Le journal d’Anne Frank

*Je vais pouvoir, j’espère, te confier toutes sortes de choses, comme je n’ai encore pu le faire à personne, et j’espère que tu me seras d’un grand soutien* (12 juin 1942, jour d’acquisition du journal d’Anne Frank)

Extrait : JOURNAL D’ANNE FRANK. Ce livre autobiographique a été édité à de nombreuses reprises sur toutes les plateformes. Pour la présente, j’ai utilisé la version papier de l’éditeur Calman-Lévy publiée en 1989. 350 pages. La pages couverture se trouve ci-bas à l’extrême droite. Le livre a été écrit à partir du journal intime d’Anne Frank

En 1942, la jeune Anne Frank a 13 ans. Elle vit heureuse à Amsterdam avec sa sœur Margot et ses parents, malgré la guerre. En juillet, ils s’installent clandestinement dans « l’Annexe » d’un immeuble. En 1944, ils sont arrêtés sur dénonciation. Anne est déportée à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen, où elle meurt du typhus au début de 1945, peu après sa sœur. Son journal, qu’elle a tenu du 12 juin 1942 au 1er août 1944, est un des témoignages les plus bouleversants qui nous soient parvenus sur la vie quotidienne d’une famille juive sous le joug nazi.

 

MÉMOIRE EN HÉRITAGE

J’ai eu un peu de difficulté à adhérer à ce livre et je me sens à contrecourant de la masse critique. LE JOURNAL D’ANNE FRANK a été tiré à plus de vingt millions d’exemplaires. Je comprends donc qu’il ait atteint et ému tant de gens partout dans le monde. Pourtant je m’explique mal le dithyrambe dont cet ouvrage a fait l‘objet.

Anne Frank est une jeune fille juive au caractère bien trempé, très proche de son père, en conflit avec sa mère. Je veux rappeler ici le contexte : à Amsterdam, anticipant l’horrible sort qui attend le peuple juif pendant la deuxième guerre mondial, le père d’Anne, Otto, décide de cacher sa famille et quelques amis de celle-ci dans l’annexe jouxtant leur maison avant l’occupation de la Hollande par les Nazis.

Cette dissimulation durera plus de deux ans. Anne y entreprendra son journal, du 12 juin 1942, jour de ses 13ans, jusqu’au premier août 1944, une semaine avant son arrestation. Deux aspects précis caractérisent le journal : d’abord, il sera totalement empreint de l’entrée de la jeune fille dans l’adolescence : connaissance de son corps, premier amour, réveil de l’ambition, etc.

Ensuite, et c’est là la grande force du livre, Anne précise sa pensée sur l’histoire, la religion, la dimension humaine de la guerre et la condition des juifs. Je ne suis donc pas surpris que tant de gens dans le monde aient rejoint la pensée d’Anne Frank :

*Cette histoire nous a rappelé brutalement à la réalité, au fait que nous sommes des juifs enchaînés, enchaînés en un seul lieu, sans droit et avec des milliers d’obligations. Nous, juifs, nous ne devons pas écouter notre cœur, nous devons être courageux et forts, nous devons subir tous les désagréments sans rien dire, nous devons faire notre possible et garder confiance en Dieu. Un jour, cette horrible guerre se terminera enfin, un jour, nous pourrons être des êtres humains et pas seulement des juifs ? * (Extrait)

La sincérité de la jeune fille marque profondément le journal. Toutefois, je ressens un certain inconfort à l’idée qu’Anne Frank philosophe tranquillement dans sa cachette pendant deux années alors que des millions de juifs sont massacrés. Inconfort aussi parce que le récit est très intimiste. Trop par moments, spécialement quand il est question d’hygiène et de sexualité.

J’ai trouvé aussi le lien entre la guerre et la vie dans l’annexe un peu faible. Anne n’a pas parlé beaucoup de la guerre et pourtant, elle avait accès aux nouvelles.

Enfin, je me suis beaucoup interrogé sur cette édition du Journal d’Anne Frank qu’on dit définitive. Je ne suis pas certain de sa validité car l’histoire éditoriale du livre rapporte des ratures, des omissions, des ajouts au journal, un journal original, un autre revampé en vue de sa publication. Ce n’est rien pour mettre à l’aise.

En dehors du lien contextuel, j’avais trop l’impression d’être limité aux récits d’une jeune fille qui découvre les joies et les vicissitudes de l’adolescence. Quoiqu’il en soit, je crois qu’Anne n’a pas tout dit. C’est un journal à lire entre les lignes et il faut savoir analyser le ressenti.

Je sors mitigé de cette lecture. LE JOURNAL D’ANNE FRANK n’est pas une œuvre littéraire à proprement parler. Mais son caractère historique et sa charge émotive doivent conforter l’humanité dans un devoir primaire…celui de ne pas oublier…de ne jamais oublier.

Suggestion de lecture : AU NOM DE TOUS LES MIENS, de Martin Gray



Ci-haut, le manuscrit d’Anne Frank. À gauche, extrait du film LE JOURNAL D’ANNE FRANK, version 1959, réalisé par George Stevens, avec Millie Perkins dans le rôle-titre.  Autres versions : consultez la liste préparée par cinetrafic.fr


Anne Frank (1929-1945)


Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 3 octobre 2025

La perle et la coquille

Commentaire sur le livre de
NADIA HASHIMI

*Shekiba grandit avec son père pour seule compagnie, avec ses mots rares, ses yeux pleins de solitude. Elle travailla à ses côtés jour et nuit. Plus elle en faisait, plus il était facile à cet homme d’oublier que son enfant était une fille. Il se mit à la voir comme un fils, se trompant même parfois et l’appelant par le prénom d’un de ses frères. Dans le village, les bavardages allaient bon train. Comment un père et sa fille pouvaient-ils vivre seuls ? *

(Extrait : LA PERLE ET LA COQUILLE, de Nadia Hashimi, Bragelonne éditeur, Hauteville, 2015, format numérique, 1126 pages.)

Kaboul, 2007 : les Talibans font la loi dans les rues. Avec un père toxicomane et sans frère, Rahima et ses sœurs ne peuvent quitter la maison. Leur seul espoir réside dans la tradition des bacha posh, qui permettra à la jeune Rahima de se travestir jusqu’à ce qu’elle soit en âge de se marier. Elle jouit alors d’une liberté qui va la transformer à jamais, comme le fit, un siècle plus tôt, son ancêtre Shekiba. Les destinées de ces deux femmes se font écho, et permettent une exploration captivante de la condition féminine en Afghanistan.

Amour et désamour

C’est un excellent roman mais il m’a ébranlé et m’a fait passer par toutes les émotions dont plusieurs négatives : colère, tristesse, amertume et incompréhension car j’ai lu ce livre avec, derrière moi, ma culture nord-américaine, libérale, émancipée. Une culture jadis dominée par la religion qu’on a fini par séparer de l’état, nous faisant ainsi sortir de l’obscurantisme.

