DISTORSION, d’ÉMILE GAUTHIER et SÉBASTIEN LÉVESQUE

*Les affaires roulent à l’abri des regards de la police. Quel élément a donc pu mener les autorités à découvrir AlphaBay et à enquêter sur elle ? Une mort par overdose.

(Extrait : DISTORSION, Émile Gauthier, Sébastien Lévesque, ALEXANDRE CAZES_ L’ascension et la chute d’un québécois au cœur du dark web, 13 histoires étrangers de l’ère numérique Les Éditions de l’homme, 2019, édition de papier, 225 pages)

13 histoires étranges de l’ère numérique True crime, dark Web, conspiration, disparition, creepypasta, cyberintimidation et légendes urbaines à donner froid dans le dos… Distorsion est une baladodiffusion québécoise pour les amateurs d’histoires étranges. C’est maintenant aussi un livre fascinant qui réunit 13 récits ayant enflammé l’imagination des internautes. Les analystes ont extrait des arcanes de la Toile cinq histoires glauques, jamais diffusées sur les ondes, en plus de fournir huit compléments d’enquêtes inédits. Les lecteurs peuvent s’attendre à des frissons et quelques surprises.

LES TITRES :

  • Elisa Lam-La mort mystérieuse d’une canadienne à Los Angeles
  • Alexandre Cazes-L’ascension et la chute d’un québécois au cœur du dark web
  • La disparition de Maura Murray
  • John Lang-L’homme qui a prédit sa propre mort
  • La légende de Polybius
  • Jenelle Potter-Rechercher l’amitié à tout prix
  • Le Slender Man-Une distorsion de la réalité
  • Où se cache Xavier Dupont de Ligonnès ?
  • L’étrange voyage de Lars Mittank
  • Amanda Todd-Une erreur de jeunesse qui ne pardonne pas
  • *_9MOTHER9HORSE9EYES9*-Un récit terrifiant sur des expérimentations secrètes
  • Un téléphone intelligent témoin de meurtres en haute mer
  • Des post-it dans mon appartement

 

Les abysses du web
*Dans notre monde ultra-connecté, qui carbure
aux fausses nouvelles, il arrive souvent qu’un
drame magnifie une légende. *
(Extrait : LE SLEBDER MAN_UNE DISTORSION DE LA
RÉALITÉ du recueil DISTORSION)

Au départ, DISTORSION est un podcast adulé par des dizaines de milliers d’internautes. Le terme *podcast* est un anglicisme informatique qui est en fait un moyen de diffuser des fichiers audios et vidéos par internet. En français, on appelle ça la baladodiffusion. Au moyen d’un abonnement, la baladodiffusion permet aux utilisateurs, soit l’écoute immédiate ou encore le téléchargement de fichiers audios et vidéos à destination de baladeurs numériques.

DISTORSION a gagné rapidement en popularité parce qu’elle alimente en frissons les explorateurs du côté sombre de l’univers virtuel. Les analystes Émile Gauthier et Sébastien Lévesque ont recueilli une grande quantité de ces histoires et en ont sélectionné treize pour en faire un livre avec un titre qui lui va à ravir : DISTORSION, un titre qui laisse aussi à penser, avec raison que son contenu n’est pas recommandé aux âmes sensibles :

*L’internet regorge de légendes urbaines. Depuis la naissance des forums en ligne et des réseaux sociaux, les rumeurs se répandent comme des traînées de poudre, alimentées et amplifiées par les sites de fausses nouvelles à la recherche de clics* (Extrait) Malheureusement beaucoup des évènements rapportés sont vrais et il n’est pas toujours facile de séparer la fiction de la réalité.

DISTORSION regroupe 13 histoires étranges qui sont autant d’évènements propagés entre autres par YouTube : une mort mystérieuse, un québécois en perdition dans le dark web, incompréhensible disparition, un homme qui avait prédit sa propre mort sur sa page Facebook, un jeu vidéo mortellement addictif, une accro piégée dans Facebook, les creepypastas avec la genèse du terme *légende urbaine*, une histoire d’horreur,  un étrange voyage, une histoire de meurtre et d’anonymat, le piège immonde de la sextorsion, les expérimentations du LSD par la CIA sur des non-volontaires, une histoire de perte de mémoire et l’histoire la plus suffocante du recueil : une exécution live.

Deux de ces histoires m’ont touché plus que les autres, le genre d’histoire qui nous fait demander comment peut-on aller aussi bas. Dans la première qui concerne Amanda Todd. La jeune fille fait une grosse erreur en dévoilant sa poitrine sur Internet. Elle devient rapidement victime de sextorsion, une forme de chantage où l’abuseur menace de viraliser le contenu intime si elle ne luit fait pas un show complet. Une vilaine histoire, prenante qui conduit à un suicide.

Dans l’autre texte qui dévoile la genèse de Youtube, un vidéo fait le tour de la planète montrant des êtres humains en pleine mer se faire exécuter à la mitraillette par des assassins qui terminent leur horrible film par un joyeux selfie. C’est le genre d’histoire qui peut vous empêcher de dormir. Je vous en averti.

Les auteurs-analystes Émile Gauthier et Sébastien Lévesque ont colligé les textes et notes pour créer ce recueil et ils ont parsemé ce dernier de commentaires et d’annotations, certains individuels, d’autres co-écrits. C’est une incursion directe et froide dans les bas-fonds d’internet.

Il découle de l’ouvrage une certaine morbidité, une atmosphère malsaine. Il y a des moments où j’étais mal à l’aise et c’est sans doute normal car évoquer le dark web c’est mettre en perspective la noirceur de l’âme. Les auteurs frappent fort et juste, appuyés par les illustrations de Run qui sont également très froides mais qui contribuent à rendre attrayante la présentation globale de l’ouvrage.

Le livre n’est pas sans nous faire réfléchir sur l’utilisation inappropriée ou frauduleuse, extrêmement répandue d’internet, la cyberdépendance ou dépendance numérique ainsi que sur les natures parallèles des réseaux sociaux, créés d’abord pour nous rapprocher mais qui poussent finalement à l’individualisme et dans plusieurs cas à l’aliénation de la vie privée.

Je suis sorti de cette lecture un peu amer. Les auteurs n’y sont pour rien. Ils ont fait leur travail et je dois dire que c’est du bon boulot. Ils ont trouvé le ton juste c’est tout. J’ajoute à cela une belle ventilation des textes, une présentation aussi attrayante qu’intelligente. Malgré tout, je considère ce livre comme s’adressant à des lecteurs avertis.

Suggestion de lecture L RUMEURS ET LÉGENDES URBAINES, d’Albert Jack

Passionnés de technologies, Émile (à gauche) et Sébastien sont deux professionnels en communication et marketing numérique. Dans une autre vie, ils ont coanimé le podcast Haute-Résolution, diffusé pendant plusieurs années sur les ondes de XMSirius.  Émile a aussi été correspondant sur les ondes de Radio-Canada, alors que Sébastien est chroniqueur sur les ondes d’Énergie. Le soir venu, ils scrutent les bas-fonds d’Internet afin de dénicher des histoires obscures qui remettent en question notre rapport avec les technologies de l’information. Les deux animateurs ont visionné des heures de contenu étrange afin de vous présenter les histoires les plus glauques du web.

