*L’horrible soif qui me déchire
aurait besoin pour s’assouvir
d’autant de vin qu’on peut tenir
Son tombeau; -ce n’est pas peu dire*
(Troisième strophe du poème LE VIN DE
L’ASSASSIN, extrait de LE VIN, troisième
partie du recueil LES FLEURS DU MAL,
Charles Baudelaire, 1861, Bibebook,
édition numérique libre de droits)
LES FLEURS DU MAL constituent l’œuvre majeure de Baudelaire, une des plus importantes de la poésie moderne, à cause de son esthétisme novateur, publiée en 1857, visée par une accusation d’outrage à la morale publique et religieuse. L’œuvre aurait pu être acceptable vues les mœurs parisiennes de l’époque, mais les poèmes visés frisaient la pornographie. Baudelaire et ses éditeurs sont condamnés pour délit d’outrage à la morale publique, et à la suppression de 6 pièces de l’œuvre qui a influencé de grands poètes comme Arthur Rimbaud, Paul Verlaine.
UN FLEURON DE LA LITTÉRATURE
*La nuit voluptueuse monte,
Apaisant tout, même la faim,
Effaçant tout, même la honte,
le poète se dit : «Enfin !
(Extrait du poème LA FIN DE LA JOURNÉE,
Sixième partie de LES FLEURS DU MAL,
LA MORT…Charles Baudelaire)
Eh oui! Le goût du classique me revient régulièrement. Cette fois-ci, j’ai choisi un livre très très spécial. Je ne suis pas un grand amateur de poésie. C’est la notoriété de Baudelaire qui m’a attiré surtout, son prestige et aussi l’admiration et l’attachement qu’il éprouvait pour Edgar Alan Poe (1809-1849) un écrivain américain que moi-même j’aime beaucoup et dont j’ai déjà parlé sur ce site.
Baudelaire est même devenu le traducteur officiel de Poe et il en éprouvait une grande fierté. On ne peut pas vraiment critiquer Baudelaire. Mon avis est qu’il était simplement génial. Je peux vous dire aujourd’hui ce que je ressens après la lecture du chef d’œuvre qui réunit l’essentiel de la poésie de Charles Baudelaire : LES FLEURS DU MAL.
LES FLEURS DU MAL est un recueil en six parties :
1) SPLEEN ET IDÉAL
2) TABLEAUX PARISIENS
3) LE VIN
4) FLEURS DU MAL
5) RÉVOLTE
6) LA MORT
Cet ouvrage m’a fasciné. Peut-être à cause de son côté sombre. On y voit le mal sous différents aspects : la souffrance, vue comme une nécessité d’expiation du mal, Une idée bien précise voire un goût du mal, goût qu’il partage avec Edgar Alan Poe qu’il admirait tellement qu’il a entrepris de le faire connaître aux français en traduisant ses œuvres. Aussi, partout dans LES FLEURS DU MAL, j’ai vu, j’ai senti une profonde obsession de la mort de la part de l’auteur :
Ô vers! Noirs compagnons sans oreille et sans yeux
Voyez venir à vous un mort libre et joyeux;
Philosophes viveurs, fils de la pourriture,
À travers ma ruine allez donc sans remord,
Et dites-moi s’il est encor quelque torture
Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts !
(Extrait : LE MORT JOYEUX)
Faut-il s’en surprendre ? Baudelaire était un poète écorché, une âme torturée qui allait complètement à contre-courant de la morale de son époque.
Outre les thèmes récurrents du recueil : la mort, la souffrance, le néant, outre le fait que par son œuvre, Baudelaire fait un constat navrant de la réalité de son monde, de son époque, moi j’ai vu aussi de la beauté dans LES FLEURS DU MAL, de l’espoir, des poèmes sur la pureté, la musique, les chats, les saisons et son hymne à la beauté est un texte, sans jeu de mot, de toute beauté :
Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore ;
Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
qui font le héros lâche et l’enfant courageux.
(Extrait : HYMNE À LA BEAUTÉ)
La crudité de la réalité s’oppose à la beauté, mais dans plusieurs poèmes, j’ai l’impression que les deux s’amalgamaient. Plusieurs poèmes sont très directs. On voit que Baudelaire n’avait peur ni de la critique ni de la vindicte :
Puissé-je user du glaive et périr par le glaive!
Saint Pierre a renié Jésus…il a bien fait!
