SANS DROIT NI LOI, de Jacques-Yves Martin

<Solitaire au milieu d’une grande pièce presque démunie
de meubles, elle reposait bien là. Son visage était
paisible, ses bras tombaient de chaque côté de son
corps frêle. Ses jambes touchaient le sol, une courte
corde autour de son cou la maintenait à la poignée de la
fenêtre.>
Extrait : SANS DROIT NI LOI, Jacques-Yves Martin, Flamant
Noir éditeur, 216, format numérique, 26 pages.

VILLE DE REIMS. Caroline Dufrêne, une jeune femme qui élève seule sa fille de trois ans, est retrouvée pendue dans son appartement. Boris Thibert, jeune officier de police, se rend sur les lieux. À son arrivée, la porte est verrouillée. Aucune trace d’effraction, pas de témoin, pas d’indices. L’affaire est classée : suicide. Mais la mère de la victime en est persuadée : sa fille a été assassinée. Le jeune policier, hanté par cette sombre histoire, va découvrir que l’enquête a été délibérément bâclée. Dans quel but ? Qu’a-t-on voulu dissimuler ? Boris se lance dans une enquête approfondie. Son manque d’expérience lui fera comprendra alors que lutter contre les puissants n’est jamais sans danger…

 

Reprise d’une enquête
volontairement bâclée
-Thibert, je vous parie que c’est ce type-là qui a tué
Natasha Vernoscky. Il a les antécédents judiciaires,
il est violent, il présente tous les signes d’un malade
capable de massacrer une femme.
Extrait

Les évènements développés dans ce livre se déroulent à Reims en Champagne Ardenne dans le nord-est de la France qui abrite la célèbre cathédrale Notre-Dame de Reims dans laquelle les rois de France ont été couronnés pendant plus de mille ans. Toutefois, cette notoriété ne met pas Reims à l’abri de la criminalité et de la folie.

Caroline Dufresne, une monoparentale, mère de Cloé, une fillette de trois ans, est retrouvée morte, pendue dans son appartement. La police, donnant priorité aux apparences, expédie l’affaire : suicide. La mère de Caroline n’est pas d’accord avec ce verdict et s’en ouvre à un jeune policier déjà obsédé par ce meurtre. Boris Thibert décide donc d’enquêter mais il devra le faire en marge de la loi.

C’est dangereux pour sa carrière et il verra très vite que c’est dangereux pour sa vie. Les évènements lui donneront raison car deux autres meurtres suivront. Bris réussit à se faire quelques alliés pour avancer vers la vérité et ce qu’il découvre au bout du compte, va le laisser pantois. Se laissera-t-il allé dans une procédure qui pourrait faire un mal irréversible à l’univers judiciaire?

C’est un premier polar pour Jean-Yves Martin et j’ai été agréablement surpris. Le sujet est rapidement abordé, son développement est rapide, rebondissements et revirements ne manquent pas. L’auteur a évité la tentation de l’errance et des longueurs comme on en voit souvent dans un premier roman. J’ai beaucoup apprécié le personnage principal, Boris Thibert. L’auteur lui a attribué de belles qualités, l’opiniâtreté en particulier, mais il a créé avant tout un être humain avec ses forces et ses faiblesses. Je l’ai trouvé attachant et sa démarche m’est apparue comme limpide sans pourtant être facile.

Par exemple, il a une femme dans sa vie. Le contexte des évènements met cette femme, Camille, en danger. Que faire…avancer ou reculer ? Un brassage de sentiments se fait dans l’esprit de Thibert. Ce sont surtout ses alliés qui feront la différence. Parmi eux se trouve entre autres, le journaliste perigliano sur lequel reposera toute la stratégie de Tibert. Autre allié intéressant : Franck, un médecin légiste qui voit toutefois aller son ami Thibert avec un certain recul. Beaucoup de bonnes idées dans ce récit fort bien développé. Le rythme va crescendo et la finale est superbe.

Il faut vraiment lire en entier car la finale contient un des dialogues les plus riches du récit. Je ne peux rien dévoiler évidemment mais dans une longue déposition, l’auteur décortique la folie créative d’un tordu abruti par sa démence et y allant d’une longue diatribe sur les gens qui ne méritent pas de vivre. Une personne est partie de très haut pour descendre très bas jusqu’à en perdre totalement la valeur de la vie.

Ce dialogue m’a impressionné. Ce que je peux dire ici c’est que les preuves seront plus difficiles à avoir que les aveux et que dans la deuxième moitié du livre, Thibert devra jouer un peu les *Colombo* pour connaître entièrement la vérité. Ça m’a fait déchanter un peu mais pas assez pour diminuer mon intérêt. 

Dans l’ensemble, le récit est rythmé, crédible…Je me suis inquiété pour Thibert. C’est tout dire. Donc pour son tout premier polar, Martin nous a concocté un suspense anxiogène que vous aurez peut-être même le goût de lire d’une traite…c’est ce que j’ai fait avec délectation un beau dimanche soir, sur format numérique.

Suggestion de lecture : CHRONIQUE D’UN MEURTRE ANNONCÉ, de David Grann

Jacques-Yves Martin est né en 1970. Il est enseignant en Physique-Chimie dans un lycée en région parisienne. Auparavant, il a exercé le métier de policier comme gardien de la paix dans le service Police-Secours du commissariat de Dijon. Les voyages, les rencontres, les gens en général lui sont une source d’inspiration inépuisable.

Il déteste l’injustice et l’autoritarisme. Les livres font partie de son quotidien. Steinbeck est l’un de ses auteurs préférés et tout particulièrement son ouvrage « Des souris et des hommes ». Il publie son premier polar, Sans droit ni loi, en 2016, aux Éditions Flamant Noir; il récidive en 2017, reprenant son personnage de Boris Thibert, jeune officier de police, dans Ode à Caïssa, qu’il publie en auto-édition. <Flamant noir>

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 15 octobre 2023

PRESCRIPTION MORTELLE, de Robin Cook

*Elle voulut se redresser. La pièce se mit aussitôt
à tournoyer devant ses yeux. Sa tête retomba sur
l’oreiller tandis qu’une puissante sensation de
vertige presque nauséeuse la submergeait. Son
cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. *
(Extrait : PRESCRIPTION MORTELLE, Robin Cook,
Le livre de poche 2016, version audio : Audible studio
éditeur 2017. Durée d’écoute : 12 heures 6 minutes.
Narrateur : Olivier Chauvel)

George, jeune radiologue, a contribué à la création d’un smartphone qui permet d’ausculter le patient en direct, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et de lui délivrer diagnostics et ordonnances. Un bijou qui pourrait bien réduire de façon spectaculaire les dépenses de santé aux États-Unis. Mais les choses se gâtent quand les participants à la phase test décèdent les uns après les autres… 
Mêlant nouvelles technologies, et intérêts financiers, le livre sonne l’alarme sur les dérives de certaines recherches de pointe.