L’histoire se déroule dans l’Afghanistan du début des années 2000. Un pays étouffé par sa religion et dominé par les mâles : <…si elle avait des fils, alors son destin serait scellé. Quand on donnait vie à des garçons, on n’était pas traitée comme du bétail. > extrait

Le contexte de l’histoire a tout pour mettre mal à l’aise. Peut-être pour nous rappeler que malgré l’objet de nos contestations, protestations et manifestations, on est quand même bien en Amérique. En Afghanistan, être une fille est une malédiction et être un garçon est une bénédiction. Idéal pour engendrer un parfait déséquilibre social.

L’Afghanistan est aussi un pays miné et ravagé par la guerre : <Parce que, pour autant que je me souvienne, ces enfants ont vécu sous les feux des roquettes toute leur vie ! Pour l’amour de Dieu, je ne me rappelle même pas un seul jour où ce pays n’a pas été en guerre. > extrait. Difficile de discuter avec Allah ou pire, avec un fondamentaliste islamiste qu’on appelle Taliban.

L’histoire, qui fait des bonds entre le passé et le présent, suit le destin de Rahima, obligée de se travestir en garçon, une tradition courante appelée baccha posh, utile pour faire croire à un père entouré de filles qu’il a au moins un garçon et utile aussi pour surveiller les harems. Parallèlement, on suit l’histoire de Shekiba, qui a connu un parcours semblable un siècle plus tôt.

Cette innommable tradition n’est pas sans créer une pression intolérable sur les filles à moyen et long terme : <Tu es tellement occupée à être un garçon que tu as oublié ce qui peut arriver à une fille. Maintenant, nous devons toutes payer pour tes bêtises égoïstes. > Extrait.

Mais tout n’est pas noir dans ce roman extrêmement actuel, mélange de fiction et de réalité qui dépeint de façon juste la condition féminine en Afghanistan. L’auteure n’a pas manqué d’ajouter un élément qui fait que, pour moi, la lecture de ce livre est devenue marquante, inoubliable. Il s’agit de l’espoir, issu du courage et de l’abnégation de pionnières afghanes.

Bien sûr, les changements seront longs à venir, mais ils viendront. C’est une qualité de l’auteure qui se retrouve dans tous ses livres. Malgré la malveillance et la maltraitance qu’elles subissent de la part d’hommes déjà malheureux, les femmes afghanes sont les remparts de l’amour. Finiront elles par triompher ?

C’est la grande qualité de ce livre : il est un sérieux porteur d’espoir et tout le monde devrait le lire. Particulièrement les hommes. Très belle lecture.


L’auteure Nadia Ashimi

 De la même auteure

Bonne lecture
Claude Lambert

À LA CROISÉE DES MONDES 2

Commentaire sur
LA TOUR DES ANGES

de PHILIP PULLMAN

*…une guerre se prépare. J’ignore encore qui seront nos alliés, mais je sais qui nous devons combattre. Il s’agit du Magisterium, de l’Église… Depuis qu’elle existe, l’Église a toujours cherché à supprimer et à contrôler toutes les pulsions naturelles. Et quand elle ne peut pas les contrôler, elle les détruit. Certaines d’entre vous ont vu ce qu’ils faisaient à Bolvangar. C’était épouvantable, mais ce n’est malheureusement pas le seul endroit, ni la seule pratique de ce genre.

J’ai voyagé dans les contrées du Sud. Il y a là-bas des Églises qui mutilent les enfants elles aussi, comme les gens de Bolvangar, pas de la même façon, mais de manière tout aussi horrible. Ils leur coupent les organes sexuels, oui parfaitement, aux garçons comme aux filles ; ils les tranchent avec des couteaux. Voilà ce que fait l’Église, et toutes les églises ont le même objectif : contrôler, détruire, anéantir tous les bons sentiments. *

(Extrait : LA TOUR DES ANGES, tome 2 de À LA CROISÉE DES MONDES de Philip Pullman, Gallijeune éditeur, papier, 2007, 423 pages, ISBN-13 : 978-2070612437, aussi disponible en version audio, éditée par Gallimard. Durée d’écoute : 11 heures 18 minutes, narrateur : François-Éric Gendron.

 

Le jeune Will, à la recherche de son père disparu depuis des années, croit avoir tué un homme. Dans sa fuite, il franchit la brèche qui lui permet de passer dans un monde parallèle. Là, à Cittàgazze, la ville au-delà de l’Aurore, il rencontre Lyra. Les deux enfants devront lutter contre les forces obscures du mal et, pour accomplir leur quête, pénétrer dans la mystérieuse tour des Anges. Le deuxième tome de la célèbre trilogie de Philip Pullman nous entraîne à nouveau dans un univers étrange et envoûtant, immensément riche de découvertes et d’émotions.

Pour vous remettre dans le contexte, je vous invite, amis lecteurs, amies lectrices, à lire mon commentaire sur le livre 1 de la série : LES ROYAUMES DU NORD.

ENTRE LE DELÀ ET L’AU-DELÀ

Avec la TOUR DES ANGES, nous sommes au cœur de la série LA CROISÉE DES MONDES. Dès le départ, on y fait la connaissance d’un jeune ado, Will, à la recherche de son père, croyant avoir tué un homme, Will, en prenant la fuite, traverse accidentellement une mince brèche temporelle qui le précipite dans un monde parallèle. Ce passage s’explique dans le premier tome par l’action de Lord Asriel qui a provoqué rien de moins qu’une fissure dans l’enveloppe du temps.

Une fois arrivé dans ce monde d’une autre dimension, Will fera la connaissance de Lyra Bellaqua, l’héroïne des ROYAUMES DU NORD, fille de Lord Asriel et de la cruelle Marysa Coulter. Il se trouve que Lyra est aussi à la recherche de son père. Will et Lyra vont se mettre en *mode entraide* mais pour accomplir leur quête, ils devront franchir de redoutables obstacles  et pénétrer dans la mystérieuse tour des anges.

Bien que cette histoire soit bien développée et riche en rebondissements, elle est moins aboutie que dans le livre 1, il y a un peu de répétition, de redondance et Philipp Pullman continue d’étaler au grand jour son mépris pour l’Église et la religion, ce qui est un peu irritant même si ce sont les abus de l’Église, représentée ici par le magisterium qui sont à la basse de toute l’histoire.

Même s’il n’ajoute rien de vraiment neuf, Pullman maintient ici les grands thèmes introduits dans LES ROYAUMES DU NORD : la poussière, appelée aussi *matière sombre* qui colle à la conscience de chaque être humain adulte, c’est LE grand mystère de la CROISÉE DES MONDES, les daemons, êtres de forme animale, prolongement de l’être humain représentant l’âme. C’est à mon avis, une des plus belles trouvailles de Pullman.

