L’INFLUENCE D’UN LIVRE, PHILIPPE AUBERT DE GASPÉ

*Les assistants étaient tombés à genoux à ce terrible
spectacle et sanglotaient en voyant leur vénérable
pasteur qui leur avait toujours paru si timide et si
faible, et maintenant si fort et si courageux, face à
face avec l’ennemi de Dieu et des hommes.*
(Extrait : L’INFLUENCE D’UN LIVRE, Philippe Aubert de Gaspé
fils, 1ère publication, 1837, édition revue et corrigée : Les
Éditions du Boréal, 1996. Édition de papier et numérique,
217 pages numériques)

Profondément influencé par Le Petit Albert, ouvrage d’alchimie qui décide du sort de sa vie, Charles Amand s’associe à son ami Dupont pour percer le secret de la pierre philosophale. La trame va de conjuration en sortilège, d’apparitions diaboliques en meurtres. Tout commence par une séance au cours de laquelle Amand s’entête à invoquer les esprits. Mais l’expérience est un fiasco et le paysan décide de faire ses recherches tout seul. Après avoir récupéré des restes de criminels exécutés, il fera naufrage au cours d’une expédition sur le Saint-Laurent et sera contraint de rester pendant cinq ans sur une île, toujours obsédé par sa quête.

QUÉBEC, 1837
L’ALCHIMIE INSPIRE LE PREMIER ROMAN
DE LA NOUVELLE-FRANCE
*Près de l’âtre, sur une table, un mauvais encrier,
quelques morceaux de papier et un livre ouvert
absorbaient une partie de l’attention de
l’alchimiste moderne; ce livre était : LES OUVRAGES
D’ALBERT LE PETIT*
(Extrait : L’INFLUENCE D’UN LIVRE, repris dans la postface
de Rainier Grutman)

C’est un récit étrange ayant comme toile de fond l’alchimie et la recherche de la pierre philosophale. Le titre aussi peut paraître singulier. Ce livre est considéré comme le premier roman canadien français mais il ne faut pas oublier que son auteur, Philippe Aubert de Gaspé (1814-1841) était un contemporain de très grands écrivains : Lamartine, De Musset, Victor Hugo, Honoré de Balzac, Charles Baudelaire et plusieurs autre

Il y en a autant du côté américain comme par exemple Fenimore Cooper, Edgar Allan Poe, etc . Il y avait donc beaucoup de matière pour nourrir l’imaginaire. J’imagine aussi Philippe Aubert de Gaspé confortablement installé dans la magnifique bibliothèque de son père à Saint-Jean-Port-Joli.

Je trouve aussi assez étrange que le premier sujet développé au Canada Français en littérature soit l’alchimie. L’auteur choisit en effet LE PETIT ALBERT, un grimoire de magie, concentré de sciences cabalistiques et de magie naturelle, pour décider du sort de la vie de son principal personnage, Charles Amand, un cultivateur particulièrement rusé et profondément avide de l’énorme pouvoir que lui conférerait la pierre philosophale .

Amand rêvait d’un pouvoir sans limite. Le récit met en scène un autre personnage très intéressant : St-Céran qui lui, ne cherche qu’à acquérir la connaissance en général, mais en particulier celle qui lui ouvre les portes de la bonne société.

Je pense que l’idée de départ de l’auteur était d’exploiter la pureté des campagnes canadiennes françaises de la première moitié du XIXe siècle. Il lui a finalement donné un caractère fantastique en faisant passer son héros de conjuration en sortilège, de meurtre en apparition diabolique.

Pour bien profiter de ce livre, il faut oublier, voir désapprendre la façon de penser, d’écrire et de développer des sujets en littérature. Il faut se mettre dans la peau d’un jeune auteur très allumé, désireux d’écrire tout simplement, sans égard au fait qu’il lancera officiellement la littérature canadienne et il faut bien sûr se mettre au diapason de la société canadienne de la première moitié du XIXe siècle.

Si vous faites cet exercice comme je l’ai fait, vous serez charmé par le récit. L’histoire est mouvementée et j’ai trouvé la plume de l’auteur savoureuse car elle est teintée d’ironie. L’auteur semble vouloir prendre position dans un pays sans littérature et où il ne se passe rien. Il y a de l’amertume aussi car Aubert de Gaspé a goûté à la prison à cause d’une chicane avec le bras de droit de Papineau.

On sent dans son œuvre une espèce d’admiration pour les Chefs Patriotes sur le point d’entrer en rébellion. Aubert de Gaspé rédige L’INFLUENCE D’UN LIVRE et fuit pour éviter à nouveau la prison. *Son histoire a déjà une histoire* et comme lecteur, j’ai goûté à l’Émotion qui s’en dégage. Il a réussi à m’arracher de mon XXIe siècle peinard pour m’aspirer dans la campagne canadienne du 19e siècle et suivre la quête d’Amand.

J’ai beaucoup aimé ce livre qui m’a donné l’impression de participer à une aventure empreinte de diabolisme. Le seul irritant que je veux signaler est l’abondance des citations. Il y en a pour tout et pour rien et plusieurs sont en anglais, l’auteur jugeant peut-être bon de citer Shakespeare.

Bien que la plupart soient d’une certaine pertinence, il y en a trop et ça brise le rythme. Le fait que l’auteur choisisse un sujet aussi lugubre me surprend à peine : *Ce que je ne puis concevoir et ce qui répugne à la raison, c’est qu’un être, auquel on ne peut refuser le nom d’homme, puisse s’abreuver du sang de son semblable pour un peu d’or…* (Extrait)

Je me suis dit voilà…c’est avec ça que la littérature canadienne est née : la science-fiction du XIXe siècle, empreinte d’un petit caractère européen. Mal accueilli à sa publication…considéré aujourd’hui comme une œuvre historique… fascinant…

Suggestion de livre : LE LIVRE NOIR DE LA CIA, d’Yvonnick Denoël

C’est au manoir de son père que Philippe Aubert de Gaspé fils (1814-1841) rédige le premier roman de la littérature Canadienne-Française qu’il intitule L’INFLUENCE D’UN LIVRE. Le roman sera publié en 1837, deux mois avant l’insurrection des patriotes. Reçu d’abord dans l’indifférence, le roman sera attaqué par deux critiques réputés : Hyacinthe Leblanc de Marconnay et André-Romuald Cherrier. Il meurt le 7 mars 1841 à l’âge de 27 ans à Halifax. Après son décès, le roman connaît une certaine popularité grâce à l’abbé Casgrain qui le réédite en 1864 sous un nouveau titre : LE CHERCHEUR DE TRÉSORS, largement censuré.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le jeudi 24 octobre 2019

LES CONTES DES 1001 NUITS partie 1 du recueil

LES CONTES DES 1001 NUITS

Commentaire sur le recueil anonyme
de contes populaires
(Partie 1)


*«mais ne vous trompez pas, vizir», reprit le
sultan : «demain, en vous remettant
Sheherazade entre les mains, je prétends
que vous lui ôtiez la vie. Si vous y manquez,
je vous jure que je vous ferez mourir vous-
même.»*
(Extrait : LES CONTES DES 1001 NUITS, anonyme,
recueil de contes populaires d’origine persane et
indienne, édition numérique réunissant les trois
tomes : 1 800 pages)

Le sultan Shahryar, déçu par l’infidélité de son épouse, la condamne à mort et, afin de ne pas être à nouveau trompé, il décide de faire exécuter chaque matin la femme qu’il aura épousé la veille. Shéhérazade, la fille du grand vizir, est désignée pour épouser le sultan. Aidée de sa sœur, elle raconte chaque nuit au sultan une histoire dont la suite est reportée au lendemain. Le sultan reporte l’exécution de jour en jour afin de connaître la suite du récit commencé la veille. Peu à peu, elle  gagne la confiance de son mari, et, au bout de mille et une nuits, il renonce à la faire exécuter.

UNE LECTURE ENVOÛTANTE
*-Ma maîtresse, repartit l’oiseau, faites ce que je dis et ne vous inquiétez pas de ce qui en arrivera ; il n’en arrivera que du bien. Quant aux perles, allez demain de bon matin au pied du premier arbre de votre parc, à main droite, et faites-y fouir, vous en trouverez plus que vous en avez besoin. »
(Extrait du conte HISTOIRE DE DEUX SŒURS JALOUSES DE LEUR CADETTE, CONTES DES 1001 NUITS)
1                                                                  2

              

LE LIVRE DES MILLE ET UNE NUITS est un recueil anonyme de contes populaires en arabe, d’origine persane et indienne. Il est constitué de nombreux contes enchâssés et de personnages mis en miroir les uns par rapport aux autres. Autrement dit, on trouve de nombreuses histoires qui sont intégrées dans une seule et même histoire, en devenant des parties intégrantes. En littérature, c’est ce que l’on appelle la *Mise en abîme*.

