet médical et à l’hôpital pour ne pas avoir à la supporter. D’ailleurs, l’arrivée d’une nouvelle et jolie employée perturbe grandement le médecin.

Une chronique des sixties
*…on commence à peine à se remettre du passage de notre
chère Alice…ou plutôt de son invasion. Le jour où
j’apprendrai qu’elle revient à Chicoutimi, je changerai
toutes les serrures et je garderai les portes barrées à
double tour jour et nuit*
(Extrait)

     

RUE PRINCIPALE, été 1966 est une chronique qui raconte le quotidien de la famille Thibault: le père, Pascal, médecin dévoué à sa famille et à ses patients, la maman, Simone, une femme forte mais qui n’arrive qu’à surnager parfois avec ses cinq filles, dont une rebelle redoutable qui cause bien des soucis, Martine. Il ne faut pas oublier la bonne, Françoise, de l’or en barre qui est devenue indispensable à Simone.

J’ajoute à cette belle distribution, Alice, personnage redoutable et tyrannique. Alice est la mère de Pascal, la grand-maman tornade et la belle-mère de Simone. Même Pascal évite sa mère. D’ailleurs l’histoire débute sur un conflit de cuisine particulièrement intéressant qui obligera Simone à mettre ses culottes devant l’horrible mégère.

Il y a dans l’histoire certains personnages de second plan qui sont passionnants à suivre. Rémi, le frère de Pascal. Rémi est aussi éloigné de son frère que le nord l’est du sud. Il y a François, son autre frère et Thierry, un ado qui a un faible pour une des filles Thibault: Christine. Et le bon docteur lui, voit en Thierry le fils qu’il n’a jamais eu.

Voilà donc comment se met en place cette saga d’époque particulièrement bien documentée et recherchée car il s’en dégage toute l’atmosphère des années 1960 au Québec, C’est une époque qui ne connait pas la famille éclatée. Le divorce est classé au rang des scandales et les tares familiales sont scrupuleusement camouflées.

Relativement au portrait social, je n’ai trouvé qu’une petite faiblesse : l’absence de la religion. À une époque où l’Église avait la main haute sur la Société québécoise, je crois que l’auteure aurait dû inclure cette réalité dans l’oeuvre ainsi que la réalité de signes évidents de la révolution tranquille.

Sinon, c’est un très bon roman. La plume est forte, expressive. Les personnages sont attachants malgré le caractère stéréotypé de certains comme la belle-mère par exemple. L’auteur a cette capacité de faire rire le lecteur avec ses personnages, de le faire pleurer et même d’anticiper le futur immédiat de cette famille et d’avoir, malgré tout, la surprise de dénouements inattendus.

Rosette Laberge a dû travailler fort pour me convaincre de la crédibilité de son œuvre, la narratrice ayant peu contribué à la mettre en valeur. Émilie Lévesque est sûrement une bonne narratrice mais pour ce genre d’histoire, ça prend autre chose.

La narration de RUE PRINCIPALE manque de conviction et elle est parfois déclamée comme si on lisait l’histoire à des enfants. En général, le registre vocal est sous-exploité.

Le pouvoir attractif de l’auteure m’a grandement aidé à surmonté cette difficulté mais ce pouvoir n’est peut-être pas le même pour tout le monde. Je suis mitigé sur la version audio, mais je recommande l’œuvre sans hésiter.

Je l’ai beaucoup appréciée d’autant qu’elle se termine sur un drame qui met tout en place pour la suite: RUE PRINCIPALE HIVER 1967 qui réserve à la famille Thibault bien des épreuves et aux lecteurs-lectrices bien des émotions et qui permettra encore, aux baby-boomers en particulier de se reconnaître et de plonger au cœur de la rue Principale. 

Suggestion de lecture : L’ÉPICERIE SANSOUCY, de Richard Gougeon

Auteure à succès, Rosette Laberge explore des genres aussi variés que le roman, la nouvelle, l’essai et le roman jeunesse. Au cours des dernières années, elle a reçu plusieurs distinctions, dont le prix Littérature, au GalArt 2013, ainsi que le prix Femme d’influence, au Gala Excellence au féminin de la même année.

