SIX MINUTES, le livre de Chrystine Brouillet

*À côté d’un des pieds de la table, Graham repéra le
goulot de la bouteille. – J’ai l’impression que la
victime a été agressée tout de suite après avoir
ouvert à son visiteur. Qu’il l’a assommée avec la
bouteille. Puis égorgée. *
(Extrait : SIX MINUTES, Chrystine Brouillet, Éditions
Druide, 2017, édition de papier, 380 pages)

Quand Maud Graham est appelée à éclaircir le meurtre d’un homme trouvé gisant dans son sang, elle ne peut se douter des motifs de ce crime. Qui pouvait bien en vouloir à ce point à cet homme sans histoire ? La détective avance en plein brouillard jusqu’à ce que commence à se dessiner une toile complexe. Si l’enquête porte d’abord sur l’assassinat d’un homme, c’est sur la maltraitance subie par des femmes qu’on lèvera le voile en cours d’investigation. Alarmée par le danger qui menace ces femmes devenues des proies malgré elles, Graham se lance sur la trace de l’agresseur. Une poignante course contre la montre démarre…

Ces femmes devenues des proies
*…Maud Graham découvrait avec consternation
pourquoi Nicole n’avait pu identifier instantanément
la blessée. Sa paupière gauche avait triplé de volume,
ses lèvres étaient déchirées, ses joues avaient
tourné au bleu. Un bandage blanc couvrant son nez
indiquait qu’il avait été fracturé et des hématomes
au cou trahissaient la tentative d’étranglement. *
(Extrait)

J’étais très heureux de renouer avec la détective Maud Graham à laquelle je m’étais beaucoup attaché dans LE COLLECTIONNEUR, ouvrage angoissant qui m’a fait aussi connaître des personnages énigmatiques ados attachés aux thèmes préférés de Chrystine Brouillet : Grégoire et Maxime. Ils n’ont pas de rôles signifiants dans SIX MINUTES mais j’ai senti qu’ils avaient maturé…j’étais aussi heureux de sentir une Maude Graham aussi mordante et efficace.

Elle est très justement décrite d’ailleurs dans SIX MINUTES : *…Un genre de vedette ici. Bonne. Trop bonne. Obstinée. Elle ne lâche jamais sa proie. Le pit-bull roux !* (Extrait) Dans SIX MINUTES, Graham est confrontée à un meurtre sauvage et deux femmes en cavale. L’enquête s’annonce coriace. Son instinct affûté et sa curiosité l’amèneront à déduire que tout est lié. Mais l’enquête est extrêmement complexe.

Le lecteur découvre graduellement pourquoi les femmes sont en cavale. En fait, elles fuient, tétanisées par la peur. Ce sont des femmes battues. Eh oui ! SIX MINUTES aborde avec intelligence et force la troublante thématique des *badboys*, la violence conjugale. Une fois établi que Christian Desgagné est un homme violent et dangereux et pourrait être lié au meurtre de Dominique Poitras, tout s’enchaîne rapidement et le récit devient une course contre la montre.

Desgagné était certain que Dominique recevait les confidences de sa femme sur les traitements dont elle était victime. Desgagné a le portrait social assez commun des hommes violents : beaux, intelligents, apparemment sans reproches, calmes, sociables. Il n’y a pas de profil vraiment significatif.

Le narcissisme pervers est caché en toutes circonstances sauf quand il est seul avec sa femme.. Il ne se doute de rien. Ce n’est pas sa faute si sa femme le pousse à bout…il faut apporter des *correctifs*, il se sait sans reproche. Ce n’est pas sa faute. Ce n’est jamais sa faute.

L’intrigue s’appuie beaucoup sur la psychologie des personnages et met en exergue la relation agresseur-agressé. Évidemment, cette nécessité pourrait pousser le lecteur à détester cordialement l’agresseur jusqu’à ce qu’on se rappelle que la violence est une pathologie qu’on peut traiter. Ce type de violence est de moins en moins toléré dans notre société moderne, heureusement. Donc dans son enquête, Graham doit composer avec la peur chronique qui habite les femmes violentées.

J’ai pu encore une fois apprécier le doigté et l’opiniâtreté de la détective : *Tout m’intéresse. Tout ce qui touche à une victime m’intéresse. Tout ce qu’elle était, tout ce qu’elle montrait, tout ce qu’elle dissimulait. Tous ses secrets. Toute sa famille, tous ses proches. Tout ce que vivent ses proches, tout ce que me taisent ses proches. C’est une seconde nature chez moi. Je cherche ce qu’on me cache.* (Extrait)

Fortement inspirée et documentée, Chrystine Brouillet fait remonter à la surface avec un réalisme désarmant la terreur et la solitude des femmes agressées amenant le lecteur à se demander comment les femmes pouvaient vivre avec une telle peur au ventre et trouver le moyen de rejeter la faute sur elles-mêmes.

Le récit est bien structuré. Il a toutefois un petit côté prévisible qui sera surtout évident pour les lecteurs assidus de Chrystine Brouillet. Pour certaines éditions, le quatrième de couverture précise : *Entre le moment où une femme racontait que son mari menaçait de la tuer et celui où elle était entendue par un juge, six mois pouvaient s’écouler alors que six minutes suffisaient amplement pour qu’un homme étrangle sa femme.* (Extrait)  SIX MINUTES est plus qu’un polar. C’est un témoignage crédible.

Suggestion de lecture, de la même autrice : INDÉSIRABLES

Talentueuse et prolifique, Chrystine Brouillet a écrit une cinquantaine de romans, surtout policiers. Sa série mettant en scène la détective Maud Graham connait un énorme succès, avec plus de 700 000 exemplaires vendus. Cette héroïne, que la romancière décrit comme « une femme ordinaire exerçant un métier hors de l’ordinaire », est une enquêtrice de grande expérience au flair et à la ténacité redoutables. Aussi impatiente que généreuse, elle cultive, à l’image de son auteure, un doux penchant pour la gourmandise…


Bonne lecture
Claude Lambert,

Le samedi 2 mars 2024

TORNADE SUR LA VILLE, de Steve Thayer

<On aurait pu entendre craquer les petits os de son cou. Son visage devint rouge violacé. La vie s’écoula par sa bouche. Mais son parfum émettait toujours de chaudes senteurs de chèvrefeuille. Un crime ne devrait pas sentir aussi bon. La créature qui ahanait sous son masque ressentit alors l’irrépressible envie de murmurer quelque chose, d’expliquer son geste. Trop tard. Elle était morte. Qui qu’elle fût.> Extrait : TORNADE SUR LA VILLE, Steve Thayer, Libre Expression éditeur, 1. Édition de papier, 445 pages.