Les dérives de la recherche
Cette santé publique, les médecins auraient dû eux aussi la défendre.
 Mais ils n’ont pas voulu parce qu’ils ont eu peur de perdre le contrôle
 de leur profession. Et aujourd’hui, ironiquement, c’est exactement ce qui
va leur arriver avec les outils numériques comme iDoc. Peut-être que nous
 méritons ce qui nous tombe dessus, après avoir si longtemps pratiqué la 
  médecine comme des marchands de maladie !
(Extrait)

Malgré une ou deux petites déceptions, je maintiens que Robin Cook est une valeur sûre. Ici, il se sert de la folle progression des percées technologiques pour pondre une histoire originale qui fait froid dans le dos. L’histoire est celle de George, interne en radiologie dans un grand hôpital. Une amie de George, Paula décide de développer une idée émise par George il y a quelques temps : la création d’un logiciel pour téléphones intelligents capable de remplacer intégralement le médecin de famille.

Imaginez, une application qui, 24 heures par jour, ausculte, examine, analyse, émet un diagnostic et délivre des ordonnances. Toutefois, pour des raisons qui sont au cœur de l’intrigue, le système *pète les plombs* et dérive complètement. Il y a des morts dont la conjointe de George ainsi que son meilleur ami.

Georges soupçonne une action criminelle et décide d’aller jusqu’au bout pour mettre les responsables hors d’état de nuire, et ce, sans trop savoir qu’il le fait au péril de sa vie surtout qu’il y a plus de traîtres que d’alliés dans son entourage.

Histoire originale dont le rythme va crescendo. Le personnage principal George est attachant mais je crois que l’auteur l’a affublé d’un peu trop de naïveté. Dans l’ensemble, c’est bien construit avec revirements et rebondissements. J’ai été un peu déçu par la finale qui laisse pratiquement George en suspension. Pas de détails, pas d’explications…une suite peut-être, mais qui ne viendra jamais. Dans l’oeuvre de Cook il y a toujours des questionnements ou une morale à extraire de ses histoires.

Ici, il nous donne beaucoup de matière à réflexion sur les dérives des Nouvelles Technologies et ce n’est pas pour me déplaire. À ce titre, PRECRIPTION MORTELLE a un petit quelque chose de dérangeant. C’est un roman branché sur notre réalité quotidienne, sur l’actualité et sur les infinies possibilités de la technologie à partir du moment où on est connecté. Le tout présenté sous forme de polar parfois essoufflant.

En ce qui concerne la version audio, le gros irritant réside dans la technique. Beaucoup de fins de phrases et de finales sont escamotées comme si le micro automatique était mal réglé. De plus, dans le dernier quart du livre, le relâchement technique va jusqu’à laisser entendre des toussotements, raclements de gorge et reniflements.

Je crois que ce livre n’a pas été réécouté avant sa mise en marché ou alors, je ne comprends vraiment pas pourquoi l’éditeur a accepté un résultat aussi mauvais.

Suggestion de lecture : CHIMÈRE, de Tess Gerritsen

Médecin de formation, diplômé de l’université de Columbia, Robin Cook manie aussi bien la plume que le scalpel et excelle dans la rédaction de romans. Surtout des récits policiers inspirés de ses expériences dans le milieu médical avec l’objectif de faire prendre conscience des dangers et enjeux éthiques de la médecine moderne.

Cook développe des thèmes controversés qui deviennent sujets à effrayer le commun des mortels et à ce titre, il connait des succès plus que flatteurs. L’écrivain explique l’engouement du public par la portée des thèmes abordés en comparaison avec certains thrillers moins réalistes. Robin Cook a su inventer un genre novateur et transmet sa passion pour la médecine tout en sensibilisant son public aux problèmes éthiques liés à la santé publique.

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 23 septembre 2023

LES AVENTURES EXTRAORDINAIRES D’ARSÈNE LUPIN

COMMENTAIRE SUR LE RECUEIL
L’AIGUILLE CREUSE et autres histoires

De Maurice Leblanc

*Est-ce qu’il ne s’agit pas d’Arsène Lupin ? Est-ce que nous ne devons pas, avec lui, nous attendre justement à ce qui est invraisemblable et stupéfiant. Ne devons-nous pas nous orienter vers l’hypothèse la plus folle ? Et quand je dis la plus folle, le mot n’est pas exact. * (Extrait :  Les aventures extraordinaires d’Arsène Lupin, tome II, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 2012, édition de papier, 370 p.)

Arsène Lupin évoque des énigmes, des secrets enfouis et des cachettes mystérieuses, des machinations, des courses-poursuites et des coups de théâtre. Un héros désinvolte et raffiné, cambrioleur mais gentleman, hors-la-loi autant que justicier, Arsène Lupin, en passionnant des générations de lecteurs par sa verve et ses exploits, figure en bonne place au panthéon de la littérature populaire. »

Le voleur honnête

Je me suis finalement décidé à lire LES AVENTURES EXTRAORDINAIRES d’Arsène Lupin dans leur version originale. Sur le personnage lui-même, je suis un peu mitigé en ce sens que j’ai eu de la difficulté à m’y attacher. Lupin est une légende plus grande que nature, presque trop parfait, arrogant, mufle à ses heures, prétentieux, manipulateur et imbu mais tellement brillant, subtil, intelligent et malin.

Ce sont les histoires qui m’on subjugué, la plume incroyablement maîtrisée de Maurice Leblanc qui a créé un *gentil bandit* tellement magnétique, travaillé en profondeur et si génial qu’il est devenu un monstre sacré, un immortel incontournable de la littérature et de l’écran. Le tome 2 des aventures de Lupin est particulièrement important car on y retrouve un chef d’œuvre de la littérature policière : L’AIGUILLE CREUSE, un roman phare qu’il faut absolument lire si on veut pénétrer en profondeur l’âme de Lupin et saisir l’esprit de l’auteur.

J’ai beaucoup aimé L’AIGUILLE CREUSE pour plusieurs raisons. Il est question, dans ce récit, d’un épais mystère comportant un secret que les rois de France se transmettaient et dont Arsène Lupin s’est approprié. La fameuse « aiguille » contient le plus fabuleux trésor jamais imaginé. Voilà qui explique, en partie seulement, la puissance du personnage et ses moyens d’agir.