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 11 février 2023

LA FIN DU MONDE A DU RETARD, de J.M. Erre

*Julius…regarda par l’œilleton, et ne vit personne. Il plaqua
son oreille sur la serrure, mais n’entendit rien. Dans l’état
présent de ses possibilités techniques, il enrageait de ne
pouvoir faire plus. Mais au fond, tout cela n’avait pas
d’importance, car dans quelques heures, Julius serait loin.
Tout était prêt pour le début de l’aventure. À commencer
par son évasion de la clinique Saint-Charles.*
(Extrait : LA FIN DU MONDE A DU RETARD. J.M. Erre, éditeur :
Buchet-Chastel, 2015, édition numérique, 330 pages)

Julius est interné dans un hôpital psychiatrique. Son amnésie partielle ne lui a laissé que peu de souvenirs, mais l’un d’eux est plus vif que les autres : l’organisation Tirésias a planifié la fin du monde pour dans quatre jours ! Mais Julius compte bien révéler leurs manigances au vu et au su de tous. Et pour cela il aura besoin d’alliés. Tout d’abord Alice, qui vit dans la chambre d’en face, amnésique (comme lui) après l’incident qui a interrompu son mariage… en tuant tous les autres convives ! Ensuite Ours, symbole du geek. Le trio va devoir se défaire des policiers qui tenteront de se mettre sur leur route.

*DÉCRET DE CHARLES : *
<Plus on est de fous, moins on rit>
*C’est quoi le plan ? Demanda Alice. -Je vais me fier à mon
instinct. L’instinct ne trompe pas les cœurs purs.
-C’est tiré du Seigneur des Anneaux ? Non, du Club des
Cinq aux sports d’hiver. Un petit blanc dans le dialogue
suivit cette référence culturelle ultrapointue*
(Extrait)

LA FIN DU MONDE A DU RETARD est un petit livre qui ne se prend pas au sérieux. Il suit la cavale de deux personnages très singuliers : Alice, jeune femme seule et malchanceuse dont la vie à basculé le jour de son mariage. *L’heureux* évènement a fait 262 morts, une seule survivante, Alice. Et Julius, un écrivain, doux paranoïaque convaincu de l’imminence de la fin du monde et décidé à prévenir et protéger l’humanité d’un sombre complot :

*Nous serons de la fête chère Alice et nous frapperons un grand coup. Dans cinq jours, le monde tel que vous le connaissez prendra fin. Et un monde nouveau naîtra ! * (Extrait) Ce complot international serait ourdi par une organisation appelée Tirésias qui non seulement mentirait sur la véritable nature de l’humanité mais traquerait certaines personnes pour les faire disparaître.

Étrangement, Tirésias est aussi le nom de l’éditeur de Julius. L’histoire raconte la quête de ce couple très spécial, une contre poursuite qui ira de rebondissements en revirements jusqu’à une surprenante conclusion qui *rappelle une certaine introduction*.

Imaginez maintenant que Julius est un écrivain qui n’a fait que mélanger la fiction et la réalité, que dans cette histoire, Julius joue son propre personnage, son histoire dans son histoire, le tout sur fond de complot international. C’est ce qu’on appelle en littérature une mise en abyme, généralement considérée comme un défi de taille car elle se prête à l’errance et au cafouillage.

Le commissaire Gaboriau, doit enquêter sur la disparition de deux patients qui s’évadent de l’institut psychiatrique et des évènements entourant l’Évènement. LA FIN DU MONDE A DU RETARD, c’est de l’humour en continu. Le burlesque s’échappe des personnages principaux eux-mêmes : Julius, éternel sniffeur de dosettes Nespresso et Alice la dulciné aimante privée d’émotions mais débordante de vitalité. Des personnages loufoques viendront s’ajouter dans la cavale nourrissant d’emblée le caractère burlesque du récit.

Il y a des formes d’humour qui viennent me chercher très rapidement. C’est le cas de l’humour spontané, généralement dépourvu de subtilité et qui me fait réagir au-delà du sourire : *Qu’est-ce que tu attends de moi ? Demanda le maître, agacé. -Je suis en lutte contre le mal ! Sur quelle console ? Playstation ou Xbox ? * (Extrait) C’est drôle, on rit. C’est aussi simple : *Comment on efface une mémoire ? Je vous le dis dès que je la retrouve. * (Extrait)

Jeux de mots, humour déjanté, des gags dignes du stand-up comique, l’auteur ne s’encombre pas de détours contraignants, créant de vigoureuses répliques à ses belligérants mais y va de ses petits clins d’œil personnels d’auteur : *La route était déserte, la forêt impénétrable. On ne voyait rien d’anormal puisqu’on ne voyait rien du tout : il faisait nuit noire. * (Extrait)

Est-ce que ce livre n’est QUE drôle ? Non je ne crois pas. L’humour est une excellente filière pour pousser à la réflexion et ce petit opus de J.M. Erre a quelque chose de philosophique. *À nous trois…nous allons détrôner nos oppresseurs, et surtout, nous allons réenchanter le monde…* (Extrait)

En fait LA FIN DU MONDE A DU RETARD évoque à la fois ce qui fait le malheur et la grandeur de l’être humain : sa capacité de se raconter des histoires, avec comme toile de fond la crainte la plus ancienne de l’histoire du monde : la fin du monde. J.M. Erre en a profité pour faire une petite exploration de l’esprit humain…il est tordu…parfois   dangereusement, souvent gentiment. C’est un livre loufoque qui ne peut que faire du bien.

Je ne le qualifierai pas de sérieux mais je dirai qu’il ne manque pas de profondeur car dès qu’il est question de l’être humain, la comédie fait souvent jonction avec la tragédie. Comme dirait un certain Obélix, ils sont fous ces humains.

Suggestion de lecture : LE DERNIER RESTAURANT AVANT LA FIN DU MONDE, de Douglas Adams

J.M. Erre est né en 1971 à Perpignan. Il a publié quatre romans aux éditions Buchet-Chastel : Prenez soin du chien (2006), Made in China (2008) Série Z (2010) et Le Mystère Sherlock (2012). Ses ouvrages sont une curiosité dans le paysage littéraire français : une narration au rythme soutenu et l’usage d’un humour frisant l’absurde en font toute la saveur. Le comique de langage y côtoie le comique de situation et provoque une avalanche de surprises et de rebondissements. 

BONNE LECTURE
Claude Lambert
Le dimanche 5 février 2023

LE RESSAC DE L’ESPACE, de Philippe Curval

*Quel prix l’homme doit-il payer pour garder sa liberté?
Un monde de plénitude vaut-il la peine d’être vécu si on
ne peut y exercer son libre arbitre et son esprit critique?
Une apparence de bonheur et une vie de plaisir valent-
elles la peine de renoncer à son individualité ? Jusqu’à
collaborer avec l’envahisseur ? *
(Extrait : LE RESSAC DE L’ESPACE, Philippe Curval, à
l’origine, Hachette éditeur 1962, 244 pages. Pour la présente,
P. Curval, format numérique, 235 pages

Après une longue errance, le Txalq arrive finalement sur Terre. Sa quête est terminée ; il va pouvoir à nouveau se diviser par scissiparité et se multiplier. Les Txalqs sont un peuple parasite pour qui l’homme est un hôte parfait car ils peuvent les dominer sans peine. Naturellement les humains vont organiser la résistance, mais quelques hommes libérés de l’emprise mentale des extra-terrestres révèlent bientôt que la symbiose avec un Txalq apporte paix, harmonie et bonheur. C’est par milliers désormais qu’hommes et femmes se livrent joyeusement à la domination des parasites. Seule une poignée d’irréductibles tentent de préserver leur condition humaine. Une poignée contre toute une planète…

Les accords du cauchemar
(titre d’un chapitre de la troisième partie)
*Nous n’échangeâmes aucune parole, traumatisés que nous étions
par cette invraisemblable vision d’un monde nouveau auquel nous
voulions échapper de toutes nos forces. Aucun d’entre nous n’aurait
pu désavouer la pensée que je formulai à cette minute : nous devons
analyser ce qui nous incite à ne pas abdiquer notre dignité d’humain
pour nous intégrer à la civilisation harmonieuse que les Txalqs
établissent sur terre. C’est en en découvrant les raisons que nous
pourrons envisager la reconquête. *
(Extrait)

Forcés de quitter leur planète, des Txalqs errent dans l’espace jusqu’à ce qu’ils soient interceptés par des humains en mission spatiale. Les humains décident de ramener ces créatures sur la terre sans savoir que les Txalqs sont des parasites. Pour survivre, ils doivent s’emparer d’une race inférieure pour des raisons accessoires d’une part, car les Txalqs sont des êtres à peu près incapables sur le plan physique et d’autre part et surtout, pour atteindre un mode de vie idéal fait de beauté et d’harmonie.

