Les enfants de minuit, de SALMAN RUSHDIE

*Comprenez ce que je dis : pendant la première heure du 15 août 1947-entre minuit et une heure du matin- pas moins de mille et un enfants sont nés à l’intérieur des frontières de l’État souverain et nouveau-né de l’Inde. En soi, ce n’est pas un phénomène extraordinaire…

Ce qui rendait l’évènement remarquable, c’était la nature de ces enfants, chacun d’eux étant, à cause de quelque caprice de la biologie, de quelque pouvoir surnaturel du moment…dotés de traits, de talents ou de facultés qui ne peuvent être qualifiés que miraculeux…* (Extrait : LES ENFANTS DE MINUIT, Salman Rushdie, 1983, réed. 1987, Éditions Stock pour la traduction française, édition de papier, format poche, 675 pages)

Le roman débute avec la naissance simultanée, le 15 août 1947, de l’Inde indépendante et de Saleem Sinai, avec 999 autres de ses semblables, les « Enfants de minuit » nés la nuit de l’indépendance, dotés de propriétés magiques, notamment le don de télépathie. Mais son appendice nasal, qui n’est pas sans rappeler la trompe du dieu Ganesh, lui vaut railleries et persécutions. Ses parents, en l’opérant des amygdales, lui ôtent une partie de ses pouvoirs occultes. Enchaîné au destin national pour le meilleur et surtout pour le pire, Saleem fait l’expérience des divisions indiennes, entamées dès la partition du Pakistan en 1971.

MILLE ET UN PHÉNOMÈNES
*Indira c’est l’Inde et l’Inde c’est Indira… mais
n’avait-elle pas pu lire une lettre de son père
à un enfant de minuit, dans laquelle sa
Personnalité transformée en slogan était niée;
(Extrait : LES ENFANTS DE MINUIT)

Il est difficile de résumer et de commenter un tel livre. C’est une histoire originale, étrange. Bien sûr, les enfants nés à proximité de minuit le 15 aout 1947 sont dotés de pouvoirs extraordinaires. Mais ces pouvoirs sont secondaires dans l’histoire, je ne vais donc pas m’étendre là-dessus.

Toutefois, pour vous donner un exemple, un de ces enfants peut changer de sexe à sa convenance, et notre héros narrateur lui, Saleem Sinai a le pouvoir de pénétrer, sonder et influencer les esprits. Plus l’enfant est né près de minuit, plus le pouvoir est fort. Minuit sonnante dans le cas de Saleem.

Même si ce n’est pas l’objet du livre, ces pouvoirs font peur et ébranlent l’Inde. Ce qu’il faut surtout savoir, c’est que Saleem Sinai, doté d’un nez surdimensionné, appelé successivement dans l’histoire Morve-au-nez, Bouille-sale, Renifleux, Bouddha et Quartier-de-lune sera intimement lié au destin de l’Inde. La naissance vient avec l’indépendance de l’Inde, la mort viendra avec l’État d’urgence dans une Inde qui se cherche, l’Inde de Gandhi.

Le livre raconte donc l’histoire de Saleem Sinai dont le destin bascule dès la naissance, la nourrice Mary Pereira ayant eu la bizarre idée de changer les étiquettes de bébés…donc je disais l’histoire de Morve-au-nez…la vie ayant un certain sens de l’humour, beaucoup plus tard, le fils de Saleem aura des oreilles d’éléphant.

C’est une histoire très longue, très dense. Le récit est lourd, parfois indigeste à cause de la plume de Rushdie, riche d’abondance et multidirectionnelle. On y trouve une grande quantité de personnages, assez pour s’y perdre. Les phrases sont extrêmement longues. Il faut s’accrocher, parfois désespérément au personnage principal et encore là, il faut se rappeler que celui-ci ne porte pas toujours le même nom à cause de son nez *concombresque* (extrait). C’est mêlant.

Toutefois, malgré ses allures de fleuve littéraire interminable et qui s’écoule lentement j’ai senti dans cette lecture un certain humour. Vous ne serez pas surpris de trouver dans ce livre-chronique de nombreuses métaphores, allusions, ellipses…des petits *soit-dit-en-passant* aux remarques acerbes…tout tend à démontrer le caractère allégorique du récit…

L’environnement étant parfois plus important que le personnage principal, le récit s’attache quand même à Saleem depuis son enfance dans une famille qui n’était pas la sienne, en passant par la chaleur de l’adolescence et jusqu’à l’âge adulte :

*Tous les saleem sortent de moi depuis le bébé grand format première page instantanée jusqu’au garçon de dix-huit ans avec son amour dégoûtant et cochon, sortent honte de moi et culpabilité, volonté-de-plaire et besoin-d’être-aimé et désir-de-trouver-un-rôle-dans-l’histoire et croissance-trop-rapide, je suis libéré de morve-au-nez…* (extrait)

En ce qui me concerne, le principal intérêt du livre, et il est loin d’être négligeable, c’est que Saleem Sinai est contemporain d’une Inde dont il présente une image peu flatteuse… contemporain de la création du Pakistan (1947), de la guerre de libération du Bangladesh (1971) la partition de l’Inde et du Cachemire, la partition du Bengale, contemporain de nombreuses guerres et chicanes de territoires…

C’est sans compter l’entrée de l’Inde dans l’ère nucléaire, œuvre d’un premier ministre qui a changé la face de l’Inde et pas nécessairement pour le mieux, Indira Gandhi et le caractère fictif de l’histoire veut que ce soit elle qui ait anéanti le congrès des enfants de minuit. : Saleem est aussi contemporain du Mahatma, pour un temps (Ghandi 1860-1948, année de la création de l’État d’Israël).

À travers ses enfants de minuit, Salman Rushdie touche et traverse des périodes sensibles de l’histoire. J’ai appris beaucoup de choses. J’ai développé des connaissances et par la bande, de l’empathie pour Saleem et pour l’Inde et aussi, ce petit quelque chose, ce non-dit qui pourrait être comme une empreinte autobiographique.

LES ENFANTS DE MINUIT est un livre complexe, très intense. Son rythme est modéré et un peu épars mais l’histoire et la philosophie qu’elles véhiculent m’ont accroché. Rushdie y a mis beaucoup de choses, sans oublier des touches particulières d’humour, de fantastique, de surnaturel et de raillerie. J’ai finalement une bonne opinion de ce livre.

Suggestion de lecture : MOMO DEUS, de Yuval Noah Arari

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C’est le 19 juin 1947, à Bombay (Inde) que Salman Rush­die voit le jour. A tout juste 14 ans, le jeune Salman quitte son pays natal pour aller s’instal­ler avec sa famille en Angle­terre. Très tôt, il se passionne pour la litté­ra­ture. C’est donc sans grande surprise que Salman Rush­die embrasse une carrière d’écri­vain.

Son premier roman (un conte de science-fiction) Grimus, en 1975, est méprisé par les critiques litté­raires de l’époque. Qu’à cela ne tienne, Salman Rush­die ne se décou­rage pas pour autant et continu dans sa lancée : De La Honte (1983), à L’Enchan­te­resse De Florence (2008) en passant par Les Versets Sata­niques (1989) (Voir plus bas), avec ses ouvrages, le gamin de Bombay est devenu un symbole de la lutte pour la liberté d‘expres­sion dans le monde entier (Source : Gala.fr)

LES VERSETS SATANIQUES est le quatrième roman de Salman Rushdie. Il a été publié en 1988 et la même année, il reçoit le prix littéraire Whitbread. L’œuvre est encensée les premiers mois, mais rapidement, des campagnes visant à interdire l’ouvrage se développent, d’abord en Inde puis en Afrique du sud, et l’effet d’entraînement aidant, le Pakistan, l’Arabie Saoudite et plusieurs autres pays.

Enfin, le 14 février 1989, l’ayatollah Khomeini publie une Fatwa, c’est-à-dire une condamnation à mort contre Rushdie qui devra vivre dans la clandestinité pratiquement pour le reste de sa vie. En effet, le livre est jugé injurieux, la description de l’Islam et de Mahomet étant jugée irrévérencieuse.