J’ai trouvé le récit aussi particulièrement captivant parce qu’il introduit un personnage à la fin de son adolescence : Isidore Beautrelet, élève de rhétorique surdoué, ce qui est incongru au départ. Il se trouve qu’Isidore est devenu mon héros dans cette aventure parce qu’il a tenu tête à Lupin et a fait la barbe à un policier obsédé par la capture du célèbre voleur : le détective Ganimard.

L’ouvrage comporte plusieurs petites curiosités. J’en citerai une dernière, qui donne une saveur particulière à L’AIGUILLE CREUSE : Leblanc parodie Sherlock Holmes. L’antihéros devient Herlock Sholmès, un détective particulièrement antipathique et imbu. J’ai adoré.

L’œuvre, parue entre 1908 et 1909 n’a pas vieilli. Ça se lit sans prendre conscience du temps qui passe et j’ai compris très vite pourquoi, à travers les mystères, revirements et rebondissements, par sa manière d’être et sa psychologie, Arsène Lupin est devenu le GENTLEMAN CAMBRIOLEUR, terme qui sera consacré d’ailleurs par la célèbre chanson de Jacques Dutronc et qui deviendra le thème de la célèbre télésérie.

Je vous souhaite sincèrement de lire ces aventures avec le même enchantement que je celui que j’ai ressenti et les émotions qui l’accompagnent évidemment.

C’est le plus grand des voleursOui, mais c’est un gentlemanEt chaque femme à son heureRêve de voir son visage
De l’actrice à la danseuseÀ l’épouse la meilleureGentleman cambrioleurA gagné le cœur
C’est le plus grand des voleursOui, mais c’est un gentlemanIl s’empare de vos valeursSans vous menacer d’une arme
Quand il détrousse une femmeIl lui fait porter des fleursGentleman cambrioleurEst un vrai seigneur
Extrait de la chanson GENTLEMAN CAMBRIOLEUR : Yves Dessca/Jean-Pierre Bourtayre/Frank Harvel
 
Suggestion de lecture : LE CHIEN DES BASKERVILLE, d’Arthur Conan-Doyle
 

Explorez la biographie de Maurice Leblanc ici.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 27 août 2023

LES JUMEAUX DE PIOLENC, de Sandrine Destombes

*Faits divers : toujours aucune trace des jumeaux de Piolenc, ces deux enfants âgés de onze ans et disparus depuis samedi dernier lors de la fête de l’ail…Notre envoyé spécial Mathieu Boteau, a pu recueillir le témoignage de Plusieurs voisins qui comptent participer aux recherches. *
(Extrait :  LES JUMEAUX DE PIOLENC, Sandrine Destombes, Hugo thriller éditeur, 2018. Format numérique, 320 pages, 2 350 kb)

Août 1989. Solène et Raphaël, des jumeaux de onze ans originaires du village de Piolenc, dans le Vaucluse, disparaissent lors de la fête de l’ail. Trois mois plus tard, seul l’un d’eux est retrouvé. Mort.
Juin 2018. De nouveaux enfants sont portés disparus à Piolenc. L’histoire recommence, comme en macabre écho aux événements survenus presque trente ans plus tôt, et la psychose s’installe.
Le seul espoir de les retrouver vivants, c’est de comprendre enfin  ce qui est arrivé à Solène et Raphaël. Au risque de réveiller de terribles souvenirs.

 

Cette noirceur qui nous fige
*Monsieur Mougin, la vie de deux enfants
est en jeu ! Tout ce que je vous demande,
c’est de me parler des jumeaux.  – Je n’aime
pas dire du mal des morts. *
(Extrait)

Il se pourrait bien que ce soit le thriller le plus tordu que j’ai lu jusqu’à maintenant. J’ai trouvé ce roman très noir. Les victimes et les accusés se confondent et nonobstant les policiers, aucun personnage n’est ce qu’il parait être. Résultat : un énorme défi pour l’intelligence des lecteurs-lectrices. Ce récit est un sac de nœuds :

*Tout nouvel élément dans une enquête était toujours le bienvenu. Sauf que dans ce cas précis, il ne faisait qu’épaissir le mystère. Le capitaine ne cessait de récolter des informations sans réussir à leur donner un sens. * Cet extrait résume bien l’état d’esprit dans lequel je me suis retrouvé comme lecteur. Il ne s’agit pas ici de la complexité de l’enquête, de revirements ou de fausses pistes. Tout ça est courant dans la littérature policière.

Le problème est que le fil conducteur est presqu’inexistant… trop de personnages, des situations invraisemblables. De plus, l’auteur ne joue pas forcément avec les mots mais il joue avec les prénoms qu’il lie entre eux en leur donnant certains sens.  Qui est qui ? J’ai trouvé très difficile de me positionner dans ce récit un peu erratique malgré l’excellence de son idée de base.

Cette idée, il faut la capter et la comprendre dès le début : août 1989, les villageois de Piolenc sont secoués par la disparition de deux jumeaux de 11 ans : Solène et Raphaël. Un des deux est retrouvé mort, on n’a jamais retrouvé l’autre. Près de trente ans plus tard, deux autres enfants disparaissent. Le lien semble évident et il pourrait bien faire sauter au visage du lecteur et de la lectrice toute la noirceur de l’être humain. Ici, la surprise fait place au pur délire.

Je ne peux rien dévoiler mais peut-être cet extrait vous mettra sur la piste … *Des enfants de onze ans, aux visages d’ange. Cette dualité dépassait l’entendement de l’homme de raison qu’il était…* (Extrait) Attendez-vous à des passages choquants, ce récit touchant une corde très sensible : les enfants.

Le livre n’est pas sans forces. En effet, malgré la fragilité du fil conducteur, le lecteur peut s’accrocher au capitaine Fabregas obsédé par cette enquête, noyé dans des découvertes improbables, impuissant devant une masse aussi complexe d’indices dont plusieurs ne mènent nulle part, et en bout de ligne, écœuré par les innommables bassesses dans lesquelles des êtres humains peuvent sombrer.

Ce portrait rend l’homme très proche du lecteur et de la lectrice qui peut donc compter sur la seule véritable référence de ce récit. Pour résumer : J’ai trouvé le récit intrigant, haletant jusqu’à un certain point, énigmatique à outrance. L’idée du récit est excellente mais surdéveloppée. Vous pourriez vous sentir obligé de relire certains passages, revenir en arrière, démêler les personnages et vous assurer de *qui est qui*.

Donc le défi est de démêler l’écheveau de l’intrigue. Une fois que j’ai accompli cette mission complexe, je me suis rendu compte que le roman est aussi noir que fort. Pour faire simple, il s’agit de se rendre au bout.