L’aléthiomètre, un mystérieux instrument qui apporte des réponses tant que ses aiguilles et icônes sont bien interprétés, je retrouve les principaux personnages du livre 1 dont mes préférés, à cause de leur altruisme en particulier : Lee Scoresby et Seraphina Pekkala, une sorcière protectrice de Lyra.

Les deux ados ont un caractère bien trempé, ils sont plaisants à suivre mais comme je l’ai souligné dans mon commentaire sur les ROYAUMES DU NORD, leur maturité est plus grande que nature…c’est comme trop beau pour être vrai…ce qui arrive très souvent quand un auteur veut faire d’un jeune personnage un héros.

Pullman entretient comme une philosophie dans sa trilogie : rien de moins qu’un combat à finir contre l’église. Ça se sent dans toute son œuvre. Bien que le tome 2 soit moins original et intense que le livre 1, ça reste un grand roman d’aventure. En terminant, j’ai écouté la version audio de LA TOUR DES ANGES. C’est un petit chef d’œuvre de narration exécuté par François-Éric Gendron. Remarquable performance.

Suggestion d’écoute :  DERNIÈRE TERRE, la trilogie audio de Clément Rivière

LA TRILOGIE
À LA CROISÉE DES MONDES


L’auteur Philip Pullman

Bonne lecture/
Bonne écoute
Claude Lambert

 

LE CRI, Nicolas Beuglet

<Comme on le pensait, cette affaire nous emmène bien plus loin que prévu.>

<Sarah croisa le regard de Christopher. L’un comme l’autre mesurait leurs très faibles chances de réussite. Mais leurs mains ne se séparèrent pas.>

Extraits : LE CRI, Nicolas Beuglet, Poscket éditeur, papier, 2018. Version audio : Audiolib éditeur, 2017. Durée d’écoute : 13 heures 52 minutes, narrateur : Olivier Prémel

Hôpital psychiatrique de Gaustad, Oslo. À l’aube d’une nuit glaciale, le corps d’un patient est retrouvé étranglé dans sa cellule, la bouche ouverte dans un hurlement muet. Dépêchée sur place, la troublante inspectrice Sarah Geringën le sent aussitôt : cette affaire ne ressemble à aucune autre… Et les énigmes se succèdent : pourquoi la victime a-t-elle une cicatrice formant le nombre 488 sur le front ? Que signifient ces dessins indéchiffrables sur le mur de sa cellule ?

Pourquoi le personnel de l’hôpital semble si peu à l’aise avec l’identité de cet homme interné à Gaustad depuis plus de trente ans ? Soumise à un compte à rebours implacable, Sarah va lier son destin à celui d’un journaliste d’investigation français, Christopher, et découvrir, en exhumant des dossiers de la CIA, une vérité vertigineuse…

Les dérives de la science

LE CRI est un thriller psychologique et techno-médical sur fond de religion, d’une forte intensité. L’auteur a tout mis en place pour me saisir et me garder sous son influence tout le long du récit. Tout va vite. Même très vite. Ça commence par la mort d’un patient interné dans un hôpital psychiatrique depuis 30 ans. Le directeur dit que c’est un suicide, l’inspectrice pense tout le contraire et se demande d’abord pourquoi l’homme est marqué au front du chiffre 488.

Le directeur sait des choses. Démasqué, il se sauve et met le feu à l’institution, tuant des dizaines de personnes. Il en réchappe, mais il est gravement blessé. Il est interrogé. L’inspectrice apprend des choses surprenantes et elle n’est pas au bout de ses peines car elle a mis le doigt dans un engrenage malsain et terrifiant, allant de découverte en découverte pour plonger finalement dans un cauchemar.

Tout y est et attendez-vous à avoir le vertige : des énigmes complexes à résoudre, un enfant en danger de mort, des révélations fracassantes, des poursuites effrénées, des expériences barbares et cruelles, des menaces, des morts et j’en passe…tout cela pour aboutir à la révélation d’un inimaginable secret que les êtres humains ne doivent absolument pas connaître. Ce fameux secret fait suite à une obscure recherche faite sur l’île de l’Ascension ou la CIA a déjà commandité d’obscures recherches.

L’idée centrale de ce polar est la vie après la mort qui obnubile un milliardaire tordu. C’est un thriller fortement anxiogène, développé sur des chapeaux de roues et qui ne laisse aucun répit au lecteur/auditeur. Cette fébrilité se manifeste au détriment de la profondeur malheureusement. Trop rapide, trop chronométré et par moment, abracadabrant.

On a mis de côté la psychologie des personnages, les questions d’éthique scientifique, pas beaucoup d’émotions, sauf dans le dernier quart du récit. Le fil conducteur est solide mais l’ouvrage manque définitivement de ventilation.

Je suis d’accord avec les critiques sur plusieurs points, plus particulièrement sur le fait que le thème de la vie après la mort est en surchauffe sur le plan littéraire. Mais on ne doit pas s’arrêter là. C’ici que je deviens un peu plus à contre-courant de la critique car l’auteur a déployé une imagination incroyable appuyée par une recherche sérieuse et crédible sur le plan scientifique ce qui lui a permis d’être efficace sur le plan de la fiction.

C’est ainsi que Beuglet a redéfini la nature des neutrinos et de la matière noire au bénéfice de l’intrigue. Il y a dans l’histoire de remarquables trouvailles.

Un autre fait très intéressant fortement imbriqué dans l’intrigue concerne la religion. Il ne s’agit pas ici de guerres de religion mais de LA religion peu importe l’étiquette. L’auteur propose une conclusion aussi osée que troublante sur le sort de l’âme après la mort physique et le rôle de Dieu dans le cycle. C’est à glacer le sang. Vous comprendrez alors pourquoi l’auteur a choisi LE CRI comme titre.

Donc c’est un roman très fort, addictif, très rapide, recherché et angoissant. Variation sur un thème très répandu en littérature. Impressionnant déploiement d’imagination. Récit puissant sur le plan évènementiel mais plus pauvre sur le plan psychologique. Les personnages sont peu approfondis et la question du sort de Simon, l’enfant pris en otage est plutôt sous-développé. Il n’y a pas de longueur mais quelques passages sont…disons tirés par les cheveux.