Dans le synopsis un peu plus haut, on a vu que la princesse Shéhérazade, avec l’aide de sa sœur, raconte chaque nuit au sultan une histoire dont la suite est reportée au lendemain. Autant de fois l’exécution de Shéhérazade est reportée. La sœur, Dynarzade, pratique la tactique du récit interrompu.

Peu à peu la princesse gagne la confiance de son mari et au bout de mille et une nuits, le sultan renonce à la faire exécuter. En fait, Shéhérazade est l’héroïne du récit car elle est un puits sans fond d’histoires, de merveilles, de magie et d’imagination. C’est pour elle une source de vie.
                                                                         3

Mon choix était de lire l’intégrale des CONTES DES MILLE ET UNE NUITS, réunissant donc les trois grands tomes. J’ai pris la traduction la plus accessible, c’est-à-dire celle d’Antoine Galland. Les CONTES DES 1001 NUITS ont été publiés en 1704 sans auteur officiellement reconnu. Ils sont bien sûr libres de droit. J’ai donc lu l’intégrale, soit 1 800 pages. Évidemment, c’est très long. J’ai pris bien mon temps et j’ai intégré les contes à mes lectures courantes. Je ne crois pas qu’on puisse critiquer une œuvre aussi considérable. Moi j’ai été charmé.

      
4                                                                    5

Il n’y a qu’un seul irritant. À chaque nuit, Shéhérazade doit déployer beaucoup d’imagination pour rester en vie. Elle a l’aide de sa sœur Dynarzade qui la réveille à chaque nuit et la pris de poursuivre l’histoire laissée en plan la veille. Cette routine force la redondance. Heureusement, ce petit protocole n’est pas bien long. Il est juste répétitif. Je m’y suis fait. En dehors de ce détail, j’ai été charmé.

Je me suis laissé emporter dans le temps et dans l’univers oriental avec ses génies, ses fées, ses sorciers, des lois étranges, des traditions bizarres au service des sultans et de leurs caprices. Un monde où il y a parfois fort à faire pour sauver sa vie. Les 1001 nuits constituent aussi un monde de conteurs. En tête, Shéhérazade qui, avec sa sœur Dynarzade, entretient le sultan dans l’intrigue de ses histoires, pour se maintenir en vie.

Shéhérazade est le pilier des contes. Le fil conducteur. La référence. Avec elle, tout se tient. C’est grâce à ce fil conducteur, une trouvaille à mon avis, que je suis resté en haleine, que j’ai gardé mon intérêt jusqu’à la fin. Le nombre de page n’avait plus d’importance. Et puis, je l’ai déjà dit, il ne faut pas se laisser impressionner par l’épaisseur d’un volume.

Autre élément intéressant : la traduction. Antoine Galland s’est évidemment servi du français de son époque et a été confronté aux particularités et aux étrangetés du langage oriental. Par exemple *Vous allez le voir* devient *vous l’allez voir*. Je trouve que le langage qui en résulte est d’une magnifique beauté. Non seulement on se fait aux caprices linguistiques, on vient à les aimer et à les rechercher.

Cette lecture a été pour moi un enchantement car je devenais moi-même le sultan Shahriar, soucieux de revenir à ma lecture le plus vite possible afin de connaître la suite des aventures si bien racontées par la belle Shéhérazade. Plusieurs seront découragés sans doute par la récurrence des thèmes. Moi, je me suis accroché à la beauté du langage, poussant parfois à la poésie et suffisante pour déclencher le rêve.

Je vous invite donc à entrer dans un monde à part de la littérature avec les CONTES DES MILLE ET UNE NUITS. Rien ne vous oblige à lire l’intégrale. Faites-en l’essai. Vous verrez bien où ça va vous mener. Faites comme moi…laissez-vous aller.

LES PHOTOS

1)       Ali Baba (1909) Maxfield Parrish  oriental art (sur Pinterest)
2)       Aladin dans le jardin magique, illustration de Max Liebert, 1912 (Wikipedia)
3)       Image du film LE SEPTIÈME VOYAGE DE SINBAD, de Nathan Juran, sorti en
1958 avec les célèbres effets spéciaux de Ray Harryhausen
4)       Le conte du cheval d’ébène, illustration de John Dickson Batten, 1895 (Wikipédia)
5)       Shéhérazade et le sultan Schariar (1880) œuvre de Ferdinand Keller
(1842-1922)    Shéhérazade est le personnage central des 1001 nuits.

Mon prochain article sera consacré à des thèmes relatifs aux contes des 1001 nuits : des ouvrages d’analyse, sur l’iconographie, les décorations sous les thèmes des 1001 nuits et même la cuisine. Je vous invite à lire ce complément sur jailu.mllambert.com.

Suggestion de lecture : LES CONTES DES 1001 NUITS, partie 2

BONNE LECTURE

CLAUDE LAMBERT

 Le lundi 21 octobre 2019

 

UN VISAGE DANS LA FOULE, STEPHEN KING/STEWART O’NAN

*Soudain, ils entendirent les adultes s’agiter
au bord de l’étang Marsden du côté du
barrage. Ils foncèrent les rejoindre. Plus tard,
en découvrant le cadavre énucléé qui émerge
tout dégoûtant du déversoir, ils eurent
l’occasion de le regretter.*
(Extrait du livre audio contenant la nouvelle
de Stephen King et Stewart O’Nan : UN VISAGE
DANS LA FOULE. Hardigan éditeur, 2015,
narration : Arnauld Le Ridant, durée d’écoute :
75 minutes, Captation : Audible)

Depuis la mort de sa femme, Dean Evers trompe l’ennui devant les matchs de baseball à la télé. Quand soudain, dans les gradins, il découvre un visage surgi du passé. Quelqu’un qui ne devrait pas être là, au stade… ni même parmi les vivants. Le lendemain, un autre homme apparait…un homme dont Dean a assisté aux funérailles…Soir après soir, Dean se laisse hypnotiser par les visages de ceux qu’ils n’espéraient ou ne voulait plus voir. Mais le pire est à venir…

DES FANTÔMES AU MATCH
*Evers gisait pâle et immobile,
les yeux mi-clos, les lèvres
purpurines, la bouche déformée
par un rictus. La bave en
séchant sur son menton, y
avait dessiné une toile d’araignée. *

(Extrait)

D’entrée de jeu, je dois vous dire que je n’aime pas le baseball encore moins l’équipe de Tampa bay qui semble encensée dans la nouvelle de King et O’nan. Pour moi, ce sport, qui ne tient pas compte du chronomètre, est répétitif et ennuyant.

Donc, le baseball est omniprésent dans le récit. Je me suis fait violence en complétant ma lecture, restant positif, et curieux de savoir ce qu’allait donner une association de deux excellents écrivains.

Notre personnage principal est Dean Evers, un vieil homme, veuf, usé par la vie, en perdition qui s’apprête sans le savoir à entrer dans une autre dimension. Un soir, pendant un match retransmis à la télé, au troisième rang du stade, il aperçoit un visage connu. Son dentiste. Mais il est mort son dentiste, depuis longtemps. Le lendemain, il voit un homme dont il a assisté aux funérailles et puis d’autres apparitions.

Question : Dean devient-il sénile. Les conversations téléphoniques avec les morts du genre* tu me vois là…deuxième rangée…je te fais des signes…* ça ne suffit pas. Il veut en avoir le cœur net et décide de se rendre au stade pour la prochaine partie…une démarche qui pourrait sceller son avenir.

Ce n’est pas une nouvelle particulièrement originale. Je m’attendais à plus. Un vivant en sursis sensiblement impliqué dans la mort d’autres personnes qui entrent en contact avec lui…c’est du déjà-vu. Edgar Allan Poe m’a habitué à ce genre littéraire quand il a établi à sa façon, les frontières du fantastique. Il y a du O’nan là-dedans.  Que Dean se rende au stade annonce une introspection, une exploration de la conscience.

J’ai mieux compris la démarche des auteurs à la fin, heureux de lire une finale intéressante. Je n’ai pas trouvé la psychologie des personnages très poussée ni le suspense. Ça ne ressemble pas à King. O’nan est un écrivain plutôt intimiste et qui est souvent percutant. Les personnages ont peu de profondeur. Au moins, les auteurs laissent des ouvertures qui amènent le lecteur à en savoir plus sur les petites incartades d’Evers.