Suggestion de lecture : LE MYSTÈRE MENGELE, de Jorge Camasara

Née en 1971, Sandrine Destombes a toujours vécu à Paris. Elle travaille dans la production d’événements depuis plus de vingt ans et profite de son temps libre pour écrire des polars, son domaine de prédilection. Bien que française, Sandrine Destombes est attachée à ses origines italiennes, elle instille dans ses écrits son amour des Abruzzes, une belle région située à l’est de Rome.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 26 août 2023

 

LES PENDULES, le livre d’Agatha Christie

*Si. Il y a toujours quelqu’un qui a vu quelque chose, c’est ma théorie. – Mais aberrante dans cette affaire. D’ailleurs, j’ai des nouvelles à vous donner : un autre meurtre. – Vraiment ? Si vite ? C’est passionnant. *

(Extrait : LES PENDULES, Agatha Christie, librairie des Champs-Élysées éditeur, 1964, format numérique. 163 p.)

Miss Pebmarsh a bien failli mettre le pied dessus. Même ; elle l’aurait piétiné, ce cadavre, si Sheila n’avait crié. Que voulez-vous : Miss Pebmarsh est aveugle et elle a été bien surprise d’apprendre qu’il y avait le corps d’un inconnu derrière son canapé. Et d’abord, que fait Sheila chez elle : jamais, au grand jamais, elle n’a demandé à l’agence où travaille la jeune fille qu’on lui envoie une dactylo. Et d’où viennent toutes ces pendules – toutes en avance d’une heure – qui encombrent les meubles de son salon : Avec Hercule Poirot comme conseiller technique, un jeune et beau garçon, mystérieusement attaché à quelque service secret, saura tirer de cet inextricable imbroglio le fil qui mène au meurtrier.

L’art du roman policier
*Je me suis senti un tel besoin de poursuivre une enquête
dernièrement, que j’ai eu recours aux romans. <Tenez,
continua-t-il en s’emparant d’un volume : LE MYSTÈRE
DE LA CHAMBRE JAUNE*… avec quelle logique c’est
mené. *
(Extrait)

Un livre intéressant qui fait un peu bande à part dans la bibliographie d’Agatha Christie comme si le style était dépoussiéré. Et de plus, Hercule Poirot ne fait que de rares apparitions et encore à titre de consultant. Voyons le contenu : Une jeune dactylo, Sheila Webb, est envoyée par son agence chez Mlle Pebmarsh pour y travailler. Personne n’est là pour l’accueillir mais suivant les instructions reçues, elle entre dans la maison. Bizarre, 6 pendules se trouvent dans le salon où Sheila Webb découvre le cadavre d’un homme.

Elle sort dans la rue pour demander du secours et tombe sur Colin Lamb. Le jeune homme qui est un agent secret court jusqu’à une cabine téléphonique pour appeler la police qui envoie sur place l’inspecteur Dick Hardcastle, un ami de Colin. Mlle Pebmarsh, qui est aveugle, nie avoir demander qu’une dactylo vienne chez elle et affirme que 4 des pendules du salon ne lui appartiennent pas.

Pour couronner le tout, personne ne connaît l’identité du cadavre et une des pendules inconnues disparaît. Colin Lamb, décide d’aider son ami inspecteur dans son enquête. Mais devant la complexité de l’affaire, devinez qui Colin Lamb va consulter ?

Première chose, ça m’a fait tout drôle qu’Hercule Poirot, ce parangon d’orgueil un peu snobinard décroche un rôle secondaire dans une enquête où il tient habituellement le rôle principal. Mais même au second plan, saura-t-il faire la différence ? Je vous laisse le découvrir. Je vais répéter ici ce que j’ai déjà écrit en mars 2020 sur ce site (voir commentaire sur DIX PETITS NÈGRES) :

La technique d’écriture d’Agatha Christie me surprendra toujours. Car, comme toujours, le coupable est le dernier personnage qu’on pourrait soupçonner… Effectivement, dès le départ, Agatha Christie réunit rapidement tous les ingrédients d’une intrigue solide avec un nouvel enquêteur, Dick Hardcastle qui est loin d’avoir l’habileté d’Hercule Poirot.

Rares sont ceux qui ont l’habileté d’Hercule Poirot, mais je connais un certain Sherlock Holmes qui se débrouille pas mal. Donc, grâce au savoir-faire habituel d’Agatha Christie, les lecteurs et lectrices sont captifs de l’intrigue.

Toutefois, j’ai déchanté un peu dans le dernier quart du récit que j’ai trouvé un peu glissant. Par exemple, le rapport de Colin Lamb ne m’a pas semblé tout à fait conforme à celui d’Hercule Poirot. Quelque chose n’est pas clair ou ça m’a simplement échappé. Mais alors que tout est présenté simplement et en bonne évolution dans le récit, tout se complique à la fin.

Il m’a semblé aussi que Poirot errait un peu dans ses conclusions compte tenu de ce qu’il savait de l’affaire. Le fait aussi que Colin Lamb soit agent secret et confie ses petites anecdotes qui s’insèrent plutôt mal dans le récit. Ça n’ajoute rien à l’histoire à part un peu d’encre.

Pour terminer, je précise qu’encore une fois, Agatha Christie manie habilement et subtilement le suspense et l’intrigue mais j’ai trouvé que l’enquête s’enlisait, que le tout manquait de cohésion et que Poirot dans cette histoire a été imaginé plus grand que nature. On est loin je pense des meilleurs d’Agatha Christie, mais ça se laisse lire.

Suggestion de lecture, de la même autrice :
LE CHAT ET LES PIGEONS, DIX PETITS NÈGRES, À L’HÔTEL BERTRAM

Agatha Mary Clarissa Miller (son nom de jeune de fille) est née le 15 septembre 1890 à Torquay en Angleterre. Sa mère est anglaise et son père américain. Elle se marie en 1914 à un colonel Archibald Christie. Séparée de lui par la Première Guerre mondiale, elle travaille comme infirmière dans un hôpital. En même temps, elle s’inspire de ce travail pour écrire son premier roman policier, La Mystérieuse Affaire de styles.

Sa fille Rosalind Christie nait en 1919. Ce n’est pourtant qu’en 1926 qu’elle connaît le succès avec le livre Le Meurtre de Roger Ackroyd. Par la suite, elle prend l’habitude d’écrire deux livres par an. Ses voyages lui apportent l’inspiration pour plusieurs romans devenus célèbres. Elle continue d’écrire toute sa vie jusqu’à sa mort, en 1976… 79 romans et vingt pièces de théâtre.