C’est le genre de paradis artificiel que procurent aux humains certaines drogues sauf qu’ici, les Txalqs tendent à créer ce monde paradisiaque par l’hypno-contrôle. Les Txalqs, qui se reproduisent par scissiparité ne tardent pas à prendre le contrôle de la terre et étrangement, la plupart des humains sont trop heureux de vivre dans cette espèce de paradis artificiel, acceptant ainsi une symbiose qui leur est imposée…*S’il établissait sa domination sur ces êtres, c’était dans l’unique dessein de créer avec eux un monde harmonieux. En échanges de membres pour agir, il leur offrirait une sorte de renaissance, il deviendrait le corps pensant de leur espèce. * (Extrait) .

Refusant ce bonheur plastique qui n’est rien d’autre qu’une forme d’esclavage, une poignée d’humains décident de résister, fuient sur la planète Vénus afin d’organiser la libération de la terre.

C’est un des très bons romans d’anticipation que j’ai eu le plaisir de lire. Il développe en profondeur la philosophie TXALQ et amène le lecteur et la lectrice à des questionnements très intéressants : entre autres : qu’est-ce que l’homme est prêt à faire ou à donner pour être libre et LA question sur laquelle on pourrait s’étendre longtemps : Est-ce qu’une vie complètement dépourvue de libre arbitre et de sens critique vaut la peine d’être vécue.

Le livre de Curval alimente aussi un intéressant débat sur l’addiction. Si vous croyez que les Txalqs font ce qu’ils veulent avec facilité, détrompez-vous et c’est là que l’auteur nous amène à réfléchir sur la nature humaine. Les hommes sont rebelles, ataviquement violents et addicts. Ils aiment le sexe, ils aiment le jeu, le risque et ils sont épris de liberté. Ils sont humains quoi et de cette humanité, les Txalqs devront en payer le prix.

Est-ce que les hommes pourraient *déteindre* sur les Txalqs ?

Pas étonnant que ce livre soit devenu un classique de la science-fiction francophone. C’est un hymne à la liberté…cette précieuse liberté dont les hommes se privent entre eux depuis la nuit des temps. J’ai trouvé la plume de Curval envoûtante, un peu à l’image de cette créature qu’il a créée. Elle est dosée pour offrir tout ce que souhaitent les amateurs d’anticipation : des revirements, de la technologie, de la confrontation, le choc des idées et le fameux retour introspectif sur soi-même qui se traduit par une question bien simple : Qu’est-ce que je ferais à la place des humains dans cette histoire ? Je mets ma lucidité et mon libre arbitre au placard ou je me bats ?

Par les questions qu’il pose, par l’équilibre dont il a toujours gardé le souci et par sa profonde connaissance de la nature humaine, Philippe Curval a doté son récit d’une belle crédibilité.

Je sais que l’idée de l’atteinte du Nirvana ou la vie dans un monde ou guerre, haine et violence n’ont pas de sens sont des thèmes récurrents en littérature (par exemple, les inconditionnels de Star Trek se rappelleront sûrement du monde de Landru) mais peu de romans ont atteint la profondeur et l’intensité que Curval a insufflé dans son récit.

Une très belle pièce littéraire… à lire absolument.

Suggestion de lecture : LES PROTECTEURS, de Mario Fecteau

Écrivain, journaliste, photographe, Philippe Curval est l’un des principaux fondateurs de la science-fiction française, au milieu du siècle précédent. Il obtient le prix Jules Verne pour Le Ressac de l’espace (Hachette/Gallimard, « Le Rayon Fantastique », 1962), le Grand Prix de la science-fiction française pour l’Homme à rebours (R. Laffont « Ailleurs & Demain », 1974) et de nombreux autres prix et distinctions.

Son amour pour la nouvelle l’a conduit à en écrire plus de cent. Ses derniers recueils, Rasta Solitude (Flammarion « Imagine ») en 2003, et L’homme qui s’arrêta (La Volte) en 2009. Son travail critique sur la SF, commencé dans Galaxie, se poursuivra au Monde, et au Magazine littéraire. Traduit dans quatorze pays, à cette date, il a publié plus de quarante volumes. (La Volte éditeur)

Bonne lecture
Claude Lambert/ biblioclo.com
Le samedi 4 février 2023

LA VIE QUAND-MÊME UN PEU COMPLIQUÉE…

…D’ALEX GRAVEL-CÔTÉ

Commentaire sur le livre de
CATHERINE GIRARD-AUDET

*Cher journal, sache tout d’abord que je trouve ça complètement
débile de t’écrire mais comme ma sœur est plantée à trois
centimètres de moi, je n’ai pas le choix de le faire. Madame s’est
en effet mis dans la tête de m’utiliser comme cobaye dans son
cours de psychologie au CEGEP. *
(Extrait : LA VIE QUAND MÊME UN PEU COMPLIQUÉE D’ALEX
GRAVEL-CÔTÉ, de Catherine Girard-Audet., édition Les Malins 2017,
440 pages. Version audio : Audible studios, 2017, narrateur : Jean-
Philippe Robin, durée d’écoute : 5 heures 31 minutes)

Ma sœur croit m’aider à « ouvrir mon autoroute émotive », à me défaire du « traumatisme causé par le divorce de nos parents alors que je n’étais qu’un enfant » et à tomber follement amoureux d’une fille. Ce qu’elle ne comprend pas, c’est que je n’ai pas envie d’être en couple. C’est trop compliqué. Mais, comme je suis un gars de parole, j’embarque dans son jeu (d’autant plus que c’est ma seule option pour qu’elle me laisse tranquille). Heureusement que j’ai le hockey, le tourbillon familial et l’apparition dans ma vie d’une mystérieuse Julianne et d’une charmante Léa Olivier pour agrémenter mon journal intime et le rendre un peu plus palpitant. 

Les réalités de l’adolescence masculine
*Elle a pris ma main et m’a attiré vers elle pour m’embrasser.
Elle, en se reculant doucement : <Est-ce que j’ai ton attention
maintenant? > Moi, en toussotant un peu : <heee, crum…je…
oui, hehe…excellente tactique.>*
(Extrait)

*Ma sœur est conne…ma sœur est conne…ma sœur est conne…* (introduction) Ainsi débute ce petit livre pétillant…par cette petite phrase toute mignonne répétée 12 fois avec conviction par le petit frère Alex Gravel-Côté. Voyons d’abord ces deux personnages qui sont au centre du centre…je dis ça parce que dans l’histoire, il y a beaucoup de monde…du jeune monde surtout…14 à 17 ans, chatouillé en permanence par les turbulences hormonales.

Alex a 14 ans. Il est beau comme un cœur, charmant, empathique et de nature généreuse. Il raconte au journal intime que sa sœur l’oblige à écrire, sa vie scolaire, sa vie familiale, sa vie sportive et surtout sa vie sentimentale qui elle, n’a pas tout à fait la note de passage. Pourquoi Alex n’a jamais de blonde? Et pourtant des blondes potentielles, il en gravite autour d’Alex.

Emmanuelle est la sœur aînée d’Alex. Elle se passionne pour la psychologie et a pris Alex comme cobaye pour ses tests et observations. Moyennant certaines concessions, Alex accepte d’écrire quotidiennement son ressenti dans un journal personnel pour un temps indéfini. Ce journal devient ainsi le fil conducteur du récit et promet de très intéressants revirements.