J’étais curieux de savoir quel auteur pouvait prendre le pas sur l’autre. La plume modérée et retenue ainsi que l’aspect fantastique de l’histoire qui m’apparaît comme inachevée me laissent supposer que Stewart O’Nan se serait placé légèrement en avant.

Bien sûr, UN VISAGE DANS LA FOULE est une nouvelle. Il est difficile de dire qu’une nouvelle est sous-développée. Mais en faisant un peu d’extrapolation, je serais porté à penser que King et O’Nan se sont freinés l’un l’autre.

Si chaque auteur avait développé le sujet chacun de son côté, on aurait eu droit à quelque chose de supérieur…un personnage principal moins mollasson entre autres, des personnages secondaires plus caractériels, plus de suspense, plus de revirements, un récit dans l’ensemble moins prévisible. Bien sûr j’aurais encore été pris pour lire des descriptifs de baseball, mais partons du principe qu’on ne peut pas tout avoir…

Je pense que l’amalgame des deux styles d’auteurs a donné un récit un peu timoré. Bien sûr c’est très personnel comme observation. Beaucoup de lecteurs et de lectrices pourraient voir les choses autrement, surtout s’ils sont amateurs de baseball…

En terminant, un mot sur la narration d’Arnauld Le Ridant…un peu ennuyeuse malheureusement, monocorde, pas toujours ajusté avec l’esprit du texte. Maquille assez bien sa voix dans les dialogues mais devient parfois assommant. Heureusement, Le Ridant a une signature vocale agréable. Ça sauve un peu les meubles.

Bref, UN VISAGE DANS LA FOULE est un récit moyen. Suspense moyen qui ne réinvente pas le genre…

Suggestion de lecture : LA THÉORIE DE GAÏA, de Maxime Chattam

Pour faire très court sur Stephen King (à droite), je dirai que c’est un écrivain américain né le 21 septembre 1947 à Portland, dans l’État du Maine. Depuis CARRIE, King a écrit une cinquantaine de romans, sans compter nouvelles et scénarios, vendus au total à plus de cent millions d’exemplaires. Consacré « roi de l’horreur » de la littérature moderne, il s’illustre dans d’autres genres comme le fantasy, la science-fiction ou le roman policier.

Stewart O’Nan est un écrivain, romancier et nouvelliste né en 1961 à Pittsburg. Titulaire d’un B.S. d’ingénierie spatiale de l’Université de Boston en 1983, Il est embauché comme ingénieur chez Grumman Aerospace à Bethpage, New York, en 1984. Il pratique cette activité professionnelle jusqu’en 1988 et, prenant goût à l’écriture, écrit parallèlement à ses activités professionnelles. 

En 1993, paraît son premier recueil de nouvelles, « In the Walled City », puis son premier roman, « Des Anges dans la Neige » (Snow Angels, 1994), adapté au cinéma en 2007. »Speed Queen » (1997), qui est son troisième roman, est dédié à Stephen King. O’Nan a d’ailleurs envisagé un temps de l’intituler « Dear Stephen King ». 

Bonne Lecture
Claude Lambert
Le samedi 24 août 2019

LES QUINZE PREMIÈRES VIES D’HARRY AUGUST

Commentaire sur le livre de
CLAIRE NORTH

 *La mort…peut être obtenue de deux façons. Je ne parle pas de la mort fastidieuse que notre corps nous force à endurer à la fin de chacune de nos vies…je parle de la mort véritable…sa première forme, c’est l’oubli. On efface l’intégralité de votre mémoire…ce qui, pour nous, équivaut à une mort véritable. L’ardoise ainsi effacée, vous pouvez redevenir pur et innocent. * (Extrait : LES QUINZE PREMIÈRES VIES D’HARRY AUGUST, Claire North, Delpierre éditeur, 2014. Édition numérique, 320 pages.)  

Harry August se retrouve sur son lit de mort. Une fois de plus. Chaque fois qu’Harry décède, il naît de nouveau, au lieu et à la date exacte auxquels il est venu au monde la première fois, possédant tous les souvenirs de ses vies antérieures. Il sait seulement qu’il y en a d’autres comme lui. Alors qu’Harry arrive à la fin de sa onzième vie, une petite fille apparaît à son chevet et lui livre un message à transmettre d’enfant à adultes à travers des générations depuis mille ans dans le futur. Le message dit : « Le monde se meurt et nous ne pouvons rien y faire. À vous de jouer. » Reste à savoir comment Harry August essaiera de sauver un passé qu’il ne peut changer et un futur qu’il ne peut accepter. 

TANT ET TANT DE VIES
TANT ET TANT DE TEMPS
*C’est bizarre de savoir que tous ces gens
se connaissent depuis plusieurs siècles
alors qu’à mes yeux ils sont encore des
étrangers.*
(Extrait : LES QUINZE PREMIÈRES VIES
D’HARRY AUGUST)

L’histoire est un peu complexe mais le fil conducteur est riche et solide. Ça m’a permis de rester dans le coup et de découvrir avec plaisir les talents d’une auteure que je ne connaissais pas : Claire North. Il faut bien saisir le début de l’histoire et la situation d’Harry pour apprécier à sa juste valeur le reste du récit et en arriver à se poser la question qui porte un peu à réfléchir : Qu’est-ce que j’aurais fait à la place d’Harry.

Donc il faut savoir qu’Harry est né orphelin, qu’il a vécu, qu’il est mort, qu’il est né de nouveau au même endroit et dans les mêmes circonstances, avec les souvenirs demeurés intacts de sa vie antérieure. C’est un Kalachakras. Et en plus, il est mnémonique. Ceux qui n’ont pas ce don, le commun des mortels autrement dit, sont des linéaires…linéaire comme le temps.

Il est porteur d’un message transmis d’enfant à vieillard mourant : *J’ai besoin de faire remonter un message dans le temps…comme vous avez l’obligeance d’être en train de mourir, je vous demande de le transmettre aux Cercles de votre jeunesse, de la même façon qu’il m’a été transmis.* (Extrait)

Ce n’est pas un secret, ce message révèle que la fin du monde approche. Ça m’a semblé logique, car dans l’histoire, le futur est en train de changer dramatiquement.

Harry consomme ses vies en poursuivant ceux de son espèce qui sont susceptibles d’altérer l’histoire en introduisant à l’avance divers éléments et inventions pour lesquels la société n’est pas préparée.

Il poursuit en particulier Vincent Ramkis qui projette la création d’un miroir quantique qui permettrait aux hommes d’avoir réponse à toutes les questions existentielles et qui permettrait de percer les mystères de l’univers avec les yeux de Dieu et ce faisant, introduit des technologies très en avance sur le temps.

Cette histoire me rappelle à certains égards le livre de Ken Grimwood REPLAY (Éditions du Seuil, 1998). Si vous avez lu ce livre, vous vous rappellerez que Jeff Winston est mort dans son bureau d’une crise cardiaque en 1988. Il se retrouve en 1963 à 18 ans dans son ancienne chambre d’Université. L’histoire est quand même différente mais ça fait une lecture parallèle très intéressante.

J’ai trouvé cette histoire très originale même si les sauts dans le temps et les paradoxes temporels sont des thèmes chers à la littérature, il en est question entre autres dans deux livres que j’ai commentés sur ce site : LES CHRONOLITHES de Robert-Charles Wilson et LE TEMPS PARALYSÉ de Dean Koontz.

Dans le livre LES QUINZE PREMIÈRES VIES D’HARRY AUGUST, vous pourrez lire en particulier un intéressant dialogue sur les paradoxes temporels et leurs effets. Original aussi ce livre, parce que la vie d’Harry August étant une boucle temporelle, il a autant de vies que de regards critiques sur le XXe siècle et il y a beaucoup d’observations pertinentes.

Si ma vie était une boucle temporelle, je vivrais aisément sachant d’avance les numéros gagnants de loterie. Dans le livre de North cet aspect est exploité avec modération, August allant chercher juste ce qu’il lui faut. L’auteure n’est pas tombée dans le piège de la surexploitation qui est parfois si tentant. C’est un autre bon point.