À droite, portrait d’Hercule Poirot par Brainfree sur Stars Portraits

 

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 13 août 2023

ET DIEU SE LEVA DU PIED GAUCHE, d’Oren Miller

*Quand Ambroise Perrin passa le porche menant à l’entrée
du castel Béranger, rue Lafontaine dans le seizième
arrondissement de Paris, il fut convaincu de deux choses :
il haïssait le thé, et il allait mettre fin à ses jours. *
(Extrait :
ET DIEU SE LEVA DU PIED GAUCHE, Oren Miller, HSN
éditeur, 2018, 443 pages en format numérique)

Après avoir avoué à sa femme qu’il avait toujours détesté le thé, Ambroise Perrin se défenestre sous les yeux médusés des personnes présentes. Entre temps, Louise Duval se réveille d’une soirée de gala et découvre que sept de ses collègues sont morts au même moment dans leur lit, de causes inexpliquées. Rien ne lie ces deux affaires. Si ce n’est leur mystère. C’est assez pour intéresser Évariste Fauconnier, enquêteur émérite spécialisé dans les affaires que personne ne peut résoudre. Entre crimes en série, esprits diaboliques et complots politiques, le fin limier va devoir dénouer les fils d’une gigantesque toile qui risque bien d’avaler son âme autant que sa raison. 

Un récit criant
*À mesure qu’Évariste lui parlait, Armand avait cessé
de bouger. Le calme semblait avoir réussi à pénétrer
sa démence, et ainsi, presque tranquille, il donnait
l’impression d’être en capacité d’avoir une conversation.*
(Extrait)

C’est un roman qui frappe très fort dès le départ avec des évènements extrêmement intrigants qui figent le lecteur dans une toile d’araignée et force son attention jusqu’à la toute fin et heureusement car malgré des personnages un peu réchauffés, l’ensemble est génial et l’écriture est redoutablement efficace.

L’histoire met en scène deux personnages récurrents de l’œuvre d’Oren Miller : Évariste Fauconnier, détective brillant, et il le sait, spécialisé dans les affaires impossibles à résoudre, et Isabeau LeDu, bras droit de Fauconnier. Encore un duo du style Sherlock Holmes/Watson, avec un détective brillant, d’une intelligence supérieure, snobinard et prétentieux et l’autre, également très intelligent mais avec une personnalité moins forte et qui évolue dans l’ombre du premier.

La littérature policière nous a habitué à ce style surfait avec des personnages plus grands que nature. Je n’ai jamais pu m’attacher à Évariste mais c’est du déjà-vu. Je m’y suis habitué. Cela mis de côté, c’est ici que s’installe l’originalité.

Maintenant, imaginez que sept personnes meurent exactement au même moment, sans violence, paisiblement. Sept personnes meurent comme on s’endort. Elles cessent simplement d’exister. Évariste et Isabeau ont du pain sur la planche et ne seront pas au bout de leur peine, comme les lecteurs d’ailleurs.

L’histoire tourne autour de la Fondation Sorel, une organisation de haut niveau, vouée à l’avancement de la médecine et qui réunit la crème des scientifiques à l’échelle mondiale. Et fait étonnant, l’État du Vatican est associé à cette démarche et nous verrons que ce n’est pas sans raison.  Nos limiers découvrent que quelques-uns de ces scientifiques décident de reprendre à leur compte des expériences entamées par les Nazis dans les camps de concentration.

Les lecteurs doivent s’attendre à ce que les coulisses de la Fondation Sorel cachent des secrets de nature à faire dresser les cheveux sur la tête. La corde est sensible car des enfants sont visés. Certains passages sont très durs.

L’auteure établit un lien entre les camps nazis de concentrations et les personnes atteintes de troubles psychiatriques. Les lecteurs/lectrices ne sont pas ménagés. Le développement de l’histoire est rapide, redoutable, efficace. La plume est directe, voire acérée. Miller garde le mystère entier et le lecteur sur le qui-vive jusqu’à la grande finale, plutôt surprenante.

J’ai beaucoup aimé la plume d’Oren Miller, au style adapté à toutes les situations et pouvant être aussi élégante que cynique. J’ai aussi aimé l’atmosphère du récit. Aussi lourde qu’énigmatique et ne me donnant aucune possibilité de découvrir moi-même qui est le meurtrier. Une atmosphère chargée qui justifie pleinement le titre :

<Odette se laissa choir sur la première chaise à portée de son corps. Elle plaqua une main devant sa bouche. L’effroi et la sidération se disputaient le règne sur son visage. -Oh mon…dieu -Croyez-moi, dans cette histoire, Dieu s’est levé dès le départ du pied gauche. -Mais…que…> Extrait.

Dans son roman, l’autrice explore l’âme dans ce qu’elle a de plus noire ainsi qu’un rêve vieux comme le monde : la manipulation mentale,  et si ce n’était du caractère guilleret un peu stéréotypé des enquêteurs, il serait d’une lourdeur insupportable. ET DIEU SE LEVA DU PIED GAUCHE est un livre-phénomène. Je le recommande.

Suggestion de lecture : SHUTTER ISLAND, de Dennis Lehane

Juriste de formation, Oren Miller (un pseudonyme) s’est très tôt échappée dans des mondes imaginaires qu’elle décide de mettre par écrit en 2009 avec ses premiers romans. Son terrain de jeu favori reste l’adaptation des grands thèmes de fiction et l’exploration des émotions humaines à l’aide d’une plume colorée et bien taillée en pointe. Elle écrit des romances sous le pseudonyme de Lucie Castel (Harper Collins). En parallèle de ses activités littéraires, elle enseigne certaines matières juridiques dans une prestigieuse école à Lyon.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 6 août 2023

DIEU PARDONNE, MOI PAS, de Claude-Michel Rome

*Le corps tomba du filet dans un bruit de masse
sourde parmi les flots gluants de merlus et de
sardines bondissant en apnée, gueules béantes
luttant contre la mort. Le corps lui, ne luttait plus. *
(Extrait : DIEU PARDONNE, MOI PAS, Claude-Michel
Rome, Albin Michel éditeur, 2020, 530 pages, papier)

À la veille d’un procès contre une dictature pétrolière, le cadavre du grand avocat parisien Pascal Metzger est retrouvé en mer. Bien qu’ébranlés par son décès, ses trois jeunes associés décident de poursuivre le procès. Or, les preuves amassées par Me Metzger ont disparu. En reprenant le dossier, Carla, Malik et Pierre-Emmanuel pénètrent peu à peu une affaire aux ramifications aussi gigantesques qu’insoupçonnées : armes, pétrole, alliances des mafias et des cartels, corruption, évasion fiscale…. De la « France-à-fric » en passant par la Suisse, Monaco et la banque du Vatican, c’est le sommet des États et le cœur même de l’économie planétaire qui sont en cause.

