Le fantôme de l’opéra

Commentaire sur le livre de
GASTON LEROUX

Version audio

Le fantôme leur était apparu sous les espèces d’un monsieur en habit noir qui s’était dressé tout à coup devant elles, dans le couloir, sans qu’on puisse savoir d’où il venait. Son apparition était si subite qu’om eut pu croire qu’il sortait de la muraille. Et c’est vrai que depuis quelques mois, il n’était question, à l’opéra, que de ce fantôme en habit noir qui se promenait comme une ombre du haut en bas du bâtiment, qui n’adressait la parole à personne, à qui personne n’osait parler et qui s’évanouissait, du teste, aussitôt qu’on l’avait vu…

Extrait : LE FANTÔME DE L’OPÉRA, version audio, Compagnie du savoir éditeur, 2015. Durée d’écoute : 10 heures 43. Narrateurs : William Cros, Frédéric Chevaux, Florence Dupuy-Aleyrac, Philippe Colin, Patrick Blandin et Patrick Martinez-Bournat. Publié à l’origine en 1910 par l’éditeur Pierre Lafitte.

Des événements étranges ont lieu à l’Opéra : le grand lustre s’effondre pendant une représentation, un machiniste est retrouvé pendu. La direction doit se rendre à l’évidence : un fantôme ou un homme machiavélique hante le théâtre.

Certains affirment avoir vu le visage déformé de cet être qui ne semblerait pas être humain. Puis une jeune chanteuse, Christine Daaé incarne une Marguerite éblouissante dans Faust de Gounod. Effrayée, elle confie au vicomte Raoul de Chagny, secrètement amoureux d’elle, une incroyable histoire. La nuit, l’ange de la musique l’inspire et visite fréquemment sa loge. Cette voix est-elle celle du fameux fantôme, Erik, un être au visage hideux, réfugié dans son royaume souterrain, sous l’Opéra ?

Passionnément épris de la jeune Christine, il l’enlève et l’emprisonne dans son repaire des sombres profondeurs. Raoul de Chagny, aidé d’un mystérieux Persan, se lance à la recherche de la jeune femme. Il doit alors affronter une série de pièges diaboliques conçus par le fantôme, grand maître des illusions.

 ERIK LE DIABOLIQUE

   Malgré son indéniable côté lugubre et sombre, LE FANTÔME DE L’OPÉRA est une histoire d’amour. Il m’a semblé aussi que l’histoire avait un certain caractère gothique, ce qui n’est pas surprenant vus les mystères qui entourent le grand opéra de Paris. Nous l’avons vu plus haut, des évènements étranges ont lieu à l’opéra.

Ces manifestations suscitent peurs, craintes et superstitions. En effet, on pointe du doigt une mystérieuse créature qui a installé ses quartiers dans un des cinq sous-sols de l’opéra, là où personne ne s’aventure. Cette créature squelettique et au visage scarifié dépourvu de nez aurait comme vrai nom Erik mais on l’appelle aussi l’ange de la musique, le monstre tant sa laideur porte au dégoût et plus souvent, le fantôme de l’opéra.

Erik tombe en amour avec une starlette nommée Christine qu’on dit sublime dans son interprétation de Marguerite dans Faust de Gounod. Or le vicomte Raoul de Chagny est déjà amoureux d’elle quoique secrètement. Dans sa folie, le fantôme va jusqu’à enlever Christine ce qui provoque une montée aux barricades dont les acteurs auront à résoudre énigmes, imbroglios et mystères qui placent le récit aux frontières du policier et du genre fantastique.

Ce récit repose sur cette capacité extraordinaire de Gaston Leroux d’entretenir l’intrigue, de la manipuler, de la tordre, de l’intensifier ou l’adoucir à volonté laissant le lecteur dans l’expectative avec un irrésistible besoin de comprendre et d’aller jusqu’au bout de l’aventure.

Telle est la force du récit : la profondeur de son intrigue. Ceux et celles qui ont lu LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE vont me comprendre plus aisément. Ne comptez pas trop sur les personnages. Personnellement, j’ai trouvé Christine un peu insignifiante, le vicomte m’a semblé avoir plutôt les allures d’un ado et le policier était rien de moins qu’énervant. Bref des personnages peu travaillés et pas vraiment attachants. Il est possible ici que Gaston Leroux ait été sarcastique car il était passablement critique de ses contemporains.

Je ne peux pas dire que ce roman m’aura marqué. Son départ et son rythme sont lents. Il y a des longueurs, beaucoup de déclamation, un peu de redondance. Malgré tout, comme dans LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE, Gaston Leroux m’a attrapé dans ses filets avec une intrigue solidement bâtie.

D’autant intrigant, que le récit évoque, de façon voilée un mystère provenant des dédales sous-terrain de l’opéra Garnier à Paris. C’est un fait avéré qu’à l’époque, les moins nantis qui n’avaient pas accès au prestigieux opéra associaient les évènements suspects qui semblaient hanter l’opéra aux légendes. Habilement, Leroux nous laisse croire au fantastique et semble aussi habilement défaire ses arguments. C’est plutôt le lecteur qui est mystifié.

Je le répète, LE FANTÔME DE L’OPÉRA n’est pas pour moi une lecture marquante mais ça reste un grand classique de la littérature. Pour moi, il y a plus de pour que de contre et je suis heureux de connaître enfin l’histoire du FANTÔME DE L’OPÉRA.

Suggestion de lecture : LE MYSTÈRE DES JONQUILLES d’Edgar Wallace

À gauche, l’auteur Gaston Leroux. À droite un autre de ses livres LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE que j’ai commenté sur ce site.  Cliquez ici

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert

Le crépuscule et l’aube

Commentaire sur le livre de
KEN FOLLET

*<C’est encore pire que ce à quoi je m’attendais >…
<Il faudrait faire rôtir vifs tous les vikings. > … Mais
cette fois, Wynstan lui donna raison. <À petit feu
pour sûr.> Approuva-t-il…*
(Extrait : LE CRÉPUSCULE ET L’AUBE, Ken Follet,
Robert Laffont éditeur, 2020, édition de papier, 850 p.)

 

Avant Les Piliers de la Terre…

En l’an 997, à la fin du haut Moyen Âge, les Anglais font face à des attaques de Vikings qui menacent d’envahir le pays. En l’absence d’un État de droit, c’est le règne du chaos.
Dans cette période tumultueuse, s’entrecroisent les destins de trois personnages.

Le jeune Edgar, constructeur de bateaux, voit sa vie basculer quand sa maison est détruite au cours d’un raid viking. Ragna, jeune noble normande insoumise, épouse par amour l’Anglais Wilwulf, mais les coutumes de son pays d’adoption sont scandaleusement différentes des siennes. Aldred, moine idéaliste, rêve de transformer sa modeste abbaye en un centre d’érudition de renommée mondiale.

Chacun d’eux s’opposera au péril de sa vie à l’évêque Wynstan, prêt à tout pour accroître sa richesse et renforcer sa domination. Dans cette extraordinaire épopée où se mêlent vie et mort, amour et ambition, violence, héroïsme et trahisons, Ken Follett, l’un des plus importants romanciers de notre temps, revient à Kingsbridge et nous conduit aux portes des Piliers de la Terre.

La préquelle d’une grande épopée
*Edgar eut une pensée pour Seric, le chef de village avisé,
le grand-père aimant et revit stiggy transpercer de sa lame
cet homme si bon. En contemplant la tête broyée de Stiggy
il se dit : J’ai simplement fait de cette terre un monde meilleur. *
(Extrait)

Voici un livre que j’ai eu beaucoup de difficultés à fermer tellement il a été pour moi passionnant et accrocheur. Fidèle à sa plume, Ken Follett installe des personnages solides et au caractère bien trempé dans l’Angleterre du Moyen âge alors que comme toujours, les hommes au pouvoir sont loin du peuple.