Ce livre se détache d’une série consacrée aux aventures de Léa-Olivier et à une flopée de jeunes à la recherche de reconnaissance et d’amour.  Alex se démarque par son intelligence, son empathie et surtout, son cœur d’Artichaut. Il est beau et drôle de voir ses pairs l’encourager, le pousser à enfin se *matcher* avec une belle fille… : *Arrête de niaiser pis fais un moove. Ce n’est pas dans tes habitudes de tourner autour de la puck …j’ai donc décidé d’être moins subtil en abordant Léa après l’école…* (Extrait)

Eh oui…dans le langage subtil du hockey, une belle fille qui se démarque a l’aspect d’une puck. L’auteure ne s’est d’ailleurs pas gênée pour mettre en évidence le langage des jeunes, un genre de codification truffée d’anglicismes et d’allusions : *men*, *dude*, *bro*, *babe*, *shit*, *cool*, *genre*, *cruiser*, *moove*, *come on*, *rocher*, *nunuches* et j’en passe.

Bien sûr ce langage ne constitue pas un bouquet de fleurs pour la langue française mais il constitue un mode de reconnaissance entre les jeunes. je partage avec ravissement le portrait que l’auteur fait des jeunes, en perpétuel questionnement sur leur attirance pour le sexe opposé. L’histoire n’est pas compliquée, on ne peut pas dire non plus qu’elle soit originale. L’auteur nous présente toute simplement des ados d’aujourd’hui avec leurs réalités qui se résument à quatre mots : Amitié, amour, famille, école.

Je crois que les jeunes vont aimer ce livre parce qu’ils vont se reconnaître, parce qu’Alex est terriblement attachant, c’est l’ami universel qu’on aimerait avoir à nos côtés. L’histoire évoque les cœurs d’amadou (1) et les cœurs d’artichaut.(2) Aussi simple soit-elle, il est impossible de ne pas être happé par l’histoire truffée de petites intrigues sentimentales ouvrant la voie à des dialogues savoureux et surtout un humour désopilant.

Par exemple, je vous laisse découvrir entre autres la théorie du triangle amoureux équilatéral, par rapport à la théorie du triangle amoureux isocèle. Ça m’a fait rire et ça m’a plu. Le langage des jeunes habituellement direct caractérise la plupart des dialogues. Ça arrache des sourires, c’est forcé : *Jeanne organise justement un party chez elle pour lui vendredi prochain. Ce serait trop nice que tu te pointes avec un gars du Cégep pour lui faire avaler sa morve. * (extrait)

Ce livre a été pour moi une magnifique évasion. L’écriture est limpide, fluide. Il n’y a pas de longueurs. On ne s’ennuie pas. J’ai été de plus, satisfait de la performance narrative de Jean-Philippe Robin. Je recommande donc LA VIE QUAND-MÊME UN PEU COMPLIQUÉE D’ALEX GRAVEL CÔTÉ…pétillant…rafraîchissant…divertissant.

Suggestion de lecture : LE LIVRE QU’IL NE FAUT SURTOUT, SURTOUT, SURTOUT PAS LIRE, de Sylvie Laroche

C’est à la plume passionnée de Catherine Girard-Audet, accro de magasinage, d’histoires de filles et de confidences, que l’écriture de L’ABC des filles a été confiée. À la barre de plusieurs traductions de romans ou d’albums à succès tels que, Lizzy McGuire, Dora l’exploratrice et même Bob l’éponge, Catherine Girard-Audet était la fille toute désignée pour entreprendre ce projet. Auteure de la série La vie compliquée de Léa Olivier, l’ABC des filles, Effet secondaire et Le journal de Coralie.

 

(1) Cœur qui s’enflamme et s’amourache rapidement
(2) Susceptible à l’amour. Qui donne son cœur facilement et à tout bout de champs.

 

Ne manquez pas de suivre Léa-Olivier

Bonne lecture
Bonne écoute
Claude Lambert
Le dimanche 29 janvier 2023

DIX PETITS HOMMES BLANCS, de Jean-Jacques Pelletier

*Il fallait créer une œuvre vivante. Qui s’inscrive durablement dans les mémoires. Une œuvre qui soit éducative. Qui change le regard des gens sur leur propre humanité. Cela impliquait inévitablement, qu’il y ait des morts. *
(Extrait : DIX PETITS HOMMES BLANCS, Jean-Jacques Pelletier, édition originale : Hurtubise 2014, réédition : Alire 2019, édition de papier, poche, 625 pages.)

À Paris, Théberge se croyait en vacances, mais il est bientôt recruté par un ami des services de renseignement français. L’affaire est délicate. Un petit homme blanc a été tué dans le 1er arrondissement. Puis deux dans le deuxième. Et trois dans le troisième… Où cela s’arrêtera-t-il ? Les hommes sont-ils les seuls menacés? Et seulement s’ils sont petits? Seulement s’ils sont blancs? Des rumeurs se propagent : tueur en série, meurtres à caractère raciste, crimes mafieux, terrorisme… Les réseaux sociaux se déchaînent. Inquiétude et paranoïa s’installent dans la population. Une seule personne connaît la vérité sur ces meurtres : Darian Hillmorek, un artiste aux ambitions planétaires.

Le sculpteur de l’humanité
*Le tueur se moque de la police
Combien de meurtres faudra-t-il encore ?
Que fait la police ? Bagdad-sur-Seine
Ces petits hommes blancs qu’on abat…
Manif sécurité pour tous : le droit d’être protégé
(Extrait, manchettes de médias)

C’est un roman très fort développé avec un incroyable souci du détail. J’ai déjà pu apprécier le style de l’auteur dans LES GESTIONNAIRES DE L’APOCALYPSE avec quelques-uns des mêmes personnages qui ont peut-être toutefois peu évolué. Il n’y a pratiquement pas d’analogie avec LES DIX PETITS NÈGRES d’Agatha Christie. On est très loin du huis-clos imaginé par la célèbre écrivaine mais le titre annonce une intrigue originale, complexe et au développement très lent.

Ça commence par un meurtre dans le premier arrondissement de Paris, puis deux meurtres dans le deuxième arrondissement et ainsi de suite…tous des hommes, petits, blancs, pas nains mais presque. L’enquête ne tarde pas à rebondir à la police judiciaire avec un regard  de la direction générale de la Sécurité intérieure ce qui est très en marge de la loi, d’autant que les intervenants sont non-rémunérés..

Disons qu’on regarde ailleurs : *Et comme officiellement, vous ne ferez rien, conclut le directeur, j’aimerais que vous m’informiez régulièrement de ce que vous n’êtes pas en train de faire. (Extrait)  Ici, le criminel, un tordu qui pense créer un nouveau modèle d’humanité en faisant du ménage, se rie complètement des policiers. Il est imprenable. Pire, la Presse a toujours un pas d’avance sur la police judiciaire, également gênée par la considérable influence des réseaux sociaux.

Cette histoire de Jean-Jacques Pelletier est intéressante à plusieurs égards, malgré un développement un peu particulier. D’abord, le tueur, atypique dans sa façon de procéder mais fou à attacher comme les autres. Il est particulièrement brillant pour semer les policiers et surtout manipuler la presse. L’auteur met en évidence la force, la puissance de la presse, assortie toutefois d’une certaine facilité avec laquelle on peut lui faire dire ce qu’on veut. Voilà qui force l’attention et qui fait que ce livre n’est pas prêt de vieillir à cause, en particulier du rôle dévolu aux médias sociaux.

*Blogueurs et adeptes de tweets rivalisaient pour s’établir comme une référence essentielle sur cette histoire. Même les médias internationaux s’en étaient emparée…comment réussissaient-ils (les réseaux sociaux) à manipuler aussi rapidement l’opinion publique ? Et surtout, comment parvenaient-ils à court-circuiter les médias officiels et leurs intérêts corporatifs ? Ce n’était même plus un jeu.* (Extrait)

Ce que j’ai moins apprécié dans la lecture de ce livre est une faiblesse récurrente dans l’œuvre de Pelletier : c’est long…c’est trop long. L’intrigue est diluée dans une foultitude de détails. Tout dépend ici de l’attrait du lecteur et de la lectrice pour cette machination quand même assez singulière du tueur.