Une femme est assassinée au cœur de la ville, en plein jour, sur la terrasse d’un parking. Les indices ? Des plus minces.  Quelques heures après le meurtre, une tornade d’une violence inouïe dévaste la ville, un cataclysme que l’Office national de la météorologie n’avait pas prévu mais que Dixon Bell, le Monsieur Météo de Canal 7, la chaîne de TV locale, avait annoncé parce qu’il l’avait vu dans sa tête.

Quelques jours après le premier crime, une jeune fille est étranglée, elle aussi sur un parking. Puis une troisième. La liste s’allonge, la police demeure impuissante même si elle a constaté un phénomène étrange : le tueur agit à chaque changement de saison, et à chaque événement climatique majeur…

La colère populaire gronde, le gouverneur de l’État est contraint de rétablir la peine de mort, et la police trouve enfin un suspect : Dixon Bell, le Monsieur Météo de Canal 7 !

Météo assassine

Je ne m’attarderai pas beaucoup sur ce livre, non parce qu’il a fait l’objet d’une certaine indifférence dans les milieux littéraires mais plutôt parce que le sujet est gonflé et que l’ensemble ne m’a pas apporté grand-chose.

L’aspect catastrophiste du livre est élimé et largement surexploité surtout au cinéma. Son originalité tient surtout dans le fait qu’un tueur opère au gré des évènements climatiques extrêmes. Ça suppose toutefois un côté prévisible.

Malgré tout, ça peut plaire à un certain lectorat. L’histoire a un rythme rapide, l’écriture est nerveuse malgré les longueurs et les répétitions. Tout n’est pas perdu car le modus operandi du tueur peut parfois surprendre.

Je ferai bref en disant que ce livre est une variation sur un thème connu et qui ne bousculera pas vraiment la littérature. À vous de voir. La publication du livre remonte à 1997 et il n’a pas été réédité. Il se pourrait donc qu’il soit difficile à trouver.

Je précise en terminant que ce livre, même si je l’ai trouvé plutôt ordinaire n’est pas nécessairement à l’image de la bibliographie de Steve Thayer car en général, ses livres ont été bien accueillis par la critique même s’ils sont loin des records de vente.

Suggestion de lecture : LIEUTENANT ÈVE DALLAS, de Nora Roberts

Steve Thayer est né à Saint Paul, Minnesota. Il a travaillé comme scénariste pendant plusieurs années. Il a déménagé à Edina, Minnesota dans les années 1980, où il a commencé à écrire des romans. Il a commencé à écrire des romans à suspense avec Saint Mudd en 1988, et a continué avec une série de six autres romans, pour la plupart bien accueillis par la critique. Les sujets de son travail comprennent les enquêtes criminelles, les complots, les meurtres et les enlèvements. L’écriture de Thayer a été décrite comme granuleuse et rapide.

 

Bonne lecture
Claude Lambert
le vendredi 1er mars 2024

UN(e)SECTE, le livre de Maxime Chattam

*Jenny était plongée dans son récit et ne prêta aucune attention au long mille-pattes s’enroulant à la rambarde qui ceignait la terrasse. Il était impressionnant. Comme sorti des pages qu’elle tournait. Un demi-bras de longueur. Ses anneaux ondulant à chaque mouvement de ses nombreux membres, agrippant le bois sans jamais glisser, ses antennes palpitant devant lui, sondant le terrain…*

(Extrait : UN (e) SECTE, Maxime Chattam. Or. Albin Michel éditeur, 2019, papier, 464 pages. Version audio : Audiolib éditeur, durée d’écoute : 13 heures 4 minutes. Narrateur : Emmanuel Dekonninck)



Et si tous les insectes du monde se mettaient soudainement à communiquer entre eux ? À s’organiser ? Nous ne survivrions pas plus de quelques jours. Entre un crime spectaculaire et la disparition inexpliquée d’une jeune femme, les chemins du détective Atticus Gore et de la privée Kat Kordell vont s’entremêler et ils seront confrontés à une vérité effrayante. Des enquêteurs investissent des lieux où personne n’oserait s’aventurer.

 

Un défi de lecture pour entomophobes
*Atticus repensa à l’état du corps sur les marches. Impossible que
des insectes l’aient nettoyé en quelques heures, il avait fallu plusieurs
semaines au moins, sinon des mois, ne cessait-il de se répéter. *
(Extrait)

D’entrée de jeu, je vous préviens que si vous n’aimez pas les insectes ou s’ils vous font peur, comme les araignées ou vous dégoutent, évitez ce livre car sa véritable force tient à la gamme d’émotions dans laquelle il vous pousse : dégoût, horreur, angoisse, terreur. Ce livre est loin d’être un bijou d’exercice de style, ce n’est pas non plus le meilleur de Chattam mais il opère chez l’auditeur et le lecteur une espèce de magie noire : il entretient le frisson d’un bout à l’autre du récit et met parfois mal à l’aise.

C’est d’autant glauque que le sujet est développé aux limites de la réalité. Imaginez un instant que vous avez le contrôle total des insectes de toute la planète, insectes qui sont des milliards de fois plus nombreux que les humains. Vous leur commandez, ils vous obéissent. Que feriez-vous avec un tel pouvoir ? Le grand ménage de l’humanité ? Une fin du monde programmée ou peut-être utiliseriez-vous ce pouvoir à des fins humanitaires, alimentaires ou peut-être mercantiles ?

Maintenant, imaginez un multimilliardaire assoiffé de contrôle et de pouvoir et qui y met les moyens, comme on en voit dans certaines histoires de James Bond : des richissimes misanthropes, caractériels, fêlés… ce mélange est une bombe.

Vous lisez ou écoutez ce livre comme si vous manipuliez une poudrière. J’ai eu le cœur en suspens par moment. Vous n’avez qu’à imaginer une veuve noire bien grasse qui cherche à se glisser sous votre pantalon… ce livre est porteur de frissons mais aussi de réflexion sur l’argent et le pouvoir, le caractère blasé de notre société et son indifférence et aussi sur les sectes et le danger qu’elles représentent, assises sur la mégalomanie avec de redoutables techniques de recrutement. Pour le reste, c’est du Chattam : impression de déjà vu, style un peu figé, personnages peu travaillés et pas très attachant.

Je ne suis pas amateur d’insectes et j’ai horreur des araignées. Mais j’aime éprouver des sensations en lecture. Ce livre est loin d’être un chef d’oeuvre mais il m’a fait vivre des émotions fortes. Je n’attendais rien d’autre de Maxime Chattam.