Le 14 février 1989, l’ayatollah Khomeini publie une fatwa de mort contre lui en mettant en cause son œuvre et force l’auteur à entrer dans la clandestinité. Je veux rappeler ici que les versets sataniques existent vraiment dans le Coran, versets 19 à 23 de la Sourate 53. Pour en savoir plus là-dessus, cliquez sur ce lien. Pour une lecture du quatrième de couverture, cliquez ici.

BONNE LECTURE
Claude Lambert

Le dimanche 17 novembre 2019

Le jour où les lions mangeront de la salade verte

Commentaire sur le livre audio de
RAPHAËLLE GIORDANO

Lu par Léovanie Raud

*…Au  milieu de ce tableau vivant, un taureau,
écrasante masse noire opaque, se détache
impitoyablement sur le sable. La tauromachie
élève sa discipline au rang d’art et la foule
agglutinée, le regard avide boit jusqu’à la lie
la coupe de sa fascination morbide.*
(Extrait : LE JOUR OÙ LES LIONS MANGERONT
DE LA SALADE VERTE, Raphaëlle Giordano,
narration : Léovanie Raud, Audiolib éditeur, 2017,
édition de papier aussi disponible, Eyrolles éditeur,
2017)

Selon l’héroïne de Giordano, la burnerie pourrait se définir comme un trouble comportemental qui se caractérise par un égo démesuré, de la mauvaise foi, un sentiment de domination plus ou moins exacerbé et une promptitude à juger.

L’homme est un lion pour l’homme. Et les lions ne s’embarrassent pas de délicatesse. Sûrs de leur bon droit, ils imposent leur vue sans conscience de leur égocentrisme et de leur appétit excessif pour les rapports de force. Ces lions, nous les croisons tous les jours : automobilistes enragés, conjoints gentiment dénigrants, chefs imbus de pouvoir, mère intransigeante qui sait mieux que nous ce qui est bon pour nous…c’est ce que Romane appelle la burnerie. 

LA ROUILLE DU MOI
*Ils jurent agir dans votre intérêt, persuadés
d’être dans le vrai, et font alors tout pour que
vous vous conformiez à leurs attentes. Quitte
à faire rentrer des carrés dans des ronds sans
se rendre compte que finalement, vouloir à tout
prix le bien de quelqu’un finit par faire plus de
mal.
(Extrait)
Le terme *burnerie* est, je dirais, un néologisme générique qui réunit toutes les mauvaises habitudes, manies, tics, tendances machistes, automatismes routiniers et autres débordements qui nuisent à nos relations avec autrui.

C’est le prétexte du livre de Giordano, le fil conducteur. Constatant que la burnerie est passée au rayon de l’art, Romane Gardner a créé, avec son père, une entreprise appelée *supdeburne*. La jeune femme crée, monte et anime des ateliers *anti-burnerie*.

L’histoire est centrée sur un groupe bien précis dans lequel se trouve, évidemment, un personnage hors-norme, ce que je pourrais appeler un récalcitrant, un rebelle, un *burné* encrassé solide qui donne de la misère à la belle Romane. Il s’agit de Maximilien Vogue, riche et prospère homme d’affaires qui compte essentiellement sur sa secrétaire pour faire du café, une *burnerie* parmi tant d’autres chez ce monsieur au caractère bétonné.

Romane décide de s’attaquer à ce problème particulier. Ça débouche sur une relation particulière qui va ébranler à la fois Romane et Maximilien.

Ma perception de ce roman se limite à un cours de développement de la personnalité. Je n’ai jamais tellement adhéré à ce principe de partage de techniques d’amélioration du comportement envers autrui. Je trouve ça typé, moralisateur et cousu de fil blanc. En lecture, je crois que j’aurais trouvé le temps long.

Bien qu’empreinte de sagesse et d’humour, l’histoire est prévisible. Il y a des redondances, des longueurs et c’est sans compter les techniques de coaching développées dans ce livre qui sont à mon avis surréalistes et un peu insipides, comme le terme *burnerie* et autres termes dérivés comme *burnés* sans étymologie et utilisé sans explication quant au choix. J’aurais apprécié une mise en contexte sur le choix du mot.

Quant à l’histoire comme telle, elle est prévisible et très axée sur une conviction personnelle de l’auteure. J’ai senti de l’insistance. Il ne faut donc pas s’étonner de trouver, à la fin du livre, une annexe qui n’est rien d’autre que le manuel anti-burnerie qui me rappelle un peu un résumé de cours.

Beaucoup de lecteurs trouveront des forces dans ce livre en partant du principe que, remettre en question nos comportements et attitudes dans nos relations avec les autres est loin d’être mauvais, bien au contraire. On sent la conviction dans le livre et la sincérité.

Moi je ne me suis pas ennuyé parce que j’ai écouté la version audio du livre et j’ai pu constater et apprécié l’extraordinaire talent de narratrice de Léovanie Raud qui a su ajuster sa voix au profil de chaque personnage, les rendant ainsi attachants, sympathiques et profondément humains. Elle m’a fait rire plus d’une fois. Quant à moi, pour la présentation, c’est une note parfaite.

Pour ce qui est du livre, il se lit vite. Le sujet est élimé mais les personnages ont été particulièrement bien travaillés, mieux que l’histoire comme telle. La version audio, dynamique et entraînante, rend le tout beaucoup plus vivant. Il est aussi très possible que le lecteur et la lectrice trouvent des idées intéressantes applicables à leur propre personnalité. La version audio a su mettre l’histoire en valeur et m’a fait passer un bon moment d’écoute.

Suggestion de lecture : LE JOUR OÙ MAMAN M’A PRÉSENTÉ SHAKESPEARE de Julien Aranda

Raphaëlle Giordano est une écrivaine française née en 1979. Elle est aussi spécialiste en créativité et développement personnel, artiste peintre…. Diplômée de l’École supérieure Estienne en Arts appliqués, elle cultive sa passion des mots et des concepts en agences de communication à Paris, avant de créer sa propre structure dans l’événementiel artistique.

Quant à la psychologie, tombée dedans quand elle était petite, formée et certifiée à de nombreux outils, elle en a fait son autre grande spécialité. Avec son premier roman, Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une, (qui a dépassé le million d’exemplaires vendus) elle s’est consacrée à un thème qui lui est cher : l’art de transformer sa vie pour trouver le chemin du bien-être et du bonheur.

Léovanie Raud est la narratrice. Originaire de Charente-Maritime, véritable femme orchestre, comédienne, chanteuse, danseuse, elle s’est vue offrir de nombreux rôles dans les opérettes, au théâtre. Elle a tourné dans plusieurs courts-métrages. Elle a également évolué dans le doublage de films, séries et dessins animés. Elle a prêté sa voix à Ariel, Maléfique, Javotte, Mama Odie pour les shows DISNEY ON ICE et DISNEY LIVE au Grand Rex. Léovanie Raud avait déjà une voxographie impressionnante quand elle a prêté sa voix au best-seller de Raphaëlle Giordano.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 3 novembre 2019

 

La guerre des boutons, livre de LOUIS PERGAUD

*Il répliqua par un « À cul les Velrans !» aussi sonore
que le cri de guerre de son rival et les épieux et les
sabres de Longeverne pointèrent encore une fois en
avant leurs estocs durcis.>
(Extrait : LA GUERRE DES BOUTONS, Louis Pergaud, 1912,
libre de droit, réédition : Fleurus, 2011, édition numérique,
150 pages.

Entre les Longeverne menés et les Velrans du village voisin, la guerre est aussi acharnée qu’immémoriale. Mais le jour où les Velrans surprennent Grangibus et Tigibus dans le bois et les apostrophent d’une insulte jusque-là inconnue des Longeverne, la guerre prend un tour nouveau. L’idée de base est d’arracher les boutons et les bretelles des ennemis et d’en faire un trésor de guerre. Armes de guerre : bâtons, cailloux, pieds et poings. Cette épopée truculente de Louis Pergaud devenue un classique évoque l’amitié autant que la cruauté avec une verve très particulière. 