Nous suivons en particulier Edgar, fils de batelier, devenu bâtisseur de ponts et d’édifices et qui, sans le savoir prépare le terrain pour TOM LE BÂTISSEUR, personnage central des PILLIERS DE LA TERRE. Il y a aussi Ragna, une noble normande poussée par le système social vers des hommes cruel et sans cœur. Il y a toujours une exception, vous verrez bien. Puis, il y a Aldred, un moine, progressiste, idéaliste, obsédé par son projet de création d’un centre d’érudition de renommée mondiale.

Enfin, l’évêque Wynstan, un personnage détestable, très proche de l’image qu’on se fait du diable. Je regrettais presque que l’histoire ne soit pas plus longue. J’aurais détesté le personnage plus longtemps. Plongez. Il vous en fera voir de toutes les couleurs.

La saga débute à Drengs’Ferry qui deviendra au fil de l’histoire KINGS’BRIDGE, point de départ d’une grande saga qui sera au cœur de l’œuvre de Follet : LES PILIERS DE LA TERRE. LE CRÉPUSCULE ET L’AUBE est une préquelle dans laquelle se mêlent amour, ambition, violence, héroïsme, trahison et même bonté et altruisme grâce à deux personnages particulièrement attachants : Edgar et Aldred.

Follett reste Follett. Avec LE CRÉPUSCULE ET L’AUBE, il n’apporte rien de neuf à son style. Il semble tellement obsédé par l’idée de faire converger son récit vers LES PILIERS DE LA TERRE que les ressemblances entre les deux œuvres m’ont frappées. C’est la principale faiblesse de l’œuvre, une impression de redondance. Cette convergence justifie le titre LE CRÉPUSCULE ET L’AUBE, parfaitement ajusté à l’histoire. Une trouvaille. Sinon, je trouve intéressant que l’auteur ait pris certaines libertés sans jamais toutefois en abuser. Le fait par exemple, d’évoquer l’homosexualité dans un contexte médiéval ou de décrire certains effets de la démence et de la sénilité.

Le style de Follet contribue à l’addiction mais il faut dire qu’il y a beaucoup d’intrigues et de rebondissements dans LE CRÉPUSCULE ET L’AUBE et ce jusqu’à la finale particulièrement bien ficelée malgré son petit caractère prévisible. L’auteur crée et force l’attention et l’entretien : le bien contre le mal dans un sens manichéen. Plein de contraires s’opposent y compris chez les hommes d’église.

Enfin, je dirai que l’histoire est très longue. Il ne faut pas être pressé pour la lire. J’ai beaucoup aimé cette histoire qui est soit dit en passant très bien documentée. Elle m’a appris beaucoup de chose et en plus, elle est porteuse de beaucoup d’émotions. Ça ne battra jamais LES PILIERS DE LA TERRE même si ça prépare le terrain, mais ça vaut vraiment la peine d’être lu.

Ken Follet est un écrivain gallois spécialisé dans les thrillers politiques. Il est né le 5 juin 1949 et a grandi avec les histoires que lui racontait sa mère, ce qui l’a amené très tôt à développer une forte imagination ainsi que le goût de lire. Alors qu’il était étudiant pendant la guerre du Vietnam, il s’est pris peu à peu de passion pour la politique et le journalisme. L’écriture suit rapidement.  Le point culminant de sa carrière est atteint avec LES PILIERS DE LA TERRE qui devient rien de moins qu’un succès planétaire. Suit, la trilogie LE SIÈCLE. 

Suggestion de lecture :
Du même auteur

Pour lire mon commentaire sur LE SIÈCLE, cliquez ici.
Pour lire mon commentaire sur CODE ZÉRO, cliquez ici

Après la préquelle, l’œuvre majeure

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 5 octobre 2024

 

La fin et autres commencements

Commentaire sur le livre de
VERONICA ROTH

*Cette fois-là, je ne me suis pas contentée de regarder.
J’ai reculé de quelques pas, secoué mes mains
tremblantes, et me suis élancée en courant. Un moment
terrifiant de liberté et d’apesanteur. *
(Extrait : LA FIN ET AUTRES COMMENCEMENTS, Veronica
Roth, illustrations : Ashley McKenzie, Nathan éditeur, 2020,
édition de papier, 305 pages)


Six univers. Dans chacun de ces mondes futuristes parfois proches du nôtre et parfois si différents, la technologie transforme les êtres et façonne de nouvelles possibilités. Pourtant, chacun reste confronté à des problématiques profondément humaines. Plongez dans ces futurs, et explorez des histoires de mort et de renouveau, de haine et d’amour, de vengeance et de pardon… dont la fin n’est qu’un nouveau commencement.

 

Les univers de l’être et du mal-être
*Je connaissais le conteur car il aidait les gens à fuir la tyrannie
de la lignée des dictateurs Shotets. Et parmi ces gens, ma mère…
Elle avait dû quitter la planète pour échapper à son exécution, une
peine prononcée par le souverain en personne, parce qu’elle avait
commis le crime d’enseigner aux enfants une autre langue que le
Shotet * 
(Extrait)

C’est un recueil de six nouvelles.  Des récits étranges, teintés de psychologie et de science-fiction, des histoires qui se déroulent dans le futur caractérisé par une technologie suffisamment forte pour transformer l’être humain. Mais vous vous en doutez, l’être humain restera toujours humain. L’auteure est restée fidèle à ce concept.

J’ai eu de la difficulté à embarquer, à m’accrocher à ces brèves histoires. Peut-être à cause de leur petit côté initiatique et de beaucoup de passages que j’ai trouvés trop moralisateurs, l’amour étant par exemple une valeur qui supplante les autres. Il en est question partout et je trouve ça un peu minimaliste, voire irritant.

Le concept est intéressant car il oppose les contraires qui jalonnent et façonnent la vie : Désorienter pour réorienter, désapprendre pour réapprendre, défaire pour refaire, déconstruire pour reconstruire…finir pour recommencer quoi, le tout véhiculant des valeurs enveloppantes et positives : l’amour, l’empathie, le pardon et j’en passe. Je me demande même si ce concept n’est pas apparenté à celui des cours sur le développement de la personnalité.

J’ai trouvé aussi très intéressante la dernière nouvelle : LE TRANSFORMATISTE qui pourrait d’après moi, traduire le mieux la pensée de l’auteure : *Tout est réglé à l’avance dans ce monde ; tout est voué à devenir adulte. Et le chemin qui y conduit n’est pas toujours agréable vois-tu ? Les calamitas le savent. Ils vont jusqu’à se dévorer eux-mêmes pour accomplir leur transformation. * (Extrait ) Donc la transformation détruit, reconstruit, appelle au renouveau. Voilà qui met bien en lumière le titre de l’œuvre.

J’adhère très peu à ce genre de littérature mais je lui reconnais ses forces, à cause, en particulier, des valeurs qu’elles véhiculent. Dans LA FIN ET AUTRES COMMENCEMENTS, l’auteure déploie avec habilité sa principale force : la création d’univers originaux. Je ne peux pas en dire autant de ses personnages auxquels je me suis senti détaché tout au long de la lecture. Les thèmes ne manquent pas de profondeur et je dois le dire, la présentation de l’œuvre est magnifique.

L’édition est bien ventilée et magnifiquement illustrée par Ashley MacKenzie, une spécialiste des illustrations conceptuelles complexes qui soutiennent visuellement les auteurs. Je dois dire qu’elle traduit même à merveille l’esprit de l’auteure Veronica Roth qui en a séduit plusieurs avec son livre MARQUER LES OMBRES. Je ne suis pas trop preneur mais ce genre de littérature est proche des gens et pointe gentiment du doigt la Société. C’est la raison pour laquelle je vous recommande LA FIN ET AUTRES COMMENCEMENTS.