Suggestion de lecture, du même auteur : LA TRILOGIE DU MAL

Maxime Guy Sylvain Drouot est un romancier français né en février 1976. Il a écrit sous les pseudonymes Maxime Williams puis Maxime Chattam.  Après avoir joué dans plusieurs téléfilms, il écrit son premier thriller en 1999 : le 5e règne.

Pour donner un maximum de crédibilité à ses romans, Maxime Chattam, suit une formation de criminologie dans laquelle il s’initie à la psychiatrie criminelle, les techniques et sciences policières et même la médecine légale allant jusqu’à assister à des autopsies et consulter des spécialistes afin de documenter ses romans et leur donner un maximum de réalisme. Il a écrit entre autres LA TRILOGIE DU MAL et LA 5e CLÉ.

du même auteur

Bonne lecture
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le dimanche 25 février 2024

L’ÉPÉE DE VÉRITÉ, livre de Terry Goodkind

Commentaire sur le livre 1
LA PREMIÈRE LEÇON DU SORCIER

*Terrassé par la fièvre et la douleur, Richard s’aperçut à peine
qu’il s’était affaissé la tête reposant sur la table. Il gémit pendant
que son esprit embrumé mesurait les implications de ce que
Calahan venait de dire à Zede : Les prophéties du grimoire des
ombres recensées allaient se réaliser…*
(Extrait : L’ÉPÉE DEVÉRITÉ, livre 1. À l’origine : Bragelonne éditeur,
2014. Version audio : Audible studio éditeur, 2018, Durée d’écoute :
32 heures 15 minutes. Narrateur : Vincent de Boüard)

Une frontière magique, infranchissable, sépare la Terre d’Ouest des Contrées du Milieu. Paisible garde forestier, Richard Cypher n’a jamais quitté sa forêt. Son destin bascule lorsqu’il sauve de la mort d’une jeune femme, Kahlan, poursuivie par les sbires du tyran Darken Rahl. Assoiffé de pouvoir, il s’est emparé des Contrées du Milieu et se rapproche dangereusement de la Terre d’Ouest à la recherche d’artefacts grâce auxquels il aspire à dominer le monde. Richard va trouver son ami Zedd, un puissant sorcier. Commence alors pour le forestier une initiation magique grâce à l’Épée de Vérité, arme puissante et dévastatrice.

Le sorcier de vérité
*Quand il fut à un pas d’elle, la femme se leva, se
retourna avec grâce et prononça doucement le
nom de Richard. Cette voix…il la connaissait. Il
crut que son cœur allait exploser quand il vit le
visage qui, inévitablement, allait avec. *
(Extrait)

LA PREMIÈRE LEÇON DU SORCIER est un long pavé sonore de plus de 32 heures d’écoute soit une brique de 637 pages dans l’édition de papier de Bragelonne. C’est très long et ce n’est que le premier tome d’une série de 12. Comme dans tout bon *fantasy*, l’oeuvre de Goodkind évoque la sempiternelle guerre du bien contre le mal qui n’est pas sans rappeler LE SEIGNEUR DES ANNEAUX de Tolkien pour les sorciers, créatures du mal et déploiements guerriers et L’HISTOIRE SANS FIN de Michael Ende pour les aspects féériques et environnementaux du récit.

L’histoire commence très simplement alors qu’un simple guide forestier, Richard Cypher sauve une belle inconnue des griffes de brigands. Elle s’appelle Khalan. Au premier regard, des sentiments s’éveillent mais il y a plus urgent car dans la foulée de la mystérieuse Khalan se mettent en place des forces, des évènements, d’obscurs personnages et d’étranges créatures.

Le but de ce déploiement est de pousser Richard et Khalan dans le rôle qui leur revient réellement en vue d’une confrontation finale avec le tyran le plus monstrueux des contrées du milieu, un sorcier d’une inimaginable cruauté nommé Darken Rahl. C’est ainsi que Richard Cypher devient sorcier et se voit remettre par son ami Zedd le sorcier L’ÉPÉE DE VÉRITÉ.

Pour ce livre, j’ai utilisé la version audio. J’ai bien aimé cette histoire quoique j’ai dû apprivoiser la voix du narrateur et ça n’a pas été simple au début. J’ai fini par me faire finalement à une voix parfois trop théâtrale allant jusqu’à la caricature. Un ton trop souvent déclamé et alarmiste. Heureusement, la performance pour les personnages principaux est satisfaisante.

Dans l’ensemble, j’ai trouvé le récit très immersif. On dirait bien que l’auteur a misé sur le pouvoir des mots avec un langage très descriptif, clair et bien ventilé. Comme je le disais, c’est un récit très long. Trop en fait. Ça frôle la redondance en plusieurs endroits. Je pense entre autres à cette longue série de séances de torture de Richard par une espèce de maritorne appelée Mère Dena. Préparez-vous. Vous en avez pour des heures.

Je comprends que Goodkind a voulu bien planter le décor pour sa série mais ça donne des longueurs qui donnent parfois envie de décrocher. Heureusement les tomes suivants sont un peu plus courts. L’histoire reste prévisible mais deux éléments m’ont tenu dans le coup : le caractère descriptif du récit et un certain lien qu’on peut faire avec notre propre quotidien à cause justement de cette première leçon du sorcier qui évoque la recherche de la vérité et son opposé : la désinformation.

C’est un peu classique mais aventurier, rafraîchissant voire dépaysant. Il sera intéressant d’entendre la suite, en espérant une meilleure prestation.

Suggestion de lecture : LE POISON SECRET, de Francis Leblanc

Terry Goodkind naît en 1948 à Omaha, dans le Nebraska. Malgré sa dyslexie, mais avec l’encouragement de ses professeurs, il poursuit des études d’art afin de se spécialiser dans la représentation de la faune et de la flore. Son parcours professionnel est pour le moins particulier : avant de devenir écrivain il est tour à tour charpentier, luthier et restaurateur d’antiquités. En 1983, il part s’installer avec son épouse dans le Maine C’est là que, dix ans plus tard, il rédige face à la mer son premier roman, La Première Leçon du sorcier, dont le succès lance sa carrière d’écrivain.

LA SUITE (liste partielle)

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Claude Lambert

le samedi 24 février 2024

ENFANT 44, de Tom Rob Smith

*D’après le rapport de la milice, un garçonnet âgé de quatre ans et dix mois avait été retrouvé mort sur la voie ferrée. La veille, alors qu’il jouait sur les rails à la nuit tombée, Il était passé sous un train de voyageurs ; son corps avait été déchiqueté. *
(Extrait : ENFANT 44, Tom Rob Smith, Belfond  éditeur, 2008, édition de papier, 400 pages.)