Certains lecteurs risquent de perdre l’intérêt à cause de la lourdeur du récit. De plus, si vous avez lu la quadrilogie noire de Pelletier LES GESTIONNAIRES DE L’APOCALYPSE, vous risquez de trouver les principaux personnages de DIX PETITS HOMMES BLANC plutôt ternes. Je pense à Gonzague Théberge et Victor Prose en particulier.

Il y a comme un essoufflement dans le déploiement des personnages. Malgré tout, la nature de l’intrigue consacre l’originalité de l’œuvre. C’est noir mais c’est travaillé et je ne vois plus les médias sociaux de la même façon. Leur influence dans la Société est réalistement relevée dans le récit.

Enfin, l’auteur relève avec justesse, et ce n’est pas pour me déplaire, la bêtise et la violence qui caractérisent notre Société, même s’il est le premier à dire que tout n’est pas perdu. Bref, c’est un bon livre. Je le recommande, mais soyez patients.

Suggestion de lecture,. du même auteur : LES GESTIONNAIRES DE L’APOCALYPSE

Jean-Jacques Pelletier a enseigné la philosophie pendant plusieurs années au Cégep Lévis-Lauzon. Écrivain aux horizons multiples, le thriller est pour lui un moyen d’intégrer de façon créative l’étonnante diversité de ses centres d’intérêt, entre autres la gestion financière, les guerres informatiques, technique de manipulation des individus, progrès scientifiques, troubles de la personnalité, etc.

Depuis L’HOMME TRAFFIQUÉ jusqu’à LA FAIM DE LA TERRE, dernier volet des GESTIONNAIRES DE L’APOCALYPSE, et des VISAGES DE L’HUMANITÉ jusqu’à DEUX BALES, UN SOURIRE, c’est un véritable univers qui se met en place. Dans l’ensemble de ses romans sous le couvert d’intrigues complexes et troublantes, on retrouve un même regard ironique, une même interrogation sur les enjeux fondamentaux qui agitent notre société. (Alire)

Bonne lecture
Claude Lambert
le samedi 28 janvier 2023

CIRCONSTANCIEL, livre de Gérald Provençal

*Les deux étudiants…à bord d’un véhicule récréatif,
traversent les frontières françaises pour se diriger
en Catalogne, poursuivis à leur insu par un policier
haineux…on découvre dans la Méditerranée, à la
hauteur de Barcelone, un navire-usine appartenant
à un groupe islamiste, dissimulant un laboratoire
illicite, pour fabriquer des drogues destinées au
marché européen*
(Extrait, CIRCONSTANCIEL de
Gérard Provençal, version audio, Vues et Voix éditeur,
2018. Durée : 6 heures 13, narrateur : Denis Lévesque.)

Diane et Gilles, deux étudiants universitaires Québécois partis parfaire leurs connaissances en Europe, expérimenteront des épreuves imprévues en visitant les peuples Basques et Catalans. C’est en Espagne et en France qu’ils découvrent l’analogie entre le Québec et ces deux peuples minoritaires. L’emblème du Québec qu’ils arborent sur leur sac-à-dos bouleversera leur voyage et les obligera à fuir.

Mauvais endroit, mauvais moment
*Je constate qu’Éric ne va pas bien. Il ne dort
pas. Il a perdu l’appétit. Il se plaint d’avoir
des crampes à l’estomac et toutes ces
intrigues l’angoissent….
(Extrait : CIRCONSTANCIEL)

Sans être un chef d’œuvre, l’histoire est intéressante. Contrairement à ce qu’on peut lire dans la description plus haut, au départ de l’histoire, c’est Gilles et Éric qui sont réunis pour ce périple. Ils sont effectivement des étudiants universitaires, futurs enseignants. Gilles et Éric veulent partir à la découverte des peuples Basques et Catalans.

Ils trouveront d’ailleurs de fortes analogies entre les québécois, les basques et les catalans, ces deux derniers étant aussi des peuples minoritaires. D’ailleurs, tous les personnages de ce roman sont issus de minorités. Donc nos voyageurs se retrouvent en Espagne et visiteront une partie de la France.

Toutefois, le voyage ne s’est pas passé selon le plan prévu. Lors de leur passage à Pampelone, Gilles et Éric sont témoins d’un accident qui a toutes les apparences d’un meurtre. À partir de ce moment le voyage des québécois tournera au cauchemar. Éric cède à la pression et décide de retourner au Québec. Gilles lui, reste. Il fera la connaissance de la belle Diane, étudiante en anthropologie qui continuera le voyage avec Gilles. Les deux mettront leur vie en danger.

Le développement de l’histoire est assez bien travaillé quoique par moment, il traîne en longueur. Le récit n’est pas sans nous rappeler qu’au plus fort de l’agitation sociale au Québec, les soi-disant bien-pensants voyaient des séparatistes partout et avec les évènements tragiques d’octobre 1970, pour beaucoup de gens à l’esprit fermé, le terme *séparatiste* équivalait à terrorisme.

C’est un aspect que Provençal a particulièrement bien développé dans son récit et l’idée de base est simple : Éric et Gilles sont au mauvais endroit au mauvais moment. Ils soupçonnent que l’accident dont ils sont témoins est un meurtre et ils se confient à leurs hôtes espagnols, ce qu’il ne fallait tout simplement pas faire.

Dès lors, les polices secrètes s’intéressent à nos amis, y compris Diane et pas seulement, un réseau complexe de trafic de drogue lié au meurtre s’intéresse à nos amis voyageurs qui en savent trop désormais. Ici, l’équation espagnole est simple: québécois égale séparatisme et le séparatisme en pays basque et catalan est une corde extrêmement sensible.

L’auteur a bien exploité son thème. Ce n’est pas tout à fait le cas pour la psychologie des personnages sur lesquels on ne sait pas grand-chose et j’ai eu un peu de difficulté à m’y attacher. Pour la version audio, la narration est plutôt pauvre. Denis Lévesque a une voix superbe et une élocution professionnelle. Malheureusement, il se contente de lire alors que j’aurais préféré qu’il me raconte. Il n’y a pas d’émotions ni de vibrations.

J’aurais souhaité aussi que monsieur Lévesque démarque davantage l’accent québécois comme l’a fait par exemple Maxime Gaudette dans LA CONSTELLATION DU LYNX. Par moment, j’avais l’impression que le narrateur présentait un documentaire. Heureusement, il a une très belle voix. Si vous pouvez passer par-dessus ce manque de mordant, d’intensité, vous pourriez découvrir une plume digne d’intérêt.

Suggestion de lecture : MEURTRES POUR RÉDEMPTION : Karine Giébel

À lire aussi chez VUES ET VOIX

Bonne lecture
Bonne écoute
le dimanche 22 janvier 2023
Claude Lambert

LE DÉCHRONOLOGUE, Stéphane Beauverger

*Je sais moi, que les voiles du temps se sont
déchirées, pour porter jusqu’à mon siècle des
choses qui n’auraient pas dû  s’y échouer. À
mes yeux, les calendriers n’ont plus aucun
sens et les dates comme les anniversaires ont
pris des airs de garces mal maquillées. *
(Extrait : LE DÉCHRONOLOGUE, Stéphane
Beauverger, La Volte éditeur, Folio SF, format
numérique, 2009, 400 pages.)