LA GUERRE DES BOUTONS
roman de ma douzième année
(titre complet)

*« Ah Prussiens ! Ah salauds ! –triples cochons !
-andouilles de merde ! –bâtards de curés !
-enfants de putain ! –charognards ! –pourriture !
-civilités ! –crevures ! –calotins ! –sectaires ! –
chats crevés ! –galeux ! –mélinards ! –combisses !
-pouilleux ! telles furent quelques-unes des
expressions qui s’entrecroisèrent avant l’abordage.
Non, on peut le dire, les langues ne chômaient pas.
(Extrait : LA GUERRE DES BOUTONS)

*Un Langeverne a traité un Velrans de couilles molles* 

C’est par une simple insulte que s’est déclenchée la guerre des boutons entre les garçons de deux villages : Longeverne avec les troupes du général Lebrac et Velrans, avec les troupes du général L’Aztèque. On joue du bâton, on lance des cailloux, coups de pied, et comme trophées de guerre…des boutons de culotte, jarretières, bretelles, bas etc. pas de pitié. Les prisonniers sont mis à nus, insultés, frappés et délestés de leurs boutons, ce qui met les parents en furie. Mieux vaut ne pas se faire prendre tout compte fait.

Est-ce la proximité de la première guerre mondiale qui a inspiré Louis Pergaud ou les petites guerres de clan qui isolaient les enfants en bande dans les régions rurales de la France au début du XXe siècle. Peu importe.

LA GUERRE DES BOUTONS est un roman puissant aux effluves d’enfants qui a conservé toute son actualité et qui, je n’en doute pas, traversera les âges. Pergaud a dû partir d’une prémisse très simple : pour connaître la nature humaine, il faut d’abord comprendre la nature des enfants et indirectement, les notions d’hérédité et d’atavisme. J’ai trouvé ce roman génial à plusieurs égards.

D’abord, l’auteur a tout prévu. Je n’ai trouvé aucune faille dans l’ensemble. Des enfants ont décidé de se faire une guerre sans merci, façon de parler, mais ils doivent composer avec un tas de défis comme par exemple, faire comme si de rien n’était à l’école et tout cacher au soupçonneux et sévère Père Simon. Ensuite, les enfants devaient éloigner le plus possible leurs parents du théâtre de la guerre.

C’était facile à dire et peu d’entre eux ont échappé à la raclée parentale. Ensuite, il fallait financer la guerre. Je vous laisse découvrir toute l’ingéniosité des enfants à ce chapitre. Enfin, il fallait s’organiser. C’est ainsi que les enfants se sont nommés un général, un lieutenant…on a fait comme les grands : stratégie, espionnage, ruse, logistique d’approvisionnement, expéditions punitives, quartier général.

Ensuite, j’ai été émerveillé et séduit par la richesse et la saveur de la langue et j’ai découvert, à ma grande joie un heureux cousinage entre l’argot français de la Franche-Comté et le jargon québécois : pus au lieu de plus, soye au lieu de soit, les ceusses au lieu de ceux, queque chose au lieu de quelque chose, deusse au lieu de deux , lastic au lieu d’élastique, guernouilles au lieu de grenouilles… bref, l’auteur a prévu un petit dictionnaire d’argot de plus de 500 mots à la fin du récit.

Ça fait un récit chantant, rythmique, extrêmement vivant. Une histoire pleine de candeur et du langage d’enfants : *Si j’aurais su, j’aurais pas venu* (Extrait) Je me suis même beaucoup amusé de cette capacité que l’auteur a prêté aux enfants de *débouler* des jurons en série…*Montre-toi donc, hé grand fendu, cudot, feignant, pourri ! Si t’es pas un lâche, montre-la ta sale gueule de peigne-cul ! va ! – Hé grand’crevure, approche un peu, toi aussi, pour voir ! répliqua l’ennemi.*(Extrait)

LA GUERRE DES BOUTONS est un roman-jeunesse mais il convient tout à fait à tous les âges de la vie. Au moment d’écrire ces lignes, le roman a 105 ans. Il n’a pas vieilli et demeure un pur moment de plaisir. Deux petites faiblesses si je peux me permettre. La finale est excellente mais un peu rapide.

J’avais l’impression d’avoir manqué quelque chose. Dans LA GUERRE DES BOUTONS, l’auteur suit surtout le camp de Longeverne. J’aurais aimé en savoir plus sur les sentiments des Velrans et leur plan d’action. Ça crée un certain déséquilibre,

En dehors de ces petits détails, LA GUERRE DES BOUTONS est un livre précieux et qui pousse à la réflexion sur la tolérance entre autres et sur le destin des futurs appelés de la première guerre mondiale au cours de laquelle l’auteur Louis Pergaud a perdu la vie.

À lire absolument : LA GUERRE DES BOUTONS

Suggestion  de lecture : MAGICIEN L’APPRENTI, LA GUERRE DES FAILLES, de Raymond E. Feist.

Louis Émile Vincent Pergaud (1882-1915) est un romancier et instituteur français. Ses deux livres les plus mondialement connus sont DE GOUPIL À MARGOT qui décroche le prix Goncourt en 1910 et bien sûr la guerre des boutons, paru en 1912 et réédité par la suite plus de trente fois avant de devenir libre de droit.

Du point de vue stylistique, Pergaud se réclame de Rabelais, notamment pour sa science de l’énumération. Il en est beaucoup question au début de la guerre des boutons. Louis Pergaud meurt au champ d’honneur en 1915 et est déclaré MORT POUR LA France en aout 1921.

LA GUERRE DES BOUTONS SUR L’ÉCRAN

Ma version préférée de la guerre des boutons, celle réalisé par Yves Robert et sortie en avril 1962. On retrouve dans la distribution, Martin Lartigue, André Treton et le grand Michel Galabru.

Autre version intéressante de LA GUERRE DES BOUTONS : celle réalisée par Yan Samuell en 2011 avec, parmi les principaux acteurs : Éric Elmosnino, Mathilde Seigner, Alain Chabat et Vincent Bress.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le vendredi 20 septembre 2019

BOTCHAN, le livre de NATSUMÉ SÔZEKI

*Depuis ma naissance, je suis de nature insouciante
et quoiqu’il puisse m’arriver, je ne m’en affecte pas…
il en était ainsi jusqu’à présent mais voici un mois ou
peut-être moins que je suis ici, et le monde commence
soudain à m’apparaître comme un séjour dangereux.*
(Extrait : BOTCHAN, Natsumé Sôzeki, t.f. Le serpent à Plumes
éditions, édition  numérique, 150 pages)

Fin du XIXe siècle. Alors que le Japon vient seulement de s’ouvrir au monde, une nouvelle ère débute.  Botchan est orphelin. Très jeune, il était bagarreur et risque-tout. Le garçon ne trouve d’affection que chez Kiyo, la servante de la famille, de noble lignée ruinée. Envoyé pour son premier poste comme professeur de mathématiques dans un collège de province, le jeune citadin se trouvera en butte aux tracasseries de ses élèves et aux intrigues de ses collègues. Ce court roman à caractère autobiographique et publié en 2006 est un des plus populaires du Japon. Botchan est un conte moral vigoureux et aussi drôle que critique.

DEVENU GRAND MAIS RESTÉ ENFANT
*…Une annonce pour un recrutement d’étudiants
était placardée. C’était un signe du destin, Pensai-
je ; je réclamai les formulaires d’admission et
m’inscrivis immédiatement. Lorsque j’y songe à
présent, cet acte m’apparait comme une bévue
due à mon irréflexion congénitale…*
(Extrait : BOTCHAN)

L’histoire se déroule au Japon. Nous sommes au début des années 1900, c’est donc l’époque de la restauration de l’empereur Meiji (1952-1912) qui fait reculer l’aristocratie et tue à petit feu la féodalité.

Le Japon entre ainsi dans la modernité tout en se souvenant des objets de sa fierté : la victoire du Japon sur la Russie (1904-05) et la guerre de 1894-95 contre la Chine qui s’est terminée à l’avantage du Japon. Sous l’impulsion de Meiji, la Japon devient plus tolérant et sort graduellement de l’obscurantisme.

C’est dans ce contexte que débarque dans une campagne isolée, BOTCHAN dit Petit Maître avec en poche un diplôme de physique. Il a accepté un poste d’enseignant au milieu de nulle part dans une petite école où, victime de sa franchise, sa droiture et sa naïveté, il fait l’objet de moqueries de la part des élèves et est plongé malgré lui dans les intrigues de profs et de coulisses.