Moscou, hiver 1953. Le corps d’un petit garçon est retrouvé nu sur une voie ferrée. Leo, de la police d’État chargée du contre-espionnage, reste fidèle à la ligne du parti : le crime n’existe pas sous le parfait régime socialiste, il s’agit d’un accident. L’affaire est classée mais le doute s’installe … soupçonné de trahison, Leo est contraint à l’exil avec sa femme. Et, dans l’Oural, il va faire une troublante découverte : un autre garçonnet mort dans les mêmes conditions que celles de Moscou. Prenant tous les risques, le couple se lance dans une terrible traque, qui fera d’eux des ennemis du peuple …

La bêtise soviétique
*On ne revoyait presque jamais les femmes ou les hommes
dépourvus de carte qui passaient sous ces portes.
 Le système
les expédiait soit au goulag, soit dans un bâtiment situé juste
derrière la Loubianka […] équipé de plans inclinés, de murs
 couverts de rondins pour absorber les balles, et de tuyaux
d’arrosage pour nettoyer les rigoles de sang. *
(Extrait)

C’est un roman intrigant avec, au départ, un titre qui ne l’est pas moins. D’ailleurs, tout est dans le titre. Malheureusement je ne peux rien en dire sans vous enlever le plaisir de la découverte, car en effet, j’ai eu du plaisir à lire ce premier roman de Tom Rob Smith qui lui a valu une entrée fracassante dans la littérature internationale. Toutefois, c’est un roman assez sombre, voire noir car il a comme toile de fond l’implacable système soviétique sous Staline, esprit fêlé qui étouffait le peuple pour préserver la soi-disant perfection de sa politique.

Les innocents tombaient comme des mouches. Pourtant, les meurtres qui s’accumulent dans le récit, n’ont rien à voir avec le régime. Voyons voir. Dans la région de Moscou, on découvre le corps d’un petit garçon sur une voie ferrée. L’affaire est vite classée parce que dans un état socialiste parfait, le crime n’existe pas. Un agent de la police d’état, Léo Stepanovitch s’insurge. Pour lui c’est clair, il y a eu meurtre et il faut enquêter. Ce faisant, il tombe en disgrâce, lui et sa femme Raïssa.

Pour trouver le meurtrier, le couple sera en permanence à un fil de la mort tentant d’échapper à Vassili, un agent du MGB qui voue une haine féroce à Léo. Ce dernier ira de découverte en découverte mais la dernière sera particulièrement cruelle car elle implique les liens du sang.

Ce livre m’a surpris autant par l’intensité de l’enquête que par l’exactitude descriptive du régime soviétique qui n’accordait aucune réelle valeur à la vie humaine. La crasse stalinienne est donc omniprésente dans ce récit et j’avoue avoir parfois manqué d’air. *C’était la paranoïa ambiante entretenue par l’État qui faisait que toute allégation, même la plus farfelue pouvait coûter la vie à quelqu’un. * (Extrait)

J’ai ressenti aussi une batterie d’émotions due à la nature des meurtres au modus operandi du meurtrier et plus tard vers la fin du roman de la véritable raison de cette tuerie, ce qui m’a fait tomber de ma chaise. *La substance broyée dans la bouche des gosses…les torses mutilés…il y avait la ficelle nouée autour de la cheville, les cadavres toujours nus, les vêtements en tas un peu plus loin. Le lieu du crime se situait dans une forêt…souvent à proximité d’une gare…* (Extrait) quand je pense que ce récit est basé sur une histoire vraie, j’en ai froid dans le dos.

Le cadre politique du roman qui demeure quand même assez discret m’a tout de même poussé à la recherche, ne serait-ce que pour m’assurer de la crédibilité du récit. Il s’avère que ce régime était meurtrier et pourri. C’est cette réalité qui fait de *ENFANT 44* un roman noir mais fidèle à la triste réalité soviétique et au contexte.

La seule faiblesse que je trouve dans ce récit réside dans la finale que j’ai trouvée longue et tirée par les cheveux mais sinon l’auteur m’a gagné par un récit intense, intrigant, une plume incisive et très directe. C’est un roman qui m’a brassé et qui m’a fait admettre combien je suis chanceux de vivre en Amérique.

Non seulement l’auteur m’a gardé vigilent mais il m’a appris beaucoup de chose et m’a poussé à prendre d’autres directions pour en savoir davantage.  Pour Tom Rob Smith, c’est une mission accomplie et parfaitement réussie…remarquable, si je tiens compte qu’ ENFANT 44 est son premier roman.

Suggestion de lecture : HIVER ROUGE, de Dan Smith


Né en 1979 d’une mère suédoise et d’un père anglais, Tom Rob Smith vit à Londres. Diplômé de Cambridge, il a participé à un atelier d’écriture, avant de travailler comme scénariste. Après Enfant 44 (2009) – adapté à l’écran –, Kolyma (2010) et Agent 6 (2013), tous disponibles chez Pocket, La Ferme est son quatrième roman paru chez Belfond.

Enfant 44 (Child 44) est un thriller américano-britannico-tchèque de Daniel Espinosa, sorti en 2015.. C’est l’adaptation cinématographique du roman de Tom Rob Smith Enfant 44, publié en 2008. Un téléfilm, Citizen X, fut déjà consacré en 1995 au tueur en série Andreï Tchikatilo, surnommé l’« éventreur de Rostov » d’après le roman de Robert Cullen : L’Ogre de Rostov.

Bonne lecture
Claude Lambert
le dimanche 18 février 2024

LA POUSSIÈRE DU TEMPS, de Michel David

<À la shop, on est presque cent filles…qui veulent avoir le temps
de profiter un peu de la vie avant de se marier…tu comprends,
elles veulent pas être comme leurs mères, des femmes pognées
avec une trâlée d’enfants, obligées de servir leur mari comme des
esclaves.>
Extrait : LA POUSSIÈRE DU TEMPS, Michel David, 2015,
Hurtubise éditeur, papier, 1450 pages, format numérique pour la présente,
4600 kb, 2 900 pages, Kobo.

Voilà une grande saga historique qui décrit les hauts et les bas d’une famille montréalaise entre  1940 et 1980. Une fresque historique qui met en scène une brochette de personnages, dont un plus que tout autre a marqué l’imaginaire des Québécois: le seul et unique Maurice Dionne. Dans le Montréal de l’époque, tous les espoirs sont permis. Mariée à Maurice, Jeanne doit mener une lutte de tous les jours pour assurer la survie de ses enfants et protéger l’harmonie de sa famille. Voici le récit d’une époque où le dévouement et la générosité se dressaient devant les petits et les grands malheurs du monde.