Au XVIIe siècle, sur la mer des Caraïbes, le capitaine Henri Villon et son équipage de pirates luttent pour préserver leur liberté dans un monde déchiré par d’impitoyables perturbations temporelles. Leur arme : le Déchronologue, un navire dont les canons tirent du temps. Qu’espérait Villon en quittant Port-Margot pour donner la chasse à un galion espagnol ? Mettre la main, peut-être, sur une maravilla, une des merveilles secrètes, si rares, qui apparaissent quelquefois aux abords du Nouveau Monde. Assurément pas croiser l’impensable : un Léviathan de fer glissant dans l’orage, capable de cracher la foudre et d’abattre la mort ! Un souffle picaresque et original confronte le récit d’aventures maritimes à la science-fiction. 

Le tireur de temps
*Agonisant, meurtri au-delà de l’imaginable,
le Chronos craquait et s’ébrouait, tout
entier secoué par un long et grand frisson,
semblant chercher encore comment ne pas
sombrer
(Extrait)

Voici l’histoire d’Henri Villon, alcoolique mélancolique irrécupérable, capitaine du DÉCHRONOLOGUE et de son équipage de flibustiers. En plus de la météo capricieuse des Caraïbes, ces pirates luttent contre des éléments très particuliers : de redoutables perturbations temporelles qui minent, tuent et détruisent les terres. Tout aussi particuliers sont les canons du navire de Villon.

En effet, ils tirent du temps…des secondes…des minutes, ce qui a pour effet de provoquer des distorsions spatio-temporelles destructrices et mortelles. Villon poursuit deux objectifs : d’abord faire le commerce de maravillas, ces merveilles secrètes éjectées des temps futurs par les ouragans temporels. Imaginez par exemple qu’un téléphone intelligent apparaisse sur une rive des Caraïbes en 1650…

*Une machine à savoir en permanence où se trouve un homme et ce qu’il fait ou dit. Diablerie ! Non, pire que cela : invention corrompue, vicieuse et impure. Liberticide. Je forçai aussi Pakal à me montrer ou était ce micro caché sur moi et lançai le petit dispositif également dans la mer. C’était écœurant. Je me sentis humilié et, pour tout dire, profané.*  (Extrait)

Le deuxième objectif de Villon, après avoir accepté l’offre d’un Targui appelé Arcadio est de sécurisé la zone Caraïbe devenue hors de contrôle à cause des redoutables dérèglements temporels qui font apparaître, en plus des maravillas, des navires belliqueux venus d’autres âges passés et futurs. C’est ici que Villon se voit remettre LE DÉCHRONOLOGUE.

C’est un roman fort, solide qui fait intervenir la science-fiction dans le quotidien de la piraterie du XVIIe siècle et développe un de mes thèmes préférés en littérature. C’est ainsi que Stéphane Beauverger a rejoint dans ma bibliothèque des auteurs comme René Barjavel, Edgar Allan Poe, Stephen King, Herbert George Wells, Michael Crichton et plusieurs autres qui m’ont fait vibrer par leur façon d’aborder le temps. L’intrigue du déchronologue m’a fasciné mais pas autant que plusieurs passages sur les méfaits du temps.

Un passage entre autres m’a rappelé une scène qui m’avait fortement impressionné dans le film de science-fiction réalisé par Stewart Raffill en 1984 : L’EXPÉRIENCE DE PHILADELPHIE : *Des esclaves enchaînés à leur banc de nage fusionnèrent avec le métal de leurs entraves et les fibres aiguës de leurs rames. Des guerriers intrépides, qui avaient pris Halicarnasse et la Phénicie, sentirent leur chair se mêler à celle de leurs compagnons d’arme tout aussi pétrifiés.*

Fusion de la chair et du métal suite à une distorsion spatio-temporelle
<L’expérience de Philadelphie>

Il y a dans cette histoire, des trouvailles extrêmement intéressantes. Elles ne sont pas toutes en accord avec les principes scientifiques, comme les paradoxes temporels par exemple, mais ce n’est pas l’imagination qui manque.

J’aurais pu considérer ce livre comme un chef d’œuvre n’eut été de son développement compliqué. L’histoire est en effet difficile à suivre parce que les chapitres ne se suivent pas. Le tout est une exploration aléatoire de flash-backs des aventures de Villon et je n’ai pas toujours compris la logique des enchaînements.

Heureusement, on ne s’ennuie pas avec Henri Villon, un personnage caractériel particulièrement bien travaillé. Autre irritant : au début de chaque chapitre, il y a une citation. Il n’y en a pas une en français. C’est à la limite, insultant.

Enfin, sans être un chef d’œuvre, LE DÉCHRONOLOGUE est un roman fort qui conjugue la science-fiction aux batailles navales, aux magouilles politiques et à la chasse aux trésors. On y trouve de tout, même une petite aventure sentimentale d’Henri Villon avec une femme *haut-perchée* qui porte le joli nom de Sévère. Un avertissement en terminant, plusieurs passages de cette histoire pourraient vous lever le cœur…bon à savoir.

Suggestion de lecture : L’ODYSSÉE DU TEMPS, de Arthur C Clarke

Stéphane Beauverger est né le 29 juin 1969 en Bretagne. Après avoir travaillé comme scénariste professionnel pour l’industrie du jeu vidéo, il se consacre désormais à l’écriture de ses romans. Stéphane Beauverger est aujourd’hui une figure reconnue de l’imaginaire français. Son art chirurgical de la construction fait surgir des histoires violentes et singulières. Son roman de piraterie uchronique, Le Déchronologue, a reçu quatre prix parmi les plus prestigieux de la science-fiction française : Grand Prix de l’Imaginaire 2010, Prix européen Utopiales 2009, Nouveau Grand Prix de la Science-Fiction française (Prix du lundi) 2010, prix Bob Morane 2010.

Bonne lecture
Claude Lambert

IMMORTELLE RANDONNÉE (2) Compostelle malgré moi

Commentaire (partie 2) sur le livre de
JEAN-CHRISTOPHE RUFIN

*On aperçoit déjà ce qui fait la nature profonde du chemin.
Il n’est pas débonnaire comme le croient ceux qui ne se sont
pas livrés à lui. Il est une force. Il s’impose, vous saisit, vous
violente et vous façonne. Il ne vous donne pas la parole mais
vous fait taire. *
(Extrait : IMMORTELLE RANDONNÉE, Jean-Christophe Rufin)

Pour faire suite aux propos de l’article précédent, Le seul petit reproche que je peux faire à ce livre est le choix des photographies. Elles sont superbes je le précise mais la thématique développée est surtout architecturale, religieuse, iconologique ou paysagère. La thématique humaine est malheureusement sous-développée, du moins à mon goût. Il y a bien quelques marcheurs de dos.

Il aurait été intéressant de voir l’expression des visages burinés et en sueur, les regards pris sur le vif des pèlerins spécialement à leur arrivée à Compostelle, des photos illustrant le quotidien des pèlerins.

Bref, des photos évoquant le caractère humain du pèlerinage. Heureusement, les photos de Marc Vachon sont magnifiques et ajoutent à l’œuvre une qualité exceptionnelle. IMMORTELLE randonnée n’est pas seulement un bon livre, c’est un beau livre qui atteint le cœur et l’esprit.

Enfin, je pense que l’auteur a jeté sur son *odyssée*, et avec le recul du temps, un regard le plus réaliste possible…un regard sur le chemin de Compostelle tel qu’il est, à l’image de la vie : des fois beau, souvent décevant…

*Réservant de permanentes surprises et des Émotions  à contre-courant, il n’a rien d’un parcours semé de rose.* (Extrait) Je crois que les lecteurs et lectrices prendront plaisir à partager le quotidien de Jean-Christophe et de Marc se sentant proche du pèlerin et prêts à démystifier le chemin de la plus profonde spiritualité.