Ce roman initiatique de Sôseki est un des plus populaires et des plus lus au Japon. Tous les écoliers japonais le lisent tôt ou tard pendant leur scolarité. Franchement, je ne comprends pas trop pourquoi. Il y a toujours la possibilité que BOTCHAN de par sa légèreté tranche avec la lourdeur habituelle de la littérature japonaise.

Il y a aussi le fait que Natsume Sôseki fut un des auteurs les plus adulés dans l’histoire culturelle du Japon, figure emblématique de la transition du Japon vers le modernisme. Enfin, BOTCHAN est un bon roman. Je m’attendais à beaucoup plus et beaucoup mieux mais ça reste un bon roman.

C’est peut-être une question de différences culturelles même si j’ai apprécié grandement beaucoup d’œuvres dans la littérature étrangère, mais BOTCHAN ne m’a pas accroché. Je n’ai pas pu m’attacher au personnage principal, le genre tête en l’air, risque-tout, naïf, très peu cultivé même avec un diplôme de physique en poche, épris de justice, il fait face avec courage, conviction et maladresse aux travers de son environnement social.

Bref, je l’ai trouvé plus irritant qu’attachant. J’ai toutefois apprécié le petit côté bagarreur de Botchan, ça met un peu de piquant dans un environnement qui se démarque par son conservatisme. Et puis j’ai aimé aussi sa façon de nommer ses collègues : chemise rouge, le porc-épic, le bouffon, etc.

Le principal élément qui a soutenu mon intérêt est l’omniprésence de Kiyo, la servante de la famille qui était au service de Botchan avant son départ, la seule personne qui lui offrait toute son affection. Comme Botchan pense souvent à elle, elle est donc citée souvent et ça vient attendrir et humaniser l’ensemble. Même si Kiyo est peu évoquée par les critiques, j’ai été très sensible à cette attention de l’auteur.

Voici donc un homme jeune, de 18 ans qui débarque avec sa pureté et sa puérilité dans un monde de menteurs, d’hypocrites, de profiteurs et de flagorneurs (c’est ainsi qu’on pourrait qualifier *chemise Rouge* qui est en fait l’adjoint du directeur général) C’est le choc des deux mondes qui est développé dans Botchan avec la plume forte et directe de Sôseki qui donne une petite leçon de tolérance et de respect des valeurs.

Je le répète, BOTCHAN est un très bon roman. Il est court, très direct. Le petit maître est brave et notez que les tares soulevées dans cet opus sont à l’image de toutes les sociétés. Elles sont bien humaines. Je n’ai pas vraiment accroché, peut-être à cause de la difficulté que j’ai eue de m’attacher au personnage principal et aussi à cause d’une réputation un peu surfaite du récit. Je crois toutefois que Botchan vaut la peine d’être lu.

Suggestion de lecture : 88888-LES ENFANTS PERDUS, de Céline Tanguy

Natsume Sôseki est né à Tokyo en 1867. Il était considéré comme un étudiant très doué, surtout en chinois et en anglais. Il entre à l’Université de Tokyo en 1890. Il reçoit son diplôme en 1893 et l’année suivante, il accepte un emploi de professeur à Matsuyama avant d’être envoyé en Angleterre pour deux ans grâce à une bourse de son gouvernement octroyée en 1900.

En 1907, Natsume Sôseki quitte l’enseignement pour se consacrer entièrement à sa carrière littéraire. Il commence à souffrir d’ulcère en 1910. Il frôle la mort mais continue d’écrire. Finalement il succombe à des complications liées à son ulcère en 1910. Détails intéressants et bibliographie sur lalittératurejaponaise.com

BONNE LECTURE

Claude Lambert
Le samedi 17 août 2019

TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, le classique de VOLTAIRE

*Le mensonge en a trop longtemps imposé aux
hommes. Il est temps qu’on connaisse le peu
de vérités qu’on peut démêler à travers ces
nuages de fables qui couvrent l’histoire romaine,
depuis Tacite et Suétone et qui ont presque
toujours enveloppé les Annales des autres nations
anciennes.*

(Extrait : TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, Voltaire. Publication
originale : 1763. Pour la présente édition : Les Éditions du 38,
réédition en mode numérique, 2015)

LE TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE est une œuvre publiée en 1763, qui vise la réhabilitation de Jean Callas, protestant faussement accusé et exécuté pour avoir assassiné son frère afin d’éviter que ce dernier ne se convertisse au catholicisme. Dans ce texte, Voltaire invite à la tolérance entre les religions et prend pour cible le fanatisme religieux et présente un réquisitoire contre les superstitions véhiculées par les religions.

À la suite de l’exécution de Jean Calas, qui plaide son innocence jusqu’à sa mort, le procès est rejugé à Paris et, le 9 mars 1765, la famille Calas est réhabilitée. Il faut dire que la famille protestante avait été mise aux fers et le père avait été condamné à mort malgré l’absence de preuves. Le contexte historique est encore une fois fortement marqué par les guerres de religions des siècles précédents.

BRÛLANT D’ACTUALITÉ
MÊME APRÈS 250 ANS
*La querelle s’échauffa ; le jacobin et le jésuite se prirent aux
cheveux. Le mandarin, informé du scandale, les envoya tous
deux en prison. Un sous-mandarin dit au juge : «Combien de
temps Votre Excellence veut-elle qu’ils soient aux arrêts?»
«Jusqu’à ce qu’ils soient d’accord.» «Ah!…ils seront donc en
prison toute leur vie.» «Hé bien! Dit le juge, jusqu’à ce qu’ils
se pardonnent.» «Ils ne se pardonneront jamais…je les connais.»
«Hé bien donc! Dit le mandarin, jusqu’à ce qu’ils fassent
semblant de se pardonner.»
(extrait)

Vous savez que je n’échappe pas à un appétit occasionnel pour les classiques. Cette fois, j’avais envie de plonger dans un livre du grand Voltaire. En consultant son extraordinaire bibliographie, j’ai été tenté d’abord par CANDIDE, sa meilleure œuvre romanesque, publiée en 1759 mais finalement j’ai opté pour TRAITÉ SUR L’INTOLÉRANCE parce que le livre développe un thème qui m’est cher même si son appel du cœur condamnant l’intolérance se fait sentir dans l’ensemble de son œuvre.

Première observation, Voltaire a toujours été un infatigable défenseur de la tolérance et de la liberté individuelle. Deux vertus pas très compatibles avec son époque. Il écrivait fort…il parlait fort…peut-être trop au goût de ses contemporains.

Frappé par la censure, Voltaire continuait son combat mais ses écrits devinrent clandestins. Il n’est donc pas étonnant que j’aie senti une certaine retenue dans son TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE. J’ai trouvé ça un peu désolant eu égard à sa rectitude d’esprit et à son insatiable soif d’équité, de justice, de raison et de liberté. Toutefois, je peux comprendre cette retenue. Voyons le contexte.

Le fils de Jean Callas est retrouvé mort, supposément par suicide. Le peuple ne voit pas cette mort du même œil. Il se trouve que le fils Callas s’était converti au catholicisme. Son père étant Huguenot, donc protestant.

Vous devinez sans doute que Jean Callas ferait une belle proie pour une justice douteuse et expédiée par 13 juges question de calmer un peu le peuple qui évoque, pour moi en tout cas, un cheptel de moutons. Effectivement, le 10 mars 1762, Jean Callas est arrêté et condamné à mort à l’issu d’un procès qui ne tenait compte finalement que de la direction du vent.

Et la demande populaire (le vent) n’étant pas favorable à la famille, celle-ci fut mise aux fers. Aucune preuve sérieuse n’est apportée. Encore une fois la justice a été ballotée par l’histoire qui est comme on le sait riche en guerres de religions

*Il est donc dans l’intérêt du genre humain d’examiner si la religion doit être charitable ou barbare* (Extrait) Il faudra attendre jusqu’en 1765 avant que l’appel soit accepté et que la famille soit réhabilitée…un peu tard. Et ça n’a pas ressuscité Jean.