Il y a quelques faiblesses : des longueurs, des bouts de dialogues nombreux qui n’apportent rien au récit. Et à peu près rien sur l’enfance d’Harry. Ça c’est dommage et ça fait que pour moi, le livre est incomplet. Il aurait en effet été très intéressant de savoir comment Harry vivait son enfance et son adolescence au fil de ses vies. Tout ce que j’ai cru comprendre est qu’il trouvait cette partie de ses vies ennuyantes à mourir et dépourvues d’intérêt. Enfin, il y a des sauts dans le temps.

Il faut être attentif malgré la solidité du fil conducteur. Ce livre est comme une longue lettre à saveur autobiographique ou un journal si vous préférez. Harry en est le narrateur et dans son récit, il peut passer d’une vie à l’autre pour illustrer ses comparatifs. Un peu mêlant par bouts…

Sans être un chef d’œuvre, c’est une histoire réussie et un bon roman. Il pousse à l’introspection et au questionnement. Comme je l’ai mentionné au début de ce texte, on peut se demander entre autres qu’est-ce qu’on ferait à la place d’Harry et puis comment gèrerait-on une vie éternelle surtout en sachant que le futur agonise.

Même si l’avenir était prometteur, seriez-vous volontaire pour une vie éternelle ? La plume consistante et un peu énigmatique de Claire North a de quoi alimenter votre réflexion.

Malgré les longueurs et l’aspect complexe de l’œuvre, j’ai apprécié ce roman et oui… ce n’est pas vraiment un coup de cœur, mais je crois que c’est une réussite.

 LECTURE PARALLÈLE SUGGÉRÉE : ANABIOSE, de Claudine Dumont

+

Claire North, de son vrai nom Catherine Webb est une écrivaine anglaise né en 1986. Elle a aussi écrit sous le pseudonyme de Kate Griffin. Élevée entre une mère auteure et un père éditeur, on peut comprendre que Catherine Webb soit devenue très tôt une passionnée de lecture, puis de l’écriture.

Elle n’avait que 14 ans quand elle a complété l’écriture de son premier roman en 2000 LA GUERRE DES RÊVES publié en 2002. Elle s’est spécialisée très tôt dans la littérature de science-fiction et de fantasy. LES QUINZE PREMIÈRE VIE D’HARRY AUGUST et son treizième ouvrage, récipiendaire du prix John Wood Campbell memorial en 2015.

BONNE LECTURE
JAILU/CLAUDE LAMBERT
Le dimanche 5 mai 2019

LES CHRONIQUES DE HALLOW, tome 1

LE BALLET DES OMBRES

Commentaire sur le livre de
MARIKA GALLMAN

*Je m’avançai jusqu’à la table du salon, les
genoux tremblants. Là, je m’arrêtai, retournai
l’enveloppe dans tous les sens, pris une
profonde respiration et l’ouvris. Mes pires
cauchemars devinrent réalité lorsque je sortis
une série de photos.*
(Extrait : LES CHRONIQUES DE HALLOW, tome 1, LE
BALLET DES OMBRES, Marika Gallman, Éditions
Bragelonne,  2015, édition de papier, 475 pages)

Cette première chronique d’Hallow nous raconte l’histoire d’Aby, une jeune fille qui a le don extraordinaire d’absorber l’énergie des gens qui l’entourent. Toutefois, c’est un don qu’elle connait assez mal. Elle ne s’en sert que pour dévaliser des œuvres d’art. Mais sa vie va basculer le jour où elle se rendra compte que son dernier cambriolage était un piège, que son maître-chanteur n’a rien d’humain et qu’en plus, le policier qui la traque est immunisé contre son don. Si Aby veut survivre à cet épisode infernal, elle doit savoir qui sont ces hommes.  Cette rencontre avec le policier va la propulser dans un monde étrange : Hallow, où même les ombres peuvent tuer.

L’HÉRITIÈRE DE L’OMBRE
*Une fraction des enfants D’Ordre et Chaos, énergie pure
habitant des créatures vivantes, a créé vos ancêtres, une
«anti-énergie»…avec lesquels ils se sont reproduits pour
mettre au point votre race, une espèce capable de

suspendre l’énergie, ainsi que de l’absorber. De la
maîtriser. Lorsque la paix s’est instaurée entre les deux
factions qu’étaient devenues les enfants d’Ordre et
Chaos, vos ancêtres ont pris le rôle de garde du corps

des êtres supérieurs afin d’éviter qu’un côté n’essaie
de prendre le dessus sur l’autre.*
(Extrait : LES CHRONIQUES DE HALLOW, tome 1, LE BALLET DES OMBRES)

C’est un bon livre et je crois qu’il ouvre la voie à une série prometteuse. L’histoire est celle d’Abby, jeune femme de trente ans, voleuse professionnelle, experte en particulier dans le vol des œuvres d’art. Abby a un autre don encore plus extraordinaire : elle peut absorber l’énergie des gens qui l’entourent. Il suffit qu’elle se concentre un peu et hop, tout le monde tombe dans les pommes quelques minutes.

Très pratique pour braquer une galerie d’art. Mais son dernier vol a les apparences d’un piège. En effet, en toute ignorance, Abby tente de voler le portefeuille d’un policier…immunisé contre le don d’Abby. À partir de ce moment, un lien particulier unit maintenant le policier Wally et Abby dont les pouvoirs se détraquent. Les deux empruntent maintenant un chemin qui les mènera du côté obscur de Hallow où ils seront en présence de deux forces obscures qui s’opposent.

J’ai beaucoup aimé cette histoire. L’héroïne, Abby est une jeune femme courageuse, sympathique, très humaine, en plus d’être dotée d’un beau sens de la famille. Et surtout, elle connait son pouvoir et le craint parce que d’une certaine façon elle a la capacité de commander à l’énergie, mystère universel dont elle a une notion bien précise :

*Nous absorbions l’énergie, parfois de manière drastique, mais comme on dit : «Rien ne se perd rien ne se crée, tout se transforme.» Le surplus ne reste pas dans nos corps. Il s’évacue lentement, s’échange entre humains, animaux, plantes et même avec certains objets…Quand quelqu’un meurt par exemple, son énergie ne disparaît pas. Elle se diffuse progressivement.

Elle imprègne parfois les murs de la pièce où la personne se trouvait, ou quelque chose qu’elle touchait. L’énergie a une inclination naturelle à retourner dans un hôte vivant, mais, en cas de décès violent, elle peut se retrouvée traumatisée…et se fixer dans un objet inanimé. C’est souvent pour ça que les gens parlent de maison hantée…* (Extrait)

Dans LE BALLET DES OMBRES, il y a de la place pour tout ce qui fait la beauté de la littérature de type *urban fantasy* : une héroïne attachante et empathique au point qu’on aimerait l’avoir comme amie, il y a aussi de l’humour, du mystère, de la magie. Dans le troisième tiers du livre, l’atmosphère, le non-dit, l’aura redoutable de deux sombres personnages : Smith et McCucheon.

Tout ça me rappelle un peu le fameux comic strip policier américain DICK TRACY créé par Chester Gould en 1931. Bien sûr dans le Ballet des ombres, les visages ne sont pas déformés. La comparaison touche surtout l’atmosphère qui est glauque, obscure, mystérieuse et surtout surnaturelle.

La série ne fait que débuter. Il sera intéressant de voir quelle voie empruntera le prochain tome…par exemple que deviennent Smith et McCucheon, jusqu’où ira cet amusant petit jeu de séduction entre Wally et Abby et qui me rappelle la tague de mon enfance, quel sera le destin d’Abby? Quelles forces obscures pourraient encore se trouver sur son chemin? Je pense que la série promet.

En terminant je veux mentionner que j’ai été séduit par la beauté de l’écriture. J’y ai vu beaucoup d’inspiration, d’imagination, une recherche sérieuse de vocabulaire dans des constructions de phrases soignées et qui ont parfois une connotation sensuelle :

*L’énergie est en constant développement. Elle ne reste pas à un endroit donné, elle coule. Comme un torrent de montagne qui rejoint une rivière, puis l’océan, et sera ensuite charrié sous forme de nuage pour pleuvoir sur de nouveaux horizons. *  (Extrait)

Je suis sûr que vous apprécierez ce roman au rythme élevé et aux personnages attachants. Avec LE BALLET DES OMBRES, je crois que l’auteure Marika Gallman s’est donné un très bel élan pour sa série LES CHRONIQUES DE HALLOW. À suivre…

Suggestion de lecture : CHRONIQUE D’UN MEURTRE ANNONCÉ, de David Grann

Marika Gallman est une auteure suisse née en 1983. Collectionneuse acharnée de post-it et de personnalités multiples, elle rate de peu une carrière de scénariste à Hollywood en écrivant, alors qu’elle n’avait que douze ans, le scénario d’un Indiana Jones 4 qui ne sera finalement pas retenu.