C’est un livre qui agrippe et qui ne laisse pas indifférent. J’ai beaucoup aimé. En passant, la version audio est excellente. Superbe performance du narrateur Olivier Prémel

Suggestion de lecture : LA MORT HEUREUSE, de Hans Küng



L’auteur Nicolas Beuglet

Du même auteur

Bonne lecture
Bonne écoute

Claude Lambert
le dimanche 19 mai 2024

LES THANATONAUTES, le livre de Bernard Werber

*Dates à retenir : 1492, premiers pas sur le continent américain.
1969, premiers pas sur la lune, 2062, premiers pas sur le
continent des morts. 2068, première publicité sur le chemin de
la réincarnation…*
Extrait : LES THANATONAUTES, Bernard Werber, à l’origine,
Albin Michel éditeur, 2011, papier 450 pages. Version audio :
Audible studios éditeur, 2017. Durée d’écoute : 16 heures 47 minutes.
Narrateur : Matthieu Dahan)

Nourri d’informations scientifiques souvent inédites, des textes sacrés et initiatiques les plus secrets des principales religions depuis le fond des âges, Bernard Werber nous entraîne à la découverte du continent ultime, au-delà de notre imaginaire. En suivant les Thanatonautes, vous subirez les lois d’un univers étrange, où se cache l’énigme qui hante les hommes depuis toujours… Jamais personne n’est allé aussi loin que les Thanatonautes. Ils ont exploré la vie après la vie. L’odyssée la plus stupéfiante de tous les temps.

Les extrémités du cordon
*Fixe une heure précise avec les médecins pour
le débranchement des appareils. Nous tâcherons
alors de décoller en même temps qu’elle. En nous
accrochant à son cordon ombilical, et en nous
efforçant de le retenir avant qu’il ne se casse, nous
parviendrons peut-être à la ramener à la vie. *
(Extrait)

Avec LES THANATONAUTES, j’ai l’impression que Werber s’est offert une petite fantaisie qui, même si elle pousse à certains questionnements pouvant être débattus en cours de philo, est truffée de clichés, d’errance et de passages qui frôlent la carricature. Je pense par exemple à l’archange Michel qui s’adresse aux Nations Unis pour donner un choix à l’humanité : réduire les naissances pour désengorger le continent des âmes en attente de jugement ou créer une brigade de fonctionnaires ectoplasmiques pour accélérer les procédures aux portes du paradis.

Je n’ai pas vraiment accroché à ce genre de propos, d’autant que le texte a été produit en bonne partie par l’écriture automatique qui, à mon avis désencadre l’intrigue et induit l’errance. Pourtant, l’introduction, la mise en place des personnages et du sujet, le départ…tout ça est excellent. J’ai trouvé le début de l’histoire prometteur mais je crois que l’auteur a dérapé dans le développement. L’idée de départ est bonne, originale mais enrobée d’absurde. Revoyons le synopsis.

Suite aux décès de proches et d’amis, Deux amis d’enfance Raoul Razorback et Mikaël Pinson développent une fascination pour la mort. Séparés par la vie et les études en médecine. Les amis se retrouvent beaucoup plus tard et Raoul convainc Mikaël de participer à des expériences visant à démontrer et prouver l’existence d’une vie après la mort, une vie que l’on peut explorer selon les principes du voyage astral, l’âme étant maintenue au corps par un cordon ombilical appelé cordon ectoplasmique.

À titre de thanatonautes, c’est-à-dire les explorateurs de la mort, nos amis et les associés qui s’ajouteront feront des découvertes fascinantes autant que fantaisistes pour plusieurs, et annonceront au monde que le continent des morts existe et tout ce qui va avec…vous comprendrez que je ne veux pas trop en dévoiler.

Au moment où on va jusqu’à organiser des visites touristiques dans L’au-delà, et qu’on apprend qu’il faut 600 points au jugement pour devenir esprit pur, sinon c’est la réincarnation…je crois que le ridicule a été consommé. Ça ne ressemble pas à Werber.

Enfin un bon point pour l’auteur, le récit évoque une grande quantité de questionnements dont les réponses, si on les avait un jour, changeraient la face du monde. Que sont les religions, à quoi elles servent à part s’entretuer? Que serait la vie sur terre, sachant exactement ce qui se passe au-delà? Que deviennent le sens de la mort et le sens de la vie. Ces questions et beaucoup d’autres donneraient des débats vraiment intéressants.

Le livre n’est pas mauvais mais il est redondant sur le plan du texte, répétitif à profusion sur la question des religions. Il n’y a pas vraiment d’intrigues. Comme vous voyez, je suis mitigé alors pourquoi ne pas en faire l’essai.

Une histoire laborieuse

Suggestion de lecture : L’IMMORTEL, de Franz-Olivier Giesbert

Bernard Werber est un écrivain français né à Toulouse en 1961. Il commence à écrire dès l’âge de 14 ans et déjà, même sans le savoir, il met en place des éléments qu’on retrouvera dans son œuvre. Après ses études en criminologie, il deviendra journaliste scientifique, Son goût pour la science sera ainsi irrémédiablement amalgamé avec celui de l’écriture, ce qui nous vaudra des chefs d’œuvre comme LE JOUR DES FOURMIS, LES THANATONAUTES. LE CYCLE DES DIEUX, et L’ARBRE DES POSSIBLES dont j’ai déjà parlé sur ce site. J’ai aussi commenté LE PAPILLON DES ÉTOILES et LE LIVRE DU VOYAGE.  Bernard Werber est un des auteurs français contemporains les plus lus au monde. 

Quelques livres du même auteur

Bonne lecture
Bonne écoute

Claude Lambert
le dimanche 14 avril 2024

UNE HISTOIRE DU QUÉBEC, Jacques Lacoursière

*Le 24 juillet 1534 marque le début de l’histoire
officielle du Québec. Ce vendredi-là, des hommes
du capitaine malouin Jacques Cartier plantent une
croix sur la pointe de Gaspé…*
(Extrait : UNE
HISTOIRE DU QUÉBEC, Jacques Lacoursière. Papier :
Éditions du Septentrion 2012, 200 pages. Version audio :
Audible studios éditeur, 2019, durée d’écoute : 4 heures
46 minutes. Narrateur : Alexis Martin.)


Ce livre est une synthèse de l’histoire du Québec. Il retrace « l’évolution de la société québécoise en intégrant dans son texte les grands événements politiques, la vie quotidienne, les débats d’idées et l’opposition entre les éléments conservateurs et progressistes qui ont forgé le destin du Québec ». Jacques Lacoursière va à l’essentiel en livrant le fruit de quarante années de recherche et de réflexion.

Introduction à un pays
*Peu de canadiens avaient manifesté une grande
ardeur à défendre leur Mère-Patrie. Quelques-uns
avaient même pris les armes en faveur des insurgés.
Le 25 mars 1776 à Saint-Pierre-du-sud, non loin de
Montmagny, un combat s’engage entre fidèles sujets
de sa Majesté et canadiens rebelles. On voit alors des
pères se battre contre des fils…*
(Extrait)

UNE HISTOIRE DU QUÉBEC est une synthèse très brève et simplifiée de l’histoire du Québec qui débute officiellement en 1534 par la plantation d’une croix à Gaspé : geste hautement symbolique posé par le Capitaine Jacques Cartier. Étrangement, l’histoire du Québec débute par la découverte du Canada. La brièveté du récit par rapport à la période couverte m’a laissé mitigé. Je dirais que c’est le défaut de sa qualité. Beaucoup de détails importants ont été escamotés mais l’essentiel a été livré.