Suggestion de lecture : LE GARÇON ET L’UNIVERS, de Trent Dalton

Veronica Roth est née le 19 août 1988 à Chicago. C’est une romancière américaine de littérature pour jeunes adultes. Elle est diplômée de l’Université Northwestern, en écriture créative. Elle termine la trilogie qui l’a rendue célèbre deux mois avant la fin des cours : Divergent le premier tome de sa saga paraît en mai 2011, Insurgent en mai 2012 et Allegiant en octobre 2013. La jeune romancière explore un modèle de contre-utopie post apocalyptique qui se déroule à Chicago. La ville est divisée en six factions, Altruiste, Audacieux, Érudit, Sincère, Fraternel et les « sans faction ». 

La trilogie DIVERGENCE, de la même auteure

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 22 septembre 2024

maria chapdelaine, Louis Hémon

*Pour la deuxième fois un jeune homme lui parlait d’amour
et mettait dans ses mains tout ce qu’il avait à donner, pour
la deuxième fois elle écoutait et restait muette, embarrassée,
ne se sauvant de la gaucherie que par l’immobilité et le
silence. Les jeunes filles des villes l’eussent trouvée niaise ;
mais elle n’était que simple et sincère, et proche de la nature,
qui ignore les mots. * 
(Extrait : MARIA CHAPDELAINE, Louis
Hémon, réed. Les éditions Caractère, 2014, papier, 185 pages.
origine : 1913, publié en 1921 chez Grasset)

Sur les rives de la Péribonka, le printemps est de retour. La famille Chapdelaine s’apprête à disputer quelques arpents de terre à la forêt du nord. La jeune Maria, courtisée par le paysan Eutrope Gagnon découvre que son cœur bat plutôt pour   François Paradis le pionnier.

Elle le reverra l’an prochain si ses prières le protègent de l’hiver meurtrier.

L’œuvre de Louis Hémon a été lancée il y a un siècle par Bernard Grasset qui le rééditera d’ailleurs plusieurs fois.

Du cœur du terroir
*François Paradis regarda Maria à la dérobée…D’être assis auprès d’elle,
d’entrevoir sa poitrine profonde, son beau visage honnête et patient, la
simplicité franche de ses gestes rares et de ses attitudes, une grande
faim d’elle lui venait et en même temps, un attendrissement émerveillé,
parce qu’il avait vécu presque toute sa vie rien qu’avec d’autres hommes,
durement, dans les grands bois sauvages ou les plaines de neige. Il sentait
qu’elle était de ces femmes qui, lorsqu’elles se donnent, donnent tout sans
compter…*
(Extrait)

MARIA CHAPDELAINE est un roman à saveur bien québécoise, mais écrit par un français, alors qu’il résidait au Québec en 1913. C’est un livre intéressant dont le titre est un peu trompeur. Maria a 18 ans et aura trois prétendants offrant des futurs, des destins fortement opposés.

Le favori de la belle va vers celui pour qui la liberté du coureur des bois est vitale et par conséquent celui qui évoque le plus la misère. Le cœur a ses raisons. J’ai senti toutefois que le destin de Maria est secondaire dans ce livre. D’ailleurs, le personnage de Maria est plus ou moins développé, sans expression et sans émotion. Je n’ai pu créer aucune attache avec Maria Chapdelaine.

Par contre, l’auteur table davantage sur l’histoire d’hommes et de femmes comme la famille Chapdelaine qui tentent de s’enraciner dans une terre du nord, au bout du monde, loin de tout dans ce que Louis Émond appelle affectueusement tout le long du récit, le pays de Québec.

C’est une chronique du quotidien des Chapdelaine qui évoque les pionniers d’un Québec rustique sur les rives de la Péribonka qui travaillaient de la barre du jour au coucher du soleil pour *faire de la terre* selon l’expression très jolie et surtout fort à point de l’auteur.

MARIA CHAPDELAINE est un flambeau de la littérature du terroir québécois, un incontournable qui a fait l’objet de multiples analyses, réédité plus de 150 fois, rédigé dans 25 langues, adaptés trois fois à l’écran. Mais au-delà de cette aura de chef d’œuvre littéraire que je ne conteste pas car l’écriture est d’une beauté qui confine presque à la poésie, j’ai été surpris par la brièveté du récit et l’infinie tristesse qui se dégage de l’œuvre essentiellement axée sur la famille en incluant bien sûr l’influence de l’Église et une longue finale intensément dramatique où je note un peu de redondance.

À cette époque où les pionniers sans peur préparaient notre propre devenir, n’y avait-il pas à l’occasion des moments de joie, des épisodes drôles, des amours accomplis ? Parlait-on à l’occasion toujours, d’autres choses que de la météo et des vents du *noroua* ? Voilà ce que j’ai ressenti à la lecture de Maria Chapdelaine, un thème sensiblement sous-développé, un personnage laissé en plan et une succession de misères. Je crois que ce livre, bien que superbement écrit, a mal vieilli.

Enfin, j’ai trouvé particulièrement intéressant les interactions entre Maria et ses prétendants concernant surtout les concepts d’avenir que chaque jeune homme offrait à la jeune fille. En fait, Maria devait jongler entre le statu quo, le risque calculé et une belle vie dans une grande ville moderne américaine. C’est un des rares sujets sur lequel Maria cogite et s’exprime, abstraction faite du sentiment qu’elle éprouve pour François Paradis.

Le livre ne correspond plus, je crois, à l’idée qu’on se fait aujourd’hui d’un roman historique ou du terroir. Heureusement l’adaptation à l’écran a été scénarisé de façon à apporter un peu de piquant au quotidien des pionniers. Toutefois, MARIA CHAPDELAINE reste une belle histoire, prenante, donnant une idée imagée de la vie rude d’antan.

Suggestion de lecture : LES FILLES DE CALEB, d’Arlette Cousture

Louis Hémon (1880-1913) est un écrivain français natif de Brest dans la région de Bretagne. Il a neuf ans lorsque son père, abrégé de lettres, est nommé chef de cabinet du ministre de l’Éducation. L’adolescent, qui rêve de s’établir en Indochine, étudie le droit et l’annamite à la Sorbonne. Diplômée de l’école Coloniale mais affecté en Algérie, il renonce à une carrière diplomatique et part à Londres en 1903. Il y publie ses premiers récits et rédige MONSIEUR RIPOIS et LA NÉMÉSIS, roman en partie autobiographique.

Il quitte sa famille pour tenter sa chance au Canada, comme agent d’assurance puis, ouvrier agricole au Lac-Saint-Jean. Il meurt, happé par un train en Ontario en juillet 1913. Environ sept mois après sa mort, MARIA CHAPDELAINE est publié en feuilleton et parait au Québec en 1916 avant de connaître un succès universel dans les années 1920.

Maria Chapdelaine au cinéma

La plus célèbre adaptation cinématographique du roman de Louis Hémon est MARIA CHAPDELAINE réalisé en 1983 par Gilles Carle qui a aussi coscénarisé le film avec Guy Fournier. Dans la distribution, on retrouve Carole Laure, Amulette Garneau, Yoland Guérard, Gilbert Sicotte et Nick Mancuso.