LA QUADRALOGIE <LA POUSSIÈRE DU TEMPS>

1- Rue de la glacière
2- Rue Notre-Dame
3- Sur le boulevard
4-Au bord de la route

Un homme qu’on aime détester
<Même si le coût de la nourriture ne cessait d’augmenter, il refusait
obstinément de lui allouer un dollar de plus par semaine pour l’épicerie.
Il encaissait pourtant sans aucune gêne l’argent des allocations familiales
chaque mois. >
Extrait

Je suis tombé sous le charme d’un magnifique conteur : Michel David, parti bien vite en 2010 mais non sans nous avoir laissé un héritage littéraire extraordinaire dont plusieurs titres auront marqué l’imaginaire québécois : parmi ces titres : LA POUSSIÈRE DU TEMPS, en quatre tomes, publié par la suite en version intégrale par Hurtubise, 1450 pages brossant le portrait d’une Société par le biais d’une famille typique des décennies 1940 à1980.

Il s’agit de la famille Dionne. La mère, Jeanne Sauvé, le père : un personnage très singulier, Maurice Dionne. J’y reviendrai…et neuf enfants. LA POUSSIÈRE DU TEMPS est une chronique du quotidien de cette famille qui accueille timidement la modernité, modérée par l’église et conditionnée par une économie qui tente de se tailler une place et de se créer une identité. Toute l’histoire gravite autour de Maurice Dionne, un personnage qui a marqué les québécois, très connu des amateurs de sagas québécoises.

Tout le long de cette saga, Maurice Dionne tient les lecteurs et lectrices en haleine. C’est un personnage caractériel, sec, sans humour, pingre, avaricieux, ménager et très nombriliste. L’auteur le dépeint très bien, tôt dans le récit : <…foncièrement égoïste, autoritaire et colérique, toujours prêt à exploser à la moindre vétille. En sa présence, Jeanne devenait facilement nerveuse et tendue à force de veiller à ce que tout soit à sa convenance à lui. > Extrait.

Il traitait Jeanne de <maudite niaiseuse>, entre autres, et sacrait comme un charretier. C’est malheureusement le portrait de beaucoup d’hommes de cette époque, prétendument chefs de famille…une époque où le divorce était impensable… De nos jours, personne n’endurerait un ostrogoth pareil. J’ai pourtant compris pourquoi tant de lecteurs et de lectrices ont été marqués par Maurice Dionne. Je l’ai compris à la fin de la saga, une fin dramatique, touchante et chargée d’émotions.

Ça peut paraître incroyable, mais j’ai fini par m’attacher à Maurice Dionne, à cause, en particulier, de la bonne nature de ses enfants et de la patience d’ange de Jeanne qui, très souvent, finissait par avoir ce qu’elle voulait…patience, astuces, stratégie

J’ai eu beaucoup de plaisir à suivre cette saga. Je me suis aussi attaché aux enfants, en particulier les plus vieux, Paul qui fut sans doute le plus sensible aux pingreries de son père, Lise, et le petit rebelle de la famille, Claude…mon préféré en fait sans doute à cause de son petit caractère rebelle et de son sens de l’humour. Michel David a scrupuleusement respecté les paramètres de l’époque dont l’entraide et la solidarité sociale, l’esprit de famille et l’espoir d’un futur meilleur, prometteur.

L’écriture est sensible et authentique, l’ensemble est crédible. Évidemment, il y a de la redondance. C’est la principale faiblesse de l’œuvre mais elle est inévitable Dans le récit d’une histoire de famille. Ici, redondance ne signifie pas errance. Il y a une dynamique dans le développement du récit.

J’ai dévoré cette saga. Je résumerai en disant que j’ai eu l’impression de faire partie de la famille Dionne…Ça dit tout.

Suggestion de lecture : LA BÊTE CREUSE de Christophe Bernard

Michel David , 1944-2010,  est un linguiste québécois et professeur de français devenu auteur, surtout connu pour ses manuels scolaires et outils pédagogiques destinés à faciliter l’apprentissage du français oral et écrit,  il est aussi l’auteur de nombreuses sagas historiques évoquant l’histoire d’un Québec révolu (La Poussière du temps, Chère Laurette, Mensonges sur le Plateau Mont-Royal, À l’ombre du clocher, Un bonheur si fragile, Au bord de la rivière). Les ventes de l’ensemble de ses livres ont largement dépassé le million d’exemplaires et ses sagas ont également conquis les lecteurs de l’Europe francophone.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 17 février 2024

GAFFES À GOGO, bande dessinée

Commentaire sur la BD de
ANDRÉ FRANQUIN
avec la complicité de Jidéhem

Cette édition de la collection Gaston Lagaffe intègre toutes les planches réalisées par André Franquin, certaines inédites. Chacune d’elle a été remasterisée d’après le trait original et délicieusement recoloriée au plus près des souhaits de l’auteur. Gaston Lagaffe demeure un des plus fameux personnages de la BD,
rêveur et inventif, aux trouvailles aussi inattendues que catastrophiques. Né du journal de Spirou, un bébé d’Yvan Delporte, Gaston Lagaffe est un antihéros évoluant aux côtés de personnages connus et appréciés des amateurs de BD dont Fantasio. (publié en album à partir de l’année 1960.)

Beatnik et gauche mais tellement sympa

(Extrait GAFFES À GOGO #2 par Franquin et Jidehem, BD, Dupuis éditeur, 1962, numérique)

J’ai accueilli avec satisfaction l’initiative des éditions Dupuis qui ont mis à jour, dans l’ordre chronologique, les aventures du plus singulier et célèbre *gars de bureau* imaginé en bande dessinée : Gaston Lagaffe. C’est ainsi que j’ai renoué avec un autre de mes copains d’enfance qui s’ajoute à Tintin, Astérix, Quick et Flupke et même Bob Morane. Gravitant autour de Gaston, j’ai été aussi heureux de retrouver Spirou et Fantasio.

Évidemment le personnage central demeure Gaston, irrésistible, paresseux débordant d’imagination et affichant en permanence l’air cool et naïf qui n’est pas sans rappeler l’image typique du beatnik américain. Toute l’imagination de Gaston est investie dans toutes sortes de trucs et d’essais pour éviter de travailler et pour gaffer. J’ai toujours trouvé étrange voir inexplicable qu’il ne se fasse pas mettre à la porte. Déjà comme premier lecteur, je me posais la question. On peut considérer que le personnage est irrésistible. En tout cas, à l’époque, il m’avait conquis.

Je suis tombé sur GAFFES À GOGO tout à fait par hasard en explorant internet, plus précisément une application de lecture en ligne, ce qui m’a permis de découvrir les éditions de la deuxième génération, avec entre autres des couleurs retravaillées et quelques inédits dont une bande dessinée de Gaston destinée à la publicité d’une limonade appréciée en Belgique, de la marque PIEDBOEUF.