Vous voyez où je veux en venir. Voltaire marchait sur des œufs. Son traité sur la tolérance visait avant tout le renversement du jugement et la réhabilitation de la famille Callas. Il devait éviter tout emportement et rester à l’intérieur des limites de la diplomatie face à la royauté et à l’Église Catholique. Il a dû souffrir le pauvre. Je ressens sa frustration à travers sa plume : *On dirait qu’on a fait vœu de haïr ses frères; car nous avons assez de religion pour haïr et persécuter, nous n’en avons pas assez pour aimer et secourir*. (Extrait)

Le TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE est un long appel de Voltaire à la raison. Son argumentaire est sérieux et très éclairant à mon avis. Peut-être cet appel a-t-il été entendu au fil des ans, mais aujourd’hui, 257 ans après la publication du TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, j’observe que les choses n’ont pas changé. Je pense aux dirigeants qui posent des actes qu’ils ne tolèrent pas eux-mêmes en vertu de la loi, sans parler de l’antisémitisme, du racisme, du Djihad, de l’inquisition et j’en passe.

Est-ce que l’intolérance serait atavique ? Génétique ? Jamais un livre n’aura gardé autant son actualité au fil des siècles. Il aurait pu être publié cette semaine, Voltaire n’aurait probablement pas changé un mot. Car il était et il est toujours impensable que les croyances excusent la folie, que la Foi justifie la violence, la haine et les guerres soi-disant saintes.

Beaucoup de chose m’ont plu dans le TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE. J’ai déjà parlé de l’argumentaire, j’ajouterai la force de sa conviction menant à une dénonciation de la bêtise humaine, corollaire de l’intolérance, son côté mordant et parfois cynique, Voltaire aime grafigner. Je suis aussi émerveillé par l’érudition de Voltaire et l’audace avec laquelle il brasse la Chrétienté et l’Église catholique entre autre, cette dernière parvenant difficilement à évoluer.

Malgré toute la philosophie et le*bon pain* qui se dégage de ce texte, j’observe que Voltaire est un combattant engagé. Il dénonce l’intolérance mais oublie souvent de prôner la tolérance. Il dénonce, mais sans guider son lectorat vers de meilleures dispositions. C’est la principale faiblesse de son traité, si je fais abstraction de ses phrases très longues et cassantes et d’une grammaire compliquée.

Une chose est sûre, l’intolérance mène à la tyrannie. Ce n’est pas un droit, c’est une plaie purulente qui entache l’histoire de l’humanité. Le point de vue de Voltaire mérite d’être exploré. LE TRAITÉ SUR L’INTOLÉRANCE est une belle œuvre. Tout le monde devrait lire ce livre au moins une fois.

 Pour connaître la bibliographie de Voltaire, Cliquez ici

Suggestion de lecture : LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY, d’Oscar Wilde

François-Marie Arouet, dit Voltaire, né le 21 novembre 1694 à Paris est un écrivain et philosophe français qui a marqué le XVIIIe siècle et qui occupe une place particulière dans la mémoire collective française et internationale. Figure emblématique de la philosophie des lumières, son nom reste attaché à un combat farouche contre le fanatisme religieux et pour la tolérance et la liberté de pensée. Intellectuel engagé au service de la vérité et de la justice, il prend, seul et en se servant de son immense notoriété, la défense des victimes de l’intolérance religieuse et de l’arbitraire dans des affaires qui l’ont rendu célèbre comme l’affaire Jean Callas.

Pour consulter la biographie de Voltaire, cliquez ici.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 26 mai 2019

ESPERANZA 64, de JULIEN CENTAURE, version audio

Tout frais émoulus de l’École de l’Espace, Nil, Mila, Élisabeth et bien d’autres, sont en train de rejoindre l’Esperanza 64 en orbite. Le vaisseau, à l’instar de ses prédécesseurs, il va, sous deux mois, être lancé vers une étoile proche dans le cadre du programme Exodus. Manœuvré par un équipage de 4 000 hommes et femmes, il mettra des milliers d’années pour atteindre sa destination.

Il emporte dans sa soute 20 000 000 de caissons, communément appelés cercueils, où sont conservés, congelés, les futurs colons de l’hypothétique exo planète viable sur laquelle il faudra s’arrêter et s’implanter. Le programme Exodus est un impose un secret absolu sur ce qui se passe à bord des Esperanza. Il est censé permettre, à terme, d’évacuer la moitié de la population d’une Terre exsangue, rétablissant ainsi l’équilibre des besoins et des ressources.

Mais les Esperanza ont-ils réellement une chance de réussir ? Très vite, l’équipage de l’Esperanza 64 va être confronté à la terrible réalité de l’espace.

*Restait le nombre d’exo-planètes à visiter,
qu’on estimait à 150 milliards. Le projet
Exodus n’envisageait pas à terme l’envoi
de plus de 300 vaisseaux, c’est-à-dire que
chaque vaisseau devrait explorer à lui
seul, 500 millions de planètes. *
(Extrait du livre audio ESPERANZA 64 de
Julien Centaure, lu par Renaud Dehesdin.
Réalisation : studios Audible, mai 2018
origine : 2017, papier, édition indépendante)

QUAND LES YEUX NE SUFFISENT PLUS
*On estima en effet le diamètre de la voie lactée à
100 000 années lumières. C’est-à-dire qu’en
voyageant à la vitesse de la lumière, il faudrait
100 000 ans pour atteindre l’extrémité de notre
galaxie et on aurait alors exploré qu’une ligne
droite…l’exploration de la Voie Lactée était tout
simplement hors de portée de l’être humain qui
n’en verrait jamais le milliardième.*
(Extrait)

C’est un long pavé. Une histoire qui exprime le gigantisme d’une titanesque œuvre humaine. Ce sujet est courant en littérature, et ancien même : Notre bonne terre-mère Gaïa dont les ressources sont épuisées et qui force les hommes à organiser un exode Massif vers d’autres mondes à l’autre bout de notre galaxie.

Le programme Exodus envoie vers l’inconnu des vaisseaux aux dimensions démesurées pouvant contenir plus de 20 millions d’êtres humains en cryoconservation en plus d’un équipage de 4 000 personnes.

Le vaisseau qu’on suit ici est le 64e lancé par Exodus. Le calcul est simple. Ça fait plus d’un milliard 300 milles personnes envoyées dans l’inconnu pour un voyage qui durera environ 15,000 ans. Y’a-t-il un espoir sérieux de survie ou est-ce une forme déguisée de génocide. Et puis qui se souviendra d’Esperanza après 15,000 ans. Voilà…je n’ai fait que donner quelques informations sur le gigantisme du projet Exodus. Mais ça va beaucoup plus loin.

Il y a deux éléments qui m’ont impressionnés dans ce long récit : la démesure. Quand je titre plus haut que les yeux ne suffisent pas, vous comprenez. Tout est énorme dans ce récit…à l’échelle de l’univers. Même les règles tombent dans la démesure :

*Dans les vaisseaux de type Esperanza, vous découvrirez vite que les règles sont très strictes. Un membre d’équipage qui craque est, après un jugement sommaire, expulsé dans l’espace. * (Extrait) Et enfin, il y a l’usure du temps. C’est un phénomène dont l’auteur tient compte tout le long du récit ce qui ajoute à son originalité car en littérature et au cinéma, l’usure du temps est un élément plutôt boudé ou simplement ignoré.

Il n’y a rien de fabriqué par l’homme qui peut durer 15 000 ans. Cet élément apporte un stress qui est comme une excitation, un besoin pour le lecteur de savoir dans quel état sera le vaisseau après 15 000 ans.

Demandons-nous plutôt dans quel degré de délabrement. Je parle non seulement d’usure normale mais aussi des effets des rayonnements et surtout des météorites qui ont frappé le vaisseau de tous côtés. Même s’il est question de science-fiction, l’auteur a marqué son récit par le réalisme.