L’auteure derrière la célèbre saga des Souvenirs de la banlieue (plus de 100 000 exemplaires vendus) communique à travers chaque roman une passion avouée pour les mots et leur grand pouvoir sur nos vies. Rosette Laberge a publié chez Druide.

BONNE LECTURE
Bonne écoute
CLAUDE LAMBERT
le dimanche 30 janvier 2022

À l’ombre de la montagne, de KATHLEEN BRASSARD

*-J’ai retrouvé ta maman. Elle va bien. Elle t’attend.
Viens, donne-moi la main, elle est impatiente de te
revoir…Ce n’est pas la perspective de revoir sa
mère qui l’a fait se lever et suivre le croque-mitaine.
C’est la terreur. Personne n’échappe au croque-
mitaine. C’est comme ça. *
(Extrait : À L’OMBRE DE LA MONTAGNE, Kathleen
Brassard, Éditeur: CreateSpace Independent Publishing
 Platform, 2017. Papier 358 pages, numérique, 938 Ko)

Qui a dit que le croque-mitaine, c’est de la foutaise? Dans un futur pas si lointain, Kay Frarma, analyste comportementale dans un bureau régional de la police d’une ville moyenne, s’ennuie à mourir à brosser le portrait psychologique de petits malfrats sans envergure. Elle ne se doute pas que bientôt, sa vie va basculer d’une effroyable manière. Elle devient la cible d’un tueur en série qui parsème les lieux qu’elle fréquente de bouts de cadavres non identifiables. Dans quel but? Est-ce que le Tueur tente de lui passer un message ou ses actes cachent-ils d’autres agissements encore plus macabres? 

Croque-mitaine du futur
*Le corps de Marco Delano a été retrouvé
dans les bois près de l’établissement au
fond d’un parking peu fréquenté. Démembré. *
(Extrait)

Voici l’histoire de Kay Frarma, une profileuse judiciaire qui exerce son métier dans une ville où il ne se passe à peu près jamais rien. Difficile de se faire un nom comme analyste comportementale quand on n’a à se mettre sous la dent que des petites affaires qui envoient aux travaux communautaires des petits délinquants sans envergure. Kay ne rêve que d’une chose : une vraie enquête sur un crime grave, une enquête qui la mettra à l’avant-scène.

Sa chance se présente quand, lors de son jogging quotidien sur la montagne, Kay découvre un bras. Voilà qui devrait mobiliser toute la brigade et Kay en particulier car quelques jours après la macabre découverte, notre profileuse reçoit une lettre dans laquelle l’assassin, qui la vise personnellement, déclare qu’il n’en restera pas là. Kay entreprend une recherche pour essayer de comprendre qui peut lui en vouloir à ce point.

Débute alors un jeu complexe du chat et de la souris. Avec la découverte d’autres parties de l’anatomie humaine et d’éléments qui visent directement Kay, notre profileuse découvre avec horreur qu’elle a affaire à un mégalomane tordu, décérébré qui côtoie tout le monde dans une ville où tout le monde connait tout le monde et ce sous l’apparence de la banale normalité.

Et ce n’est rien en comparaison de ce qui attend Kay en finale. Ce psychopathe se livre à une des plus basses activités criminelles qui soit. Je vous laisse évidemment découvrir de quelle saloperie il s’agit. Mais je peux vous dire que si Kay s’ennuyait et rêvait d’une affaire digne du titre, elle sera servie jusqu’à s’en dégoûter :

*Malgré mes longues années d’étude, les analyses comportementales de centaines de délinquants, des milliers d’heures de lecture sur le sujet, jamais je n’aurais cru me retrouver un jour dans une situation aussi…comment dire…* (extrait)

J’ai été agréablement surpris par la qualité du texte, de l’intrigue, de l’écriture car À L’OMBRE DE LA MONTAGNE est le tout premier roman de la québécoise Kathleen Brassard. Pour un départ de carrière littéraire à 49 ans, c’est à mon avis, fulgurant. Notez que le sujet n’est pas d’une grande originalité…un policier qui s’ennuie parce qu’il ne se passe rien et qui subitement s’accroche les pieds dans les traces d’un inimaginable monstre. C’est banal.

C’est bien le seul petit point négatif que je peux apporter et il est facilement surmontable avec tout ce qu’offre l’histoire en imagination, énigme, mystère et aussi et surtout pour le défi aux lecteurs qu’elle représente. En effet, plus les lecteurs/lectrices découvrent plein d’éléments clés leur permettant d’anticiper sur l’identification du (de la)  ou des coupables.