Elle se console devant ses séries préférées dont elle rejoue les scènes culte chaque nuit à voix haute dans son sommeil, quand elle ne se relève pas en douce pour regarder des films d’horreur. Attirée par les ambiances sombres et les hommes aux dents pointues, elle se lance dans l’écriture de son premier roman, RAGE DE DENTS en 2009, donnant naissance à série MAEVE REGAN.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 14 avril 2019

L’ACCIDENT, livre de JEAN-LUC ESPINASSE

AUX CONFINS DE L’INDICIBLE

*Les traits de son visage étaient tendus par l’abomination
de ce que je venais de lui apprendre. Elle avait vu la sueur
m’inonder brusquement alors que je luttais pour repousser
ma vision
.
(Extrait : L’ACCIDENT Aux confins de l’indicible,
Jean-Luc Espinasse, IS Éditions, 2014, édition numérique 230 pages)*

Daniel Montvillard rentre de week-end avec sa femme et son fils lorsqu’un terrible accident, survenu dans de mystérieuses circonstances, brise sa vie. Convaincu qu’un événement extérieur a provoqué le drame dont il est le seul survivant, il décide de tout faire pour retrouver le responsable. Son enquête l’entraîne alors dans l’univers inquiétant des romans de HP Lovecraft. Il y découvrira un secret terrifiant qui menace l’humanité tout entière, le faisant sombrer peu à peu dans la folie… Texte fortement inspiré de l’œuvre de Howard Phillips Lovecraft.

LES LEÇONS DE LOVECRAFT
J’étais au bord de la nausée et la peur m’avait
envahi tout entier, paralysant les dernières
facultés d’analyse qui me restaient;
une frayeur intense, glaçante et mêlée d’horreur
s’immisçait en moi.
(Extrait : L’ACCIDENT)

C’est le quatrième de couverture, la page couverture et l’avertissement au lecteur qui m’ont convaincu de lire ce livre. L’auteur dit dans son avertissement qu’il a lu, voire dévoré Lovecraft à l’âge de 25 ans alors qu’il vivait aux Antilles, un coin de terre tout à fait compatible avec l’univers de Lovecraft. Toutefois, dans L’ACCIDENT, il n’est pas question de vaudou mais de quelque chose de bien pire.

Le fil conducteur est simple : Daniel Montvillard et sa famille ont un accident. Daniel est le seul survivant. Une ou deux secondes avant l’impact, Daniel jure par tous les Dieux avoir vu la tête de son fils Junior exploser…une balle venue d’on ne sait où et qui lui a traversé la tête et est allée se ficher dans un mur de béton.

Daniel finit par retrouver la balle et commence une enquête qui l’obsèdera tout au long de l’histoire et qui l’amènera dans la cour d’un mystérieux comte qui organise des soirées très spéciales basées sur le mythe de Cthulhu, entité cosmique terrifiante qui inspire aux mortels les histoires les plus incroyables.

Si Daniel est obnubilé par son enquête, il verra aussi qu’une brèche est en train de s’ouvrir sur un univers parallèle, une dimension où se trouvent les GRANDS ANCIENS, ces Dieux qui, selon la légende peuplaient la terre avant l’arrivée des hommes…une dimension qui n’est que chaos et horreur. C’est dans le deuxième volet de son enquête qu’entre en jeu la toute puissante influence de HP Lovecraft.

C’est un livre intéressant mais qui comporte plusieurs irritants. L’implication de Lovecraft arrive presqu’au milieu du récit et de façon très abrupte et met de façon subite son personnage principal à cheval entre son enquête et une brochette de mythes et de légendes peuplant l’univers de Lovecraft. Ça met le roman en déséquilibre et comme il est question ici de l’indicible et du chaos, j’aurais souhaité une introduction graduelle et plus explicite.

Aussi, j’ai trouvé la plume d’Espinasse un peu figée, froide. Elle n’a pas vraiment réussi à faire passer les émotions peut-être justement parce que l’introduction subite du lecteur dans un cadre mystique est déstabilisante. Quant à la finale, je l’ai trouvée dans la logique des faits mais elle est un peu sèche, abrupte. Elle m’a un peu laissé sur ma faim.

J’ai tout de même apprécié ma lecture parce que le livre a des forces signifiantes. D’abord il faut rappeler que l’œuvre de HP Lovecraft associe les mystères cosmiques à une mythologie démente. Le livre d’Espinasse laisserait supposer que Lovecraft était dépositaire d’un terrible secret ce qui justifie l’inclusion dans L’ACCIDENT de nombreuses citations du célèbre auteur.

Que je sois moi-même un lecteur de Lovecraft ne change rien, j’ai trouvé ce choix d’Espinasse fort judicieux. Malgré ses faiblesses, L’ACCIDENT est un bon roman. Il ne donne pas vraiment de réponses à part peut-être que Lovecraft avait un esprit torturé. Le petit déficit d’émotions mentionné plus haut ne m’a pas empêché d’entrer dans l’histoire. J’ai pu savourer le caractère terrifiant du récit…

Plusieurs critiques pensent que l’importance accordée à Lovecraft dans L’ACCIDENT est surdimensionnée. Peut-être pensent-ils que l’œuvre de Lovecraft est un long délire paranoïaque. Pas moi. Sur ce plan précis, je crois que l’histoire est équilibrée. Même si les citations viennent tard dans le récit, l’aura de Lovecraft est présente partout. Lire ce livre vous permet de vous immiscer dans l’esprit de deux auteurs qui se rejoignent.

Si vous n’aimez pas Lovecraft, inutile de lire L’ACCIDENT. Si vous ne connaissez pas Lovecraft, c’est une façon de faire connaissance et d’alimenter une possible réflexion sur les dimensions et univers parallèles. Les théories exposées dans L’ACCIDENT ont un petit quelque chose de fascinant. Ce livre est au bout du compte, une intéressante découverte.

Après une brillante carrière dans la publicité et la presse quotidienne en tant que Directeur Marketing, Jean-Luc Espinasse décide de s’adonner à sa passion avec 3 romans jusqu’à maintenant. Cet écrivain basé à Marseille publie chez IS Edition son quatrième ouvrage « L’Accident – Aux confins de l’Indicible », un livre énigmatique, ésotérique et surtout très angoissant dont il a le secret. L’homme qui faisait habilement rêver les gens grâce à la publicité les fait désormais cauchemarder grâce aux livres…

Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) est un écrivain américain, précurseur de la littérature moderne dans les genres fantastique, horreur et science-fiction. Son influence a été considérable comme celle d’Edgar Allan Poe. Parmi ses ouvrages les plus célèbres, je cite L’APPEL DE CTHULHU qui a largement inspiré Jean-Luc Espinasse pour son livre L’ACCIDENT.

Je citerai aussi DANS L’ABÎME DU TEMPS, LES MONTAGNES HALLUCINÉES et L’ABOMINATION DES DUNWICH…il y en a beaucoup d’autres. Je pense à L’INDICIBLE, publié en 1923, également cité et exploré dans L’ACCIDENT et bien sûr HISTOIRE DU NECRONOMICON, ouvrage fictif du mythe de CTHULHU inventé par Lovecraft.

 Dans L’ACCIDENT, l’auteur Jean-Luc Espinasse laisse un des personnages influents de son roman présenter l’œuvre de Lovecraft comme étant *l’aboutissement d’une pensée inquiétante associant les mystères cosmiques d’un univers inconnu et les ténèbres d’une mythologie démente où règnent l’horreur et la terreur* (Extrait : L’ACCIDENT)

LECTURES PARALLÈLES SUGGÉRÉES EN LIENS AVEC L’ACCIDENT ET SIGNÉES HP LOVECRAFT :

    

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert

Le samedi 16 mars 2019

FRANKENSTEIN, le classique de MARY SHELLEY

*Sa stature gigantesque, la difformité de son aspect, trop hideux pour appartenir à l’humanité, m’apprirent sur-le-champ que c’était le misérable, l’épouvantable démon à qui j’avais donné la vie.* (Extrait FRANKENSTEIN, Mary Shelly, édition originale : 1818,
pour la présente réédition, Les Éditions du 38, 2015, édition numérique, 200 pages num.)

   

FRANKENSTEIN OU LE PROMÉTHÉE MODERNE raconte l’histoire de Victor Frankenstein, un jeune savant suisse passionné de physique et fasciné par les effets de la foudre.