Je n’ai pas vraiment apprécié qu’on prête à Gaston un caractère mercantile d’autant que ça ne s’adresse qu’au lectorat belge. Pour le reste, je me suis régalé et surtout, je me suis rappelé de bons souvenirs de mon enfance alors que déjà, j’effectuais mes petites visites régulières à la bibliothèque municipale.

Qu’est-ce qui m’a attiré et qui m’attire encore chez Gaston ? Avant d’être paresseux, il est surtout gaffeur et ses gaffes créent des situations impossibles qui amène le jeune lecteur à pouffer de rire. Je ne sais pas si Franquin allait ouvrir un bal avec ce personnage extraordinaire qu’est Gaston mais pensez à toutes ces comédies que nous offrent la littérature, même classique, le cinéma, le théâtre…quelle proportion de ces comédies sont basées sur le phénomène de la gaffe, pensez à Pierre Richard, avec le DISTRAIT entre autres, Jerry Lewis, Charlie Chaplin, le grand Molière, et j’en passe.

Les gaffes pour autant qu’elles ne sont pas trop dramatiques ont toujours provoqué le rire…la bonne humeur…la détente. Franquin y a jouté sa petite touche et a fait l’effort de rendre son personnage le plus universel possible dans une série accessible à tous les âges, donc même les adultes y trouvent leur compte. Si vous ne l’avez pas déjà fait, faites connaissance avec Gaston Lagaffe et laissez-vous aller. Si cela vous intéresse, un dossier complet sur le célèbre personnage a été publié par Wikipédia. Cliquez ici.

Suggestion de lecture : YUL ET SA CLIQUE, une BD de Julien Mariole





En haut, André Franquin (1924-1997) est un auteur belge francophone de bandes dessinées, connu surtout pour les séries Spirou, Fantasio, GASTON, Modeste et Pompon. Il est aussi créateur d’un animal imaginaire mais très sympa : Le Marsupulami.

En bas à gauche, Yvan Delporte (1928-2007) scénariste belge francophone de bandes dessinées et rédacteur en chef du journal Spirou de 1956 à 1968. Yvan Delporte fut le premier scénariste de Gaston Lagaffe.

En bas à droite, Jidéhem de son vrai nom Jean De Mesmaeker (1935-2017) bruxellois, scénariste, dessinateur et décoriste de bandes dessinées. Il assistera pendant un bon moment André Franquin pour les séries SPIROU ET FANTASIO et GASTON LAGAFFE.

BONNE LECTURE
Claude Lambert

le dimanche 11 février 2024

 

LE LIVRE SANS NOM, anonyme

<Une trentaine de cadavres gisaient, affalés, sur les bancs.
une autre trentaine se trouvait hors de vue sous les bancs
ou entre les rangées. Seul un homme avait survécu au
massacre. >
Extrait : LE LIVRE SANS NOM, anonyme, Sonatine
éditeur, Reprise d’un texte diffusé anonymement sur internet en
2007. Édition de papier, 510 pages.

À Santa Mondega, une ville d’Amérique du Sud oubliée du reste du monde, où sommeillent de terribles secrets… Un mystérieux tueur en série assassine ceux qui ont eu la malchance de lire un énigmatique «livre sans nom»… La seule victime encore vivante du tueur, après cinq ans de coma, se réveille, amnésique… Deux flics très spéciaux, un tueur à gages sosie d’Elvis Presley, des barons du crime, des moines férus d’arts martiaux, une pierre précieuse à la valeur inestimable, un massacre dans un monastère isolé, quelques clins d’œil à Seven et à The Ring…le tout constitue un thriller très singulier…

Une lecture assassine
< Nous avons un cadavre, lieutenant, répondit-il. Une femme d’une
 soixantaine d’années. Sa tête est plantée à une patère derrière
la porte, et le reste du corps est assis sur une chaise, face à une
 table. On a toujours pas retrouvé les yeux et la langue…>
Extrait

Ce récit est d’une effrayante opacité. Le théâtre des évènements, Santa Mondega, la ville la plus dangereuse et la plus oubliée du monde, me rappelle un peu l’univers de Dick Tracy : fermé, tordu, sans âme, avec quelque chose de laid et de pas humain. Pour mieux comprendre, voyons le topo :

Tout se déroule à Santa Mondega, que je qualifierais de poubelles de l’enfer et c’est un euphémisme. On y retrouve le Bourbon Kid, homme cruel et sans pitié qui tue tout ce qui bouge après avoir bu du bourbon. Jessica, la seule survivante des tueries du Bourbon kid. Miles Jensen, détective du paranormal, envoyé à Santa Mondega pour enquêter.

Il y a quantité de personnages que je vous laisse découvrir mais je citerai pour terminer, deux personnages-clés : Kyle et Peto, des moines d’Hubal, chargés de récupérer L’ŒIL DE LA LUNE, une pierre bleue réputée magique et qui est le principal enjeu de l’histoire. Pour rendre le tout plus suffocant, un livre circule. Un livre sans nom, sans auteur et celui qui a la malchance de le lire est assassiné.

Cette histoire est une succession de massacre teintée d’humour noir. Violent, gore, cradingue…mais tellement bien écrit…la plume est ultra-imagée, tellement qu’il y a comme un film des évènements qui se crée dans l’esprit du lecteur et de la lectrice. Cette lecture est d’ailleurs devenue vite addictive, et ce, malgré des passages à soulever le cœur ou à faire frissonner qui m’ont rappelé plusieurs productions cinématographiques trash aussi dégoûtantes qu’impressionnantes sur le plan des effets visuels comme la série gore DÉCADENCE produite par Lions Gate, SIN CITY, ville atypique étouffée par le crime et pour lequel Quentin Tarentino aurait participé à la réalisation.

Je pense aussi au film LE CERCLE, adaptation du livre de Kuji Suzuki. Rappelons-nous ces ados qui meurent après avoir vu une mystérieux cassette vidéo. C’est comme si le livre parlait. Il vous propulse dans des univers connus par le billet d’une histoire aussi singulière que glauque. La plume est puissante. L’immersion est totale. Les enchaînements sont rapides, jusqu’à la finale que je n’avais définitivement pas prévue et qui m’a ébranlé.

Je note deux faiblesses au passage. Il est vrai que l’écriture est hautement visuelle mais on dirait que le scénario a été puisé dans les films. J’en ai déjà nommé quelques-uns, je pourrais rajouter PULP FICTION et même IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST ou VAMPIRE VOUS AVEZ DIT VAMPIRE, car il y a des vampires dans l’histoire. J’aurais souhaité une histoire moins inspirée et plus exclusive sur le plan littéraire.