Pour une introduction simplifiée à l’histoire du Québec, j’ai trouvé le tout très acceptable et pour être honnête, j’aurais beaucoup aimé qu’à l’école, l’histoire du Québec m’ait été racontée à la façon d’Alexis Martin, le narrateur du récit de Jacques Lacoursière en version audio.

Comme je le précise au début, le style du texte est très introductif et évoque une chaîne d’évènements sans nécessairement en expliquer le sens mais en en rapportant toutefois les conséquences. C’est un texte vulgarisé qui, sans entrer dans les détails, constitue un outil de révision de l’histoire très valable.

J’ai quand même su et compris beaucoup de choses qui m’ont échappé au fil du temps : que Jacques Cartier symbolisait un désir d’expansion et de puissance de la monarchie française. La France et l’Angleterre accumulaient les guerres et ça s’est senti jusqu’à la défaite de Montcalm aux Plaines d’Abraham en 1759 marquant le début de la conquête britannique du Québec. On comprend mieux la rivalité entre canadiens anglais et canadiens français, rivalité de langue, de religion et d’identité.

Mais qu’à cela ne tienne, le Québec ne s’est jamais départi de son petit côté *Nouvelle France* et cet aspect des québécois est mis en perspective dans le récit de Jacques Lacoursière et cela, je l’ai beaucoup apprécié.

J’ajouterai à ces nouvelles connaissances la naissance de certaines idées dont quelques-unes ont et ou encore la vie dure : le séparatisme, les conséquences de la guerre, la séparation de l’église et de l’État et même l’annexion du Canada aux États-Unis qui a été souhaitée à une époque où les britanniques se débrouillaient fort mal avec la notion de haut et de bas Canada. J’ai beaucoup apprécié la synthèse sur Maurice Duplessis, l’auteur proposant un intéressant rapport de forces et de faiblesses sur son héritage politique.

Donc en résumé, c’est un ouvrage intéressant qui va à l’essentiel, jugé incomplet par beaucoup de critiques, parce que ça manque de détails entre autres, qu’on enchaîne les évènements sans en expliquer le sens.

Moi je prends ce titre pour ce que je crois qu’il est : un condensé qui va à l’essentiel. La décision d’aller plus loin dans mes connaissances de l’histoire m’appartient et je dois dire que c’est tentant.

Suggestion de lecture : L’HISTOIRE DU QUÉBEC EN 30 SECONDES, de Sabrina Moisan et Jean-Pierre Charland

Jacques Lacoursière est un historien et auteur québécois né en 1932 à Shawinigan et mort à Québec en 2021.. Il se spécialise dans la vulgarisation de l’Histoire du Québec.  Dans les années 1960, il fut collaborateur à Libre Nation, un journal nationaliste et indépendantiste. Passionné d’histoire, L’auteur a fait une refonte complète dans la collection Histoire populaire du Québec, maintenant en cinq tomes. Jacques Lacoursière a aussi, en 1996, participé à l’élaboration de la télésérie historique Épopée en Amérique réalisée par Gilles Carle. Il est le frère de la romancière Louise Lacoursière.


Tout a commencé en 1534…avec Jacques Cartier
(Toile de Suzor-Côté)

Bonne lecture

Bonne écoute

Claude Lambert

le dimanche 26 novembre 2023

 

UN VILLAGE EN TROIS DÉS, Fred Pellerin

<Peuple ! Vous comptez votre argent, vous buvez,
vous sacrez, vous vous contraceptionnez…Vous
n’êtes même pas capable de vous z’entendre sur un
défunt à refuntiser…Vous n’êtes qu’une pauvre
accumulation de monde. Vous ne serez jamais z’un
village. Jamais.>
Extrait : UN VILLAGE EN TROIS DÉS, Fred Pellerin,
Sarrazine éditeur,  2019, édition de papier. 180 pages.

Un village en trois dés, c’est une nouvelle incursion de Fred Pellerin dans le dédale de Saint-Élie-de-Caxton. On y retrouve la faune légendaire préservée : Méo le barbier décoiffeur, Toussaint le marchand généreux. Aussi, sur ce sixième voyage conté, on a la chance de faire la rencontre d’Alice, la première postière de l’histoire locale, elle qui savait licher les enveloppes dans les deux sens – tant pour les fermer que pour les ouvrir -, et de connaître un peu mieux le curé neuf, mandaté pour redonner du lustre à la foi ambiante du Caxton d’époque. Un village en trois dés, c’est des histoires qui se tiennent en équilibre sur un petit cube de hasard ou de providence. 

Sept fois la foi
Ils étaient un nombre.
Ils rêvaient d’un monde.
Ils étaient un voyage.
Ils rêvaient d’un village.
Extrait

Encore une fois, je suis entré dans l’univers de Fred Pellerin. Je me suis offert une enrichissante visite spatio-temporelle de Saint-Élie-de-Caxton afin par exemple de mieux comprendre les origines de Saint-Élie : *C’est à ce moment précis que le village de Saint-Élie-de-Caxton a commencé à exister. C’était le 12 avril 1865.
Juste avant l’heure du souper. *
(Extrait) Ce *moment précis* c’est à vous bien sûr de le découvrir amis lecteurs et amies lectrices dans un des plus beaux passages du récit.

J’avais aussi le goût de retrouver les vieux de la vieille…Méo le barbier décoiffeur, Lurette la Belle, héroïne du chapitre UNE MALLE POUR UN BIEN. J’ai fait aussi la connaissance d’une p’tite nouvelle : Alice, la première postière de l’histoire locale, elle qui savait licher les enveloppes dans les deux sens – tant pour les fermer que pour les ouvrir – Extrait   

Et puis, j’étais curieux de rencontrer un nouveau ptit curé, un flambant neuf, gracieuseté de Monseigneur L’Évêque, un petit cadeau disons non-désintéressé, l’évêché souhaitant brasser les âmes un p’tit peu et revitaliser la foi. C’est ainsi que j’ai revisité Saint-Élie-De-Caxton, à travers six petites histoires qui, comme le mentionne l’éditeur, se tiennent en équilibre sur un petit cube de hasard et de providence.

Qu’est-ce que les dés ont à voir avec Saint-Élie-de-Caxton? Évidemment, je l’ai découvert en cours de lecture et ce fut pour moi, tout à fait inattendu comme évènement, le tout reposant sur ce que je pourrais appeler le mot-clé et même le fil conducteur du petit recueil : LA FOI. Quelle finale remarquable. J’en ai eu quelques petits frissons d’émotivité. Encore une fois j’ai pu goûter la belle écriture aérienne de Fred Pellerin qui attise les émotions, pousse à la réflexion et nous gratifie d’un petit vent rafraîchissant.