Bonne lecture
Claude Lambert
janvier 2022

LE BLEU DES GARÇONS, d’Éric Leblanc

*Il maintiendrait Frahm contre le mur, Frahm se débattrait. Ils renverseraient une lampe. Le corps à corps, peut-être qu’ils tombent et que la table basse se fracasse. Frahm tente avec ses doigts de crever les yeux bleus-mais d’un bleu- de l’homme. *

(Extrait de la nouvelle KOPFKINO du recueil LE BLEU DES GARÇONS d’Éric LeBlanc. Hamac éditeur, 2020, édition de papier, 160 pages, 14 nouvelles)


Ces histoires sont autant d’instantanés d’une crise, où l’incompréhension ne peut pas se régler avec des mots. Quelque part entre la nouvelle, le poème et le théâtre, ces quatorze fictions mettent en lumière les tabous du désir au masculin, tels que la vulnérabilité, la langueur, le polyamour, la cruauté et l’absence de transmission. Cherchant à s’extirper de tant d’impasses, ces hommes convoquent la violence pour ne pas se noyer, puisque c’est tout ce qu’ils connaissent. On veut alors mettre le feu, abandonner, violer, tuer. Parce que sinon quoi ?

 

MASCULIN SINGULIER
les tabous du désir

C’est un livre étrange qui explore les désirs entre hommes, les tabous masculins : amours impossibles ou qui n’aboutissent pas ou encore qui donnent sur la violence et la méchanceté. Le livre réunit 14 nouvelles, 14 fictions d’une plume variée qui va de la poésie au théâtre et qui développent autant de thèmes comme la sexualité chez les jeunes, le nombrilisme masculin, le désir et bien sûr, les tabous, notion parfois difficile à définir mais qui touche ici des réalités non seulement masculines, mais universelles.

Malheureusement, et c’est la difficulté que j’éprouve habituellement avec la poésie, la langue est occultée par l’image que suggère généralement la poésie à l’esprit. Il y a de nombreux passages où l’auteur m’a carrément perdu : *faque je travaille à ce qu’y ait partout des chasseurs qui veuillent accrocher ma tête au d’ssus d’leur foyer pis à ce qu’y ait des proies à sacrifier à la magie si proche d’exister qu’ça parait pus qu’on la trouve pas*. <extrait>

Ce qui précède est un extrait de la nouvelle JE TRAVAILLE, texte étrange, complètement dépourvu de ponctuation et qui évoque la désorganisation, la colère et le mal de vivre.

Je dois admettre qu’il y a de la beauté dans l’écriture, mais il faut savoir la dénicher, la déterrée, la faire éclater. Ce n’est pas évident. Beaucoup vont décrocher avant d’y arriver. Les mots ne servent qu’à créer une image dans l’esprit du lecteur et de la lectrice. Pas étonnant que l’auteur soit photographe. Éric LeBlanc pense en image. Il livre l’image de la sensibilité, de la fragilité et de l’intimité d’hommes pour qui il est trop souvent plus facile de se rejeter que de s’aimer.

C’est selon moi, cette réalité qui imprègne au récit un caractère méchant, agressif, voire belliqueux sur fond de désir et de tabous : *À nos côtés, inatteignable, l’instant inerte de mon père et moi et de ses larmes et du poids absolu de nos sexes effondrés l’un sur l’autre. Nous ne nous réconcilierons pas. * (Extrait)

Ce n’est pas facile à lire. J’ai été heureux de pouvoir entrer à fond dans certains récits mais pour la plupart je devais me creuser la tête. Morale de l’histoire il faut lire LE BLEU DES GARÇONS avec un maximum d’ouverture d’esprit et exploiter le côté visuel de la plume. Sentir et ressentir devient plus important que lire. Sinon on se retrouve dans un français dénaturé, codifié et truffé de phrases en anglais et en allemand…de quoi perdre son latin.

On dit dans les synopsis que ces histoires sont autant d’instantanés. Je suis d’accord partiellement seulement. C’est encore un langage de photographe et pour utiliser le même langage, rien dans ces récits n’est croqué sur le vif. Tout est à décortiquer lentement. Les récits sont ceux d’hommes qui aiment et *désaiment* avec tout ce que ça implique… malveillance et noirceur. Je ne crois pas que ce livre fasse un malheur mais c’est un défi intéressant pour l’esprit.

Suggestion de lecture : Derrière les portes bleues, de Michel Giliberti


Éric LeBlanc. Photo : Guy Bernot

Éric LeBlanc est auteur, photographe, artiste numérique et performeur. On le remarque en 2016 alors qu’il est finaliste pour les Prix de la création poésie de Radio-Canada, puis semi-­finaliste catégorie nouvelle en 2017. En solo, Éric LeBlanc récite poèmes et nouvelles sur les scènes du Festival Québec en toutes lettres, du Off-Festival de poésie de Trois-Rivières et du Festival de Poésie de Montréal. On peut le lire notamment dans la revue Zinc et sur la trousse poétique en ligne Tout à coup – la poésie. Plus de 5 600 personnes découvrent son exposition photo IGAnne au Théâtre de la Bordée à l’hiver 2019. 

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 3 juin 2023

 

LA VIE QUAND-MÊME UN PEU COMPLIQUÉE…

…D’ALEX GRAVEL-CÔTÉ

Commentaire sur le livre de
CATHERINE GIRARD-AUDET

*Cher journal, sache tout d’abord que je trouve ça complètement
débile de t’écrire mais comme ma sœur est plantée à trois
centimètres de moi, je n’ai pas le choix de le faire. Madame s’est
en effet mis dans la tête de m’utiliser comme cobaye dans son
cours de psychologie au CEGEP. *
(Extrait : LA VIE QUAND MÊME UN PEU COMPLIQUÉE D’ALEX
GRAVEL-CÔTÉ, de Catherine Girard-Audet., édition Les Malins 2017,
440 pages. Version audio : Audible studios, 2017, narrateur : Jean-
Philippe Robin, durée d’écoute : 5 heures 31 minutes)

Ma sœur croit m’aider à « ouvrir mon autoroute émotive », à me défaire du « traumatisme causé par le divorce de nos parents alors que je n’étais qu’un enfant » et à tomber follement amoureux d’une fille. Ce qu’elle ne comprend pas, c’est que je n’ai pas envie d’être en couple. C’est trop compliqué. Mais, comme je suis un gars de parole, j’embarque dans son jeu (d’autant plus que c’est ma seule option pour qu’elle me laisse tranquille). Heureusement que j’ai le hockey, le tourbillon familial et l’apparition dans ma vie d’une mystérieuse Julianne et d’une charmante Léa Olivier pour agrémenter mon journal intime et le rendre un peu plus palpitant. 

Les réalités de l’adolescence masculine
*Elle a pris ma main et m’a attiré vers elle pour m’embrasser.
Elle, en se reculant doucement : <Est-ce que j’ai ton attention
maintenant? > Moi, en toussotant un peu : <heee, crum…je…
oui, hehe…excellente tactique.>*
(Extrait)

*Ma sœur est conne…ma sœur est conne…ma sœur est conne…* (introduction) Ainsi débute ce petit livre pétillant…par cette petite phrase toute mignonne répétée 12 fois avec conviction par le petit frère Alex Gravel-Côté. Voyons d’abord ces deux personnages qui sont au centre du centre…je dis ça parce que dans l’histoire, il y a beaucoup de monde…du jeune monde surtout…14 à 17 ans, chatouillé en permanence par les turbulences hormonales.

Alex a 14 ans. Il est beau comme un cœur, charmant, empathique et de nature généreuse. Il raconte au journal intime que sa sœur l’oblige à écrire, sa vie scolaire, sa vie familiale, sa vie sportive et surtout sa vie sentimentale qui elle, n’a pas tout à fait la note de passage. Pourquoi Alex n’a jamais de blonde? Et pourtant des blondes potentielles, il en gravite autour d’Alex.

Emmanuelle est la sœur aînée d’Alex. Elle se passionne pour la psychologie et a pris Alex comme cobaye pour ses tests et observations. Moyennant certaines concessions, Alex accepte d’écrire quotidiennement son ressenti dans un journal personnel pour un temps indéfini. Ce journal devient ainsi le fil conducteur du récit et promet de très intéressants revirements.