Ajoutons à cela le mystère qui s’épaissit et pourtant, la galerie de personnages est passablement restreinte, on en a vite fait le tour. Kathleen Brassard réussit cet exploit avec un naturel qui m’a mystifié. Ce livre est devenu un véritable tourne page…très difficile d’en arrêter la lecture. Le roman est bien construit et son rythme est relativement élevé.

En terminant, un mot sur les personnages. Ils sont bien travaillés. Kay en particulier. Elle est intelligente, volontaire et forte. Je ne peux pas vraiment dire que j’ai trouvé les personnages attachants sauf peut-être Julius, un jeune albinos, personnage central de cette histoire et suspect potentiel.

Peu importe ce qu’on lui reproche dans cette histoire, il a attiré ma sympathie en cours de lecture et quant à ses relations avec Kay, j’ai trouvé l’écriture aussi efficace que mystifiante. En fin de compte je crois que madame Brassard a lancé sa carrière littéraire sur une base solide.

Aussi, je vous recommande sans hésiter la lecture de cet excellent thriller policier : À LOMBRE DE LA MONTAGNE. Vous serez peut-être aussi tenté de lire son deuxième roman IVRE DE TOI.

Suggestion de lecture : LE BALLET DES OMBRES, de Marika Gallman

Écrivaine, bibliothécaire et traductrice, Kathleen Brassard est née à Québec en 1966. À 49 ans, elle écrit son premier vrai roman, À L’OMBRE DE LA MONTAGNE. Un deuxième suit…IVRE DE TOI.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 23 janvier 2022

EN SACRIFICE À MOLOCH, livre d’ASA LARSSON

VERSION AUDIO

*La salle de classe pue la crasse, la laine
humide et la peau de renne sure. Mais elle
ne sent pas l’étable et ici, elle a le droit
d’ouvrir la fenêtre.*
Extrait : EN SACRIFICE À MOLOCH, Asa
Larsson, à l’origine : Albin Michel éditeur, 2017,
448 pages, version audio : Audiolib éditeur, 2018,
durée d’écoute : 10 heures 58 minutes.
Narratrice : Odile Cohen, prix meilleur polar suédois)

Au terme d’une traque impitoyable dans les forêts de Lainio, en Laponie suédoise, un ours féroce est abattu. Dans sa panse : les restes d’un homme…cette macabre découverte est suivie quelques mois plus tard par l’assassinat d’une femme à coups de fourche. Chargée de l’enquête, la procureure Rebecka  Martinsson ne tarde pas à recouper ces faits a priori sans rapport : les deux victimes avaient un lien de parenté ; ils étaient père et fille.

Mais ils ne sont ni les premiers ni les derniers à disparaître, comme si une étrange malédiction frappait leur famille… Une odyssée dans les paysages crépusculaires et inquiétants du Grand Nord suédois.

(NOTE : Kiruna existe vraiment. C’est une ville de moins de vingt mille habitants où se déroule l’action de la plupart des romans d’Asa Larsson)

UN THRILLER BORÉAL

 

*N’importe qui peut avoir pris cette fourche
dans cette grange. Il serait normal  d’y
trouver les empreintes de Jinny Egroth.
Elle peut parfaitement l’avoir utilisée…*
(Extrait)

C’est un polar intéressant et même accrochant selon l’état d’esprit du lecteur. En effet, avant d’entreprendre la lecture de ce livre, il faut connaître un peu la nature de la littérature scandinave tout au moins dans sa façon de développer les polars. Au moins trois éléments nous donnent un excellent point de départ : la notoriété de l’auteure Asa Larsson, le fait que ce livre a décroché le prix du meilleur polar suédois en 2012 ainsi que la narration chaude et dynamique d’Odile Cohen qui nous fait oublier un peu le petit côté ennuyeux du style littéraire suédois.

En effet, l’histoire est développée dans le décor boréal de la Laponie suédoise…le froid, la neige et le vent sont omniprésents. L’approche psychologique de l’histoire et de ses personnages prend le pas sur l’action et les rebondissements. Ne vous attendez à rien de particulièrement enlevant. Toutefois, le développement, bien qu’un peu paresseux est fort et très intriguant. J’ai beaucoup apprécié le personnage de la procureure Rebecka Martinson qui en est à sa cinquième enquête dans l’œuvre de Larsson.