Comme je l’ai ressenti en lisant L’ARRACHEUSE DE TEMPS en 2016, je me suis lové dans la plume de Fred qui est d’une grande richesse, la richesse des mots de chez nous…fantaisies, expressions colorées ou tordues, jeux de mots qui arrachent rire et sourire. La beauté de l’écriture est la garantie d’une lecture riche en émotions et génératrice de réflexion : *La connexion entre êtres humains existe depuis plus longtemps que le Wifi. On nommera cette chose EMPATHIE. * (Extrait)

Le récit laisse-t-il à penser que Saint-Élie-De-Caxton a été créé sur un coup de dés? À vous de le découvrir. UN VILLAGE EN TROIS DÉS est donc une lecture, légère, rafraichissante et agréable que je n’hésite pas à vous recommander. Fred Pellerin manie la langue avec habileté, joue avec les mots et privilégie le langage du Caxton :

*Ils ont bâti une église et se sont commandé un curé. Nous étions alors à cette époque où le curé était chose courante dans le sens de la régularité, comme dans celui de la mobilité. Tu voulais un curé ? Tu appelais l’évêché et il t’en mettait un sur la route, emballé sous vide livré la journée même. * (Extrait)

Dès le départ, vous pourriez être séduit par la première de couverture. Sur l’illustration, un dé tombe du clocher d’une église. À la fin de ma lecture, je me suis dit que c’était superbement imaginé. J’ai adoré. Apprêtez-vous à entrer dans un monde de légendes…

Suggestion de lecture: LA MAISON TELLIER ET AUTRES CONTES, Guy De Maupassant

Les histoires de Fred Pellerin sont celles de son village: Saint-Élie-de-Caxton, petit village québécois de la Mauricie, « où les lutins et les fées s’écrasent dans les pare-brise le soir ». Anecdotes, potins, rumeurs passent à la moulinette de Fred Pellerin pour en ressortir sous forme de contes pour adultes. 

Et la force de ce formidable bonimenteur est, sans être démagogique, de nous raconter des histoires… toujours vraies! Fred Pellerin met des enjoliveurs à la surréaliste banalité, brasse notre mémoire collective par ses acrobaties verbales. Fred Pellerin, figure emblématique du conte au Québec, s’est aussi illustré au-delà de nos frontières. Quarante-trois ans et plus de 4000 représentations professionnelles au sein de la francophonie mondiale.

 

AUTRES LIVRES DE FRED PELLERIN

Bonne lecture
Claude Lambert

Le dimanche 19 novembre 2023

CHEVAL INDIEN, de Richard Wagamese

*On raconte que nous avons les yeux brun foncé à cause
du chuintement de la terre féconde qui entoure les lacs et
les marécages. Les anciens affirment que nos longs cheveux
droits dérivent des herbes ondulantes qui bordent les baies. *
(Extrait CHEVAL INDIEN, Richard Wagamese, publié à l’origine
chez XYZ en 2017. Version audio par Audible studios éditeur en
2019. Durée d’écoute : 6 heures 15 minutes. Narrateur : Pierre-
Étienne Rouillard.)

Tout ce que je savais de façon certaine, c’est que je n’apprendrais à vivre le présent qu’en revenant sur mes pas, en revisitant les lieux marquants de ma vie antérieure.
À une autre époque, Saul Cheval Indien, fils DE LA nation ojibwée, était un joueur étoile, un phénomène sur les patinoires de hockey. Mais, au moment où il amorce l’écriture de ce récit, enfermé dans un centre de désintoxication, il touche le fond.

Expliquer dans le cercle de partage les détours qu’a pris sa vie est trop dur, trop compliqué. C’est donc sur papier qu’il se raconte: son enfance dans les forêts du Nord, puis les horreurs des pensionnats autochtones, mais aussi l’exaltation vécue sur la glace des arénas. Déraciné, isolé, Saul veut en finir avec cette violence qui couve en lui, cherche à percer le mur de l’oubli. L’heure est venue de faire la paix.

De la glace au pensionnat
*La lune s’est levée. Incapable de garder les yeux ouverts,
je me suis appuyé sur ma grand-mère à l’extérieur de la
tente où mon frère toussait dans le noir et je me suis
endormi. Au matin, il était mort*
(Extrait

C’est une belle histoire qui porte en elle une infinie tristesse parce que basée sur des faits historiques avérés au sein d’une société avilie par l’intolérance, la méchanceté et une église encrassée par l’obscurantisme si on peut appeler ça une église alors que la grande dame fait preuve d’une absence totale d’amour, de charité et d’empathie. C’est une histoire qui m’a fait vibrer, qui m’a ébranlé et choqué. Voyons brièvement le contenu.

Voici l’histoire d’un jeune Ojibwe appelé Saul CHEVAL INDIEN. Je résumerai son histoire en trois grands épisodes : Son arrivée forcée dans un pensionnat où les religieux pratiquaient largement le viol sexuel et psychologique, la torture ou les châtiments corporels démesurés, bref un enfer où la mort paraissait douce.

La naissance de sa passion pour le patinage et le hockey ainsi que sa rencontre avec le Père LeBouthillier qui a poussé Saul vers le sport libérateur a permis au jeune Cheval Indien de survivre. Deuxième épisode de vie, Saul devient une star du hockey et sera même remarqué par les dépisteurs de la ligue nationale,

Toutefois, ayant goûté cruellement aux affres de la haine raciale et de l’intolérance, Saul deviendra aigri, violent et accro à l’alcool. Troisième grand épisode : le retour aux sources, le Lac de Dieu, vers les siens qui lui vouaient respect et amour.

J’ai été littéralement subjugué par la poésie qui ceint l’écriture de Wagamese, la beauté bucolique des patronymes autochtones. Il n’en a pas mis trop. Pas de sensationnel, Il n’a exercé aucun jugement mais il donne à l’auditeur et à l’auditrice suffisamment de matière pour s’en forger un.

*Ce sentiment d’être sans valeur, c’est l’enfer sur terre, tel est le traitement qu’ils nous ont infligés. Les coups faisaient mal…les menaces nous rabaissaient… mais ce qui nous terrorisait le plus peut-être, c’était les invasions nocturnes…* (Extrait) Autant la beauté de l’écriture m’a enveloppé, autant j’ai été choqué par les barrières qu’elle décrit. La Société ne comprendra donc jamais. On ne peut pas *désindiennisé* un indien. C’est impossible et parfaitement inutile. La diversité fait la beauté du monde. Pourquoi cette violence? Cette intolérance ?

Enfin, Wagamese a créé des personnages profonds, travaillés, authentiques, attachants. Je me serais fait un tas d’amis dans cette histoire qui sera pour moi, inoubliable parce qu’elle décrit une réalité qui est, qui a toujours été en désaccord avec mes principes. Une belle histoire qui sensibilise et qui est magnifiquement racontée par Pierre-Étienne Rouillard, en version audio.