Ce livre se détache d’une série consacrée aux aventures de Léa-Olivier et à une flopée de jeunes à la recherche de reconnaissance et d’amour.  Alex se démarque par son intelligence, son empathie et surtout, son cœur d’Artichaut. Il est beau et drôle de voir ses pairs l’encourager, le pousser à enfin se *matcher* avec une belle fille… : *Arrête de niaiser pis fais un moove. Ce n’est pas dans tes habitudes de tourner autour de la puck …j’ai donc décidé d’être moins subtil en abordant Léa après l’école…* (Extrait)

Eh oui…dans le langage subtil du hockey, une belle fille qui se démarque a l’aspect d’une puck. L’auteure ne s’est d’ailleurs pas gênée pour mettre en évidence le langage des jeunes, un genre de codification truffée d’anglicismes et d’allusions : *men*, *dude*, *bro*, *babe*, *shit*, *cool*, *genre*, *cruiser*, *moove*, *come on*, *rocher*, *nunuches* et j’en passe.

Bien sûr ce langage ne constitue pas un bouquet de fleurs pour la langue française mais il constitue un mode de reconnaissance entre les jeunes. je partage avec ravissement le portrait que l’auteur fait des jeunes, en perpétuel questionnement sur leur attirance pour le sexe opposé. L’histoire n’est pas compliquée, on ne peut pas dire non plus qu’elle soit originale. L’auteur nous présente toute simplement des ados d’aujourd’hui avec leurs réalités qui se résument à quatre mots : Amitié, amour, famille, école.

Je crois que les jeunes vont aimer ce livre parce qu’ils vont se reconnaître, parce qu’Alex est terriblement attachant, c’est l’ami universel qu’on aimerait avoir à nos côtés. L’histoire évoque les cœurs d’amadou (1) et les cœurs d’artichaut.(2) Aussi simple soit-elle, il est impossible de ne pas être happé par l’histoire truffée de petites intrigues sentimentales ouvrant la voie à des dialogues savoureux et surtout un humour désopilant.

Par exemple, je vous laisse découvrir entre autres la théorie du triangle amoureux équilatéral, par rapport à la théorie du triangle amoureux isocèle. Ça m’a fait rire et ça m’a plu. Le langage des jeunes habituellement direct caractérise la plupart des dialogues. Ça arrache des sourires, c’est forcé : *Jeanne organise justement un party chez elle pour lui vendredi prochain. Ce serait trop nice que tu te pointes avec un gars du Cégep pour lui faire avaler sa morve. * (extrait)

Ce livre a été pour moi une magnifique évasion. L’écriture est limpide, fluide. Il n’y a pas de longueurs. On ne s’ennuie pas. J’ai été de plus, satisfait de la performance narrative de Jean-Philippe Robin. Je recommande donc LA VIE QUAND-MÊME UN PEU COMPLIQUÉE D’ALEX GRAVEL CÔTÉ…pétillant…rafraîchissant…divertissant.

Suggestion de lecture : LE LIVRE QU’IL NE FAUT SURTOUT, SURTOUT, SURTOUT PAS LIRE, de Sylvie Laroche

C’est à la plume passionnée de Catherine Girard-Audet, accro de magasinage, d’histoires de filles et de confidences, que l’écriture de L’ABC des filles a été confiée. À la barre de plusieurs traductions de romans ou d’albums à succès tels que, Lizzy McGuire, Dora l’exploratrice et même Bob l’éponge, Catherine Girard-Audet était la fille toute désignée pour entreprendre ce projet. Auteure de la série La vie compliquée de Léa Olivier, l’ABC des filles, Effet secondaire et Le journal de Coralie.

 

(1) Cœur qui s’enflamme et s’amourache rapidement
(2) Susceptible à l’amour. Qui donne son cœur facilement et à tout bout de champs.

 

Ne manquez pas de suivre Léa-Olivier

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
Le dimanche 29 janvier 2023

LE JOUR OÙ MAMAN M’A PRÉSENTÉ SHAKESPEARE

Commentaire sur le livre de
JULIEN ARANDA

*Quand on arrivait sous les colonnes éclairées de la
Comédie-Française, maman redevenait soudain une
adulte. –La légende raconte que Molière est mort ici,
chuchotait-elle. Surtout, ne fais pas de bruit.*
(Extrait : LE JOUR OÙ MAMAN M’A PRÉSENTÉ SHAKESPEARE,
Julien Aranda, Eyrolles éditeur, 2018, 194 pages en format num.)

Quand on a 10 ans, pas de papa mais une mère amoureuse de Shakespeare et que l’on s’attend à voir débarquer les huissiers d’un jour à l’autre, la vie n’est pas simple. Elle, comédienne de théâtre passionnée, fascine son fils qui découvre le monde et ses paradoxes avec toute la poésie de l’enfance. Avec leur voisine Sabrina et les comédiens Max, Lulu et Rita, ils forment une famille de cœur, aussi prompte à se fâcher qu’à se réconcilier. Mais, un jour, la réalité des choses rattrape la joyeuse équipe. Et le petit garçon est séparé de sa mère. Comment, dès lors, avancer vers ses rêves ? 

Dans l’ombre de William et George
*…j’ai pensé que dans ce monde, il ne faut pas
s’attarder à devenir une trop bonne fourmi,
parce que le jour où les mouches changent
d’âne, on a vite fait de se retrouver dépourvu,
comme une cigale mais avec la joie de
vivre en moins. *
(Extrait)

C’est un petit livre qui m’a réchauffé le cœur. Pas pour l’originalité de son histoire mais plutôt pour la sincérité de la plume et la beauté de l’écriture. Le narrateur est un jeune garçon qui a six ans au début de l’histoire. Dommage, l’auteur n’a pas cru bon lui donné un nom. Je ne comprends pas ce choix. Pour la mère, pas plus original…on l’appellera la maman.

Donc la Maman est une comédienne qui s’est rendue au plus profond de la misère par amour pour le théâtre et en particulier pour les pièces de Shakespeare qu’elle joue avec des comédiens aussi passionnés qu’elle devant…des salles vides.

Le petit garçon a passé une partie de son enfance avec, dans son environnement, des huissiers, policiers, juges, juristes familiaux, un voisin grognon, une voisine originale ayant une mémoire phénoménale des codes-barres et une tante obsédée par la réalité des choses et donc de ce fait, en conflit avec sa sœur, la maman.

Un jour, quelques phrases prononcées par un grand monsieur vont tout faire basculer. Suivront : le décès du metteur en scène et l’arrivée dans la vie du garçon encore tout jeune, d’une belle fille appelée Sarah qui se trouve à être la fille du grand monsieur.

Cette histoire raconte donc le parcours enchanté d’une troupe de théâtre très spéciale…disons hors-norme.  Ce récit m’a beaucoup ému et m’a amené à porter un regard différent sur ceux et celles qui n’entrent pas dans *le moule de la Société* qu’on pourrait appeler ici des marginaux mais alors là sans arrière-pensées aucune.

L’écriture est d’une superbe finesse à la limite de la poésie. Si je me réfère à la réalité des enfants, je dirais que cette histoire a de la profondeur. La faiblesse tient dans le fait que, outre l’utilisation de mots déformés, de phrases détournées et d’une bonne quantité de néologismes comme télédébilité par exemple, l’enfant fait plus vrai que nature, une sagesse sans aucune turbulence et une façon trop mature de mettre en mots ses émotions et ses sentiments.

Je n’ai senti aucune souffrance chez cet enfant pourtant balloté et vivant dans une perpétuelle incertitude. Ça ne me semble pas très réaliste mais il y a une telle sincérité dans le texte qui constitue en fait 200 pages de manifestation d’amour, d’espoir, d’humanité et d’optimisme. Bref, un brassage d’émotions qui ne laisse pas indifférent.