La corruption banalisée
*Le garde arracha son arme et tira deux fois dans le verrou.
Il explosa. Et la trappe de la cale s’ouvrit sur une vision
d’enfer. Plus de deux cent cinquante morts vivants surgirent
du néant comme une nuée, libérant une immense clameur de
panique dans une bousculade déchirante. Carla en resta
médusée. Une foule de corps décharnés, fantômes faméliques,
une vision de cauchemar… *
(Extrait)

C’est un récit très dur avec comme toile de fond le blanchiment d’argent, les règlements de compte, corruption, alliances obscures, cartel de drogues, mafias. Et comme il est beaucoup question d’argent sale, l’auteur se connecte à une actualité récente et implique la banque du Vatican. *-C’est mon combat…il touche aussi à son terme, professore. Au nom de sa Sainteté, je vais laver le Vatican du crottin du diable ! et par chance, je sais désormais qui est ce diable déguisé en cardinal ! * (Extrait)

En cours de lecture. il ne faut jamais perdre de vue que ce livre est une fiction mais vous devrez admettre qu’il est terriblement branché sur l’actualité, pointant du doigt une maladie planétaire chronique qui pourrit l’économie mondiale : le blanchiment d’argent, un art du crime organisé. Comme roman, j’ai trouvé l’histoire addictive, glaciale. Écriture très directe, efficace et qui entre très profondément dans les coulisses de la corruption.

Voyons un peu le contenu. L’auteur frappe fort dès le départ. À quelques jours du procès majeur du président Obamyane, dictateur d’un pays pétrolier d’Afrique de l’ouest, corrompu jusqu’à la moelle, l’avocat principal Metzer disparait en mer, avec toutes ses preuves. Les trois jeunes associés de Pascal Metzer reprennent le dossier qui est une véritable poudrière. Les trois jeunes loups se rendent compte très vite de l’ampleur colossale de cette affaire, voyant bien que le mal gruge jusqu’au cœur de l’économie planétaire :

*…-Personne ne sait, mais nous on sait. -À condition que le contenu de la clé vaille de l’or. -J’imagine que c’est le cas, sinon il n’y aurait pas une épidémie de morts subites dans les milieux bancaires. Ils sont aux abois. Et plus le procès Obamyane approche, plus ça flippe grave sur les places financières…* (Extrait) Ne vous fiez pas trop au caractère euphémique du dernier extrait. Je dois dire qu’en général, le langage tranche par sa crudité.

C’est un des meilleurs thrillers que j’ai lus. À certains égards, il m’a rappelé le film Z de Costa Gavras qui fait remonter beaucoup de crasse sociale à la surface ou encore les magouilles politiques et militaires de pays truands qui font l’objet de pratiquement tous les épisodes de la série originale MISSION IMPOSSIBLE. D’ailleurs, le livre est développé un peu à la manière d’un scénario de film. Le rythme est rapide, parfois haletant.

Dans l’ensemble, le récit est structuré de façon à garder le lecteur en apnée. Et dire que c’est une première expérience pour l’auteur, Claude-Michel Rome. Chapeau. Je vais le surveiller celui-là. Une petite faiblesse que je voudrais signaler ici. J’ai trouvé la finale un peu bizarre. Le sort de Francisco Obamyane m’a semblé tirée par les cheveux, orchestrée par un ange appelé Angel. Ça manque de fini, de détails.

La conclusion laisse beaucoup de choses en plan comme si on faisait le grand ménage en balayant tout simplement la poussière sous le tapis. Mais l’ensemble est ajusté à une triste réalité. Élimine un corrupteur, un autre prend sa place. C’est le classique d’Hercule contre l’hydre. C’est aussi dans la finale du récit que le titre prend tout son sens DIEU PARDONNE, MOI PAS…la vengeance est le dessert de ce thriller politique incisif et glacial. Ce livre est un excellent divertissement.

Suggestion de lecture : LES GESTIONNAIRES DE L’APOCALYPSE, de Jean-Jacques Pelletier

Claude-Michel Rome est réalisateur et scénariste. Il a une trentaine de films à son actif, la plupart pour la télévision, dont les plus connus sont L’emprise, diffusé sur TF1 en 2014, et un long métrage, Les insoumis (2007). Dieu pardonne, moi pas est son premier roman et c’est très prometteur.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 11 juin 2023

L’AFFAIRE DES CORPS SANS TÊTE, de Jean-Christophe Portes

*…il comprit brusquement qu’il allait finir pendu
et égorgé comme le gouverneur de la Bastille,
et sa tête brandie au sommet d’une pique…
pourtant, il résistait encore…*
(Extrait : L’AFFAIRE
DES CORPS SANS TËTE, Jean-Christophe Portes,
or. : City éditions, 2015, 400 pages. Version audio :
Audible studios éditeur, 2018, durée d’écoute : 11
heures 23 minutes. Narrateur : Florent Cheippe. 1er
volet des enquêtes de Victor Dauterive. Thriller)

1771 : On découvre des cadavres dans la Seine, nus et la tête coupée. Malgré l’émoi populaire, Victor Dauterive, jeune officier de la nouvelle Gendarmerie n’a guère le temps de s’en préoccuper : Lafayette, son mentor, l’a chargé d’arrêter Marat, ce dangereux agitateur qui appelle au meurtre des aristocrates. Mais la mission tourne vite au cauchemar.  Peu à peu, Victor Dauterive lève le voile sur un effrayant complot, une conspiration qui pourrait changer le cours de la Révolution…

VARIATION SUR RÉVOLUTION
*Marat s’interrompit brusquement pour dévisager le sous-lieutenant.
Dans son regard brûlait une passion inconnue qui fit frissonner Victor,
et il sentit que, derrière cet homme, tout un peuple réclamait justice. *
(Extrait)

C’est un roman historique très fort. Je dirais même un *policier historique* car on y suit une enquête complexe d’un sous-officier de la nouvelle gendarmerie nationale qui remplace l’ancienne organisation policière qu’on appelait la maréchaussée. Le policier s’appelle Victor Dauterive qui deviendra un personnage récurrent de l’oeuvre de Jean-Christophe Portes.

Nous sommes dans la dernière décennie du XVIIIe siècle. Louis XVI tente l’impossible pour sauver son trône en s’appuyant en particulier sur son plus précieux général : Le marquis de Lafayette, appelé le héros des deux mondes, fait général par George Washington dans la guerre d’indépendance contre le pouvoir colonial britannique, puis revenu en France pour gérer la sécurité du roi.

L’histoire se déroule alors que les figures émergeantes de la révolution française lèvent la voix: Danton, Robespierre, Jean-Paul Marrat. Dans une société instable et chaotique, alors que le roi doit fuir son propre peuple, Dauterive enquête sur la découverte de cadavres dans la Seine, nus, la tête coupée avec une précision chirurgicale. Son enquête l’amène dans les coulisses de la révolution, mettant au jour un complot qui risque de mettre la France à feu et à sang.