Aussi, le lien entre le livre qui tue et le récit n’est pas clairement défini. L’ensemble est un mélange de polar, de fantastique, de policier et de western et fait à mon avis très caricatural. C’est le caractère attractif de l’écriture qui fait je crois, toute la différence.

Je ne comprends pas vraiment pourquoi l’auteur de ce livre est resté dans l’ombre malgré sa page Facebook au nom du Bourbon Kid, mais ce faisant, il a consacré l’originalité du livre. Ce livre me renvoie très loin de ma meilleure lecture à vie mais c’est bien écrit, très rythmé avec une forte atmosphère de tension.

Malgré son développement extrêmement violent, ce livre m’a procuré un divertissement satisfaisant. Il s’agit du premier volet de la série du Bourbon Kid. Huit autres volumes vous attendent.

Suggestion de livre : GORE STORY, de Gilles Bergal

L’originalité du livre tient au caractère anonyme de l’auteur. « Nous ne savons réellement pas qui il est », explique Marie Misandeau, éditrice chez Sonatine. Ce qui n’empêche pas les internautes d’émettre des hypothèses sur l’écrivain. Certains, par exemple, penseraient à Quentin Tarantino du fait du caractère « badass » du livre.

L’auteur tient à rester dans l’ombre, même s’il dispose d’une page Facebook au nom de Bourbon Kid. Pour son éditrice française : « a priori, c’est plutôt un inconnu, mais le fait qu’il tienne absolument à rester anonyme sème le doute ». Extrait d’un dossier monté par Wikipédia.

LE LIVRE SANS NOM est aussi un clin d’œil au livre célèbre de Koji Suzuki RING, adapté au cinéma sus le titre français LE CERCLE. On sait que dans cette histoire, des ados meurent après avoir regardé une certaine cassette vidéo. Dans UN LIVRE SANS NOM, anonyme comme la cassette de Suzuki, c’est un livre qui tue. Si vous voulez préciser davantage les liens qui unissent les deux œuvres, consultez mon article sur le livre de Suzuki publié sur ce site le 6 août 2017. Cliquez ici. Pour en savoir plus sur l’auteur anonyme, visitez le site officiel de Bourbon kid. Cliquez ici.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 10 février 2024

ENFANCES DE POUSSIÈRE, de Karim Berrouka

<Elle hurle, appelant Siegmund à l’aide et ceignant son ventre
rond de ses deux bras. Dehors, le visage de la fillette s’est
métamorphosé en une gueule effroyable, bavant une mousse
carminée qui gicle et dégouline en longs filets pâteux sur ses
longs crocs gâtés.>
Extrait de la nouvelle COMME UN ANGE
GARDIEN, du recueil ENFANCES DE POUSSIÈRE de Karim
Berrouka, ActuSF éditeur, 2013, pages en imprimé. Format
numérique pour la présente. 1279 kb, Contient six nouvelles…

LES TITRES

-L’enfant rouge

-…comme un ange gardien

-Le piano

-Conjonction

-Clothilde court dans la forêt

-Ils sont cinq

Lorsque Marine met au monde son petit garçon, celui-ci est rouge. Mais vraiment rouge ! Et cette particularité va faire son cauchemar. Nombreux sont ceux qui voudront le disséquer, en faire un messie, un produit marketing ou un antéchrist à détruire… «L’Enfant rouge» est la première nouvelle d’un recueil qui déborde d’idées toutes plus farfelues les unes que les autres. Karim Berrouka convoque des cauchemars, des fantômes, des monstres et pire que tout, des hommes, pour nous faire rire, parfois jaune.

 

Un recueil d’idées folles
<Vénus se lève aussi et, d’un ton sec, pointe un doigt
péremptoire dans sa direction…Père Soleil intervient
une nouvelle fois. -Asseyez-vous tous les deux. Ça
suffit. Pluton, écoute un peu ta sœur ! -J’en ai marre
d’écouter cette vieille peau. C’est toujours moi qui
prends. Je sais bien que c’est la préférée.>
Extrait

Il suffit parfois d’une idée folle ou excentrique pour provoquer un sérieux questionnement. C’est comme ça que j’interprète ce recueil de nouvelles, sachant que je suis un peu à contre-courant. Ces nouvelles évoquent en surface des cauchemars, des fantômes, des êtres difformes mais l’ensemble fait très philo. Le schéma de pensée de l’auteur est complexe et ça transpire dans l’écriture qui porte, par conséquent, à de multiples interprétations.

Ces nouvelles sont porteuses de messages, de réflexion. Par exemple, la première nouvelle donne le ton : L’ENFANT ROUGE. L’histoire touchante de Marine qui met au monde un enfant ayant un signe distinctif très singulier. Il vient au monde…rouge…complètement rouge. C’est un cauchemar pour Marine qui voit toutes sortes de profiteurs se pointer pour des raisons mercantiles ou religieuses, ou pire encore, prophètes et gourous convaincus du caractère satanique de l’enfant qu’il faut donc tuer pour conjurer la malédiction.

Bien que dramatique avec une finale penchant légèrement vers le surnaturel, cette nouvelle porte à réfléchir sur le respect des différences et une vertu dont la Société a toujours été en carence : la tolérance.

Ma nouvelle préférée, celle qui m’a gratifié d’un frisson bienveillant s’intitule CONJONCTION. C’est une conférence entre les planètes. Je parle des astres et non d’ambassadeurs. Cette conférence se tient un peu à la manière d’une réunion de famille présidée par Père Soleil et réunissant des frères et des sœurs qui palabrent, se chicanent, mais s’aiment bien.

*-Problèmes, répond sèchement Vénus. On sait. Tu as toujours des problèmes. -Et qu’est-ce que tu faisais ? L’interroge Mercure, d’un ton glacial. Ton excuse cette fois-ci ? -Je… Je… – Tu quoi ? Lance Vénus avec mépris. Laisse-moi deviner… Je… Je… -Vas-y, dis-lui, ça lui fera plaisir, l’interrompt Neptune. T’as pas de honte à avoir. * (Extrait)

Mais quelle est donc cette planète si hésitante et en apparence timorée ? C’est la Terre, le seul membre de la famille à porter le poids de la vie sur ses épaules. J’ai trouvé remarquable cette espèce de débat imaginé par l’auteur sur le destin de la terre…la Terre qui pleure. Est-ce vrai que, quand on perd un frère ou une sœur, c’est comme si on perdait une partie de nous-mêmes.