L’œuvre de Centaure comporte un certain irritant. Environ le tiers du récit est constitué d’explications scientifiques. Je crois bien qu’elles sont essentielles, mais plusieurs de ces explications ne seront comprises que des initiés :

*…mais le pic de température enregistré par le bouclier thermique fut de 16 000 degrés Celsius et la sonde encaissa aussi 228 g de décélération au cours de ce freinage atmosphérique qui dura 2 minutes 30 environ. L’Esperanza 64 n’était pas une sonde équipée d’un bouclier thermique et il irait quatre fois plus vite à 200 km/h. Il fallait donc impérativement trouver un astre pour le freiner. * (Extrait)

Malgré tout, je comprends l’auteur qui a sûrement voulu ajouter au réalisme la crédibilité. Maintenant, vous vous demandez peut-être si l’œuvre a prévu des êtres extra-terrestres. Je dis oui, mais l’auteur a choisi de développé cet aspect avec beaucoup de retenue et a insisté surtout sur l’importance et la qualité de la communication. Bref, l’auteur a dû faire d’importantes recherches scientifiques et technologiques pour rendre son récit le plus cohérent possible.

Je terminerai par quelques commentaires brefs : la présentation audio est intéressante malgré le ton un peu monocorde du narrateur. Heureusement, Renaud Dehesdin a une harmonique vocale très agréable et donc, l’écoute est d’autant agréable. Les personnages sont extrêmement bien travaillés et Centaure leur a ajouté une sensibilité presque palpable. C’est un plus.

En dehors de la complexité scientifique, le texte est fluide, le fil conducteur, solide. C’est bien écrit et ça décrit bien toutes les facettes de l’être humain, ce que j’appelle parfois l’hommerie. Enfin, la suite d’ESPÉRANZA 64, TERRA nous confirme finalement la conclusion du présent tome.

La nouvelle terre sera atteinte. Mais selon vous, il y aura combien de survivants et dans quel état, qu’adviendra-t-il du vaisseau ? Comment seront les premiers jours sur Terra ? Pas le choix, il faut voir ou écouter.

ESPERANZA 64 a été pour moi une très agréable expérience d’écoute.

Suggestion de lecture, du même auteur : LES NETTOYEURS

ESPERANZA 64…LA SUITE

Deux ans après son arrivée en orbite de Terra, l’Esperanza 64 peut enfin débarquer les premiers colons. Ces derniers, contrairement à l’équipage, n’ont pas vécu l’interminable voyage et la mise en place laborieuse des premières installations au sol.

Ils ont dormi 15 000 ans et, à leurs yeux, le contraste est immense entre la Terre, qu’ils ont l’impression de n’avoir quittée que la veille, et cette planète d’accueil où tout reste à faire. Élisabeth, dont le souci initial était de maintenir dans la colonie un niveau technologique suffisant, va être rapidement dépassée par les événements et contrainte à revoir ses ambitions. Survivre se révélera en effet un objectif beaucoup plus réaliste.

BONNE LECTURE
Claude Lambert

Le vendredi 24 mai 2019

 

VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU, de KEN KESEY

*Le martyr de McMurphy est aussi un martyr
chrétien. Ce livre noir est aussi un livre
rayonnant de joie de vivre et un plaidoyer.
Il s’agit de mieux comprendre, de mieux
prendre conscience du monde fou dans
lequel nous vivons.*

(Extrait : VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU,
Plus précisément le texte AVERTISSEMENT signé
André Bay et précédent le récit  de Kesey, Ken
Kesey, Édition Stock de 2002, réédition, édition
numérique, 290 pages)

Dans une maison de santé, une redoutable infirmière fait régner, grâce à un arsenal de « traitements de choc », un ordre de fer, réduisant ses pensionnaires à une existence quasi-végétative avec des psychotropes, des électrochocs et même des lobotomies. Surgit alors McMurphy, un colosse irlandais, braillard et remuant, qui a choisi l’asile pour échapper à la prison. Révolté par la docilité de ses compagnons, il décide d’engager une lutte qui devient peu à peu implacable et tragique. McMurphy sera à l’origine non seulement d’un sentiment de révolte chez les internés, mais aussi d’une prise de conscience de leur personnalité et de leurs conditions de vie.

AVANT-PROPOS

Les origines du titre VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU  sont contestables pour plusieurs. Pour moi, ce titre pourrait très bien symboliser la lobotomie. Mais la version la plus courante laisse à penser que le *nid de coucou* représente l’asile et le *vol* représenterait la seule personne qui a réussi à s’échapper de l’asile : l’indien, le chef Bromdem, c’est-à-dire le narrateur.

UN CLASSIQUE INDÉMODABLE
*Ne reconnaissez-vous pas l’archétype du
psychopathe? Je n’ai jamais vu un cas de
psychopathie aussi manifeste. Cet homme,
c’est Un Napoléon, un Gengis Khan, un
Attila.*
(Extrait : VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU)

C’est un livre très dur, une histoire à haute intensité dramatique que j’ai fini par lire peut-être une vingtaine d’années après avoir vu le film, adaptation remarquable du réalisateur Milos Forman.

Même si ce livre a été un des plus commenté et critiqué dans l’histoire de la littérature américaine, force est de constater qu’il a été un mis dans l’ombre par le film, à cause, en particulier de l’interprétation magistrale de Jack Nicholson qui s’est approprié le rôle du rebelle McMurphy avec un naturel désarmant.

Mais le livre vaut la peine d’être lu, je le considère même meilleur que le film car la plume extrêmement puissante de Ken Kesey appelle à l’angoisse dès le début et vient nous rappeler, grâce à un sordide jeu de pouvoir, cette fâcheuse tendance de toutes les sociétés à vouloir contrôler leurs sujets.

Le fil conducteur est simple à suivre : dans un asile psychiatrique, une redoutable infirmière fait régner une discipline de fer grâce à toute une panoplie de traitements de choc, réduisant les pensionnaires à une existence quasi végétative. Les choses vont changer dès le jour où Randal McMurphy, personnage subversif, exubérant et rebelle arrive à l’asile parce qu’il a choisi cette solution pour échapper à la prison.

Pendant un certain moment de lecture, je me suis demandé qu’est-ce que McMurphy faisait dans ce décor, me disant qu’il était loin d’être fou. Mais j’ai compris assez vite que, révolté par la docilité de ses compagnons à l’égard de l’infirmière, qui est une véritable peau de vache, McMurphy s’est engagé dans une lutte qui devient graduellement implacable et dramatique :

*…eh bien, j’ai été étonné de constater à quel point vous êtes sains d’esprit, tous autant que vous êtes. Pour autant que je puisse en juger, vous n’êtes pas plus fous que le trou-du-cul moyen qui se balade en liberté.*(Extrait)

Dès lors, le récit se concentre sur un impitoyable jeu de pouvoir qui retiendra définitivement l’attention du lecteur allant jusqu’à prendre une très intéressante valeur de symbole révélatrice de la vie actuelle : d’un côté la répression et la coercition et de l’autre, un appel à la tolérance, à l’ouverture d’esprit et à la liberté.

Autre fait intéressant et magnifiquement mis en mots dans le récit de Kesey, l’agitateur devient, aux yeux de ses pairs, un héros…une solution au conformisme crasse qui caractérisait la société des années 60 en général et les institutions psychiatriques américaines en particulier:

*Il était un géant descendu du ciel pour nous libérer du système qui ligotait le monde de son réseau de fils électriques et de cristaux, un être de trop d’envergure pour se soucier de mesquines questions d’intérêt.*(extrait)

Le récit est narré par un vieil indien, un géant qui fait semblant d’être sourd depuis son arrivée à l’asile il y a des années. Tout comme le lecteur, l’indien est témoin et raconte les tentatives habiles de McMurphy pour donner aux pensionnaires de l’asile de la personnalité, une raison de vivre, de se battre.

VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU est un livre en quatre parties. Il n’y a pas de chapitres, pas de temps mort, peu de diversions. C’est un crescendo de révolte et de frustrations. Le livre m’a fait vibrer et passer par toute une gamme d’émotions.

Tantôt j’étais choqué et triste, tantôt fasciné et admiratif. Ce fût pour moi un moment de lecture intense et touchant…le temps s’est arrêté, effet d’une plume habile et sans compromis qui ne laisse pas indifférent.