J’ai beaucoup lu sur la révolution française, suffisamment pour observer un profond respect de l’auteur pour le contexte historique. C’est très bien documenté. C’est un roman très attractif. J’ai eu l’impression d’avoir été installé à Paris au XVIIIe siècle. C’est vivant et aussi très explosif. Je constate toutefois deux petites faiblesses à cet ouvrage : le début est lent et le lien entre la révolution et les cadavres sans tête n’est pas évident ou tout au moins non-prioritaire tout au long du récit. Deuxièmement, il y a dans le récit, apparence de complots qui, tantôt s’opposent, tantôt s’imbriquent. On s’y perd un peu parce que le fil conducteur du récit devient chancelant par moment.

C’est bien peu de choses devant le caractère de la plume, le réalisme historique, l’intensité des personnages et, si je me réfère à la version audio, les extraordinaires capacités vocales du narrateur Florent Cheippe. J’ai eu du plaisir à suivre Victor Dauterive. J’ai même hâte de le retrouver dans sa prochaine enquête en espérant qu’il continuera à me tenir en haleine et m’entraînera dans les nombreux rebondissements qui ont si bien caractérisé sa première enquête. À suivre et j’ai hâte.

Suggestion de lecture : LA TABLE DE ROBESPIERRE, de Charles Richebourg

Après des études à l’École nationale des arts décoratifs, Jean-Christophe Portes est devenu journaliste et réalisateur pour la télévision. Les précédentes enquêtes de Victor Dauterive, L’AFFAIRE DES CORPS SANS TÊTE, L’AFFAIRE DE L’HOMME À L’ESCARPIN, LA DISPARUE DE SAINT-MAUR et L’ESPION DES TUILERIES ont rencontré un beau succès. Portes a remporté le prix du Polar du Festival de Saint-Maur en 2018. Toutes les enquêtes de Victor Dauterive se déroulent dans le cadre de la France révolutionnaire, alors que le pays est au bord du chaos et que la monarchie tire à sa fin.

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
le samedi 10 juin 2023

LE NOM DE LA ROSE, le livre d’Umberto Eco

*Puisse ma main ne point trembler au moment
où je m’apprête à dire tout ce qui ensuite arriva. *
(Extrait : LE NOM DE LA ROSE, Umberto Eco,
origine : Grasset éditeur, 1990, 550 pages. Version
audio : Audiolib éditeur, 2012, durée d’écoute :
22 heures 4 minutes, narrateur : François d’aubigny)

Au début du XIVe siècle, une abbaye située aux confins de la Provence et de la Ligurie. Un lieu voué à la prière et à l’étude avec sa bibliothèque qui fait l’admiration de tout l’Occident chrétien, à l’écart des violences et des luttes de pouvoir qui déchirent les royaumes voisins. Jusqu’au jour où un moine est trouvé mort au bas des murailles. C’est le début d’une sanglante série que devra élucider Guillaume de Baskerville Alors qu’une délégation papale est sur le point de faire son entrée au monastère, dirigée par un farouche adversaire de Guillaume, le grand inquisiteur envoyé par le pape Jean XXII, le dominicain Bernardo Gui.

Les envoyés du pape sont venus débattre de la pauvreté du Christ mais son dirigeant ne tarde pas à instruire un procès bâclé condamnant le meurtrier présumé, pour sorcellerie.

La terrifiante bibliothèque
*Jusqu’alors j’avais pensé que chaque livre parlait des choses,
humaines ou divines, qui se trouvent hors des livres. Or je m’apercevais
 qu’il n’est pas rare que les livres parlent de livres, autrement dit,
 qu’ils parlent entre eux. À la lumière de cette réflexion, la bibliothèque
 m’apparut encore plus inquiétante. *
(Extrait)

LE NOM DE LA ROSE est, pour moi, une œuvre monumentale de Umberto Eco. Ma façon de le présenter peut sembler grandiose mais c’est un roman psycho-philosophico-mystico-théologique développé dans un contexte médiéval, le tout sur fond d’intrigue qui prend, du moins au départ, l’allure d’un polar. C’est mon impression. Ce n’est jamais allé plus loin.

Je dois vous dire d’entrée de jeu que, si j’ai été subjugué par ce fleuron de la littérature, je n’ai jamais pu m’enlever de l’esprit l’adaptation cinématographique du livre signée en 1986 par Jean-Jacques Annaud avec Sean Connery dans le rôle de Guillaume de Baskerville et Christian Slater dans le rôle d’Adso de Melk. Ce film, que je considère comme un chef d’œuvre du septième art a le grand mérite de vulgariser et rendre accessibles les nombreuses exégèses, théories et explications philologiques contenues dans le livre.

Notez toutefois que l’adaptation est relativement libre car le livre et le film ne finissent pas vraiment de la même façon. Quant à l’Église, elle est comme elle a toujours été…dans le champ. Le film m’a permis de rendre très recevable le livre d’Eco que j’ai trouvé très savant, érudit, pas toujours facile à suivre avec entre autres une impressionnante quantité de citations latines… irritantes mais probablement nécessaires.

Maintenant, un petit rappel du contexte : Nous somme en 1327. L’autorité du pape Jean XXII et celle de l’empereur Louis IV déchirent la chrétienté qui est secouée par un débat émotif, houleux et profond, suscité par les franciscains et visant la pauvreté de l’Église.

Dans ce contexte, le franciscain Guillaume de Baskerville et son pupille Adso de Melk, qui est le narrateur du récit, se rendent dans une lointaine abbaye aux confins de la Provence, se joindre à une légation papale dirigé par un inquisiteur agressif : Bernardo Gui, pour débattre de la pauvreté du Christ, un débat de torts et de raison qui ne sert finalement qu’à occulter le conflit politique entre le pape et l’empereur.

Dès son arrivée à l’abbaye, Guillaume se voit demandé par l’Abbé de la communauté d’enquêter sur une mort très suspecte. C’est finalement une série de meurtres que le bon Guillaume devra résoudre.

Je crois qu’Umberto Eco a relevé un défi colossal en nous plongeant dans le cœur de l’obscurantisme alors qu’on voyait l’hérésie partout, en suivant un cœur pur quoiqu’orgueilleux sur le plan intellectuel et duquel jaillit la lumière qui manquait tant à cette époque. Considérons Guillaume comme un précurseur de la période des lumières.

Dans cette histoire, l’intrigue est noyée dans les palabres théologiques et philosophiques. Toutefois, cette intrigue est intéressante car elle est en lien avec les livres contenus dans la plus grande bibliothèque de la chrétienté, riche, mais cauchemardesque.