J’ai aussi beaucoup aimé ce livre pour ses nombreuses références à Georges Brassens qui est et restera toujours mon poète et auteur-compositeur préféré.

<…car maman, même si elle était amoureuse de Shakespeare, elle lui faisait parfois des infidélités avec Georges Brassens parce qu’elle trouvait que sa voix et sa guitare s’accordaient parfaitement et que c’était un vrai poète comme il n’en existe plus aujourd’hui et qu’il n’en existerait plus jamais parce que le monde sombrait à cause de toutes ces émissions de télédébilité et tous ces réseaux asociaux…> Extrait

Dans un même monde où tristesse et joies s’entrelacent, l’auteur a fait cohabiter Shakespeare et Brassens avec bonheur et habileté, comme si cela allait de soi. Ça, j’ai adoré. Et si j’ai parlé plus haut de personnes marginales, j’ai trouvé très à propos la citation de LA MAUVAISE RÉPUTATION de Brassens au début de l’ouvrage de Julien Maranda :

*Je ne fais pourtant de tort à personne
En suivant mon chemin de petit bonhomme,
Mais, non, les braves gens n’aiment pas que,
L’on suive une autre route qu’eux*
(LA MAUVAISE RÉPUTATION, Georges Brassens)

Sans révolutionner la littérature, ce livre de Julien Aranda fait du bien…un petit vent de fraîcheur comme je les aime parfois. Les leçons de la vie vues à travers les yeux d’un enfant et la poésie de Brassens. Ça ne pouvait m’atteindre davantage. À lire absolument.

Suggestion de lecture : L’INFLUENCE D’UN LIVRE, de Philippe Aubert de Gaspé fils

Julien Aranda nous livre un premier roman en 2014 : « Le sourire du clair de lune » (City Éditions) qui a le parfum nostalgique des histoires que lui racontait son grand-père.

Encouragé par ses lecteurs, conforté dans sa vocation, il publie en 2016 « La simplicité des nuages » (City Éditions), roman plus contemporain décrivant les turpitudes d’un cadre parisien en quête de sens. En 2018, il publie son troisième roman « Le jour où Maman m’a présenté Shakespeare »(Éditions Eyrolles) qui raconte la trajectoire enchantée d’une comédienne de théâtre éprise d’absolu et de son petit garçon qui n’a d’yeux que pour elle.

William Shakespeare (1564-1616) <photo du haut> un des auteurs les plus évoqués dans l’histoire de la littérature et du cinéma et le poète Georges Brassens, deux immortels en convergences dans la vie d’un jeune garçon.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 23 octobre 2022

 

LA CHAMBRE DES MERVEILLES, Julien Sandrel

VERSION AUDIO

*MERDE ! je crois que le dernier mot qui s’est formé dans ma tête concernant ce petit être, la chair de ma chair, que j’ai  bercé des milliers d’heures, avec lequel j’ai chanté des milliers d’heures, qui m’a procuré tant de rires, de fierté et de joie…le dernier mot que j’ai prononcé mentalement dans mes méninges rouillées, c’est bel et bien ce putain de mot de Cambronne…*

(Extrait : LA CHAMBRE DES MERVEILLES, Julien Sandrel, édition originale : Calmann-Lévy éditeur, papier, 272 pages. Édition audio : Calmann-Lévy, présentation Audiolib 2018, durée d’écoute : 5 heures 13, narratrice : Sophie Duez)

Parti fâché de la maison, Louis, 12 ans, est frappé par un camion. Le pronostic est sombre. Dans quatre semaines, s’il n’y a pas d’amélioration, il faudra débrancher le respirateur de Louis.  Désespérée, sa mère trouve un carnet sous le matelas de son fils. À l’intérieur, il a dressé la liste de toutes ses « merveilles », les expériences qu’il aimerait vivre au cours de sa vie. Thelma prend une décision : ces merveilles, elle va les accomplir à sa place. Peut–être que ça l’aidera à revenir. Et si dans quatre semaines Louis doit mourir, à travers elle il aura vécu la vie dont il rêvait. Mais il n’est pas si facile de vivre les rêves d’un ado, quand on a presque quarante ans…

La vie qui bat
*J’ai sorti de mon sac le carnet de Louis. Je l’ai caressé.
L’ai serré sur mon cœur défoncé. J’ai tourné les pages
une à une. Lentement. Jusqu’à la dernière. J’ai lu ce que
mon fils me demandait de faire…la dernière page…les
dernières volontés…*
(Extrait)

C’est une belle histoire, mais je suis sorti de sa lecture un peu mitigé : Un adolescent de 12 ans, Louis, tombe dans un coma profond après avoir été renversé par un camion. Sa mère, Thelma, une femme d’entreprise plutôt carriériste tombe alors dans une profonde période d’introspection. Alors que son fils est profondément endormi, on dirait qu’elle se réveille et la situation de Louis est critique. L’espoir d’un réveil est pratiquement  inexistant.

Les médecins lui donnent un mois avant d’être débranché des appareils qui le maintiennent en vie. Un matin, alors que Thelma fouillait et errait sans but dans la chambre de Louis, elle découvre sous son matelas un carnet. Dans ce carnet étaient consignés des rêves, des exploits que Louis souhaitait réaliser, des défis qu’il souhait relever, le carnet des merveilles :

*Ce carnet était un concentré de futur, ce carnet était rempli d’expériences que Louis rêvait de vivre, de promesses, de joies…ce carnet était une promesse de vie. Le mode opératoire…j’allais partir à la rencontre   des rêves de mon fils. * (Extrait) Ces défis devaient être relevés dans deux pays aimés du fils : Le Japon et la Hongrie.

Ces défis n’étaient pas simples : *…faire une razzia de cartes ultra rares au Pokemon center d’Izzoboukouro…me faire tatouer par Tomo Tomo le tatoueur des stars…appuyer sur tous les boutons des toilettes japonaises…* (Extrait) Et par la bande… : *J’ose…toucher les seins de madame Ernest, monter dans un taxi et hurler SUIVEZ CETTE VOITURE, me foutre à poil dans la classe de madame Groupiron…* (Extrait)

Voilà l’idée de base du récit. Convaincue que dans son coma, Louis pouvait ressentir et entendre, Thelma se fit forte, avec l’aide de sa mère, la mamie de Louis, de relever les défis du carnet des merveilles pour inciter Louis à s’accrocher, à vivre. Consciente d’avoir négligé son fils au profit de sa vie professionnelle, Thelma allait à son tour s’accrocher à une motivation qui, seule, allait dorénavant compter :

*Mais j’avais pris conscience un peu tard que mon unique priorité, mon amour, mon fardeau, ma douleur, ma joie, mon espoir, ma vie restaient Louis. * (Extrait)

Parce que la situation qui sous-tend le récit est extrêmement dramatique, on trouve beaucoup de passages émouvants, tendres et profonds. J’y ai trouvé un peu de légèreté…trop peut-être. Il y avait de l’humour, et ça ne peut être autrement, spécialement quand il y a un ado dans le décor mais je le trouvais parfois déplacé.

Je sentais que les mères avaient beaucoup de plaisir mais qu’on oubliait l’essentiel. J’ai senti un peu de redondance dans le texte et un peu d’errance aussi. Il m’a semblé que le texte était développé un peu à la façon de ces histoires qui évoquent le développement de la personnalité et leur petit côté moralisateur. L’éveil et la conscience de son moi…pas capable.

Ça donne à l’ensemble un côté naïf et souvent invraisemblable et c’est sans compter la finale qui est tout à fait prévisible. J’ai compris ce qui arriverait dès l’ouverture du carnet des merveilles. Donc assez tôt.