Un jour, Frankenstein décide d’actualiser ses connaissances scientifiques jugées par ses tuteurs scientifiques faussées et faibles. Il va même les propulser vers l’avenir en utilisant l’énergie fantastique de la foudre et son esprit devenu un peu torturé pour créer, à partir de chairs mortes, un être vivant.

Ça fonctionne, mais l’être qu’il crée, quoique doué d’intelligence est affreusement hideux au point que Frankenstein l’abandonne et disparaît. Furieux d’avoir été rejeté par son créateur et persécuté par la société, la créature traquera son père. Victor Frankenstein sera finalement recueilli sur la banquise par un navire faisant route vers le pôle nord. Un face à face semble inévitable…

ANIMÉ PAR LE FEU DU CIEL
*Mes machinations criminelles ont donc eu
 raison de ton existence, mon cher Henry!
 J’ai déjà détruit deux êtres humains. D’autres
 victimes vont encore succomber!*
(Extrait)

Mon exploration de la littérature classique se poursuit cette fois avec Frankenstein de Mary Shelly, un livre qui a beaucoup frappé l’imaginaire depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours car le thème central tourne autour du pouvoir de donner la vie et la mort.

Je n’ai pas été déçu mais j’ai été surpris, étonné de constater à quel point l’œuvre de Mary Shelly a été galvaudée et mal comprise. Je me réfère ici aux très nombreuses adaptations de Frankenstein pour le cinéma et la télévision.

D’abord résumons. Ce livre raconte l’histoire de Victor Frankenstein qui, émerveillé par la puissance de la foudre et obsédé par une théorie scientifique, réussit à créer, à partir de chairs mortes, un être vivant. Victor ne lui a pas donné de nom. On parlera de lui comme étant le monstre de Frankenstein. Monstre parce que l’être que Victor a créé est immense, difforme, laid, hideux.

Victor rejette sa créature qui, elle, ne l’accepte pas. Le monstre demande à son créateur de créer une créature femelle à son image en échange de quoi il disparaîtra complètement de sa vie. Frankenstein refuse. Alors la créature se vengera sur tous les proches que Frankenstein aime.

C’est tout. L’histoire n’explique pas comment a été créé le monstre, comment et où le docteur allait chercher les organes, les parties de corps. L’histoire n’explique pas non plus, ou très peu comment le monstre exerçait sa vengeance sur les proches de Frankenstein.

L’histoire commence alors que le docteur pense entrevoir sa créature et bâtit secrètement des plans pour l’éliminer. Quant à la finale, elle est loin d’être aussi spectaculaire que ce à quoi le septième art nous a habitué.

En fait, ce livre repose essentiellement sur la honte et les regrets du bon docteur Frankenstein ainsi que sur une singulière haine que se vouent mutuellement la créature et son créateur. Voici un exemple, extrait d’un plaidoyer de la créature à son créateur. Il fait plus que dire son mépris, il crache sa haine :

*Tout ce qui concerne mes origines maudites y est consigné. Chaque détail de cette chaîne de faits horribles est mis en relief. Et y est donnée aussi la description précise de mon odieuse et repoussante personne, en des termes qui accusent ta propre horreur et qui rendent la mienne indélébile. J’étais dégouté en lisant cela. «Maudit soit le jour de ma naissance ! » m’écriai-je.* (Extrait)

Au-delà d’un récit au rythme lent et très redondant à mon avis, le livre véhicule un beau schéma de pensée sur la vie, la mort, l’amertume de la vengeance et, dans un cadre plus moderne, les risques d’une recherche scientifique non encadrée et la mise en perspective de l’éthique.

Il y a un élément en particulier qui m’a agacé : de la création du monstre jusqu’à la conclusion du livre, il s’écoule trois années. Or, lors d’une longue histoire que la créature raconte à son créateur, je me suis aperçu très vite que le monstre s’exclamait dans un français haut de gamme et faisait preuve d’une érudition qu’il faudrait une vie entière pour atteindre. Cette histoire était en fait une supplique.

Le monstre insistait pour que Frankenstein crée une réplique féminine. Comment une créature qui ne sait ni lire ni écrire peut déclamer à ce point dans un français aussi impeccable. Pour moi, c’est une incohérence.

Je crois que c’est le cinéma qui a fait la notoriété du livre il ne s’est pas encombré des lamentations du docteur ni du français haut perché de sa créature.

Les performances de Boris Karloff en particulier et les investissements de la Hammer ont frappé de plein fouet l’imaginaire collectif et ont dénaturé l’œuvre de Mary Shelly, faisant du monstre de Frankenstein l’œuvre la plus adapté au cinéma avec Dracula et Tarzan.

Sans être un chef d’œuvre, Frankenstein demeure pour moi un classique de la littérature. Ne vous attendez pas à de l’action, il n’y en a pas…pas plus que des scènes d’horreur et des bains de sang. Ce livre est d’abord l’histoire d’un homme qui s’accuse et c’est surtout sa teneur philosophique qui m’a intéressé.

Mary Godwin (1797-1851) est une écrivaine britannique née à Londres. En 1816, Mary épouse le poète Percy Shelley. La même année, Mary se met à l’écriture et entreprend son roman FRANKENSTEIN qui sera publié en 1818. Après la mort de son mari, Mary Shelley se consacre entièrement à sa carrière d’écrivaine et fait publier ses œuvres ainsi que celles de son mari. Des œuvres qui seront sensiblement mises dans l’ombre par son célèbre FRANKENSTEIN qui deviendra aussi un des leviers ouvrant la voie à la science-fiction moderne. Mary Shelly est morte en 1851 à l’âge de 53 ans.

FRANKENSTEIN AU CINÉMA

                  
1931                                           1957                                          1970

Boris Karloff a été le premier à interpréter Frankenstein dans l’adaptation cinématographique de 1931 produite par Universal. Sa prestation influencera toutes les incarnations futures du monstre. Les productions télé de 1973 et long métrage de 1994 sont beaucoup plus proche du roman. Quant à Boris Karloff, on peut dire qu’il aura marqué l’imaginaire collectif.

Nous verrons dans d’autres adaptations de FRANKENSTEIN des contemporains de Karloff briller à l’écran : Christopher Lee (Frankenstein s’est échappé), Peter Cushing jouant le docteur dans les productions de la Hammer films, Lon Chaney jr (Le fantôme de Frankenstein) et bien sûr Bela Lugosi (Frankenstein rencontre le loup-garou)

  

                       1935                                                    2015

La production de 1935 remet en scène Boris Karloff. Il faut rappeler que dans l’œuvre de Mary Shelley, le docteur Frankenstein avait effectivement une fiancée.  Quant à la production de 2015, elle nous donne l’occasion de revoir Daniel Radcliffe qui joue autre chose qu’Harry Potter.

BONNE LECTURE
Jailu
Le dimanche 24 février 2019

Si tu ne lis pas prends garde à toi,

COMMENTAIRE SUR LE LIVRE DE
LAURENCE FANTUZ

*Depuis toujours, je m’étais persuadé
que lire n’apportait aucun plaisir, sans
avoir réellement essayé, je dois
l’admettre. Devais-je lui faire confiance
et tenter l’aventure?*
(Extrait : SI TU NE LIS PAS, PRENDS GARDE À TOI!)
Laurence Fantuz, 2e édition 2012, Éditions Adabam.
édition numérique, 255 pages.)

Un jour, un vieux livre surgit dans la vie de Max, 12 ans…un cadeau que sa mère lui a fait…plutôt incongru pour Max qui est peu attiré par la lecture. Notre jeune ami décide de ranger le livre aux oubliettes, mais le livre n’est pas d’accord. Il s’anime et entreprend une mission : amener graduellement Max à apprécier la lecture. Max n’a pas du tout l’intention de se laisser faire et tire des plans pour se débarrasser de ce vieux livre dérangeant. Cependant, une chaîne d’évènements  et  l’influence de sa sœur qui adore lire amèneront  Max à s’intéresser au livre et à vivre finalement une aventure fantastique.