Je vous invite sans hésiter à lire, à voir et à vivre IMMORTELLE RANDONNÉE, Compostelle et moi. Un très bon livre qui vous amène à la croisée des chemins et lance le cri du cœur…*rendez-vous à Saint-Jacques*…

Suggestion de lecture : L’ALCHIMISTE, de Paulo Coelho

Acteur engagé de la vie internationale, Jean-Christophe Rufïn a dirigé plusieurs grandes organisations humanitaires.
Il est aujourd’hui ambassadeur de France au Sénégal. Ses expériences ont inspiré une œuvre riche, essais (Le Piège humanitaire, Un léopard sur le garrot) et romans (l’Abyssin, Rouge Brésil, Concourt 2001, Le parfum d’Adam). Il a été élu à l’Académie française au fauteuil d’Henri Troyat en 2008
.

Marc Vachon est né à Montréal, en 1963. Abandonné à la naissance, il connaît tout ce que la vie dans nos pays  » développés  » offre de plus noir : violence, abus… Un jour, il découvre Médecins sans frontières. On l’engage et dès lors, une autre vie commence : il met au service de cette cause l’instinct de survie qu’il a acquis dans la rue. Il devient le logisticien de choc de MSF. Les missions se succèdent l’Irak, le Mozambique, le Soudan, Sarajevo, le Rwanda, où Il découvre que l’humanitaire est aussi un lieu où s’exerce le pouvoir. Ce qui l’amène à écrire, à photographier, à être témoin… des dérives de l’humanité.

LECTURES COMPLÉMENTAIRES

SUGGESTION DE FILM DOCUMENTAIRE

UN FILM QUI PORTE UN REGARD DE TOLÉRANCE ET D’OUVERTURE SUR LE MONDE. Le pèlerinage de Compostelle est une expérience qui attire de plus en plus de personnes. 

Le pèlerin est amené à dépasser ses limites, à se confronter à lui-même et à son environnement. Les épreuves sont physiques, mais surtout psychologiques.  Le réalisateur, Freddy Mouchard a suivi pendant 3 ans le parcours de plusieurs pèlerins. Étape après étape un nouveau rythme de vie s’installe offrant de nouvelles perceptions.

L’alchimie du chemin opère peu à peu. Quand le pèlerin arrive enfin au terme de son périple, au cap Finistère, il brûle ses anciens vêtements face au soleil couchant. Le vieil homme disparaît pour faire naître l’homme nouveau.

 

Bonne lecture
Claude Lambert
janvier 2020

CHARADE, le livre de Laurent Loison

* La pénombre enveloppait la pièce. Helena souffrait d’un mal de tête intense… Elle voulut porter la main derrière sa nuque. Rien ne bougea… Était-elle paralysée ? Elle paniqua franchement. Aucun mouvement possible. Ses poignets, ses chevilles étaient solidement ficelés et les entraves l’étreignaient avec la rigidité d’un barbelé.
Elle hurla. Pas un son ne franchit la barrière de ses lèvres. *

(Extrait : CHARADE, Laurent Loison. Édition originale, France Loisirs éditeur, 2015, 432 pages. Version audio : Audible studios éditeur, 2017, durée d’écoute : 10 heures 10 minutes. Narrateur : Sébastien Ossard)

Il laisse derrière lui des cadavres de jeunes femmes atrocement torturées et de mystérieux messages. Ce cruel et terrifiant tueur en série est pourtant traqué par le meilleur flic du 36, le commissaire Florent Bargamont, et une brillante criminologue, Emmanuelle de Quezac.

La fin d’abord
*Personne ne souhaitait accéder aux
exigences du présumé tueur à la
charade. *
(Extrait)

D’abord, si vous comptez lire ce livre, recevez cet avertissement : Il n’est pas pour les âmes sensibles et les insomniaques : *D’abord incrédule, Emmanuelle perdit ses forces lorsqu’elle comprit que l’assassin ait dû tartiner le visage de la victime avec la cervelle de son ami tout juste mort. * (Extrait)

Un commissaire à l’âme tourmenté, Florent Bargamont et une jeune criminologue Emmanuelle de Quézac enquêtent sur des meurtres d’une inimaginable barbarie. Le tueur laisse derrière lui des cadavres de jeunes femmes incroyablement mutilées, désintégrées laissées aux cauchemars des policiers, chacune avec une feuille de papier contenant un bout de charade annonçant la vision d’horreur suivante : *Seul un des deux est utile à mon second * (extrait)

Pour cette sorte de crime qui dépasse l’entendement, Bargamont était considéré comme le meilleur policier de France : *On ne m’appelle que pour les cas sordides et abjects…les usines à cauchemars si vous voulez. * (Extrait)

La tension monte, l’opinion publique s’alarme, l’enquête devient une course contre la montre…le ton est donné dès le début : *Nous traquons des criminels de la pire espèce ici, des malades à en écrire des thèses de plusieurs volumes. Tous les officiers qui travaillent ici ont tous une case en moins ou en plus * (Extrait)

J’ai déjà dévoilé je crois le principal irritant que je rencontre le plus souvent dans l’univers des romans policiers : l’état d’âme des policiers. Dans CHARADE, l’auteur accorde autant d’importance au tueur et à l’enquête qu’à l’âme torturée du policier Bargamont. Mais j’ai compris pourquoi un peu vers la fin du récit. L’auteur n’avait pas le choix tellement le héros était lié à son enquête, un lien viscéral qui est une des surprises générées dans la finale.

Il faut voir qui est Florent Bargamont : un caractériel mufle, grossier, froid, tourmenté, déprimé, cassé et toujours au bord de la destruction. Le seul élément qui l’humanise un peu dans l’histoire est son amourette avec sa psychiatre qui finit par faire un rapport mitigé. Bargamont est un spécialiste de la noirceur de l’âme et c’est lourd à porter.

Avec L’AIGLE DE SANG de Jean-Christophe Chaumette, CHARADE est ce que j’ai lu de plus noir comme roman. * Cette histoire est une démonstration poussée de ce qu’est un pervers narcissique * (extrait) L’écriture est froide et directe. Peu ou pas de longueurs, pas de dentelle. Certains passages sont d’une crudité à faire frémir. Rien ne filtre quant à l’identité du tueur, ce qui prépare le lecteur à une finale énorme avec un coupable tout à fait improbable.

Les deux principaux personnages ont quelque chose d’attachant dans la mesure où on apprend à les comprendre. Bargamont en particulier, appelé Barga par ses proches. L’intrigue tient le coup jusqu’à la toute fin avec en prime plusieurs rebondissements. Je peux vous dire honnêtement que je n’ai pas saisi la charade. Elle est effectivement peu accessible.

Même si elle ouvre la voie sur d’étranges coïncidences que je vous laisse le soin de découvrir, je crois que l’auteur l’a compliquée pour rien. Un mot sur le rythme : effréné. Aussi effréné que le tueur est sadique. Je ne vais pas dévoiler l’intrigue mais vous serez surpris de l’origine de la charade qui repose essentiellement sur la jalousie et la vengeance.

J’ai choisi la version audio de l’histoire. Peut-être n’aurais-je pas dû. La narration de Sébastien Ossard est intéressante mais j’ai eu l’impression que sa signature vocale amplifiait un caractère surfait, caricatural et surréaliste déjà sensiblement présent dans l’histoire. La lecture est vivante et dynamique mais n’arrive pas à donner à l’ensemble un niveau convenable de crédibilité.

Enfin, le récit comporte beaucoup de clichés. Dans le cas de Bargamont, on aurait effectivement le portrait du policier sans peurs et sans reproches mais bourré de problèmes dans la structure de sa personnalité. Toutefois son rôle dans cette enquête, son rôle profond échappe à toutes prévisions du lecteur et ce qui fait toute l’originalité du livre. Au-delà du support utilisé, je recommande CHARADE comme un défi à relever.

Pour ceux qui auront apprécié, je précise que Florent Bargamont est de retour dans le deuxième livre de Loison, CYANURE. La trame est différente quoique toujours aussi glauque et *Barga* est aux prises avec une autre tourmente personnelle.