C’est un personnage particulièrement bien travaillé, abouti, attachant et très humain et je pourrais parler aussi longtemps de son intuition et de son sens aigu de la déduction. Ici, elle perd l’enquête à cause d’un imbécile mais elle continue tout de même, bravant les interdits. C’est un aspect très intéressant de l’histoire.

Même si son décor est blanc, EN SACRIFICE À MOLOCH est un polar très noir, obscur. Le roman démarre sur des chapeaux de roues avec la découverte, dans l’estomac d’un ours abattu, de restes humains…un homme. Cette découverte macabre sera suivie un peu plus tard de l’assassinat d’une femme. Recoupant les faits la procureure Martinson découvrira rapidement que l’homme et la femme étaient père et fille.

D’autres disparitions surviendront un peu à la façon des malédictions qui sillonnent les légendes scandinaves comme celle de Moloch*divinité capable de donner richesses, belles moissons et victoires au combat… Des nouveau-nés étaient donnés en sacrifice. On fabriquait des statues creuses en cuivre. Avec une large poitrine. On allumait un feu à l’intérieur des statues qu’on chauffait à blanc puis on déposait les enfants vivants entre les bras de Moloch*.  (Extrait)

Le lecteur et la lectrice doivent se concentrer quelque peu car l’auteure nous fait faire de nombreux voyages dans le temps. Je l’avoue, je me suis parfois un peu perdu. Ça donne un petit côté assommant au récit si je tiens compte de la lenteur du rythme. C’est l’intrigue qui maintient l’intérêt.

Quoique l’histoire soit parfois difficile à suivre, la beauté de l’écriture m’a séduit ainsi que l’originalité de l’ensemble. Par exemple, Asa Larsson fait parler la nature et les animaux avec les légendes et l’histoire qui sous-tendent le récit, ça donne à l’ensemble un petit goût surnaturel pas désagréable.

Aussi beaucoup de passages font place à de petites morales pas toutes très recherchées mais intéressantes qui rendent évident le fait que l’auteur a pour habitude de prendre son temps. *Qui aime la perfection ? L’amour ne va pas sans le dévouement et le dévouement ne peut s’attacher qu’aux imperfections de l’être aimé, à ses blessures, à sa folie.

*L’amour veut combler les manques et la perfection n’a pas besoin d’être comblée. Une personne parfaite, on ne l’aime pas, on la vénère.* (Extrait)

Donc pour résumer, EN SACRIFICE À MOLOCH est un roman fort. Pas toujours facile à suivre, empreint de longueur et d’un peu d’errance quoique calculée. Mais le mystère savamment entretenu et la force des personnages ont capté mon attention et maintenu constant mon intérêt. C’est très noir comme roman. Sinistre à la limite.

Mais il y a du mystère, de l’intrigue et la finale vaut bien l’attente. J’ai assez bien apprécié. Il faut se rappeler ici que le style de l’auteur est conforme à la tradition littéraire scandinave. Je n’ai pas tout à fait compris pourquoi ce livre s’est mérité un prix national mais bon…je fais peut-être trop nord-américain.

Suggestion de lecture : LES MYSTÈRES D’AVEBURY, de Robert Goddart

Asa Larsson a grandi à Kiruna, 145 km au-dessus du cercle polaire Arctique, où se déroulent ses romans. Avocate comme son héroïne, elle se consacre désormais à l’écriture. Les cinq tomes de la série autour de Rebecka Martinsson sont en cours de traduction dans 30 pays.

Travaillant sur scène, à l’écran et dans le doublage, Odile Cohen est notamment la voix française régulière de Renée Zellweger et Uma Thurman, ainsi qu’une des voix françaises d’Andie MacDowell (l’autre étant Rafaèle Moutier), Carla Gugino Rebecca Mader, Jennifer Connelly et Anna Torv. Odile Cohen a un impressionnant parcours en théâtre, télévision, cinéma comme actrice et au doublage en livres audio et même un jeu vidéo à son actif.