Si LA CHAMBRE DES MERVEILLES est un bon livre, il est loin d’être inoubliable. Toutefois, je n’ai pas regretté sa lecture et je la recommande pour plusieurs raisons. D’abord, c’est une première expérience littéraire pour Julien Sandrel. Il y a mis du cœur et de l’originalité. En effet, je me vois mal relevé moi-même les défis de mon fils adolescent…je serais un peu mal pris. Ensuite, Sandrel a donné à quelques reprises la parole à Louis, perché dans un monde parallèle à écouter, en attendant son heure peut-être… :

*Maman s’est marrée à tourner les pages et à faire ce qui est écrit dans mon carnet. Elle arrive toujours à me faire exploser de rire, à me remonter le moral quand elle me raconte ses aventures. Je suis sûr que c’est bon pour moi de me remuer en toute immobilité* (Extrait)

Terriblement attachant le bonhomme. C’est lui en fait qui m’a gardé dans l’histoire. Enfin, le titre LA CHAMBRE DES MERVEILLES est une trouvaille dont on ne peut connaître vraiment toute la portée qu’à la fin du récit. Ça peut-être la chambre de Louis ou peut-être aussi sa chambre d’hôpital ou encore ce qui se passe dans la tête de Louis, un puits d’amour, d’émotions et d’imagination et c’est sûrement ce qui enrichit LA CHAMBRE DES MERVEILLES…je ne peux en dire plus.

Malgré les irritants, j’ai passé un beau moment de lecture et je crois que c’est ce qui vous attend.

Suggestion de lecture : LA CHAMBRE DES OMBRES GLACÉES, de Pierre H. Richard

À gauche, l’auteur JULIEN SENDREL. Il n’a rien de moins que réaliser un vieux rêve en écrivant son tout premier roman, maintenant connu à l’échelle planétaire : LA CHAMBRE DES MERVEILLES. Il vit actuellement à Paris. Peu d’informations filtrent sur ses projets futurs.

À droite, c’est à SOPHIE DUEZ qu’Audiolib a confié la narration de la CHAMBRE DES MERVEILLES. Après des études littéraires, Sophie Duez débute sa carrière au cinéma dans le film Marche à l’ombre de Michel Blanc. Elle alterne ensuite les tournages (Quai numéro 1) et le théâtre (Ruy Blas, Les monologues du vagin). Depuis 2017, mène de front ses activités de comédienne et de conseil en ingénierie culturelle. LA CHAMBRE DES MERVEILLES est son premier livre audio.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 15 mai 2022

LES MYSTÈRES DU BAYOU, trilogie de JANA DELEON

*Certains sont d’avis que les enfants ont été kidnappés par
une prêtresse vaudou qui vit isolée sur une île, au cœur des
marais, afin d’y être sacrifiés. Cette île, au pourtour
lugubrement jalonnée de centaines de poupées en état de
décrépitude plus ou moins avancé, est de l’étoffe dont on
fait les pires cauchemars.
(Extrait : UNE FILLETTE À SECOURIR
LES MYSTÈRES DU BAYOU tome 1, Jana DeLeon, 2019 Harlequin
éditeur, collection SAGAS. Édition intégrale, papier, 613 pages.)

Dans le bayou de Louisiane, les apparences sont souvent trompeuses…

Une fillette à secourir
Le jour où elle apprend qu’Amber, sa nièce, a disparu, Alexandria sent l’étau de la peur se resserrer autour d’elle. Envahie par le sombre pressentiment que les minutes de la fillette sont comptées, elle insiste pour participer à l’enquête. Quoi qu’il lui en coûte. Et même si le policier chargé de l’affaire n’est autre que Holt Chamberlain, son ex-fiancé…

Une troublante disparition
Jamais Max ne mêlera travail et sentiments. Alors, quand la trop jolie Colette Guidry vient l’implorer d’enquêter sur la disparition de sa meilleure amie, il refuse tout net. Mais, à sa grande surprise, la jeune femme lui annonce qu’avec ou sans lui elle se rendra dans le bayou en quête d’indices. Dès lors, Max comprend qu’il n’a pas le choix : il devra l’accompagner…

Les secrets du bayou
Traquer le « monstre du marais » ? Tanner éclate de rire. Depuis quand prend-on au sérieux cette légende de Louisiane ? Par acquit de conscience, il décide tout de même de mener l’enquête. Car la femme qui l’a engagé – et qui dit craindre pour sa sécurité – n’est autre que Josie Bettencourt. Celle qui, jadis, lui a brisé le cœur, le poussant même à fuir la région…

Mystérieuse Louisiane
*Le créole baissa les yeux sur le sol en terre battue.
Il avait espéré que l’homme serait mort avant qu’il
revienne. Pour n’avoir jamais à prononcer les mots
qu’il était sur le point de dire.*
(Extrait)

LES MYSTÈRES DU BAYOU est une trilogie. (Voir les titres plus haut) L’édition que j’ai lue comprenait les trois livres. J’ai donc tout lu mais chaque histoire peut se lire indépendamment, bien que ce ne soit pas l’idéal. Aussi, comme chaque récit comporte une intrigue policière assez bien étoffée, la trilogie demeure de la littérature sentimentale. À quoi peut-on s’attendre d’autres des éditions Harlequin ?

Je crois vous l’avoir déjà dit. Mais ce titre m’a intéressé pour deux raisons : d’abord, le Bayou : une étendue d’eau labyrinthique formée des méandres du Mississipi et couvrant tout le sud de la Louisiane sur presque 1000 kilomètres de serpentins et de boyaux. Le Bayou abritent une vaste région marécageuse.

Les marais, le folklore très particulier de la Nouvelle-Orléans et de la Louisiane ainsi que les traditions et pratiques des afro-américains, constituant la majorité de la population, et ça inclue le vaudou, tout ça imprègne aux trois histoires une atmosphère de légende, de mystère et de superstition.

La deuxième raison découle de la première. J’étais très curieux de voir comment Jana Deleon allait composer avec l’étrange atmosphère des marais, la trame sentimentale et l’intrigue policière. Je vous dirai qu’elle s’est assez bien débrouillée. Les deux premiers récits sont centrés sur une disparition et le troisième sur un inexplicable saccage d’une plantation que Josie Bettencourt tente de transformer en hôtel.

Nous assistons au déploiement des talents d’une fratrie de pisteurs et d’enquêteurs qui viennent de s’ouvrir une petite agence spécialisée dans les affaires difficiles ou non-résolues. Chaque frère a son heure de gloire : Holt dans le premier récit, Max dans le second, et Tanner dans le troisième. Les récits comportent un peu d’apitoiement et chaque frère développe un petit sentiment pour la belle de l’histoire.

Petit sentiment deviendra grand il va sans dire. Mon récit préféré a été le troisième car il développe davantage le thème des mystères du marais dont la légende du monstre des marais. Il y a plus d’action et le lecteur se rend avidement vers une finale bien imaginée.

Dans l’ensemble, ça se lit bien. Les trois livres comportent tout de même plus de six-cents pages et l’amour prend de la place. Ça pourrait plaire à une part importante du lectorat qui aime la littérature sentimentale.

Il y a des longueurs mais entre les principaux éléments, amour-mystère-intrigue, l’auteure a fait preuve, je crois, d’un bel équilibre et de nombreux passages marqués par l’intensité m’ont gardé captif un peu tout le long des trois histoires :

*Le cri de Josie déchira le silence de la nuit. Le cœur de Tanner bondit dans sa poitrine tandis qu’il se jetait dans l’escalier et dévalait les marches quatre à quatre, ne pensant même plus à l’intrus. Il manqua céder à la panique lorsqu’il vit la portière ouverte, la voiture vide. Josie n’était nulle part en vue.* (Extrait)

C’est un livre intéressant qui m’a appris des choses et qui m’a poussé à la recherche, suffisamment en tout cas pour ne pas avoir envie de m’installer près des marais de la Louisiane. Il reste que c’est la densité du décor qui m’a fait apprécier l’ensemble des trois livres.