(Extrait : LE RENIEMENT DE SAINT PIERRE)
Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs
Du ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs
De l’Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence !
(Extrait : PRIÈRE)
Qu’à cela ne tienne, il a dû faire face à la censure. Il n’aura rien gagné de son vivant. Aujourd’hui, il est considéré comme un génie. Pour moi, il n’y a pas de doute, son œuvre est géniale aujourd’hui, et elle l’était à son époque, peut-être trop pour être comprise, trop audacieuse pour être acceptée intégralement sur le plan de la religion, de la morale, de l’éthique et même de la bonne Société qui pourtant, ne se gênait pas au XIXe siècle pour se laisser aller au libertinage.
En ce qui me concerne, ce recueil, LES FLEURS DU MAL m’a beaucoup plus. Bien au-delà de la *beauté extraite du mal* selon les dires même de Charles Baudelaire, j’ai vu la beauté des mots, de l’expression, la richesse des vers, rythmées selon certaines règles qui sont propres à Baudelaire. Ces vers m’ont entraîné dans le raisonnement de l’écrivain, une tempête d’émotions.
J’ai développé l’impression que LES FLEURS DU MAL sont devenues une valeur intrinsèque de la littérature du monde, elles sont partout, elles constituent un phare. Les Fleurs du mal sont fiel et miel, le mal, le désespoir puis la souffrance rédemptrice et enfin la reconstruction du monde idéal.
Je pense qu’il faut lire les FLEURS DU MAL au moins une fois. J’en senti et apprécié l’audace de Baudelaire, son sens de la provocation, la variété dans le style, son mépris pour le jugement de ses contemporains dont plusieurs n’allaient pas hésiter à crier à l’immoralité du recueil, le caractère du titre allant à contre-courant de l’éthique et qui pourrait supposer que les fleurs naissent du mal ou le contraire mais qui nous rappelle aussi que les FLEURS DU MAL auront autant d’interprétations que de lecteurs, la substance des mots.
Baudelaire m’a surpris, mais à la lumière de nombreux livres et articles publiés à son sujet, je dirais qu’il a surpris tout le monde, qu’il surprend encore aujourd’hui et que son œuvre est devenu un phare de la poésie moderne. Je vous recommande cette lecture à la fois douce et amère. Si comme moi, vous n’êtes pas amateur de poésie, abordez LES FLEURS DU MAL comme une expérience nouvelle, originale, singulière…sortie des sentiers battus.
Charles Baudelaire (1821-1867) est un des grands poètes du XIXe siècle. Après une enfance et une adolescence agitées qui seront finalement à l’image de sa vie d’adulte, Baudelaire fera ses débuts littéraires dans la traduction. En effet, en 1847, il découvrira l’œuvre de l’écrivain américain Edgar Alan Poe avec qui il se découvre des affinités comme une certaine opinion sur le goût du mal.
Ainsi, Baudelaire entreprend la traduction de nombreuses œuvres de Poe afin de le faire connaître aux français. Toujours en 1847, Baudelaire tombera sous le charme de Marie Daubrun qui lui inspirera plusieurs poèmes.
Auteur bohème à l’esprit torturé, Charles Baudelaire ne publiera qu’une seule œuvre de son vivant, son œuvre majeure : LES FLEURS DU MAL, un recueil de poèmes fait de paradoxes : le bien et le mal, la beauté et la laideur, le ciel et l’enfer…
Le recueil a été condamné et censuré dès sa sortie parce que trop choquant pour la morale bourgeoise. Notez que ça ne l’a pas empêché de passer à la postérité. Une deuxième édition est produite en 1861 après la suppression de six poèmes. L’œuvre ne sera réhabilitée qu’en 1949.
En 1864, croulant sous les dettes, Charles Baudelaire part pour la Belgique comme conférencier. Mais il sera déçu par cette expérience. Sa santé se dégrade rapidement. Il retourne à Paris en 1866 et y meurt un an plus tard après un long combat contre la syphilis, sans compter ses abus de drogues et d’alcool.
Un an après, LE SPLEEN DE PARIS et LES CURIOSITÉS ESTHÉTIQUES sont publiés à titre posthume. Baudelaire, qui a mené une vie en total désaccord avec la morale de son époque, n’a jamais été reconnu de son vivant et il en a toujours été attristé. Il peut toutefois reposer en paix car son œuvre introduira graduellement la poésie moderne.
Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 7 octobre 2018