LIRE C’EST DÉCOUVRIR
*Effacés grâce à lui tous mes préjugés insensés,
tellement obstiné pendant des années j’ai été,
Mots et idées jaillissent désormais de mes pensées…*
(Extrait : SI TU NE LIS PAS, PRENDS GARDE À TOI)

Ce petit roman jeunesse est classé *aventure fantastique* mais j’y ai vu surtout un fort potentiel didactique et pédagogique. Au départ, le titre est plutôt ronflant et porte à jugement. Je n’ai pas tout à fait compris ce choix. Aussi, il ne faut pas trop s’y fier. Je veux préciser aussi que si vous croyez ne pas pouvoir lire ce livre avec des yeux d’enfants, mieux vaut pour vous passer à autre chose car vous risquez de vous ennuyer.

L’histoire est simple. C’est celle de Max, 12 ans, qui déteste la lecture mais qui ne l’a pas vraiment essayée. Un  jour, sa mère lui donne un vieux livre issu du patrimoine familial. Max n’en a cure…il relègue le livre aux oubliettes, mais le livre voit les choses autrement, car il est magique.

Le livre s’anime et se donne pour mission d’amener Max à apprécier la lecture. Pour ce dernier, le cadeau est empoisonné et il tire des plans pour s’en débarrasser. Il faut voir comment l’auteur amène Max à s’attacher à ce vieux bouquin. J’ai simplement et agréablement assisté à la naissance d’une forme de sentiment pour la lecture qui va finir d’ailleurs par une passion.

Quoique classique et peu original, le sujet est intelligemment développé et dévoile sans moralisation les vertus de la lecture comme l’enrichissement du vocabulaire en passant par le perfectionnement de l’orthographe jusqu’à l’ouverture de l’esprit sur le monde, son histoire, ses cultures.

L’élément qui m’a irrité un peu dans cette histoire tient au fait que tout se passe trop vite et va trop loin. En effet, presque du jour au lendemain, Max devient un passionné de lecture, délaissant sa passion des jeux vidéos, compose des histoires et de la poésie à mon avis un peu trop avancées pour son âge et compte maintenant devenir un écrivain. C’est un peu surréaliste ou tout au moins vite en affaires.

Malgré tout, j’ai apprécié ce livre, magnifiquement illustré par Dub, un excellent dessinateur, parce qu’il est très actuel. Les jeunes prendront plaisir à s’attacher au sympathique Max et ses amis et se reconnaîtront sûrement dans leur quotidien.

À notre époque où les jeunes sont aspirés par Internet, les jeux vidéos et les téléphones intelligents, il est bon de savoir qu’on peut prendre un réel plaisir à lire. Tout en évitant de présenter la lecture comme le seul loisir valable et considérant d’un bon œil les jeux vidéos et les sports,  Fantuz vient nous rappeler que le livre a et aura toujours sa place. Question d’équilibre.

C’est un  bon petit livre dans lequel l’humour a sa place et qui propose à la fin, un petit documentaire, encore là magnifiquement illustré par Dub, qui raconte l’histoire et l’évolution de l’écriture et du langage, l’histoire du livre et la naissance des différents genres littéraires.

Le livre survole aussi l’histoire de la bande dessinée et propose des petits conseils pour ceux et celles qui veulent prendre la plume. C’est un petit documentaire vraiment bien fait, écrit dans un langage simple et fluide à la portée des enfants. C’est un livre sympa qui ne peut faire que du bien.

Internet laisse filtrer peu de détails sur la carrière de Laurence Fantuz. Mentionnons simplement que c’est une auteure française née en 1966, résidant à Paris et maman de deux garçons. C’est une passionnée de la tradition orale qui a choisi la plume, et avec bonheur semble-t-il. SI TU NE LIS PAS, PRENDS GARDE À TOI est son premier roman-jeunesse. Vous pouvez consulter le site internet de Laurence Fantuz pour plus de détails sur son œuvre.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le samedi 8 décembre 2018

 

LE CYCLE DU GRAAL, l’octalogie de JEAN MARKALE

1)    La naissance du roi Arthur
2)    Les chevaliers de la Table Ronde
3)    Lancelot du Lac
4)    La fée Morgane
5)    Gauvain et les chemins d’Avalon
6)    Perceval le Gallois
7)    Galaad et le roi Pêcheur
8)    La mort du roi Arthur

*…et tous deux s’affrontèrent de toute la force de leurs
chevaux. Bientôt, Gauvain fit vider les étriers à son
adversaire, et sautant à bas de sa monture, il le
poursuivit l’épée à la  main. Il y mit toute sa rage, car
le tort et l’insulte qu’il venait de recevoir excitaient sa
haine…*

————————————————

*…et Lancelot se mit à genoux et, tout heureux de
savoir qu’il verrait bientôt Galaad, conjura
ardemment Dieu de le conduire, et de lui
permettre…d’approcher les grands mystères du
Saint Graal.*
(Premier extrait : LE CYCLE DU GRAAL, tome 2, LES
CHEVALIERS DE LA TABLE RONDE, deuxième extrait :
LE CYCLE DU GRAAL, tome 7, GALAAD ET LE ROI
PÊCHEUR.
LE CYCLE DU GRAAL, Jean Markale, Éditions Pygmalion,
Gérard Watelet à Paris.
1992 à 1996, 2230 pages, édition numérique)

Mettant de côté les traductions et adaptations des textes médiévaux, Jean Markale s’est octroyé une mission à la fois difficile et fantastique : réécrire dans un style moderne les grandes légendes arthuriennes apparaissant dans les manuscrits du XIe au XVe siècle, autant les textes les plus connus que ceux demeurés dans l’ombre pour des raisons qui se perdent dans la nuit des temps.

Markale s’est fait fort de garder l’esprit de la légende pour rapporter dans un langage contemporain toute la beauté des récits de la Table Ronde. Ce travail colossal a donné LE CYCLE DU GRAAL en huit tomes…une œuvre gigantesque dont le but est simple : *redire avec le langage d’aujourd’hui ce qui constitue le plus merveilleux et le plus essentiel de la tradition européenne dans ses sources vives* (Extrait : introduction au CYCLE DU GRAAL, Poul Fétan, 1992)

Les légendes arthuriennes
au goût du jour
*Ah! Dit Arthur, Excalibur, ma bonne, ma précieuse
épée…tu vas perdre ton maître! …Puis il dit à
Girflet –Monte sur cette colline qui est derrière
nous. D’en haut, tu apercevras un lac. Va
jusque-là et jettes-y mon épée, car je ne veux
pas qu’elle demeure en ce royaume*
(Extrait : LE CYCLE DU GRAAL, Tome 8
LA MORT DU ROI ARTHUR)

Au milieu des années 70, je me rappelle avoir entrepris la lecture des LÉGENDES ARTHURIENNES…toute une série de vieux textes écrits en prose française du 13e siècle à partir de récits médiévaux traduits de l’anglais, du gallois, de l’islandais et de l’allemand entre autres.

La plume étant d’une lourdeur pénible, essentiellement compréhensible et accessible pour des spécialistes, j’ai abandonné la lecture (pour une des rares fois de ma vie). Je me suis promis d’y revenir plus tard sans grande sincérité.

Ce *plus tard* est venu au début des années 90 alors que Jean Markale, un spécialiste de l’histoire celtique entreprit la publication de son octalogie LE CYCLE DU GRAAL sur laquelle il a travaillé pendant presque toute sa vie active d’écrivain, soit près de 40 ans. Je me demandais si la vieille expression consacrée *plus ça change plus c’est pareil* s’appliquait. Aussi, j’entrepris une petite recherche.

J’ai vite compris l’objectif de Markale. Il ne s’agissait pas de livrer une nouvelle traduction des textes, mais plutôt de faire une réécriture de ces textes dans un français contemporain fluide, accessible et rassemblés dans une suite logique de récits qui se lisent un peu comme un roman, tout en respectant l’esprit des Légendes Arthuriennes.

Il y a plus. Les récits mettent en perspective les aspects romanesques du Moyen Âge en général et de l’histoire celtique en particulier. C’est ainsi que dans les années 90, je fis la lecture complète de l’octalogie et plus récemment, en 2016, je fis une relecture de l’œuvre afin de vous en parler ici. Je me suis tout simplement régalé.

Tout y est : chevalerie, enchantement, mystère, magie, érotisme, violence, religion et bien sûr les personnages qui ont, tôt ou tard marqué notre adolescence et ou notre enfance, ne serait-ce que par les multiples adaptations télévisuelles et cinématographiques réalisées à ce jour : Le roi Arthur, Lancelot-du-Lac, Merlin, la Fée Morgane, la Dame du Lac, Perceval, Galaad…

Il faut prendre chaque tome de l’octalogie pour ce qu’il est : une suite de récits…mais une suite cohérente, logique, écrite dans un français d’une remarquable limpidité. La tâche de Markale a été colossale : rien de moins que livrer aux amateurs de légendes et de récits fantastiques une des plus belles fresques de la littérature.