J’y ai appris entre autres que les apparences sont trompeuses et que les légendes sont très tenaces comme cet énorme alligator  dans le livre 1 et le  TAINTED KEITRE dans le livre 3. À vous de découvrir ce dernier.

Bref c’est une lecture légère, sympa, pleine de trouvailles et de curiosités issues de l’imagination fébrile de Jana Deleon. Un bon divertissement.

Suggestion de lecture : LES MYSTÈRES D’AVEBURY de Robert Goddart

Jana DeLeon, auteure de best-sellers du New York Times et de USA Today, a été élevée dans le sud-ouest de la Louisiane parmi les bayous.  Sa famille possédait un camp situé dans un bayou juste à côté du golfe du Mexique, auquel on ne pouvait accéder que par bateau. La caractéristique la plus importante était le hamac en corde suspendu à l’ombre sur une immense terrasse qui s’étendait au-dessus de l’eau où Jana passait de nombreuses heures à lire des livres. Jana n’a jamais rencontré un mystère ou un fantôme comme ses héroïnes, mais elle a toujours bon espoir. 

Pour en savoir plus sur le bayou de Louisiane, cliquez ici.


LE BAYOU

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 20 mars 2022

L’œuvre de Dieu, la part du diable, de JOHN IRVING

*Ici, à Saint Cloud’s, nous perdrions notre énergie
(limitée) et notre imagination (aussi limitée) en
considérant comme des problèmes des réalités
sordides de la vie. Ici, à Saint Cloud’s, nous
n’avons qu’un seul problème…*

(Extrait L’ŒUVRE DE DIEU, LA PART DU DIABLE,
John Irving, 1986, Éditions du Seuil pour la traduction
française. Collection POINTS, édition de papier, 740 p.)

L’histoire a pour cadre l’orphelinat de Saint Cloud’s, au fin fond du Maine, et relate l’existence de ses pensionnaires pendant plus d’un demi-siècle. À commencer par Wilbur Larch, directeur de Saint Cloud’s, gynécologue excentrique. Aux yeux de nombre de femmes, un saint qui se sent investi d’une double mission : mettre au monde des enfants non désirés, futurs orphelins – <l’œuvre de Dieu» -, interrompre dans l’illégalité des grossesses – l’«œuvre du Diable». Peu à peu, entre le médecin et Homer Wells, un orphelin réfractaire à l’adoption vont se développer des relations et des sentiments qui ressemblent fort à ceux d’un père et d’un fils.

La philo du pour et du contre
*Les femmes n’ont aucun choix. Je sais que tu estimes cela
injuste, mais comment peux-tu-surtout toi avec ton
expérience-, comment peux-tu te sentir libre de refuser
d’aider des êtres humains qui ne sont pas eux-mêmes
libre d’obtenir de l’aide autre que la tienne ?
(Extrait)

C’est une des belles lectures que j’ai faites. Tout au long de cette édition de 740 pages, il a été très difficile pour moi de lâcher prise. Le sujet développé a conservé toute son actualité car il déchire encore la Société de nos jours.

Il s’agit de l’avortement. Au début, on en retrouve quelque part dans le Maine. Le docteur Wilbur Larch, gynécologue excentrique et très porté sur l’éther, dirige l’orphelinat de Saint-Cloud’s. Il met au monde des enfants non désirés qui grandiront à l’orphelinat en attendant d’être adoptés.

Bien qu’ils favorisent la mise en monde des enfants, Larch pratique aussi des avortements, ce qui est illégal à l’époque. C’est une infirmière qui choisit le nom des enfants. Un des enfants issus de Saint-Cloud’s est particulier.

Après quatre tentatives d’adoption, Homer Wells retourne à la case départ. Il grandit à l’orphelinat, finit par s’y sentir bien et y développe une relation Père-fils avec le bon docteur qui rêve de former Homer pour l’assister, et éventuellement le remplacer dans l’accomplissement de l’œuvre de Dieu, mettre au monde les enfants, et la part du diable, interrompre les grossesses.

Malheureusement pour Larch, Homer avait l’intime conviction qu’interrompre une grossesse revenait à interrompre une vie, décision qui revient à Dieu seul. Homer finira par quitter l’orphelinat et aura une intense vie d’adulte. Il connaîtra le travail, le sexe, l’amour. Il aura un fils qui sera adolescent au moment où Homer prendra la plus importante décision de sa vie.

C’est un roman puissant qui développe avec intelligence un sujet extrêmement sensible. Larch et Homer s’aiment comme Père et fils mais ils sont déchirés, tiraillés entre l’œuvre de Dieu et la part du diable. Pour Wilbur, l’avortement devrait être légal et accessible.

Pour Homer, il n’est pas question de jouer à Dieu. Les personnages de ce roman sont forts et très bien travaillés. Ils sont en grande partie la force du récit. Wilbur et Homer sont bien sûr mes préférés..

Mélony est aussi intéressante. Bien que cette fille ait la carrure d’un joueur de football et la délicatesse d’un char d’assaut, elle a quelque chose de spécial, un magnétisme, un incontournable pouvoir d’attraction. Elle aura une influence déterminante sur le destin d’Homer. Enfin, il y a le fils d’Homer, Ange, peut-être le plus attachant des personnages.

John Irving m’a plongé dans le quotidien de ces personnages et m’a placé à leur côté et j’ai vécu des moments de lecture d’une grande intensité. L’auteur ne prend pas parti dans le débat mais développe avec doigté la philosophie de chaque camp. C’est un roman touchant, qui brasse les émotions et dans lequel l’amour est omniprésent et palpable.

Sur le plan social, Wilbur me rappelle un peu le médecin canadien Henry Morgentaler (1923-2013) mort à 90 ans (le même âge que Wilbur Larch dans l’œuvre d’Irving).

Morgentaler militait pour l’avortement thérapeutique et des options de santé pour les femmes en plus d’être chef de file de plusieurs organisations civile et humanistes, ce qui lui a valu l’Ordre du Canada en 2008. Nuls doutes que son action sociale a influencé la politique canadienne et il a laissé sa marque.

Ce livre est un hymne à l’amour, un hommage aux femmes. Il s’est voulu très proche de ses personnages et il ne juge pas. Pas de longueurs, pas de jugement, pas de moralisation. Juste une histoire prenante qui offre de fort intéressants éléments de réflexion. Pour moi, L’ŒUVRE DE DIEU, LA PART DU DIABLE est un chef-d’œuvre.

Suggestion de lecture, du même auteur : LE MONDE SELON GARP

John Irving est né en 1942 et a grandi à Exeter (New Hampshire). Avant de devenir écrivain, il songe à une carrière de lutteur professionnel. Premier roman en 1968: Liberté pour les ours ! suivi d’Un mariage poids moyen et de L’Épopée du buveur d’eau. La parution du Monde selon Garp est un événement. Avec L’Hôtel New Hampshire, L’Oeuvre de Dieu, la Part du Diable (adapté à l’écran par Lasse Hallström en 2000), Une prière pour Owen, Un enfant de la balle, Une veuve de papier et La Quatrième Main, l’auteur accumule les succès auprès du public et de la critique. John Irving partage son temps entre le Vermont et le Canada.

L’œuvre de Dieu, la part du diable
au cinéma

Le film est sorti le 22 mars 2000. Il a été réalisé par Lasse Hallström. Dans la distribution, on retrouve entre autres, Toby McGuire, Charlize Theron, Delroy Lindo et Michael Caine. Le film a été adulé et récompensé décrochant l’Oscar du meilleur scénario adapté remis à John Irving, et l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle remis à Michael Caine. Le film a aussi été nominé 5 fois aux Oscars dont l’Oscar au meilleur réalisateur et l’oscar du meilleur film.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 11 décembre 2021