Seule petite faiblesse : et encore, j’admets que ça peut être discutable : le sport est un peu trop magnifié avec de longs palabres sur les techniques de hockey et des descriptions dignes de la soirée du hockey…rien de bien méchant. Ce récit est un petit bijou.

*Les blancs se sont approprié le hockey…
non…le hockey appartient à Dieu*
(Extrait)

Suggestion de lecture : L’INDIEN MALCOMMODE, de Thomas King

Extrait de l’adaptation cinématographique de INDIAN HORSE de Richard Wagamese sorti en salle en 2018, réalisé par Stephem Campanelli, scénarisé par Dennis Foon. L’histoire est surtout centrée sur un jeune canadien des premières nations : SAUL CHEVAL INDIEN un Ojibwe du nord ontarien. Le destin amène Saul à survivre au pensionnat indien et devenir un joueur de hockey étoile. Le film a principalement tourné à Sudbury et à Peterborough et a remporté le premier prix au Festival Du Film de Vancouver. Sur la photo à gauche, Forest Goodluck incarne Saul Cheval Indien à l’âge de 15 ans.

 

Richard Wagamese, né en 1955 en Ontario, est l’un des principaux écrivains indigènes canadiens. Il a exercé comme journaliste et producteur pour la radio et la télévision, et est l’auteur de treize livres publiés en anglais par les principaux éditeurs du Canada anglophone. Wagamese appartient à la nation amérindienne ojibwé, originaire du nord-ouest de l’Ontario, et est devenu en 1991 le premier indigène canadien à gagner un prix de journalisme national.

Son livre INDIAN HORSE est sorti en février 2012 et a été récompensé par le prix du public lors de la Compétition nationale de lecture du Canada. 
Richard a reçu le titre de docteur ès lettres honoris causa à la Thompson Rivers University de Kamloops en juin 2010 et à la Lakehead University de Thunder Bay en mai 2014. Il  s’est éteint en mars 2017, à l’âge de 61 ans. (Éd. Zoé)

Bonne écoute
Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 17 septembre 2023

 

 

LA SERVANTE ÉCARLATE, de Margaret Atwood

*En un sens le Mur est encore plus sinistre quand il est vide,
 comme aujourd’hui. Quand quelqu’un y est pendu, au moins
on est informé du pire. Mais, désert, il est latent comme un
orage qui menace. *

(Extrait : LA SERVANTE ÉCARLATE, Margaret
Atwood, à l’origine : RLaffont éditeur, 2015, papier, 544 pages. Version
audio : Audible éditeur, 2019, durée d’écoute : 11 heures 19 minutes,
narratrice : Sarah-Jeanne Labrosse)

Devant la chute drastique de la fécondité, la république de Gilead, récemment fondée par des fanatiques religieux, a réduit au rang d’esclaves sexuelles les quelques femmes encore fertiles. Vêtue de rouge, Defred, « servante écarlate » parmi d’autres, à qui l’on a ôté jusqu’à son nom, met donc son corps au service de son Commandant et de son épouse. Elle songe au temps où les femmes avaient le droit de lire, de travailler… En rejoignant un réseau secret, elle va tout tenter pour recouvrer sa liberté.   

Indémodable
*Nous apprîmes à lire sur les lèvres, la tête à plat sur le
lit, tournées sur le côté à nous entr’observer la bouche.
C’est ainsi que nous avons échangé nos prénoms, d’un
lit à l’autre :
Alma, Jeanine, Dolorès, Moïra, June…*
(Extrait)

C’est une histoire sombre et choquante qui se déroule dans une société dystopique étouffante et dans laquelle les femmes sont asservies au bon plaisir, aux caprices et au besoin de la Société, les servantes en particulier, appelées *les tantes*, portant la robe écarlate, qualifiées de parias et dont le rôle en est un de reproduction humaine essentiellement.

Les femmes qui ne servent à rien sont envoyées dans les lointaines colonies où elles sont affectées aux tâches les plus repoussantes. Defred est l’héroïne du roman. C’est une servante écarlate, donc destinée à la reproduction sans le droit de séduire. Elle se qualifie elle-même d’utérus à deux pattes, de calice ambulant. Defred raconte son histoire, au compte-gouttes je dois dire, dans un rythme désespérément lent.

Le premier quart du récit traîne en longueur mais mon intérêt s’est accru à partir du moment où la servante écarlate décide de rejoindre un réseau secret de femmes désireuses de s’organiser afin de devenir libres. Cette démarche est très justement appelée *la route clandestine des femmes* dans le récit.

C’est un livre fort. L’écriture est puissante et ne ménage pas les lecteurs et encore moins les lectrices. Style direct, parfois incisif. Il n’y a pas d’action dans cette histoire, pas de rebondissement mais elle rappelle, parfois crument le prix démesuré que beaucoup de femmes ont payé pour leur liberté. À ce niveau, on peut qualifier LA SERVANTE ÉCARLATE de roman *Coup de poing*.

Cette histoire, qui n’est pas sans rappeler *1984* du grand Orwell se déroule dans une Société sans âge mais elle est suivie de l’analyse d’un conférencier spécialisé dans l’histoire de la République de Giléad dans laquelle évolue Defred. C’est un aspect très intéressant de LA SERVANTE ÉCARLATE car cette analyse est livrée dans un très lointain futur et jette donc un regard très critique sur les tares d’une très ancienne Société.

J’ai trouvé l’idée très bonne car elle apporte de l’éclairage sur un récit parfois difficile à suivre, si je me réfère du moins aux souvenirs de Defred. C’est un roman qui donne à réfléchir en particulier sur le sens de la liberté, le prix à payer pour la conquérir et le courage nécessaire pour la gagner. Si j’analyse la situation des femmes dans le monde, compte tenu entre autres des lourdeurs et des absurdités religieuses, le livre demeure d’une brûlante actualité.

Suggestion de lecture : I.R.L. d’Agnès Marot

Née au Canada, Margaret Atwood est depuis plus d’un demi-siècle une des forces vives de la scène littéraire internationale. Ses romans embrassent féminisme, changements climatiques, religion et technologie, puisant dans les multiples champs d’intérêt de l’écrivaine, qui est aussi inventrice, ainsi que poète, essayiste et critique littéraire accomplie.

Elle a écrit plus de 40 romans dont Le tueur aveugle, Œil-de-chat et La servante écarlate, un classique de la littérature dystopique – ont remporté certains des prix littéraires les plus prestigieux, comme le prix Arthur C. Clarke. Avec Les testaments, son dernier roman – la suite de La servante écarlate –, elle a remporté le prix Booker 2019.