Je vous recommande la lecture de VOL AU-DESSUS d’un nid de coucou. Une œuvre de premier plan…une grande lecture…

Ken Kesey (1935-2001) était un écrivain américain natif du Colorado. Il s’est prêté à des expérimentations de drogues entraînant temporairement des états de psychose. Continuellement sous acide, Kesey est embauché dans un hôpital. C’est de cette étrange expérience que naîtra son premier roman : VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU, un succès immédiat qui sera adapté au cinéma par Milos Forman. D’autres titres à succès suivront dont SOMETIMES A GREAT NATION, adapté au cinéma en 1963 sous le titre : LE CLAN DES IRRÉDUCTIBLES.

VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU AU CINÉMA
Le livre de Ken Kesey a été adapté au cinéma par Michael Forman. Le film est sorti en 1976 et a fait époque avec 15 prix et 5 nominations.
Le film met en vedette Jack Nicholson

Et Louise Fletcher…la redoutable infirmière

La presse a salué ce film. Le journaliste Jacques Doyon écrivit, peu après la sortie du film en 1976 : *Voilà un film qui est grand parce que fait à l’intérieur d’un système, il nous atteint et nous transforme*.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le samedi 20 octobre 2018

LA MORT HEUREUSE, livre de HANS KÜNG

*Pour moi, refuser de prolonger indéfiniment ma vie temporelle
fait partie de l’art de vivre et de ma foi dans une vie éternelle.
Quand le temps sera venu, j’aurai le droit, pour autant que j’en
serai capable, de décider, en prenant personnellement mes
responsabilités, du moment et de la manière de mourir.

Si cela
m’est accordé, je serais content de mourir en pleine conscience
et de me séparer dignement des gens qui me sont chers.*
(Extrait : LA MORT HEUREUSE, Hans Küng, Éditions du Seuil, 2015,
Édition de papier, 135 pages)

LA MORT HEUREUSE est un plaidoyer éthique et philosophique en faveur d’une mort assistée digne et humaine. Le célèbre théologien réformiste Hans Küng revendique ce droit particulièrement au nom de sa foi dans une vie éternelle car il est clair pour lui qu’il n’y a aucun antagonisme entre la foi et le droit pour un être humain le moment venu, de décider quand et comment il va mourir alors qu’il doit lutter contre la maladie dégénérative et sans retour, et ce dans d’intolérables souffrances physiques et psychologiques. L’auteur développe une réflexion intense, libre et ouverte.

DON DE DIEU, DEVOIR DE L’HOMME
*De  la dignité de l’homme procède le droit
à se déterminer lui-même pour sa vie,
toute sa vie, même pour l’ultime étape,
celle du mourir.*
(Extrait : LA MORT HEUREUSE)

Ce livre développe un sujet extrêmement délicat. En effet, la mort assistée est un principe de fin de vie qui fait l’objet de profonds désaccords et malentendus de société sur les plans éthique, juridique, politique, médical, religieux et social. On sait que Hans Küng est un théologien catholique réformiste, voire rebelle aux positions ultra-conservatrices de l’église dont celle sur la mort assistée.

Une croyance pratiquement universelle veut que la vie soit un don de Dieu et qu’y mettre fin prématurément constituerait un déni de Dieu et dans ces conditions, l’âme ne peut être sauvée. Dans LA MORT HEUREUSE, l’argumentaire de Kung est complètement à contre-courant de cette croyance, au point de se lancer dans une apologie de la mort assistée dans un cadre moral, humain et éthique bien précis…

*Actuellement, nombre de théologiens sont d’avis que l’homme doit tenir jusqu’à *la fin prévue* pour lui et qu’il n’a pas le droit de remettre sa vie *avant l’heure*…Le Dieu créateur bon a-t-il vraiment *prévu* une réduction de la vie humaine à une vie purement biologique et végétative, avec de l’incontinence, des cathéters, une sonde stomacale et des plaies qui produisent des ulcères.

Beaucoup se demandent aujourd’hui pourquoi le fait de remettre librement, de façon responsable, une vie définitivement détruite, avec des souffrances insupportables, *avant l’heure* devrait faire l’objet d’interminables débats. La mort n’est absolument pas toujours l’ennemi de l’homme.*

Tout l’argumentaire du livre tourne autour de cette affirmation. Et pour alimenter la réflexion, Küng aborde cette peur profonde et atavique qui afflige tous les humains, au-delà de la peur de la mort : la peur de la non-existence, du non être…*De même que l’homme et le monde ne surgissent pas du néant, de même ils ne retombent pas dans le néant.

Le mourir et la mort ne sont que des étapes et un nouvel avenir vient à leur suite…Là où l’homme atteint l’ultime de sa vie, ce n’est pas le Néant qui l’attend mais…Dieu et auprès duquel les morts sont entre bonnes mains…* Donc s’est précisément parce que Hans Küng est profondément croyant qu’il plaide pour une mort assistée, encadrée, digne et humaine. Il n’est évidemment pas compris par tout le monde.

J’ai apprécié ce livre mais comprenons-nous bien. La question n’est pas de savoir ici si je suis d’accord ou non avec l’auteur. Je n’ai pas lu ce livre comme on lit un éditorial. Mais j’ai trouvé l’argumentaire de Küng sérieux et crédible.

Ce livre m’a permis d’affuter et d’enrichir mon opinion, de découvrir une nouvelle façon de voir les choses, de mettre de l’ordre dans mes idées et de préciser ma pensée sur un sujet qui est, et qui sera toujours complexe. Je dois dire aussi que Küng m’a surpris par son interprétation de la foi que je croyais jusqu’alors en parfaite contradiction avec l’euthanasie et pour son audace à faire face à ce que j’ai toujours appelé l’étroitesse d’esprit des officiers de l’Église.

Il y aura je pense autant d’interprétations de ce livre que de lecteurs, son sujet touchant la conscience de chacun puisqu’il met en perspective l’enjeu du rapport de l’homme avec la mort. Moi je considère ce livre comme un plaidoyer éthique sérieux.

Je n’ai pas senti que l’auteur voulait me *vendre* une idée comme ce fut le cas de plusieurs livres que j’ai lu sur les expériences de mort imminente par exemple. On peut sentir la conviction de l’auteur sans la partager complètement. La liberté est au lecteur qui se voit offrir ici un fort intéressant outil de réflexion.

Hans Küng est un théologien catholique et écrivain né en Suisse en 1928. Après des études en théologie à Rome, il est ordonné prêtre en 1954. Il exerça la prêtrise tout en continuant ses études dans diverses universités européennes, puis il devint professeur de théologie à l’Université de Tübingen en république fédérale d’Allemagne où il fit la connaissance de Joseph Ratzinger, alors futur pape Benoît XVI.

À partir des années 1970, il publie de nombreux ouvrages en poursuivant son enseignement  puis un conflit l’oppose à Rome, plus particulièrement à la Congrégation pour la doctrine de la Foi.

Il cesse d’enseigner en 1996. Atteint de la maladie de Parkinson, il se dévoue depuis 1993 à la fondation POUR UNE ÉTHIQUE PLANÉTAIRE qui veut développer la coopération entre les religions. Cet engagement lui a valu le PRIX NIWANO de la paix en 2005.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le dimanche 22 avril 2018

L’HOMME QUI N’AVAIT PAS DE NOMBRIL

Commentaire sur le livre de
Michel Leboeuf

*Non, non, lecteurs de premières pages en librairie,
ne me quittez pas! Ne refermez pas le bouquin si
vite. Lisez la dernière page tant qu’à faire. Vous
allez voir, la fin est pas mal du tout. Vous arriverez
peut-être même à vous réconcilier avec moi, le
personnage principal.*
(Extrait : L’HOMME QUI N’AVAIT PAS DE NOMBRIL,
Michel Leboeuf, Éditions Michel Quintin, num. 480 pages)

C’est le récit de Philippe Morel, 53 ans, un professionnel des relations publiques. Morel a une particularité extrêmement rare : il n’a pas de nombril. Évidemment ce signe particulièrement distinctif a marqué sa vie. Cette vie tourmentée, Morel nous la raconte : une vie de moqueries et de mépris de la part de son entourage. Il passe en revue toutes les étapes de son destin, y compris les épisodes où il fait l’objet de D’expériences scientifiques. Mais le récit déborde de la science. C’est l’histoire d’un homme qui n’a pas été uni à sa mère par un cordon ombilical et qui ne connaîtra rien de moins qu’une véritable descente aux enfers.