Suggestion de lecture : JEU DE MORTS, de Jean-Sébastien Pouchard

Né dans le Val d’Oise en 1968, l’auteur réserve une grande part de son temps à l’écriture, sa passion de toujours, rédigeant ainsi plusieurs ouvrages qu’il garde pour ses proches. « Charade » cristallise l’aboutissement d’un travail exigeant dans lequel il a pu insuffler à ses personnages la multitude d’émotions et de sentiments qui animent son imagination bouillonnante et qu’il souhaite aujourd’hui partager. 

Bonne écoute
Bonne lecture
Claude Lambert

 

Le joueur d’échecs de Maelzel, Edgar Allan Poe

Commentaire sur la nouvelle d’
EDGAR ALLAN POE

*Ces bizarres essais d’explication furent suivis par d’autres
non moins bizarres. Dans ces dernières années, toutefois,
un écrivain anonyme…est parvenu à tomber sur une
solution plausible, quoique nous ne pouvions la considérer
comme la seule absolument vraie…*
(Extrait : LE JOUEUR D’ÉCHEC DE MALZEL, Edgar Allan Poe,
Alia éditeur, 2011, 64 pages. Version audio : audiolude éditeur,
2019, durée d’écoute : 1 heures 9 minutes, narrateur : Alain Couchot)

En 1769, un ingénieur à la cour impériale de Vienne assiste à un spectacle de magie en compagnie de l’impératrice d’Autriche. Après le spectacle, l’impératrice demande à von Kempelen de lui expliquer le tour, mais il n’y parvient pas. Vexé, l’ingénieur promet à l’impératrice de mettre au point une invention surpassant la magie de l’illusionniste. Il construit alors un automate, le Turc mécanique, qui semble réellement capable de jouer aux échecs contre un adversaire humain. Le Turc mécanique jouera dans toutes les capitales d’Europe contre de nombreux adversaires. Des contemporains écriront des livres pour tenter d’expliquer les secrets de l’automate.

Cherchez l’homme
*Quand l’automate hésite relativement à un coup,
on voit quelques fois l’exhibiteur se placer très
près de sa droite et poser sa main de temps à
autre, de façon négligente, sur la caisse…*
(Extrait)

Cette nouvelle d’Edgar Poe fait référence à un des plus célèbres canulars du XXVIIIe siècle. En effet, en 1770, Johan Wolfgan Von Kepelen dévoile au grand public une machine capable de battre un humain aux Échecs. Pendant sa tournée en Amérique, le Turc, acquis entre temps par Johan Maelzel, épata le public. C’est lors de son passage à Richmond en Virginie que le Turc fût remarqué par Edgar Allan Poe.

Pour Poe et la plupart de ses contemporains, il était impensable qu’une machine surpasse le cerveau humain. Poe comprit qu’il y avait anguille sous roche quand il apprit qu’un mystérieux mécanisme permettait d’occulter la profondeur réelle du meuble. Cela lui faisait supposer la possibilité d’y glisser un être humain qui, bien que petit de taille, puisse être assez intelligent et stratège pour être champion d’échec.

Alors, le célèbre auteur élabore toute une théorie prouvant la supercherie du Turc et décide de la publier…ce qui donna naissance à la nouvelle LE JOUEUR D’ÉCHECS DE MAELZEL en 1836, considérée comme un essai.

Il est heureux que Poe s’en soit tenu à une nouvelle car le texte est d’un ennui mortel :

*Il suffira d’un peu de réflexion pour convaincre chacun qu’il n’est pas plus difficile, en ce qui regarde le principe des opérations nécessaires, de faire une machine gagnant toutes les parties que d’en faire une qui n’en gagne qu’une seule. Si donc nous regardons le Joueur d’échecs comme une machine, nous devons supposer (ce qui est singulièrement improbable) que l’inventeur a mieux aimé la laisser incomplète que la faire parfaite, – supposition qui apparaît encore plus absurde si nous réfléchissons qu’en la laissant incomplète, il fournissait un argument contre la possibilité supposée d’une pure machine ; – c’est justement l’argument dont nous profitons ici.* (Extrait) Pour comprendre plusieurs passages, il faut creuser.

En fait Poe s’est mis dans la peau d’un ingénieur ou d’un architecte et entraîne son lecteur ou son auditeur dans des explications labyrinthiques sur le fonctionnement de cet appareil et la supercherie qui s’y cache comme s’il expliquait à des non-initiés des dessins ou des plans techniques compliqués et livre théories et détails sur détails…ça ne finit pas de finir.

Plusieurs ouvrages démontreront beaucoup plus tard qu’ Edgar Poe s’est trompé à plusieurs égards. Mais la question n’est pas là. Le fait est que Edgar Allan Poe nous a habitué à beaucoup plus et beaucoup mieux que cela. J’ai toujours admiré Poe et je l’admire encore pour LE CORBEAU, POUR LES NOUVELLES EXTRAORDINAIRES et pour le formidable héritage littéraire qu’il nous a laissé.

Poe est un Maître du fantastique et de l’épouvante qui a aussi versé dans les tendances policières-investigation. Il a laissé une marque indélébile dans la littérature américaine et mondiale. Mais LE JOUEUR D’ÉCHECS DE MAELZEL m’a déçu.

Il est vrai que je ne joue pas aux échecs et que ce sport intellectuel ne m’intéresse pas. Mais qu’à cela ne tienne, c’est Poe qui m’intéressait et finalement, je me suis rendu compte qu’il n’y a pas de partie d’échecs dans son histoire. Seulement des explications interminables sur une machine compartimentée et au fonctionnement douteux.

J’eus souhaité qu’il y ait eu description d’une partie d’échecs. L’ensemble serait devenu peut-être plus clair, plus intéressant, moins aride. Pour la version audio, je ne peux pas dire  que le narrateur a contribué à rendre le texte attrayant. Alain Couchot a une voix superbe, il n’y a pas de doute mais sa narration m’a semblé déclamée, un peu théâtrale.

Enfin, même si j’ai saisi le sens de la démarche de Poe, je n’ai pas réussi à m’accrocher au texte. Simple déception de passage. Je demeure un inconditionnel d’Edgar Allan Poe.

Suggestion de lecture : LE HUIT, de Catherine Neville

Edgar Allan Poe est né le 19 janvier 1809, à Boston dans le Massachusetts, dans une famille de trois enfants et d’un couple de comédiens au théâtre. À l’âge de 1 an, son père qui était alcoolique meurt de la tuberculose et un an plus tard, soit en 1811 c’est au tour de sa mère de mourir aussi de la tuberculose. Il devient donc orphelin et est adopté par une bonne famille de Richmond, les Allan.

Le couple adoptif s’installe en Angleterre pour le travail et ce pays marquera beaucoup l’enfance du petit Edgar. Au collège classique de Virginie (aux États-Unis), il suit des cours de littérature et arrivé à l’Université il tombe dans l’enfer des paris et du jeu et contracte des dettes. Son père adoptif, déçu, refuse de les payer et rompt toutes liaisons avec Edgar. Laissé à lui-même, il gagnera un prix au « Saturday Visitor of Baltimore » en 1834 avec son récit : MANUSCRIT TROUVÉ DANS UBE BOUTEILLE.

En 1836, il se marie avec sa cousine de treize ans, Virginia Clemm et plonge dans une dépression totale en s’adonnant à  l’alcool et aux drogues diverses. Dix ans plus tard, le public est bouleversé par la publication du poème « Le Corbeau », cette sortie lui fera connaître une courte période de succès, mais la mort de sa femme en 1847 lui fera reprendre son goût pour l’alcool et le jeu, ce qui, le fait retomber dans la déchéance. Il meurt le 7 octobre 1849 à l’hôpital de Baltimore de congestion cérébrale suite à un coma de quatre jours. Il avait été trouvé une nuit sur un trottoir totalement hébété.


L’automate turc…un des secrets les mieux gardés

Bonne lecture

Claude Lambert