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
Le mardi 25 juillet 2023

LES DOUZE ROIS DE SHARACKHAÏ de Bradley P. Beaulieu

COMMENTAIRE


Tome 1, version audio

*Elle fit glisser ses doigts calleux sur son torse, son ventre, ses hanches avant de descendre quelques centimètres plus bas. Elle se figea et échangea un sourire carnassier avec l’ancien guerrier. Rien de plus…*

(Extrait : LES DOUZE ROIS DE SHARAKHAÏ, tome 1, Bradley P Beaulieu, Bragelonne éditeur, 2016, 575 pages. Version audio : Hardigan éditeur, 2018, narratrice : Anne Cardonna,. 21 heures 12)

Grand centre culturel et marchand du désert, la cité de Sharakhaï est dirigée depuis des siècles par douze rois immortels, cruels et omnipotents. Ils ont écrasé tout espoir de liberté avec leur armée et leur unité d’élite de guerrières. Çeda, jeune fille des quartiers pauvres, va pourtant braver leur autorité. Le lien qu’elle découvre entre les secrets des tyrans et les énigmes de son propre passé pourrait bien changer son destin… comme celui de Sharakhaï. <<douze Rois immortels, protégés par leurs guerrières surentraînées règnent d’une main de fer sur une population à la fois apeurée et révoltée.>> (smallthings.fr)

L’ombre des mille et une nuits
*<Il reposera en dessous de l’arbre tordu
jusqu’à la mort par son engeance portée
Par les larmes de Lanamaee et par la
crainte divine, le sang du sang gagnera
les sombres terres>*
(Extrait)

Dans un royaume dirigé par douze rois tyranniques pour autant de tribus, nous suivons une jeune fille : Çedamin  Ayaneshala, appelée au cours du récit Çeda. Nous suivons aussi l’ami de toujours de Çeda : Emery. Çeda a perdu sa mère alors qu’elle avait huit ans.

Elle a été pendue en public par les rois pour donner l’exemple et d’autres raisons plus politiques mais sans fondement. Très graduellement, Çeda entreprend une recherche pour comprendre cette barbarie qui hante Sharakhaï et l’assassinat froid et cruel de sa mère.

Très tôt dans son investigation, Çeda découvre un livre écrit par sa mère et qui prend la forme d’un journal dans lequel se trouvent des poèmes. C’est un de ses poèmes qui fera germer dans l’esprit de Çeda l’idée de venger sa mère. Le livre lui fera aussi comprendre que Çeda a été trompée sur ses origines.

Tout est en place pour le développement d’une longue saga : *Il reposera en dessous de l’arbre tordu- Jusqu’à la mort par son engeance portée- par la crainte divine- Le sang du sang gagnera les sombres terres. * (Extrait) Tout est dans ce poème. Il est à l’origine de tout. C’est la quête de Çeda : découvrir le sens de ce poème. 

Pour exercer sa vengeance, le cheminement de Çeda sera très long, complexe et physiquement très dur. Il n’y avait qu’un moyen pour elle d’arriver à ses fins : adhérer à la garde rapprochée des rois, et pour ce faire, Çeda subira de nombreuses épreuves dont elle n’est pas du tout certaine de sortir vivante. Mais Çeda était stimulée par la nécessité de mettre fin au règne de ces 12 rois cruels qui ont piétiné tout espoir de liberté.

Un de ces rois avait tué sa mère. Au cours de ces terribles épreuves, Çeda apprendra la vérité sur ses origines, une vérité qui l’ébranlera jusqu’au plus profond de son âme. Le récit mêle habilement quête personnelle, vengeance, univers mythologique, cruauté des rois à la tête d’une société dystopique et ambiance orientale.

L’histoire est très complexe, j’en ai autant d’ailleurs pour le personnage principal Çeda. Mais la plume est habile. Elle dévoile très graduellement la personnalité, au départ embrouillée, de notre héroïne.

C’est un récit très long qui fait cheminer le lecteur dans un environnement littéraire qui me rappelle un peu les CONTES DES MILLE ET UNE NUIT développés dans une atmosphère arabo-musulmane d’une forte intensité, style fantasy avec magie, des dieux, légendes, des mythes. La saga comprenant plusieurs tomes, on comprend que l’auteur prend son temps.

J’avais cru au départ que j’aurais à subir des longueurs, de la lourdeur, mais non. L’auteur livre les secrets de son univers avec une lenteur qui peut paraître désespérante, mais suivre Çeda vers son destin est un bonheur.

En fait, le récit comporte deux éléments addictifs : Çeda et la Cité de Sharakhaï elle-même qui est décrite tout au long de l’œuvre avec un extraordinaire souci du détail : ses modes, ses traditions, ses façons de vivre et même sa gastronomie.

Un bon point pour Bradley Beaulieu, il n’a rien négligé comme s’il s’était imprégné de cet univers avant de nous en livrer les secrets. Et ce souci du détail sera très utile pour la suite.

Du côté des faiblesses, plusieurs lecteurs/lectrices pourraient être irrités par la longueur du récit, près de 22 heures en mode audio. Si vous vous accrochez comme moi à la nature des personnages, ça devrait aller. Sinon, vous risquez de trouver le compte-gouttes passablement serré et l’aspect dramatique dilué.

Ensuite, pour un récit aussi long et qui est en plus le premier volet d’une saga, et avec une aussi imposante galerie de personnages, l’auteur aurait dû faire une présentation des personnages principaux au début. J’y aurais référé souvent.

Ajoutons à cela l’utilité d’un glossaire et un petit tableau résumant les mythes et légendes. Le lecteur pourrait se sentir livré à lui-même pour le premier quart du volume. À mon avis, les éditeurs devraient imposer cette règle pour les bouquins de plus de 500 pages. Quant à la narration, je l’ai trouvé perfectible mais acceptable.

Bref, ce livre est une mise en place pour une très longue histoire…longue mais prometteuse si je me réfère au tome 1.

Suggestion de lecture : À LA CROISÉE DES MONDES, de Philipp Pullman

Bradley P. Beaulieu a commencé à écrire son premier roman fantastique au collège. Il ne l’a pas terminé. 

La volonté d’écrire est revenue au début des années 2000, au cours de laquelle Brad s’est consacré au métier, écrivant plusieurs romans et apprenant sous la direction d’écrivains comme Nancy Kress, Joe Haldeman, Tim Powers et beaucoup d’autres. Les romans de Beaulieu ont fait l’objet de nombreux éloges.

En plus d’être lauréat du prix L. Ron Hubbard pour les écrivains du futur, les récits de Brad ont paru dans diverses publications, notamment le magazine Realms of Fantasy, Writers of the Future 20 et plusieurs anthologies de DAW Books.  Son histoire, « Aux yeux du chat de l’impératrice », a été élue Histoire remarquable de 2006 dans le Million Writers Award.

LA SUITE

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
Le vendredi 27 août 2021