LE DRAME DE L’HOMME-OPOSSUM
*Dans mon berceau, me voilà saisi d’une sorte
de pressentiment…la voix douce me camoufle
la vérité, elle l’enrobe de rose bonbon…
J’ai peur, j’ai la certitude que ce qui vient ne
sera ni rose ni bonbon. Après ça, on
s’étonnera du fait que je veuille vivre tout
seul, en parfaite autarcie, le plus loin
possible des hommes.
(Extrait : L’HOMME QUI N’AVAIT PAS DE NOMBRIL)

Ce livre raconte l’histoire très particulière de Philippe Morel, né sans nombril, comme un opossum. Pour apprécier ce livre, il y faut bien comprendre la situation très singulière de Morel. Il est né sans nombril comme si dès le départ, la nature l’avait débranché de sa mère.

Comme cette nouvelle va faire le tour du monde, le phénomène étant assez rare, on peut penser qu’étant trop différent des autres, Morel devienne comme débranché de la société avec des rapports humains réduits au minimum.

Quant à savoir ce qui se passe dans sa tête, je vous laisse lire le livre pour le savoir, mais je peux vous mettre sur le sentier en vous dévoilant que Philippe Morel adore tuer des mouches en les brulant avec une loupe. Ça vous donne une petite idée…je dis bien petite.

Si vous arrivez à bien saisir la psychologie du personnage, sa tare plutôt embarrassante, et ses motivations, il vous faudra accepter maintenant la deuxième condition. 2) s’armer de patience. Le roman est très intéressant et tranche un peu par son originalité mais il traîne en longueur.

C’est très long avant de pouvoir s’accrocher à l’histoire ou aux personnages qui ne sont pas particulièrement attachants. C’est long d’autant que le récit est narré à la première personne par Morel qui n’a pas toujours des choses intéressantes à raconter. Pour toutes ces raisons, je préfère utiliser le terme DRAME qui convient mieux que THRILLER.

Là où le roman devient intéressant, à partir du moment où il prend son rythme, après au moins une bonne centaine de pages, c’est quand on commence à comprendre les motivations de Morel. Ça m’a poussé à me demander qu’est-ce que je ferais à sa place et c’est là que le roman devient un peu dérangeant. Morel devient un peu bizarre, violent et la finale, sans être spectaculaire, est intéressante, voire surprenante jusqu’à un certain point.

Même si ce livre est parfois long à en être pénible, je pense surtout à la première moitié, l’histoire a quelque chose de particulier, elle a un caractère étrange. La plume de Michel Leboeuf est tout aussi étrange nous entraînant dans les méandres d’un esprit confus.

L’homme dont on a discuté du cas dans les plus grandes facultés de médecine et qui servira de cobaye pour des expériences bizarres sera dorénavant appelé l’homme-opossum et tentera le plus possible de retourner à l’anonymat. Ce ne sera pas simple et c’est là qu’est le point fort du roman : la relation devenant graduellement et irrémédiablement tordue entre Philippe Morel et son environnement.

Malgré ses faiblesses, l’histoire est intéressante et appelle une suite de deux autres tomes : Le tome 2 : L’HOMME QUI N’AVAIT PAS DE NOMBRIL Alter Ego et le tome 3 : L’HOMME QUI N’AVAIT PAS DE NOMBRIL Alma Mater.

Michel Leboeuf est un écrivain, scientifique, naturaliste et communicateur québécois né à Trois-Rivières en 1962. Après avoir œuvré pendant plusieurs années en écologie forestière, il consacre maintenant tout son temps dans le secteur des médias et de l’édition.

Il est rédacteur en chef du magazine NATURE SAUVAGE et auteur de 14 livres documentaires sur la flore et la faune, d’essais et d’œuvres de fiction. Il a été deux fois lauréat du prix HUBERT-REEVES qui récompense l’excellence littéraire dans le domaine de la vulgarisation scientifique en français au Canada.

BONNE LECTURE
Claude Lambert
le dimanche 11 février 2018

FÂCHÉ NOIR, le livre de Stéphane Dompierre

MIEUX VAUT EN RIRE

*…J’aime imaginer qu’un lecteur
puisse pogner les nerfs,
mais je n’ai pas envie de lire
ses insultes…*
(extrait de AVANT QUE JE ME FÂCHE,
avant-propos de FÂCHÉ NOIR,
Stéphane Dompierre,
Éditions Québec Amérique, 2013)

Le québécois Stéphane Dompierre a réuni 52 de ses meilleures chroniques mises en ligne sur le portail YAHOO. Ce recueil de chroniques d’humeur s’intitule FÂCHÉ NOIR comme sur YAHOO. Dans ces chroniques, Stéphane Dompierre met en perspective nos petits travers bien humains ainsi que des situations quotidiennes qui ont le don de *taper sur les nerfs*.  Il passe en revue les irritants quotidiens, des tendances souvent absurdes et livre le tout de façon parfois (et souvent même) mordante.

Dans ce livre, le chroniqueur québécois Stéphane Dompierre nous livre ses meilleures chroniques FÂCHÉ NOIR mises en ligne sur le portail de Yahoo et dans lesquelles se conjuguent humour, ironie et sarcasme. L’auteur y passe en revue nos manies, penchants, travers, habitudes et autres tendances qui, sans qu’on le réalise, ont le don d’énerver les autres.

C’est un livre qui fait diversion de nos tracas quotidiens. Il m’a arraché beaucoup de rires et j’ai eu beaucoup de plaisirs à lire ses commentaires mordants et irrévérencieux sur toutes sortes de petites plaies qui sont souvent la signature de notre personnalité…ou qui ont le don de mettre en rogne.

Par exemple, Dompierre se *fâche noir* contre les photos de vacance, les guichets automatiques, les erreurs de jugement, les heures d’ouverture, les tatouages, les voisins et peut-être le meilleur chapitre du livre : un commentaire cinglant et fort réaliste sur les manuels d’instruction.

J’ai trouvé ce livre à la fois délicieux et mordant. Pour apprécier ce livre, il ne faut pas avoir peur du ridicule et accepter de se livrer de bonne grâce à un exercice loin d’être malsain : rire de soi un bon coup. Il ne faut pas oublier non plus que ce sont des chroniques d’humeur en ce sens que Dompierre sonde le cœur des irritants quotidiens, l’amplifie, le caricature et nous oblige carrément à en rire.

Je vous recommande ce livre. Il se lit vite et bien. Les chapitres sont très courts et sautent du *coq à l’âne*. L’auteur fait preuve de beaucoup d’imagination et j’ai apprécié  cette petite touche d’exagération qui caractérise chaque sujet et qui vient nous rappeler que nous ne sommes rien d’autres que des humains…alors vaut mieux en rire.

Peut-être un jour l’auteur deviendra-t-il fâché noir contre…lui-même…

Divertissant…incontournable.

Je vous invite également à lire le commentaire de mllambert sur ce livre

Suggestion de lecture : LE LIVREUR, de Marie-Sophie Kesteman

Stéphane Dompierre est né à Montréal en 1970. Son premier roman UN PETIT PAS POUR L’HOMME a eu un succès éclair et lui a valu le Grand-Prix de la Relève Littéraire Archambault en 2004. Dompierre a d’abord fait des études en musique mais il s’est tourné rapidement du côté de l’écriture. Il est aussi scénariste pour la télévision et le cinéma et chroniqueur pour Yahoo et ELLE QUÉBEC en plus d’être porte-parole de la journée mondiale du livre et du droit d’auteur avec Chrystine Brouillet.

BIBLIOGRAPHIE :

-Fâché noir, 2013, Québec Amérique
-Corax, 2012, VLB éditeur
-Stigmates et BBQ, 2011, Québec Amérique
-Gloire et crachats, Jeunauteur- tome 2  avec Pascal Girard 2010, Québec Amérique
-Morlante, 2009, Coups de tête
-Souffrir pour écrire, jeunauteur tome 1 avec Pascal Girard, 2008, Québec Amérique
-Mal élevé, 2007, Québec Amérique
-Un petit pas pour l’homme, 2004, Québec Amérique

BONNE LECTURE
JAILU/Claude Lambert
6 novembre 2016