Est-ce que Jean Markale a été d’une rigueur parfaite dans l’écriture du CYCLE DU GRAAL eu égard aux textes originaux? Je ne peux pas vraiment l’affirmer car je n’ai pas de comparatifs. Je sais que les critiques sont assez mitigées. Mais, moi, j’ai vu dans la progression de l’œuvre une logique sans faille et éclairante sur la quête du graal, quête sur laquelle l’humanité s’interroge toujours d’ailleurs…

En ce qui me concerne, LE CYCLE DU GRAAL, c’est plus de 2200 pages de pur régal…une grande épopée racontée simplement dans un style littéraire accessible, confinant parfois à la poésie. C’est avec enthousiasme que je recommande LE CYCLE DU GRAAL de Jean Markale.

Quelques symboles clés du Cycle :

LA TABLE RONDE fut dressée à Camelot, la cour du roi Arthur, après que Merlin l’enchanteur eut révélé son souhait, voire la nécessité de réunir les Chevaliers les plus courageux pour entreprendre la quête du graal. Cette quête ne prendrait fin que lorsque le Graal, la coupe sacrée sera définitivement installée sur la Table Ronde. Ainsi, les Chevaliers de la légendaire Table Ronde devaient jurer fidélité et à leur roi, et au Graal. C’est le fils de Lancelot, Galaad qui remportera cette quête sacrée.

EXCALIBUR est l’épée magique légendaire du roi Arthur. Plusieurs versions des légendes arthuriennes disent que l’épée du rocher et Excalibur sont deux épées distinctes. Mais ce qui est sûr, c’est qu’Arthur fut le seul à pouvoir retirer l’épée du roc, prouvant ainsi son lignage. Il fut  ainsi sacré Roi et présida ensuite à l’édification de la Table Ronde.

LE GRAAL est le but ultime de la quête des Chevaliers de la Table Ronde. Il s’agit de la Coupe utilisée par Jésus-Christ et ses apôtres lors de la dernière Cène. La Coupe Sacrée revient aussi dans de nombreuses autres époques. Selon la légende, c’est Joseph d’Arimathie qui aurait introduit la précieuse Coupe en Grande Bretagne. Dans les légendes arthuriennes, la recherche du Graal donnera lieu à de nombreuses prouesses jusqu’au triomphe de Galaad qui clôturera les temps aventureux.
Peinture de William Morris réalisée en 1890 représentant Bohort, Perceval et Galaad découvrant le Graal.
(Source : Wikipédia)

Jean Markale (1928-2008) était un écrivain, conteur, poète et conférencier français. Dès son enfance, il a développé une véritable passion pour la culture celtique. Il commence sa carrière comme professeur et parallèlement, il entreprend d’étudier le cycle arthurien et de le raconter. Il a fini par quitter l’enseignement pour se vouer entièrement à son œuvre, se spécialisant ainsi dans l’histoire celtique et la culture bretonne.

Ses premiers ouvrages étaient destinés aux érudits, mais il a vite compris que pour élargir l’auditoire, il fallait vulgariser la mythologie, ce qu’il a fait entre autres avec les légendes arthuriennes devenues LE CYCLE DU GRAAL.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 5 août 2018

LA BRIGADE DES LOUPS, de Lilian Peschet

*Y a comme une bête en nous. Chez les hommes normaux, elle existe aussi, suffit de voir combien de meurtres sont commis chaque jour. Mais chez nous, cette bête, elle est différente : elle est plus sauvage, plus…sanguinaire. C’est comme un monstre. Les médecins disent que nous sommes des malades, que nous sommes atteints d’une altération génétique qui fait de nous ce que nous sommes.* (Extrait : LA BRIGADE DES LOUPS, Lilian Peschet, Éditions Voy’el 2013, Collection E-court, numérique, 278 pages)

Dans un futur pas si lointain, une épidémie de lycanthropie sévit en Europe. L’action de ce récit se déroule à Bucarest en Roumanie, un des rares pays où les Lupins ont le droit de vivre en société à certaines conditions et non sans souffrir d’une cruelle discrimination. Pour enquêter sur les crimes lupins, des unités de police spéciales ont été créées, essentiellement composées de lupins. Ces unités ont pour nom LA BRIGADE DES LOUPS. Dans ce tome, qui est le premier de la série, des jeunes lupins commettent des crimes sordides qui enflamment l’opinion publique. 

LE BOULOT DES LIMIERS LUPINS
*Naresin me séquestrait depuis quinze ans. Il m’a
forcée…il m’a torturée…il voulait une meute, sa
meute…Mais la meute, c’est la mienne. Ils sont à
moi, tous…Alors quand il leur a demandé de tuer
le médecin, ils y sont allés…après ils l’ont retrouvé,
et ils l’ont tué.
(Extrait : LA BRIGADE DES LOUPS)

LYCANTHROPIE : Métamorphose d’un homme en loup-garou

AUX FINS DU RÉCIT
LUPUS : Virus qui déclenche la lycanthropie
LUPIN : Porteur du lupus

LA BRIGADE DES LOUPS est une nouvelle. C’est avant tout une histoire policière mais elle a un caractère fantastique. Les évènements se déroulent en Roumanie, un état d’Europe Centrale qui a décidé de reconnaître la lycanthropie comme une maladie officielle, à déclaration obligatoire.

Les porteurs sont tolérés quoique mis au ban de la société et faisant l’objet d’une forte discrimination. Pour enquêter sur des crimes qu’on soupçonne être commis par des lupins, on fait intervenir une brigade composée essentiellement de lupins. On l’appelle LA BRIGADE DES LOUPS.

J’ai trouvé ce récit assez percutant, voire instructif dans une certaine mesure. En effet, il pousse un peu à l’introspection car il n’est pas sans nous rappeler le traitement réservé aux personnes atteintes du sida dans les premières années suivant l’identification du virus ainsi que la discrimination raciale qui entache depuis toujours l’histoire de l’humanité.

Il y a aussi beaucoup d’autres tares en cause comme les menaces d’éradication, les manipulations génétiques douteuses, la vieillesse pour ne nommer que celles-là. Donc la petite leçon qu’on peut tirer de ce récit en est une de tolérance.

Une autre force du récit est son caractère descriptif entourant la lycanthropie comme telle. *Ce mec, quand il est sous sa forme monstrueuse, il est différent. Il vibre. Il vit vraiment. C’est bizarre, parce que nous, c’est l’inverse, on est éteints.* (Extrait : LA BRIGADE DES LOUPS)

La métamorphose et la psychologie des lupins sont détaillées avec recherche et efficacité. Donc, le thème central est très bien développé. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant des thèmes collatéraux. Ce qui m’amène à parler de la principale faiblesse du récit.

L’histoire est développée beaucoup trop vite. C’est narré à toute vitesse avec comme conséquence que plusieurs grands thèmes ont été escamotés. J’aurais en effet beaucoup apprécié en savoir davantage sur la politique du gouvernement relative aux lupins, les tentatives d’encadrement social, l’environnement, l’historique du virus.

Il aurait aussi été intéressant d’en savoir plus sur la Roumanie, pays qui abrite entre autres la Transylvanie, connue pour sa mythologie entourant Dracula. S’en tenir au strict minimum a un petit côté frustrant et donne souvent une narration superficielle. En fait, il y avait matière à roman.

Je sais bien. LA BRIGADE DES LOUPS est une nouvelle et qu’une nouvelle se bâtit sur l’idée de départ de couper court. Mais ici, je crois qu’une meilleure recherche de l’équilibre aurait grandement enrichi le récit. Mai pour ceux qui aiment passer directement au vif du sujet, l’histoire est concise, on s’y accroche assez rapidement car elle comporte beaucoup d’action et la finale prépare adéquatement à la suite. À vous de découvrir si ça vaut la peine de continuer.

Lilian Peschet est un écrivain français. Il est passionné d’internet et de technologie. Il adore aussi les jeux de rôle et les jeux de figurines. Son thème privilégié est l’adolescence. Il s’intéresse aussi beaucoup aux fondements de la violence. L’auteur, que plusieurs perçoivent comme un peu excentrique déclare, dans la présentation qu’il fait de lui-même : *Si tous ces thèmes ne te parlent pas, inutile de t’attarder. Passe ton chemin. Sinon, prend tes aises. On va passer un sale bon moment.*

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 29 juillet 2018