Bonne écoute
Claude Lambert
le dimanche 16 janvier 2022

SA MAJESTÉ DES MOUCHES, de WILLIAM GOLDING

*Des signes de vie se manifestaient sur la plage. Le
sable moiré par l’air chaud dissimulait de
nombreuses silhouettes éparpillées sur des
kilomètres de plage. De partout, des garçons
convergeaient vers le plateau à travers le sable
lourd et brûlant. * 

(Extrait : SA MAJESTÉ DES MOUCHES, William Golding,
édition originale, 1954 par Faber and Faber. Réédition :
Gallimard 2002, édition numérique, Folio, 216 pages)

Un avion transportant exclusivement des garçons anglais issus de la haute société s’écrase durant le vol sur une île déserte. Le pilote et les adultes accompagnateurs périssent. Livrés à eux-mêmes dans une nature sauvage et paradisiaque, les nombreux enfants survivants tentent de s’organiser en reproduisant les schémas sociaux qui leur ont été inculqués.

Mais bien vite le vernis craque, la fragile société vole en éclats et laisse peu à peu la place à une organisation tribale, sauvage et violente bâtie autour d’un chef charismatique. Offrandes sacrificielles, chasse à l’homme, guerres sanglantes : la civilisation disparaît au profit d’un retour à un état proche de l’animal que les enfants les plus fragiles ou les plus raisonnables paient de leur existence.

Méchanceté atavique
*-J’ai peur. Peur de nous. Je voudrais être à
la maison. Oh ! mon Dieu, comme je
voudrais être chez nous ! *
(Extrait)

D’abord un mot sur la notoriété de ce livre publié en 1956 et classé roman psychologique pour les jeunes. Cette notoriété est impressionnante car SA MAJESTÉ DES MOUCHES a inspiré le cinéma avec deux adaptations, le théâtre, la musique, la bande dessinée, les séries télé, la télé-réalité, même les jeux vidéo et l’influence que cette œuvre de William Golding a eu sur la littérature est particulièrement forte et intéressante.

Il serait trop long d’en faire le tour mais je signalerai que SA MAJESTÉ DES MOUCHES a inspiré Kinji Fukasaku pour son livre BATAILLE ROYALE, adapté au cinéma. Je n’ai pas lu le livre, mais j’ai été ébranlé par le film. Stephen King fait référence à l’œuvre de Golding dans certains passages de son recueil CŒURS PERDUS EN ATLANTIDE et dans le cycle LA TOUR SOMBRE. Et bien sûr, SA MAJESTÉ DES CLONES qui est la version science-fiction de SA MAJESTÉ DES MOUCHES. Comme je le disais, la liste n’est pas exhaustive.

Sa majesté des mouches, adaptation cinématographique de 1990

Un avion transportant des jeunes garçons âgés entre 6 et 13 ans, s’écrase sur une île perdue dans le Pacifique. L’équipage meurt mais les enfants sont indemnes. Une fois remis de leurs Émotions, les enfants tentent de s’organiser. Deux esprits forts se démarquent du groupe : Jack, un garçon charismatique mais violent et caractériel. Et il y a Ralph, le personnage principal du roman, un adolescent intelligent, organisateur et visionnaire.

Le petit gros du groupe, un intellectuel à lunettes fait la découverte sur la plage d’une conque, une grosse coquille en spirale longtemps utilisée comme trompe au cours de l’histoire dans plusieurs pays du monde. Ralph décide de faire de cet instrument le symbole rassembleur du groupe.

Tout le monde reconnait Ralph comme chef. Le groupe tente de s’organiser mais Ralph met au grand jour sa nature pusillanime. C’est un chef mou et sans colonne. Pendant ce temps, Jack dévoile sa nature agressive, tranchante : *Il y a quelque chose qui ne va plus. Je ne comprends pas quoi. Nous avions bien commencé ; nous étions heureux. Et puis…-…et puis on a commencé à avoir peur*  (Extrait)

Ralph est un partisan du feu pour avertir les bateaux passants, Jack est partisan de la chasse…pour manger…et pour tuer. La dystopie s’installe, la peur se densifie. Puis, Jack est devenu intouchable pour la raison bien simple que tout le monde en avait peur.