Toute la richesse de l’œuvre repose sur les échanges et les débats entre autres sur une question qui a conservé toute son actualité : la pauvreté du Christ et les richesses de son Église. Il y a aussi de longues et intéressantes discussions sur le rire, objet de sciences sociale, objet de déchirement sur le plan théologique. Le rire est-il générateur de mal ou porteur de vérité. Est-ce que Jésus riait? Personne n’a prouvé le contraire.

J’ai trouvé l’histoire un peu complexe. Elle m’a imposé des recherches, de la réflexion, de la concentration. J’ai fait de magnifiques trouvailles. Et au final, ce livre est un délice, une fresque remarquable de l’époque médiévale…un vibrant plaidoyer en faveur de la tolérance et de l’éducation à la façon de Guillaume de Baskerville, par opposition au fanatisme et à l’obscurantisme personnifiés par Bernardo Gui.

L’ensemble est très dense, l’intrigue est originale et même passionnante même si elle semble souvent secondaire. Le contenu est savant, tentaculaire et farci de latin. On est loin du roman de gare. Considérez ce livre comme un défi, une grande aventure, un passionnant exercice intellectuel. Un livre incontournable qui m’a subjugué par sa richesse et son atmosphère.

Suggestion de lecture : LE SICARIER, de Danny-Philippe Desgagné

Né dans le Piémont en 1932, titulaire de la chaire de sémiotique de l’université de Bologne, Umberto Eco a enseigné à Paris au Collège de France ainsi qu’à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Il est l’auteur de sept romans, parmi lesquels le célèbre Nom de la rose, et de nombreux essais, dont Comment voyager avec un saumon et À reculons comme une écrevisse. Umberto Eco est décédé le l9 février 2016 à Milan. 

Le nom de la rose au cinéma

L’adaptation cinématographique du roman LE NOM DE LA ROSE sortie en 1980 est signée Jean-Jacques Annaud. Le film met en scène l’acteur Sean Connery dans le rôle de Guillaume de Baskerville, aux côtés notamment de son pupille, incarné par Christian Slater, on retrouve également F. Murray Abraham, Michael Lonsdale, Valentina Vargas et William Hickey dans les rôles principaux.

Le film est sorti aux États-Unis le 24 septembre 1986 puis sur les écrans français le 17 décembre 1986. Il a remporté de nombreuses récompenses, dont le César du meilleur film étranger à la 12e cérémonie des César en 1987.

Bonne lecture
Bonne écoute
le dimanche 4 juin 2023

PROJET ANASTASIS, le livre de Jacques Vandroux

*Alpha tira trois objets métalliques de son sac. Sans hésiter,
il les lança dans la foule compacte. Il se mit rapidement à
l’abri derrière la colonne. Quand la première grenade explosa,
la stupéfaction gagna la foule. Les deux explosions suivantes
espacées de quelques secondes, transformèrent l’église en un
temple de souffrance.
(Extrait : PROJET ANASTASIS, Jacques
Vandroux, Robert Laffont éditeur, 2017, format numérique, 530
pages en version brochée)

Jean Legarec, responsable d’une agence privée de renseignements, est un expert en affaires sensibles. Mais il est loin d’imaginer ce qui l’attend lorsqu’il accepte d’enquêter sur la disparition d’un enfant, enlevé lors du chaos qui a suivi un attentat perpétré à Notre-Dame de Paris. Très vite, Legarec découvre qu’il ne s’agit pas d’un « simple » kidnapping, mais d’un large complot dont les racines remontent au Troisième Reich. Aidé de Béatrice, la tante du garçon, il va devoir plonger au cœur des heures les plus sombres de l’histoire européenne. Et ce, alors même que son attirance grandissante pour Béatrice menace d’obscurcir son jugement… Parviendra-t-il à  sauver un enfant innocent de cette toile infernale ?

Une brique de chaos
*…Pourtant qui sait ce que ces médecins ont découvert ?
Qui sait à quelles atrocités ils se sont livrés pour
satisfaire leurs fantasmes de toute-puissance ?
Comment pouvons-nous enquêter dans cette
direction?
(Extrait)

Peu de choses à dire sur cette histoire un peu réchauffée et sans grande originalité. Le roman est classé thriller historique parce que l’auteur le fait évoluer dans les heures sombres de l’humanité. Jusque là ça va mais le développement est plutôt abracadabrant et n’offre pas grand-chose de neuf : d’un côté, un ennemi sans états d’âme, le nazisme ressuscité grâce à la génétique et de l’autre, un héros sans peur et sans reproche style James Bond.

Là où ça devient un peu plus intéressant, c’est que, à enquêter sur la disparition d’un enfant, l’auteur va nous faire plonger dans une des périodes les plus dramatiques de l’histoire européenne donnant au récit une dimension historique captivante.

Les personnages sont aussi intéressants car l’enquêteur Jean Legarec va s’entourer d’une équipe de collaborateurs qui donneront de la couleur au récit : un survivant des camps de la mort, encore vigoureux (comme trop beau pour être vrai), un militaire, quelques diplomates, une historienne allemande…disons très ouverte, et une énigmatique alsacienne.

Donc, dans ce thriller, il y a des valeurs sûres malgré une forte impression de déjà vu qui ne ma jamais vraiment laissé en cours de lecture. Le thème central de l’œuvre garde toutefois toute son actualité : Le terrorisme et une batterie de sous-thèmes dont la domination, le pouvoir, l’argent…

Le style de l’auteur favorise une lecture rapide et agréable. Le rythme est rapide et même haletant par moment. On est cependant très loin du chef d’œuvre littéraire. C’est bourré de clichés, naïf et de nombreux passages sont tirés par les cheveux.

Je dois dire cependant que la plume de l’auteur favorise une bonne mise en image dans l’esprit du lecteur. L’écriture me rappelle un peu un scénario de film. Ce roman a donc des forces intéressantes mais il ne bousculera pas la littérature. C’est pour moi le genre de livre qu’on oublie plutôt facilement en attendant un livre qui renouvellera vraiment le genre.

Suggestion de lecture : L’ÉTRANGE DISPARITION D’AMY GREEN, de S.E. Harmon

Ingénieur de formation, Jacques Vandroux a commencé à écrire dans le train et dans l’avion, au cours de ses nombreux déplacements professionnels. Il y a vite pris goût et a décidé de s’autopublier afin de partager ses histoires au grand public. Et le succès a été au rendez-vous puisqu’il est devenu, en moins de cinq ans, un véritable phénomène de l’autoédition, avec plus de 370 000 exemplaires vendus dans le monde.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 28 mai 2023