Les récits, dans l’ensemble, me portent à croire que le pire ennemi de l’homme est encore l’homme. C’est bien écrit mais comment décrire un univers délirant. Certains textes sont un peu difficiles à suivre tant leur structure est complexe. C’est le cas par exemple d’ILS SONT CINQ : Cinq prisonniers enfermés dans le néant…c’est le nom qu’on donne au pénitencier… la planète néant perdue au milieu de nulle part…ça vous dit quelque chose ?

Les textes de Berrouka parlent fort, ne craignent pas les idées tordues ou l’absurde. Mais ils exigent des lecteurs et lectrices de la concentration et une certaine ouverture d’esprit. La première nouvelle est d’un intérêt tel qu’il porte à continuer. Mais je dois le dire, j’ai eu par moment, du mal à m’accrocher. Il m’a fallu du temps pour me faire aux tournures de phrases. J’ai finalement convenu que l’ensemble était un assemblage d’éléments de réflexion. Ça m’a permis de passer à travers l’ouvrage, de l’apprécier et même de l’aimer.

Suggestion de lecture : NOUVELLES NOIRES, recueil de Renaud Benoit

Karim Berrouka, né le 26 mai 1964, a été chanteur et parolier du groupe punk Ludwig von 88 avant de se lancer dans l’aventure de l’écriture de science-fiction et de fantasy. Il a publié deux romans chez Organic et Griffes d’Encre, respectivement Cyclones et La Porte, avant de se résoudre à publier aux éditions ActuSF un recueil de nouvelles dont le titre fait un clin d’œil à Philip K. Dick : Les Ballons dirigeables rêvent-ils de poupées gonflables ? Avec son style délirant, Berrouka entraine son lecteur dans des atmosphères folles aussi bien que sombres, empruntant au passage à la fois à l’Oulipo et au surréalisme.

Bonne lecture

Claude Lambert

le dimanche 4 février 2024

LES RÉSIDENTS, de Johann Etienne

*L’étrange expérience que je viens de vivre me poursuit et grandit en moi sous une forme inattendue. Et si je tenais là le sujet de mon prochain roman ? *
(Extrait : LESRÉSIDENTS, Johann Etienne, Éditions Exaequo, 2018, format numérique, 2871 kb, 100 pages au format papier grand format)


Dans une maison isolée, une femme vit seule.
Du moins, le croit-elle…
Une maison isolée,
Une femme seule,
La forêt pour seule témoin…
Après une longue absence, une femme rentre chez elle. Elle vit seule, à l’écart du monde et des hommes. Entre ces quatre murs, elle n’ambitionne qu’une chose : que le quotidien reprenne son cours. Mais d’étranges évènements ne tardent pas à ébranler ses aspirations…

 

Il y a quelqu’un dans la maison
*J’avance et avance encore…Rendue muette par ma propre terreur,
je n’ai plus d’autre choix que d’aller à leur contact. Il faut que je sache
ce qu’ils me veulent et ce que signifient leurs intrusions répétées. *
(Extrait)

C’est un roman intéressant quoiqu’un peu prévisible. C’est son atmosphère qui prend le pas sur le récit. Voyons un peu le tableau : après une longue absence …disons forcée… une femme rentre chez elle, dans une maison isolée entourée d’une forêt dense. Heureuse de retrouver sa tranquillité loin du monde, la femme s’aperçoit rapidement que quelque chose ne va pas.

Et ça empire de jour en jour : des objets déplacés, un frigo qui se remplit comme par enchantement, une mystérieuse valise qui fait son apparition dans sa chambre, emplie de vêtements qui ne lui appartiennent pas. Devient-elle folle ? Que faire ? Enquêter, chercher ? Faire preuve de résilience ?  *Qu’ai-je donc à redouter d’une valise enfermée dans un placard ? Qu’elle me saute à la gorge au milieu de la nuit ? Convaincue par ma propre bêtise, je décide de réintégrer mon espace et de faire fi de mes angoisses d’hier. *

Quant à savoir ce qui arrive réellement à cette femme, le lecteur/lectrice en développera une idée rapidement. Mais l’atmosphère du roman et l’occupation de la femme m’ont entraîné sur une fausse piste et ce qui me restait pour comprendre relevait d’une vague intuition. En fait j’ai jonglé entre le thème classique de l’auteure qui confond la réalité avec la trame de son roman et le thème de la maladie mentale ou quelque amalgame d’autres possibilités. Ce sera au lecteur et à la lectrice de le découvrir mais il devrait y arriver avant la conclusion.

Ce n’est pas vraiment un roman qui tranche par son originalité. Je crois toutefois qu’au-delà de l’intrigue, l’auteur a su imprégner à son roman une ambiance qui prend un peu à la gorge. : *J’avance dans la maison comme en terre inconnue, craignant la rencontre, redoutant le changement…Au comble de l’angoisse, je n’ose approcher de la porte de mon bureau que je trouve entr’ouverte. À l’intérieur, le désordre absolu…seule ma précieuse machine à écrire semble avoir échappé au chaos. * (Extrait)

Je n’ai pas vraiment été impressionné par la finale que j’ai trouvé abrupte et pas très détaillée, et qui s’est déroulée à peu près comme je me l’étais imaginé en cours de récit. Beaucoup de lecteurs et de lectrices sont sensibles à l’atmosphère qui se dégage d’une histoire. Il faut prendre ce livre pour ce qu’il est : un roman d’atmosphère, un huis-clos comportant beaucoup d’éléments classiques dont beaucoup font encore leur petit effet : maison isolée, peu ou pas de figurants et une impression qu’il y a dans la trame un petit quelque chose de surnaturel.

Ce dernier élément ne s’applique pas au roman mais je l’ai quand même considéré, le temps de quelque page. Pour le reste, je dirai que le livre se lit vite et bien, la plume est claire et fluide. C’est bien écrit. J’aurais aimé que l’impression de *déjà vu* s’estompe en cours de lecture, mais ce ne fut pas le cas. À lire tout de même, surtout si vous aimez plonger dans les méandres d’un esprit perturbé…

Suggestion de lecture : CYANURE, de Camilla Läckberg

Né en 1975 à Troyes, dans l’Aube, Johann Étienne écrit depuis l’âge de seize ans. Passionné d’Histoire et d’actualité, il se sert des réalités qui nous entourent pour élaborer intrigues et personnages au profit de romans de fiction policière. Il est l’auteur de trois précédents thrillers, Le Théorème de Roar-chack, Prophétie et La Colonie; puis d’un roman court intitulé Le Plan, tous parus chez Ex æquo.
Les résidents est son cinquième roman.

Bonne lecture
Claude Lambert
Le samedi 3 février 2024