C’est un livre extrêmement poignant qui abandonne le lecteur dans un puissant brassage d’émotions contradictoires. Dans une certaine mesure, c’est un livre qui met mal à l’aise car il met en perspective une tache indélébile de la nature humaine : la violence, la soif de pouvoir. Sont-elles ataviques ? Que, dans une situation semblable, les enfants perdent le sens de la civilité, je peux comprendre.

Mais peut-on perdre à ce point le sens de l’humanité ? Parce que c’est ce qui se produit ici. Alors que tout devient incontrôlable, la sauvagerie et la barbarie prennent le pas. La jeunesse qu’on dit innocente fait passer sa survie par la violence. Voilà pourquoi le récit met mal à l’aise parce qu’il dessine l’incontournable déshumanisation mue par la vanité, l’orgueil mais surtout par la peur et le désespoir.

Cette descente va jusqu’à la pire des bassesses : le meurtre. Par quel mécanisme un enfant peut descendre aussi bas. William Golding ne l’explique pas vraiment mais il le montre. Et le crescendo imprégné dans le texte est tellement graduel que le lecteur n’y voit que du feu jusqu’à ce qu’il réalise qu’il est maintenant prêt à boire à la bêtise humaine.

Beaucoup de choses peuvent expliquer cette dégradation : L’empreinte génétique, la fragilité mentale et émotive, l’éducation, les influences sociales, l’atavisme.  Peu importe. Ce qui est important ici c’est que Golding n’explique pas. Il crée l’image dans l’esprit du lecteur et il ne baigne pas dans l’eau de rose.

C’est un livre violent. Qu’il soit classé littérature jeunesse peut être discutable. Le réalisme qui ressort de cette œuvre la confine plus à l’horreur. C’est bien écrit. C’est très direct d’autant qu’ici l’humain descend vers l’état d’animal et que les enfants les plus fragiles en meurent. Une corde sensible est étirée jusqu’à la rupture.

Bien que SA MAJESTÉ LES MOUCHES soit considéré comme un classique, une référence pédagogique, que sa profondeur psychologique et son pouvoir descriptifs soient indéniables, l’œuvre comporte des faiblesses et des irritants. Étant donnés les évènements qui se déroulent sur l’île, j’aurais aimé avoir une idée de sa taille et de sa forme. Une carte n’aurait pas été un luxe ainsi qu’un bref profil des personnages.

Aussi, à deux reprises dans le récit, un incendie de forêt met la vie des enfants en danger. Cet aspect du récit est sous-développé et la vitesse de propagation du feu m’a laissé supposer un bâclage de cet aspect de l’histoire. Ce sont quand même deux épisodes importants. À la fin que je ne veux quand même pas dévoiler, je n’ai aucune nouvelle de Jack et Roger.

Ce sont pourtant les deux principaux personnages qui ont poussé les évènements à dégénérer. J’ai trouvé la finale expédiée et sans saveur. En générale, c’est toute la deuxième partie du récit qui est sous-développée.

Quoiqu’il en soit, cette histoire ne laisse pas indifférent et pousse à la réflexion sur la précarité de la nature humaine.

Suggestion de lecture : PÉRIL EN MER, d’Olivier Descamps

William Golding était un écrivain britannique appartenant au courant postmoderniste. Il est né le 19 septembre 1911 en Cornouailles et mort le 19 juin 1993. Il a obtenu le Prix Nobel de littérature en 1983. Après avoir exercé de nombreux métiers, il se retire en 1962 dans les environs de Salisbury pour se consacrer à ses travaux littéraires. Il également connu pour avoir proposé au scientifique et ami James Lovelock la terminologie de Gaia « Gaia: a new outlock at Life on earth » (première édition 1979).

Cette appellation vient du nom de la déesse grecque de la Terre, synonyme de biosphère et géomorphologie dans les sciences naturelles et de Mère Nature dans les mouvements ésotériques. Ses romans ont souvent traité du mal, de l’opposition entre la barbarie instinctive de l’homme et l’influence civilisatrice de la raison. C’est en particulier marquant dans Sa Majesté des mouches, son premier roman (1954) et son livre le plus connu. (Wikipédia)

AU CINÉMA

Trois affiches du film original de 1963 réalisé par Peter Brook avec, dans la distribution, James Aubrey, Tom Chapin, Hugh Edwards, Roger Elwin, Tom Gaman et Roger Allan.

Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 14 janvier 2022